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Anthropologie de la violence chez Hegel

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par Mory THIAM
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2008
  

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CHAPITRE I : La révolte du sujet contre la nature

Le processus par lequel le moi individuel accède à sa vérité qu'est l'universel est décrit par Hegel dans son ouvrage intitulé La Phénoménologie de l'esprit. Il s'agit donc d'un processus phénoménologique à travers lequel le moi qui est au centre du processus est tenu de passer par plusieurs étapes, ou plusieurs modes d'apparaître (conscience - conscience de soi - Raison) avant d'accéder à l'affirmation pleine et complète de soi (comme Esprit). L'originalité de la démarche hégélienne consiste en ceci que la première étape du processus place le moi dans une situation de conflit avec lui-même. En effet, le conflit interne que vit le moi réside dans le décalage entre son mode d'apparaître et les exigences de sa propre nature. Le moi considère ici la nature comme étant l'essentiel, il se soumet à sa loi et se contente d'une connaissance immédiate du monde extérieur qui s'exprime à travers la certitude sensible. Cette forme de connaissance du réel ne s'appuie que sur deux modalités de la connaissance : l'ici et le maintenant. Or, à propos de ce dernier Hegel nous dit qu' « elle se révèle expressément comme la plus abstraite et la plus pauvre vérité. De ce qu'elle sait elle n'exprime que ceci : il est ; et sa vérité contient seulement l'être de la chose »8.

Un tel comportement fait que le moi est, dans cette première phase du processus, dans une situation d'immédiateté, il est un être-là, ou, selon l'expression allemande, un Dasein. L'apparition du moi sous la forme du Dasein est solidaire de la situation de confusion entre le moi et la nature, ce qui est pour Hegel une forme d'aliénation de moi. Il faut dire ici que, si Hegel considère le moi comme aliéné, c'est parce qu'il se trouve mêlé à une réalité dont les propriétés exigent tout le contraire des siens, à savoir la nature. En effet, le moi est appelé à s'affirmer en tant qu'être libre pour accéder à sa vérité alors que la nature est appelée à rester statique toujours égale à elle-même. Le moi est donc d'emblée dans l'erreur, d'où l'urgence de se libérer de la nature pour accéder à sa vérité.

8 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l'esprit, T. 1, trad. Jean Hyppolite, Paris Aubier, 1937, p 81.

Si donc, pour Hegel, l'accès à la vérité de la conscience passe par la négation de son immédiateté, ou plutôt de son être-là, cette conscience ne saurait se replier sur elle-même comme dans le cas du cogito cartésien. Elle doit donc se projeter hors d'elle-même, ce qui implique un premier rapport extérieur : le rapport à la nature. Mais il faut dire que le rapport entre le sujet et la nature, chez Hegel, peut sembler, au premier coup d'oeil, contradictoire. Comment se fait-il que des êtres aux exigences si opposées se trouvent mêlés au point que l'un soit englouti par l'autre ?

Dans sa manifestation première, ce rapport ne peut exister que dans la scission entre les deux réalités, laquelle scission apparaît comme une forme d'exercice de la violence qu'elles vont toutes les deux subir. La rupture coïncide avec l'entrée en scène du moi comme conscience, ce qui ne peut se produire que lorsque le moi est face au monde. La conscience est donc, d'abord et avant tout, prise de conscience d'une situation d'existant parmi d'autres. La connaissance de la nature des deux réalités, qui sont ici le moi et la nature, passe par une prise en charge de cet état de fait, puisqu'il est fondateur. Mais en réalité, derrière cette prise de conscience de sa situation de Dasein se cache un enjeu de taille : l'être du sujet. En effet, dans la phénoménologie, ce n'est pas seulement la connaissance du monde que recherche le moi mais sa place dans le monde.

Et en réalité les deux sont indissociables car cette connaissance affecte le mode d'être du moi. Si le sujet est dans une situation d'immédiateté, la connaissance qu'il aura du monde sera forcément une connaissance immédiate. Si la connaissance du réel change, le sujet connaissant est appelé à changer de mode d'appréhension du monde et donc de situation. C'est pourquoi la tâche de la phénoménologie ne consiste pas seulement à « conduire l'individu de son état inculte jusqu'au savoir »9, car Hegel précise que «la pure reconnaissance de soi même dans l'absolu être autre, cet éther comme tel, est le fondement et le terrain de la science, ou le savoir dans son universalité »10. Il y a donc là comme une identité de nature entre la connaissance du sujet et son être. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, la prise de conscience de sa situation d'immédiateté sonne comme un appel à un changement de statut. Désormais le sujet sait qu'il n'est pas dans son élément et qu'il lui faut changer de mode d'être.

9 G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l'esprit, T. 1, trad. Jean Hyppolite, Paris Aubier, 1937, p 25.

10 G.W.F. Hegel, op cit. p 23.

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Pour comprendre la nécessité de ce changement de statut, il convient de revisiter la conception hégélienne de la nature et de ses différentes propriétés. La conception que Hegel se fait de la nature est très négative. Cette négativité est à entendre dans le sens de ce qui doit être nié. Ceci trouve sa justification dans le fait que la nature est statique, elle est incapable de changement. Il est vrai qu'à observer les comportements des animaux, on serait tenté de croire qu'il y a, chez eux, des rapports conflictuels, ce qui semble suggérer un certain dynamisme de leur part.

Mais si nous entendons la notion de mouvement au sens d'une élévation au-delà de ses propres limites, nous verrons que la nature en est incapable. En fait, la nature ne livre que ce dont elle est en possession. Elle est incapable d'aller au-delà des possibilités qui sont inscrites d'emblée en elle même. Mais il faut dire que l'homme lui-même, du point de vue purement biologique, fait parti de la nature puisqu'il est un animal, mais il a ceci de particulier qu'il ne se soumet pas totalement à toutes les limitations de la nature contrairement aux autres animaux. La nature reste alors statique, il ne s'y opère qu'une répétition cyclique, et il en découle que la nature s'oppose à l'histoire. Cette négation de l'historicité de la nature se fonde, en réalité, chez Hegel, sur son incapacité à mettre en acte ce qu'elle a en puissance, et par conséquent à faire violence. Le jugement que Hegel fait de la nature est valable pour l'ensemble de ses composantes puis qu'il n'en fait aucune distinction.

Pour Hegel, si la nature est incapable de se faire violence et de faire violence au sujet, ce qui l'aurait libéré de son immédiateté, ceci est dû à deux choses : la première, c'est que la violence nécessite toujours l'existence de deux réalités s'exprimant séparément, ou bien l'existence de deux modalités d'une même réalité par l'intermédiaire d'un dédoublement. La deuxième, c'est la possibilité pour l'être chez qui on veut déterminer une forme de violence de prendre conscience de sa situation d'existant avec d'autres réalités, donc une prise de conscience de la nécessité d'entrer en relation avec elles. C'est sur la base de ces deux critères qu'on pourra déceler une forme de violence chez telle ou telle autre réalité.

Si nous appliquons ces deux critères à l'analyse du mode de fonctionnement de la nature, cela nous permet de nous rendre compte que c'est par l'exercice de la violence à la fois sur soi même et sur la nature que l'homme marque sa rupture d'avec cette dernière. En effet, nous avons déjà vue que l'homme faisait parti de la nature ce qui en fait un animal, mais s'il veut rompre avec cette animalité il est tenu de se placer face à la nature et d'en faire une cible. Et ceci ne peut s'opérer qu'après une prise de conscience de la part du moi. Car, il est vrai qu'il existe dans la nature une multitude d'êtres dont l'action des uns influe sur les autres, mais il ne s'agit pas d'une action consciente de leur part, ce qui exclut toute idée de responsabilité. La notion de rapport social est donc à exclure chez les animaux. On trouve d'ailleurs les échos d'une telle thèse chez Marx pour qui, « là oil il existe un rapport il existe pour moi. L'animal «n'est en rapport» avec rien ne connait somme toute aucun rapport. Pour l'animal ses rapports avec les autres n'existent pas en tant que rapport »11.

Il n'y a donc aucune finalité dans les actions des animaux puisqu'ils agissent par instinct. C'est sans doute une telle idée qui est à l'origine du rejet par Hegel de l'historicité de la nature. La capacité de faire l'histoire réside selon lui dans la possibilité par le sujet de prendre conscience de sa situation d'être-là et de pouvoir la surmonter ; autrement dit, de mettre en acte ce qui n'est qu'en puissance, et en définitive d'être capable de faire violence. La place de choix que Hegel accorde donc à l'homme réside dans le fait que l'homme est le seul être historique parce qu'il est le seul être violent.

Mais, Hegel en est conscient, ce déni de toute action consciente, de responsabilité, et de capacité à aller au-delà des limites naturelles, et par conséquent de tout exercice de la violence chez l'animal, est aux antipodes d' une vision qui a toujours prévalu dans l'histoire de la pensée, et qui veut que la nature soit le terrain de tous les conflits et de toutes les batailles. Et la conséquence c'est que l'exercice de la violence apparaît comme le signe de la décadence

11 K. Marx, Idéologie Allemande, 1ère partie, Trad. René Cartelle & Gilbert Badia, Paris, Editions Sociales, 1972, p. 63.

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pour l'humanité, puisque celle-ci était la manifestation de l'animalité. C'est cette idée qui apparait dans la fameuse expression << la loi de la jungle >>.

S'il ya un philosophe qui revendique ouvertement une telle vision des choses, c'est bien Thomas Hobbes dans sa théorie de l'état de nature. Même si, chez Hobbes, l'état de nature n'est qu'une hypothèse logique, l'idée que les rapports entre les êtres dans la nature est de l'ordre du conflictuel se trouve clairement affirmée. En effet, l'état de nature chez Hobbes est une situation de dénie de droit, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune autorité chargée de réguler les rapports entre les individus sur la base d'une règlementation commune.

Cette situation fait nécessairement naître le conflit dans la mesure où si deux individus désirent la même chose, seul le conflit peut déterminer celui qui va se l'approprier. Ainsi l'état de nature hobbien ne peut être qu'un état de guerre. La conséquence qui en découle c'est que les rapports entre les individus sont de même nature que ceux entre les animaux. C'est ce qui apparait dans la fameuse affirmation << l'homme est un loup pour l'homme >>. Mais << Cette situation de guerre de chacun contre chacun [nous dit Hobbes] à une autre conséquence à savoir que rien ne peut être injuste. Les notions de légitime ou d'illégitime, de juste et d'injuste n'ont pas ici leur place >>12. Par conséquent pour retrouver, une stabilité et une paix durables, ou plus encore une justice qui serait une des formes de manifestation d'une humanité authentique, il faut, pour Hobbes, passer à un contrat de représentation qui permettra de mettre fin au conflit.

Mais, si nous prenons en charge une telle présentation du cours de la nature du point de vu de la démarche hégélienne, elle apparaît inopérante et peu pertinente. En effet, l'analyse que Hegel fait de la réalité naturelle n'autorise aucunement l'identification de l'exercice de la violence à l'animalité. Il accorde à l'homme l'exclusivité de l'exercice de la violence. Et cette position hégélienne s'appuie sur la fait que << l`animal seul est irresponsable [et ceci,

12 Th. Hobbes, Léviathan. Traité de la matière de la forme et u pouvoir de la république ecclésiastique et civile, Trad. François Tricaud, Paris, sirey, 1971, p. 126.

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même s'] il faudrait une longue explication, aussi longue qu'une dissertation complète sur la liberté pour dissiper tous les malentendus qui se produisent ordinairement à ce sujet »13.

L'accès à l'histoire nécessite donc une rupture d'avec l'élément naturel, puisqu'elle exige une négation de l'immédiateté, laquelle négation est synonyme de violence. C'est la raison pour laquelle le moi est appelé à rompre avec la nature pour changer de statut, c'est-à-dire pour quitter son immédiateté, pour entrer dans un état de conscience. Une telle rupture n'est en fait possible que par l'intermédiaire d'une violence sur la nature puisqu'elle nécessite de la part du moi une certaine puissance pour qu'elle puisse s'extirper de l'emprise de la nature.

Il faut dire que cette vision hégélienne du passage de la nature à l'homme constitue une originalité dans l'histoire de la pensée. Elle rompt avec la conception trop linéaire que nous retrouvons dans l'origine des espèces de Charles Darwin. En effet, dans cet ouvrage, Darwin défend la thèse selon laquelle toutes les espèces animales sont issues d'une seule cellule et que la diversité des espèces trouve sa source dans une évolution biologique dictée par les conditions climatiques. Ainsi ce sont ceux qui résistent le plus aux obstacles extérieurs qui accèdent au stade suivant. Il n'y a donc pas de rupture dans le passage d'une espèce à une autre, même dans le passage du singe à l'homme. Ici tout semble être dicté par des considérations purement biologiques, l'homme n'est pas traité comme un être ayant une double dimension à savoir comme corps et esprit.

Ceci apparait aux yeux de Hegel comme une aberration puisque ne permettant pas de rendre compte de la nécessité de casser les limites que la nature impose au moi. Si on ne considère que l'aspect biologique de l'homme on en fait un animal et non un homme. C'est donc par ce mouvement, par l'intermédiaire duquel le sujet fait preuve d'un certain radicalisme dans sa rupture d'avec la nature, qu'il montre qu'il est le seul à pouvoir rompre avec la nature

13 G. W. F. Hegel, La raison dans l'histoire, trad. Kostas Papaioannou, Paris : 10/18, 2006, p. 131.

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puisque toutes les espèces qui sont incapables d'aller au-delà des limites dont la nature est porteuse restent prisonnières de cette dernière.

C'est ce que exprime Hegel en disant que « ce qui est limité à une vie naturelle n'a pas, par soi même, le pouvoir d'aller au-delà de son être-là immédiat ; mais il est poussé au-delà de cet être-là pare un autre et cet être arraché à sa position est sa mort »14. Mais il convient de préciser que cette situation d'être borné, limité, atteint également la conscience qui, du fait de sa rupture d'avec la nature, prouve qu'il en a conscience. La prise de conscience de l'existence de la conscience comme un être fini, et donc appelé à cohabiter avec d'autres êtres finis, constitue donc un motif d'insatisfaction, une source de rébellion contre la nature, qui est désormais une cible qu'il faudra que la conscience appréhende dans sa marche vers sa vérité.

C'est donc sa situation d'inquiétude, qui nait de sa capacité à prendre conscience de son aliénation, qui l'oblige à vouloir se positionner face à la nature. Le propre de l'inquiétude c'est qu'elle appelle au dépassement, au surpassement des limites qui s'imposent à nous. Elle est donc la première forme de violence, en tant que celle-ci est la manifestation de la puissance. Dans la mesure où la nature est elle aussi une réalité bornée, l'appel au dépassement ne concerne pas seulement le moi. Mais il est le seul à pouvoir y répondre puis qu'il est le seul à en prendre conscience et à en comprendre les exigences. Tout se passerait alors comme si l'homme était le seul être capable d'une telle rébellion à l'égard de la nature. Hegel rejoint ainsi Rousseau pour qui « la nature commande à tout animal et la bête obéit. L'homme éprouve la même impression, mais il se reconnait libre d'acquiescer ou de résister, et c'est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son

14. G. W. F. Hegel, Phénoménologie de l'esprit, T. 1, trad. Jean Hyppolite, Paris, Aubier, 1937, p. 71.

âme »15. En d'autres termes, si la bête reste prisonnière de la nature c'est qu'elle est

incapable de faire violence puisqu'incapable de ce mouvement de dépassement de soi.

Il est vrai, et Hegel lui-même le reconnait, que l'homme est de par sa constitution biologique une partie de la nature, mais il découle de tout ceci que sa spiritualité constitue son caractère dominant. D'ailleurs chez Hegel, l'esprit est partout présent, la nature elle-même en est une aliénation, c'est pourquoi il urge, pour que celui-ci se retrouve dans sa vérité, de le désaliéner. Et cela passe par une opposition farouche, c'est pourquoi nous dit Hegel :

<< A son premier éveil, l'homme se présente en face de la nature comme une conscience immédiatement naturelle. L'homme est nécessairement en rapport avec la nature : toute évolution implique que l'esprit se dresse contre la nature et se réfléchisse en lui-même ; elle signifie une séparation (Besonderung) de l'être spirituel qui se rassemble en soi en se dressant contre sa propre immédiateté, qui est justement la nature »16.

Cette prise de conscience peut être interprétée comme étant la source de la liberté. Car, elle fait naître un sentiment de refus de cette soumission à la nature primitive dont la conscience veut se débarrasser. Francis Fukuyama note à ce propos que << Hegel conçoit la liberté comme l'absence de détermination naturelle, c'est-à-dire comme capacité de l'homme à dépasser ou à nier sa nature animale, aussi bien que son environnement naturel, voire les lois même de la nature >>17. Il lui faut alors affirmer son humanité en s'opposant à la nature. En d'autres termes, il ne s'agit plus d'une simple différenciation, mais plus : d'une opposition. Car ici on ne peut pas faire abstraction de la nature et de la simple distinction de l'homme d'avec la nature. Hegel se démarque alors d'une conception stoïcienne qui veut que l'homme ne puisse exprimer sa liberté qu'en se soumettant à la nature. Pour Hegel, une telle soumission est synonyme d'une acceptation de sa situation d'immédiateté. Ainsi, « l'homme en tant qu'homme [nous dit-il] s'oppose à la nature et c'est ainsi qu'il devient homme. Mais en tant

15 J. J. Rousseau, Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité parmi les hommes, Paris, Larousse, 1972, p. 44.

16 G. W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Trad. et prés. de Kostas Papaioannou, Paris, Bibliothèque 10/18, 2006, p. 219.

17 F. Fukuyama, << le début de l'histoire >> in : Le Magazine Littéraire N° 293 Novembre 1991 << Hegel : La phénoménologie de l'esprit >>, p. 36.

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qu'il se distingue seulement de la nature, il n'en est qu'au premier stade, et est dominé par les passions. C'est un homme à l'état brut >>18.

Mais il faut bien se garder de croire que l' << opposition >> dont parle Hegel dans ce passage est celle qui consiste, pour les deux éléments en opposition, à tenter de se détruire mutuellement. Elle est plutôt une opposition de perspective et de comportement : la nature est inerte et la conscience est sans cesse en mouvement. Cette opposition trouve toute son expression dans le rapport de négation que le sujet entretient avec la nature. Ce rapport est donc loin d'être contingent puisqu'il est le seul rapport que le sujet entretient avec la nature. Pour parvenir à ses fins, la conscience doit se charger de l'appropriation de l'objet comme sien. La nature ne fait pas de mouvement par conséquent c'est à la conscience de faire l'effort de l'intégrer dans sa démarche. Cette action est synonyme d'une suppression de l'objet extérieur qui constitue la condition sine qua non pour le passage au stade de la conscience de soi.

C'est ce qui apparait dans ces termes de Hegel qui affirme que << l'objet extérieur lui-même à été supprimé précisément, par là, il est devenu un autre que ce qu'il est ; il est passé sous la domination du soi, il a perdu la signification d'être immédiat, autonome. Ce n'est pas seulement une synthèse qui à eu lieu mais aussi l'être de l'objet a été supprimé ; c'est donc que l'objet n'est pas ce qu'il est >>19. En d'autres termes, la conscience soumet alors l'objet à sa violence, puisqu'elle l'oblige non seulement à quitter sa situation initiale en anéantissant le décalage qui existait entre elles, plus encore, elle l'anéanti. Désormais il n'existe plus qu'une seule réalité qui est la conscience de soi qui intègre l'objet dans sa réalité. Cet anéantissement ne donne pas naissance à une nouvelle réalité pure puisqu'elle comporte en elle une contradiction interne.

Cette contradiction réside dans la simultanéité entre deux actes : la négation et
l'appropriation. Cette appropriation coïncide avec la négation de la scission entre les deux
réalités. Le moi s'est ainsi affirmé face à la nature mais il n'a pas encore atteint la satisfaction

18 G. W.F. Hegel, La raison dans l'histoire, Trad. et prés. de Kostas Papaioannou, Paris, Bibliothèque 10/18, 2006, p. 251.

19G. W. F. Hegel, La philosophie de l'esprit de la realphilosophie, Trad. Guy Planty-Bonjour, paris, PUF, 1982, p. 15.

escomptée puisqu'elle est loin de connaître le repos avec la négation de l`immédiateté. D'ailleurs celle-ci est synonyme d'un voyage de la quiétude innocente à l'inquiétude, du paradis à la souffrance.

S'il ya une certaine part de souffrance dans cette négation-réappropriation c'est qu'elle conduit non seulement à la suppression de l'objet extérieur mais également elle signifie la mort de la conscience immédiate. On le voit donc l'expérience de la violence commence chez Hegel dans le rapport du sujet à la nature. A ce titre sa conception s'écarte de la position marxiste exprimée par Engels et qui veut que l'acte de violence soit un acte spécifiquement social. Il exprime une telle idée dans son ouvrage Le rôle de la violence dans l'histoire où, parlant de l'asservissement de Vendredi per Robinson (il s'agit là du mythe de Robinson Crusoë), il déclare que « c'est un acte de violence et donc un acte politique »20.

Mais il convient de préciser que même si chez Hegel la violence n'est pas spécifiquement de nature politique (c'est-à-dire sociale), elle est le moyen par lequel l'esprit entre dans l'histoire, et donc c'est elle qui signe l'acte de naissance des rapports sociaux. Et cette première forme de violence se manifeste ici par la mort de la conscience immédiate. Mais cette mort n'est pas à entendre au sens d'une suppression définitive, mais plutôt d'un renoncement à une situation, à un mode d'apparaître qu'est l'immédiateté, vers un autre mode d'apparaître : la conscience de soi. Ce qui est manifeste ici, c'est que cette expérience de la mort est le point de départ de la vie de l'humanité, puisque c'est un passage du monde anhistorique, qui est la nature, au monde historique. C'est, en réalité, une ouverture vers une nouvelle forme d'existence où l'homme est face à de nouvelles exigences et donc à partir de là, l'esprit a quitté le stade de l'enfance pour celui de la maturité. Et l'accès à la maturité apparaît comme un drame ; drame qui ne cessera de se manifester dans les rapports entre les sujets, et plus précisément à travers la lutte pour la reconnaissance.

20 F. Engels, Le rôle de la violence dans l'histoire, Paris, Editions Sociales, 1971, P 8.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle