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L'indicible à porté du regard. Les nouvelles technologies: vers un au-delà de la scène ?

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par Yannick Bressan
Université Paris 3, Sorbonne nouvelle - DES 2003
  

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3. Les mansions.

Ces lieux du théâtre médiéval, dans lesquels se déroulaient les scènes, étaient dans le cas des mansions permanentes à usage unique : le paradis, le temple, le palais, les limbes et l'enfer19 (voir annexes 1 b, page I). Ces lieux étaient déterminés de manière symbolique par des éléments du quotidien tels par exemple des sièges, des tables ainsi que divers autres accessoires.

Les mansions donnaient un caractère dramatique fort et tangible à des idées religieuses parfois très abstraites, permettant ainsi de donner à un peuple majoritairement illettré une connaissance ou tout au moins une image des grands préceptes fondateurs de la religion.

C'est bien de cela dont il s'agissait, une forme à usage éducatif (tout comme les cathédrales).

« On passait d'un système évocatif à un système illustratif tel qu'on a pu comparer la scène médiévale à un grand livre d'images »20 . Alors soudain, sur la scène, apparaît un au-delà côtoyant très naturellement notre réalité de tous les jours. Et pour cause, dans l'esprit de l'homme de l'époque, ce surnaturel, Dieux, diables et autres démons côtoient effectivement la réalité humaine. Les plans d'existence se chevauchent et les mansions en sont le siège théâtral, le siège de la contemplation.

Dans le théâtre médiéval, comme dans le théâtre grec et dans les rites égyptiens, les liens que la représentation entretient avec l'histoire religieuse sont étroits. Ces rapports sont fondateurs de cette multiple présence sur la scène. Présence du réel et d'un au-delà par les automates, la figuration des Dieux comme nous l'avons vu plus

19 Daniel Couty et Alain Rey (Sous la direction de), Le théâtre, édition Larousse 2001, p. 20.

20 Ibidem p. 20.

haut ou encore, comme ce qui nous intéresse à présent, non plus par un objet en tant que levier mais un lieu physique.

La différence entre « levier objet » et « levier lieu physique » dans le cadre des mansions n'est pas fondamentale pour comprendre la réflexion entreprise. Cette différence est tout de même suffisamment importante pour s'y arrêter un court instant et tenter de la cerner un peu plus clairement.

Le « levier objet » permet, par le truchement d'un objet (masque, automate, élément de décors ou accessoire de scène par exemple) de laisser entrevoir au spectateur l'existence d'un espace (temps) invisible mitoyen à celui visible sur la scène.

Le « levier lieu physique » est, quant à lui, un lieu ancré dans le réel de la représentation, mais aussi un lieu porteur du sens (religieux dans le cas dont nous parlons, celui des mystères) de la représentation. Un lieu double donc.

Les mansions portent en elles cette dualité spatio-temporelle. Elles sont à la fois symbole d'espace liturgique, de jeu, et lieu du divin par la place qu'il leur est attribuée au sein d'une scène humaine.

Elles installent, de par leur présence double, une frontière trouble entre la réalité humaine, quotidienne et la « réalité transcendante » acceptée comme vraie.

Les pères de l'église assimilaient le monde à un vaste théâtre terrestre dont les spectateurs étaient les Dieux et « les hommes vertueux qui sont au ciel »21.

Là encore, notre statut de mortel (comme pour le théâtre grec) change. Nous passons de « regardés », par les Dieux, à « regardeurs » de l'univers divin.

Il est intéressant, pour mieux cerner encore ce double statut de la scène médiévale et appréhender au plus juste le rôle de pont entre « deux réalités » que nous attribuons aux mansions, de se rappeler la comparaison que le moine bavarois Honorius d'Autun (XIIe siècle) faisait entre la messe et une tragédie antique. Avec son public (les fidèles) et ses acteurs (les prêtres et les célébrants)22 cette comparaison brouille les frontières entre deux mondes et les mêle étroitement, les entremêle jusqu'au doute du réel (ou « non doute » de l'irréel).

« Un portrait [la figure] porte absence et présence (...) » écrivait Pascal23. Cette
union de la présence (l'humain, actuel) et de l'absent (monde des Dieux, virtuel) se
cristallise très précisément dans le théâtre médiéval en ces lieux symboliques que

21 Ibidem p.19.

22 Ibidem p.19.

23 Pascal, Pensées, éditions Classiques Garnier, Bordas, 1991, P. 275.

sont les mansions. Elles sont les leviers qui nous permettent d'accéder à un autre état de conscience mais plus simplement à une lecture du sens religieux plus immédiat. Tout ici est visuel et visualisé.

C'est la différence avec les exemples qui précèdent (Égypte, Grèce) où le lieu symbolique prend place dans la tête du spectateur par l'emploi de « leviers objets ». Ceux-ci projettent le spectateur vers un au-delà de la scène grâce à des « rencontres paradoxales de l'ici et de l'ailleurs, de la présence et de l'absence (...) » pour reprendre une phrase de Mallarmé24. Les mansions, littéralement demeures, situent d'emblée l'action dans un « hors-lieu réel ». Le levier n'est plus alors un objet présent sur scène comme une porte, une fenêtre, un messager de l'au-delà mais il est (le levier) la scène elle-même.

4- Effigies et marionnettes.

Nous aborderons, dans ce point, les effigies et marionnettes en action sur la scène, comme étant les témoins, mais aussi les liens vers un ailleurs de la scène, un au- delà du visible. Ce point étant, nous semble-t-il, un point « charnière » de notre étude nous nous y attarderons un peu plus que les autres points de ce premier chapitre.

Nous tâcherons d'aborder et de comprendre ce voyage de « l'au-delà vers l'ailleurs » par le truchement d'une « créature » à « dimension humaine » mais non humaine. Nous prendrons, dans un premier point, l'exemple du travail des metteurs en scène et artistes de la fin du XIXème siècle et du début du XXème (voir annexes 2 a, page II). Nous aborderons, dans un second temps de notre travail sur les effigies et marionnettes en tant que « leviers », par un regard rapide sur les expériences utilisant les nouvelles technologies pour concevoir des « êtres marionnettisés ». Soit par des « implants » comme Stelarc ou par une utilisation du réseau Internet comme le fil de la marionnette dans des expériences du groupe e-toile.

24 Cf. Alcoloumbre Thierry, Mallarmé la poétique du théâtre et l'écriture, librairie Minard 1995, pp. 47- 51.

Ce quatrième point de notre étude met en évidence un changement fondamental s'opérant au spectacle par l'emploi à des fins spectaculaires de leviers marionnettes et effigies à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

Bien avant cette période, nous avons recensé quelques-unes unes des utilisations de « leviers » dans un contexte de cérémonies ou de représentations religieuses tels que l'automate égyptien, le masque grec ou les mansions. Nous étudierons dans ce qui suit l'emploi des leviers sur la scène non plus à des fins religieuses, mais afin d'ouvrir des dimensions plus métaphysiques.

Nous commençons notre étude par le début du XX ème siècle. Les exemples à cette époque sont, avec l'avènement du théâtre symboliste, des plus probants. Ils nous semblent illustrer fort clairement ce passage d'un « au-delà religieux » vers un « ailleurs métaphysique ». Il est intéressant de se pencher, avant d'amorcer toute réflexion, un instant sur la définition de « métaphysique » pour poser clairement et en quelques lignes la problématique de l'emploi du levier effigie ou marionnette sur une scène.

« meta (ta) phusika, ou «au-delà de la Physique» »25.

C'est bien cela dont il s'agit en effet d'un « au-delà de la physique » mais aussi d'un au-delà de l'humain (de l'acteur pour Craig, par exemple avec le concept de sur-marionnette).

a) Le vivant et ses doubles. Début du XXe siècle.

Durant les vingt premières années du XXe siècle, d'étranges créatures arpentèrent les scènes, « ombres de l'homme » (voir annexes 2 b, page II) pour reprendre l'expression de Didier Plassard26. Ces effigies et marionnettes ne sont plus simplement utilisées, comme nous l'avons vu plus haut avec les automates et les masques, pour figurer les Dieux, mais bien pour produire une imitation de l'homme. Cette réflexion peut s'illustrer par l'exemple du Pinocchio de Carlo Collodi et sa recherche d'humanité, émanant d'une « sculpture » parfois plus humaine dans ses sentiments que les humains de chair et de sang rencontrés. C'est aussi la volonté du

25 "Métaphysique," in Encyclopédie Microsoft Encarta 97, 1996 Les Éditions Québec/Amérique inc.

26 Didier Plassard, L'acteur en effigie, Editions L'age d'homme,1992, p. 12.

créateur de donner vie à de la matière sans vie, à l'image de Pygmalion qui crée sa Galatée, femme idéale ou de Rabi Loew et son Golem.

Si l'on considère la définition qu'Aristote donne de l'action dramatique, à savoir « l'imitation d'une action », nous sommes projetés avec l'arrivée sur scène des marionnettes et effigies, dans une mise en abîme plus lointaine de l'action dramatique. En effet, il ne s'agit plus simplement « d'imiter une action » mais d'imiter un être (humanoïde ou pas) qui imite une action. « (...) Il introduit sur les planches l'imitation d'une imitation, une manière de simulacre au second degré »27 . Dans ce cas, l'effet de levier est introduit par la sensation de répétition, d'écho du vivant.

La proximité aux côtés du comédien d'un alter ego de bois et de métal plonge le spectateur dans un état de trouble, voire de terreur comme le souligne Tadeusz Kantor dans Le théâtre de la mort : « (...) Voici que s'avancent, sortant soudain des ténèbres, toujours plus nombreux, des sosies, des mannequins, des automates, des homoncules - créatures artificielles qui sont autant d'injures aux créations même de la nature et qui portent en elles tout le ravalement, tous les rêves de l'humanité, la mort, l'horreur et la terreur»28.

La prolifération des « images de l'homme mécanisé et « marionnettisé » du début du XXe siècle »29 renforce cette impression de double réalité ; la première humaine, la seconde émanant d'un ailleurs du visible qui nous est étranger, ressemblant parfois à la réalité visible, différent aussi, mais toujours troublante de part son double statut de proximité et de distance du réel. Cette distance avec le réel que nous qualifions ici de « troublante » s'articule et se cristallise par l'absence que la marionnette ou l'effigie incarne sur scène. En effet, la colère peut être représentée par une marionnette sans qu'il y ait effectivement de colère jouée sur le plateau. Pinocchio représente l'enfance mais il n'EST pas. C'est seulement après son passage, nécessaire changement d'état, de la vie à la mort qu'il devient humain.

Un déchirement spatio-temporel se met, ici, en place à des fins spectaculaires et métaphysiques et non plus cultuelles ou liturgiques comme nous l'avons vu précédemment.

27 Ibidem, p. 12.

28 Tadeusz Kantor, Le théâtre de la mort, textes réunis et présentés par Denis Bablet, Edition L'age d'homme, 1977, p. 222.

29 Cf. Didier Plassard, L'acteur en effigie, Edition L'age d'homme,1992, pp.1 1-19.

Il est important de noter, comme le souligne Didier Plassard30 que de «(...) l'Iliade, le Tripitaka, Ovide, la Gesta Romanorum, les romans arthuriens, les légendes hassidiques, les contes d'Hoffmann et de Poe, [sont] autant de récits qui pourraient donner à penser que, quel que soit l'état du développement technique, l'humanité rêve toujours d'automates et de créatures animées, de cuirasses enchantées et de poupées merveilleuses ». Le rapport de l'homme à la technique s'avère alors étroit. Bien entendu, les techniques évoluent avec l'homme et ses connaissances, leurs évolutions sont intrinsèquement liées. Il est donc clair que l'intervention de techniques sur la scène évolue de concert avec l'évolution de l'homme et de son niveau technologique et, ce, depuis l'avènement de représentations spectaculaires avec, par exemple, l'introduction d'une machinerie théâtrale, de lumières et autres avancées liées aux progrès de la science. Les enjeux de la technique sur la scène ne sont pas simplement d'ordre physique. C'est par la technique et avec elle que sur la scène les portes d'un ailleurs de la scène s'ouvrent et se ferment. Il nous semble évident au regard de nos recherches précédentes, présentes et, fort probablement, futures que « l'essence de la technique n'a rien de technique. Elle est métaphysique » 31.

Dans les années 20, l'emploi sur la scène du levier effigie ou marionnette constitue un éclatement scénique qui est d'ordre métaphysique plus que religieux. Nous verrons, dans la seconde partie de cette étude, comment cet éclatement devient géographique par l'utilisation de réseau électronique sur la scène.

Un regard plus métaphysique donc, Didier Plassard le relève très clairement en citant le point que met en lumière E. Capiau-Laureys32 dans des réflexions de Maeterlinck: « (...) l'effet étrange et en quelque sorte surnaturel obtenu par la mise en scène d'acteurs inanimés : automates, cires, marionnettes, androïdes, symboles (...) ». Cette étrange impression d'un « au-delà de la scène » que porte en lui ce levier est renforcé par un fait encore. Le déplacement de la voix. Celle-ci ne sort pas de l'organe habituel, prévu à cet effet par la nature, le « sur-naturel » marque plus encore son espace au sein de l'effigie ou de la marionnette. Cette voix censée émaner d'un pantin de bois s'adresse-t-elle à nos oreilles ? Rien n'est moins sûr. Il s'agit d'une voix qui part (vient) d'ailleurs (marionnettiste, haut-parleurs...) et qui va

30 Ibidem, p. 14.

31 Heidegger Martin, « La question de la technique » (1954), traduction française in Essais et conférences, éditions Gallimard 1958, pp. 9-48.

32 E Capiau-Laureys, in Didier Plassard, l'acteur en effigie, édition l'age d'homme,1992., p. 35.

ailleurs, plus de l'intellect à l'intellect que de la bouche à l'oreille. La marionnette n'a pas de bouche, pas de voix, pas d'autonomie et c'est de (depuis) ce manque dont (qu') elle nous parle. C'est bien une « bulle de vide » qui prend corps sur la scène à travers ce levier et qui entraîne notre regard et notre pensée de spectateur vers un ailleurs de la scène.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore