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L'indicible à porté du regard. Les nouvelles technologies: vers un au-delà de la scène ?

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par Yannick Bressan
Université Paris 3, Sorbonne nouvelle - DES 2003
  

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B. L'exemple du groupe de recherche et de création « e-toile »

L'éclatement spatio-temporel de la représentation.

« L'ici et maintenant » du spectacle, éclaté au profit d'un « au-delà » de la scène. Ce pourrait être le credo du groupe e-toile si l'on voulait tenter de résumer en une phrase son activité. Les choses ne sont, bien entendu, pas aussi simples.

La première expérience d'e-toile que nous étudierons, Côté noir / côté blanc , est une pièce de théâtre exclusivement écrite pour Internet. La seconde, Bals, est une expérience chorégraphique interactive présentée dans un même temps à un public dans un théâtre (Marché aux Grains, théâtre de Bouxwiller) et sur Internet.

Nous tâcherons avec ces deux exemples de cerner les questions posées mais aussi de proposer des amorces de réponses aux questions posées par l'utilisation de l'outil Internet et du « levier réseau informatique en général » sur une scène de spectacle.

90 Fouquet Ludovic, De la boîte à l'écran, le langage scénique de Robert Lepage. Thèse sous la direction de Mme Béatrice Picon-Vallin, Université de Nanterre, Paris X, Ecole Doctorale Lettres, Langues, Spectacles, 2002, p.1 1.

1. Côté noir / Côté blanc 91

a) Un récit initiatique : La page web comme « espace partagé ».

Cette expérience théâtrale fut présentée à la Cité des sciences de la Villette à Paris du 23 au 29 septembre 2002 dans le cadre de « Villette numérique ».

Elle fut créée et uniquement visible sur Internet en novembre 2001. Les « streaming », envois vidéo sur le web, étaient réalisés à heures fixes depuis La Filature, Scène nationale de Mulhouse (voir photos annexes 7 A, page IX). Chacune des expériences « envoyées » sur Internet était issue d'une captation vidéo réalisée trente minutes avant que l'expérience soit accessible au public d'internautes.

Sans retoucher en aucune façon la prise de vue sur le jeu de la comédienne, les techniciens d'e-toile ajustaient les actions de jeu du vivant de la comédienne avec les éléments intervenant sur la page web. Ainsi, par exemple, lorsque la comédienne intimait l'ordre aux internautes de « cliquez tous sur le bouton rouge ! »92, un point rouge apparaissait simultanément sur la page web. Ce point rouge ou divers autres éléments apparaissant offraient à l'internaute des possibilités d'interaction avec le spectacle. Nous étudierons ces systèmes et ce choix d'interaction dans le second point de ce travail. Cette opération ne fut pas réalisable, à ce moment là, en temps réel pour des raisons techniques de synchronisation entre l'envoi du flux vidéo filmé et les éléments de la page web. Chaque ordinateur d'internaute connecté au spectacle ayant ses caractéristiques de puissance personnelle, le risque était qu'il y ait un décalage entre le jeu de la comédienne et les éléments programmés de la page web.

Il est tout de même important de noter que ces contraintes techniques n'enlevèrent aucun intérêt aux questions posées et aux éléments de réponses dégagés puisque le direct n'était pas ici en question. Il s'agissait plutôt d'interroger l'espace de la page web en tant que lieu scénique ainsi que le récit interactif.

Le personnage principal de Côté noir / Côté blanc était joué par une comédienne.
Les autres personnages étaient des éléments de la page web93. Concrètement, à

91 Aussi appelé par e-toile : CN /CB

92 Voir annexes 7 B, page X, Côté noir / Côté Blanc

93 Voir annexes 7 C, page XI Côté noir / Côté Blanc

quoi assista l'internaute qui se connecta au jour et à l'heure de l'expérience Côté noir / Côté blanc ?

Un personnage de chair et de sang se retrouvait dans un univers double, clairement évoqué par le titre du spectacle, pris à parti par des éléments composant la page web (barre d'outil, de statut etc.) et des éléments de sa réalité physique tels des cadres de bois ou divers accessoires comme un nez rouge ou des dès94. L'esprit de l'Internaute se cristallisait dans ce personnage égaré joué pour la création du spectacle par la comédienne Catherine Tartarin (comédienne issue du Théâtre National de Strasbourg).

La page Internet, entièrement noire, mis à part le navigateur gris-clair, comportait une « ouverture » sur une fenêtre vidéo (Voir annexes 7 C, page XI). Cette fenêtre vidéo ne se contentait pas, bien entendu, de diffuser la comédienne et son jeu. La vidéo et son support, la page web, s'interpénétraient, se répondaient, se bousculaient. Lorsque, par exemple, la barre de tâche, dans le haut de la fenêtre Internet, interpellait le vivant, un haut-parleur descendait de la barre en question et une voix s'adressait à la comédienne (au vivant). Celle-ci répondait et s'en suivait alors une discussion étrange entre un être vivant et un espace virtuel qui l'entourait.

Dans la progression dramaturgique de la pièce, le personnage incarné par la comédienne allait rencontrer nombre d'autres « créatures étranges » qui allaient lui donner la réplique. L'Internaute serait amené à faire des choix et à répondre (ou pas) à des injonctions du personnage incarné sur la scène-web. Il est, dans un premier temps et pour commencer l'étude de cette création, intéressant de noter que le rôle principal se nomme « le fantôme ». C'est certainement là, dans ce personnage que se trouve une des clefs de cette création.

Le fantôme au théâtre est comme le révélateur « (...) de quelque parole secrète chargée d'un savoir que seul [il] nous livrerait (...) »95. Ce personnage troublant semble en quête de lui-même. Il est, de par son double statut réel / virtuel, l'étrange, la « non-incarnation » de nos angoisses face à l'écran qui ici fait office de scène. Il est là, sous nos yeux et pourtant, il figure l'absence de l'autre. En effet, l'internaute face à son écran est seul et c'est seul qu'il vit cette expérience. Son statut de spectateur actant n'est pas clair, les frontières s'effritent entre sa place de regardeur

94 Voir annexes 7 D, page XII, Côté noir / Côté Blanc

95 Monique Borie, Le fantôme ou le théâtre qui doute, Actes sud. Académie expérimentale des théâtres, 1997, page 9.

et les choix d'actes qui lui sont proposés par un être de chair et de sang « virtuellement présent ».

Le fantôme de Côté noir / Côté blanc est la « (...) figure par excellence de la présence de l'invisible »96 . Là, dans Côté noir / Côté blanc, nulle incarnation. Le mouvement de va et vient du théâtre, incarnation / désincarnation semble, dans cette création, résolument du côté de la désincarnation, du côté de l'autre monde, du côté de l'impalpable, de l'image dans une petite boîte (l'écran de l'ordinateur). Le « non actuel » apparaît comme le seul temps en vigueur.

Non actuel dans le temps de la réception du jeu (temps écoulé entre l'acte réalisé et l'acte représenté). Non actuel dans le temps de jeu et la situation du jeu (une page web). Le temps du jeu est en effet éclaté (Cf supra, partie 1, p. 28).

La représentation du vivant qu'offre la fenêtre vidéo sur la page Internet retransmettant l'expérience présente en action un être, « le fantôme », égaré dans un espace de double réalité : la scène, celle qui est jouée dans un espace réel avec la comédienne, entourée d'une machinerie théâtrale classique de cordes et de cadres de bois97 et les évènements extérieurs à l'espace réel (actions / réactions de l'univers de la page web) tels des zones « cliquables », liens hypertextes, etc.

Ces évènements extérieurs, virtuels car non présents dans le temps de jeu de l'actrice lors de l'enregistrement vidéo, étaient malgré tout déterminants. La comédienne se devait de tenir compte de leur absence et de jouer avec ces « créatures virtuelles » (Liens hypertextes, barre d'outil et barre de statut prenant la parole grâce à un porte voix...) qui lui donnaient la réplique... Plus tard, ailleurs.

Tous les éléments interactifs ou simplement de personnalisation de la page web n'étaient pas représentés sur scène durant le temps du jeu mais la comédienne avait des directions de temps et d'espace pour que, dès que la vidéo serait placée dans la page Internet, ses mouvements de têtes et autres agissements semblent répondre et suivre précisément les actions du monde virtuel98. La page web et sa « personnalité » étaient alors le creuset de l'émotion et des interrogations du vivant de la comédienne.

96 Ibidem

97 Voir annexes 7 E, page XIV, Côté noir / Côté Blanc

98 Voir annexes 7 C et 7 F, page XI et XV Côté noir / Côté Blanc

Ici, nous pouvions parfois avoir l'impression étrange que « (...) le corps s'insère dans le virtuel comme par effraction »99. C'est, en effet, un sentiment de déchirement entre deux espaces mis en présence que procure l'incursion du vivant (la comédienne) au sein d'un ailleurs (Internet). La page web, deviendrait donc, dans le cas de cette création, un « espace partagé », espace d'une rencontre, d'actions, d'interactions entre deux mondes ? Le lieu où le virtuel et le réel, deux univers diamétralement opposés100, s'associent et créent ensemble un « tiers-univers » avec ses codes de représentation particuliers.

Les ombres et les tensions entre matériel et immatériel, visible et invisible sous- tendent bon nombre d'interrogations au théâtre. Nous retrouvons dans ce travail, comme chez Lepage ainsi que chez de nombreux autres créateurs, la même inquiétude plus ou moins marquée, la même conscience que nous pouvons résumer par la phrase d'Eliphas Lévi cité par Régis Debray101 : « Il n'y a qu'un dogme en magie : le visible est la manifestation de l'invisible ». Bien entendu, dans notre travail, la magie est le théâtre. Dans Côté noir / Côté blanc l'invisible est au coeur même de la création. La comédienne doit, nous l'avons vu, avoir sans cesse conscience de cette part invisible de l'action. C'est avec cet invisible qu'elle joue. Il est son partenaire de travail. Lui donner du crédit dans son « tour de jeu », c'est le rendre plus présent lors de la réalisation finale (« montage » de la vidéo dans la page web). C'est bien de cela dont nous parle ce spectacle. Il nous raconte les limites, parfois floues, entre la présence et l'absence. L'outil Internet, ainsi utilisé, renforce ce propos et élargit cette question des lisières entre l'actuel et le virtuel, l'ici / maintenant du théâtre et l' « ailleurs / plus tard » possibles grâce à la technologie.

Il est encore un élément particulier à cette création : l'action dramatique est ici à l'intérieur même du levier. La scène finale est l'écran d'ordinateur. Le levier sur cette scène est le potentiel même du levier utilisé à savoir l'ordinateur et le réseau. Ce qui conduit le spectateur (internaute) vers un au-delà de la scène (l'écran d'ordinateur) c'est le propre langage scénique (graphique, technique) du levier. Une des caractéristiques majeures de ce langage, employé ici à des fins spectaculaires, est

99 Philippe Quéau. « Corps virtuels. Croire ou voir » in PUCK n° 9, Editions Institut international de la marionnette. 1996. p. 13.

100 Cf. Gilles Deleuze, Claire Parnet, « L'actuel et le virtuel » in Dialogues, Champs Flammarion 1996

101 Debray Régis, Vie et mort de l'image, coll. Folio essais, Gallimard, 1997, p. 43.

certainement l'interactivité proposée au spectateur. Dans chacune des expériences d'e-toile cette interactivité, utilisée dans le développement dramaturgique du spectacle, est différente, mûrement réfléchie et adaptée au projet.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry