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L'indicible à porté du regard. Les nouvelles technologies: vers un au-delà de la scène ?

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par Yannick Bressan
Université Paris 3, Sorbonne nouvelle - DES 2003
  

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4. Vidéo:

« (...) Les écrans peuvent ouvrir à la scène de nouveaux espaces pour l'imaginaire, modifier les modes de perceptions ordinaires du public (...) »38

Les fenêtres que sont les écrans ou les projections vidéo sur une scène de spectacle vivant, nous renvoient, à l'image des marionnettes de Kleist, vers une pureté originelle.

Ces images, vidées de toute conscience autre que celle du créateur / réalisateur (à l'image de la marionnette et du marionnettiste), ouvrent sur le plateau un autre temps. Un temps de la « potentialité » entre les humains présents sur scène ou dans l'univers, et les humains présents par l'emploi de l'image vidéo, un temps de tous les possibles (voir annexes 3 a, page III).

Deux temps et deux espaces se rencontrent. Le croisement de ces deux réalités (comme pour les autres leviers abordés précédemment) nous entraîne dans un au- delà de l'action dramatique. Quelle(s) relation(s) trouble(s) est (sont) envisageable(s) entre un « corps fait de lumière »39 et un corps de chair et de sang? Il semble évident que l'emploi de la vidéo sur la scène ne peut se limiter à un simple usage illustratif se substituant aux décors de peintures et de carton-pâte. Ici, aujourd'hui, plus que pour tout autre levier probablement, il y a nécessité de sens.

38 Béatrice Picon-Vallin (sous la direction de), Les écrans sur la scène, édition l'age d'homme 1998, p. 10.

39 Giorgio Barberio Corsetti, in Les écrans sur la scène, sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, édition l'age d'homme 1998, p. 306.

L'image sur la scène (et ailleurs) n'est pas neutre, sa manipulation ne peut s'effectuer avec légèreté. « On ne saurait créditer l'image d'un taux de confiance excessif » nous dit le metteur en scène Peter Sellars. Comme Craig et sa sur- marionnette, ne faut-il pas alors chercher à créer un langage « sur-vidéo » ? Un langage où l'image serait la plus neutre possible et porterait un sens fort sans être affectée par le point de vue ou le sentiment personnel du réalisateur et de tous les « parasites » qui peuvent venir s'y greffer, une émotion « accidentelle » qui viendrait « charger » l'image et l'éloigner de son objectif premier : être le levier vers un ailleurs, nous emmener ailleurs, être un lieu de passage.

Là encore, c'est Peter Sellars qui nous permet d'avancer lorsqu'il nous parle de l'utilisation de la vidéo dans son spectacle Le marchand de Venise : « L'image est gain de visible, gain de conscience autant que perte du réel ».

On comprend bien, grâce à cette remarque, combien l'emploi du levier vidéo sur une scène est ambigu. Cette « déchirure de sens » nous plonge une fois de plus dans un sentiment trouble, un sentiment d'appartenance de l'image vidéo sur la scène à un monde quasi inaccessible. Il est à noter que ce sentiment est accentué par le décalage temporel de l'action vidéo filmée puis diffusée ou projetée.

Dans le cas du direct, la vidéo déclenche un sentiment d'écho qui nous projette dans un espace mental étrange, celui de la vision. Vision qui par ailleurs nous semble un terme tout à fait approprié de par sa double définition. La vision peut, dans un premier temps, être entendue comme la perception de l'organe de la vue40. Dans un second temps, la vision peut être définie comme la « perception imaginaire d'objet irréel » 41.

Le sentiment d'écho donc, que provoque la vidéo sur la scène, sollicite ces deux sens du mot « vision ». Pour être plus précis encore, on peut dire qu'il croise ces deux définitions pour en créer une troisième. L'oeil perçoit bien, rien d'imaginaire à cela mais l'objet perçu est irréel. Nous sommes donc entre la perception physique, réelle et la perception imaginaire, irréelle, virtuelle.

Rappelons-nous la phrase de Merleau Ponty : «Toute vision a lieu quelque part dans l'espace tactile»42. Aujourd'hui avec l'emploi de la vidéo ou de la projection vidéo, l'espace tactile peut ne plus exister, nos visions, fantômes d'un ailleurs sur la

40 « Vision », in Le nouveau petit Larousse grand format en couleur, Edition Larousse, Bordas, 1998.

41 Ibidem

42 Cité par Jean-François Peyret, « Texte, scène et vidéo » in Les écrans sur la scène, sous la direction de Béatrice Picon-Vallin, Edition l'age d'homme 1998, p. 278.

scène, ne sont plus nécessairement issues d'un espace tangible, voire même d'un espace réel.

En effet, l'outil vidéo ou l'emploi de réseaux tel Internet ou Intranet à des fins spectaculaires permet de « donner vie » sur une scène à des images réalisées dans un autre lieu, un autre temps voire même, dans certains cas d'images entièrement électroniques, n'ayant pas une existence réelle mais exclusivement virtuelle.

Il est important de préciser ici la différence entre l'outil analogique tel la vidéo analogique, l'outil numérique comme la vidéo numérique, l'ordinateur, et un troisième outil encore, atypique car il rassemble en une forme de synthèse les deux précédents pour en donner un troisième ; l'outil Internet.

L'outil numérique utilise un calculateur numérique qui fonctionne sur des nombres discontinus. L'outil analogique lui, par opposition, transforme les données en valeurs physiques continues (longueur, angles, intensité de courant etc.) avant de les traiter.43 Il en résulte deux esthétiques fort différentes. Ces esthétiques (analogiques et numériques) passées par le « filtre Internet » en donne une troisième, différente encore, et renforce leur pouvoir de (re)présenter des espaces et/ou figures éthérées. Ces « mises en scène de l'absence » sont très clairement présentes dans des spectacles comme Foirade/Fizzles 44 mis en scène par Michaël Rush ou encore L'homme qui 45 de Peter Brook, (voir annexes 3 b, page III).

Dans L'homme qui, par exemple, les images vidéo « fonctionnent comme un dispositif de miroir pour le personnage principal qui oublie chaque instant dès lors que celui-ci s'est écoulé » 46 . Dans Foirades/Fizzles Michael Rush adapte un texte de Beckett et en plaçant sur la scène des « images fixes et animées [il confère] des épaisseurs de temps et de mémoire aux voix des personnages de Beckett »47.

Le groupe « La Fura dels Baus » dans son F@ust version 3.0 48 a mis en scène cet espace de l'ailleurs vers lequel nous projette l'emploi des images ou de projections vidéo sur la scène par le trouble qu'elles induisent.

C'est aussi, entres autres interrogations que nous étudierons dans la seconde partie
de ce travail, avec cette présence/absence de l'humain et l'éclatement géographique

43 « Numérique », in Le nouveau petit Larousse grand format en couleur, ed Larousse, Bordas, 1998.

44 Foirades/Fizzles de Samuel Beckett, adapté et mis en scène par Michaël Rush, 1994.

45 L'homme qui d'Olivier Sacks, adapté et mis en scène par Peter Brook, 1992.

46 Rush Michael, Les nouveaux médias dans l'art, éditions. thames & Hudson, 2000, p. 72.

47 Ibidem, p. 75.

48 F@ust version 3.0, Opéra interactif, La Fura dels Baus, 1998.

et topographique de la scène que joue le groupe « e-toile » dans sa série de Bals49. Qu'ils emploient le levier vidéo ou le « levier réseau », c'est clairement dans un éclatement spatio-temporel de la scène que tout ces artistes et groupe de créateurs nous entraînent. Dans ces différents cas, « l'ici et maintenant » de la représentation est bousculée par l'incursion de « l'ailleurs et l'avant » porté par l'image vidéo. « L'avant » étant le temps de l'enregistrement de l'image vidéo ou de sa conception. Nous appelons le temps de la représentation (jeu du comédien) T. On note que le temps de l'action du comédien, enregistrée ou ayant été effectuée en « live » est en décalage par rapport au temps de sa réception par le public. Celui-ci reçoit l'information visuelle et / ou sonore en T+n (n étant le temps de la transmission pour chaque spectateur dans le théâtre) ou en T+x (x étant le temps de transmission pour chaque internaute connecté au spectacle). Le temps de transmission / réception par une interface technologique étant plus long que pour « l'interface corps » on en déduit que : x>n.

Lors de la lecture de l'image représentée sur scène cette image est en fait dans un autre temps que celui de la scène ; elle est en T+n ou en T+x. Sa présence n'est en fait que le reflet d'une absence. L'image donne ici par l'emploi du levier vidéo « corps » à l'absence. Un esprit virtuel semble s'incarner sur la scène ou tout au moins, prend part à l'action dramatique présente et présentée, et cela, sans être physiquement réellement là, sur le plateau.

Nos fantômes d'aujourd'hui n'ont plus besoin de corps pour exister. C'est ce vide et paradoxalement cette présence (virtuelle) que cristallise sur la scène l'outil vidéo. Ce paradoxe ouvre au spectateur un état de conscience particulier, état de réception de l'au-delà de la scène mais aussi état de projection mentale (grâce au support visuel) vers cet ailleurs. En effet, Il était jusqu'alors nécessaire d'incarner les fantômes et autres corps de l'au-delà pour les faire exister sur la scène. Dorénavant, nulle présence réelle n'est requise, aucune incarnation pour que soit « présent » sur scène des créatures de l'ailleurs, fantômes et autres chimères. Le levier vidéo et/ou réseau a cette aptitude fantastique à rendre, d'une certaine façon, présent l'absent.

« Ces images, multitudes d'ectoplasmes issues de la chimie, de la lumière, du nombre, de l'électronique, composées de pixels, semblent parler de la mort, alors que le corps parlerait de la vie... A moins que ce ne soit l'inverse, puisque l'image est

49 Bals , Chorégraphie interactive du groupe e-toile, direction artistique Cécile Huet, 2003.

aussi résurrection d'entre le monde des morts. Et l'on sait bien que c'est en faisant passer sur la scène le souffle de la mort que Meyerhold, avec la dramaturgie symboliste, et plus tard Kantor ont donné à voir le vivant de leur époque »50.

Les écrans vidéo et (ou) les projections vidéo sur la scène seraient comme un appel d'air de l'au-delà (voir annexes 4, page IV), au même titre que les automates, les masques, les mansions, les effigies ou les marionnettes ?

Et si, comme l'a justement remarqué Béatrice Picon-Vallin au sujet de Meyerhold et de Kantor, il s'agissait pour les leviers qu'ils utilisaient (effigies et marionnettes sur la scène) de simplement nous mettre face à notre temps, nous donner à voir le vivant de notre époque ? Ces leviers agiraient donc, en plus de leur pouvoir d'ouvrir les portes de la perception vers un ailleurs de la scène, comme révélateurs du présent.

50 Béatrice Picon-Vallin (sous la direction de), Les écrans sur la scène, Edition l'age d'homme 1998, p. 11.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera