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Du contentieux constitutionnel en République Démocratique du Congo. Contribution à  l'étude des fondements et des modalités d'exercice de la justice constitutionnelle

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par Dieudonné KALUBA DIBWA
Université de Kinshasa - Doctorat en droit 2010
  

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CONCLUSION GENERALE

L'étude des fondements théoriques et des modalités pratiques de l'exercice de la justice vient à la suite de la question théorique du constitutionnalisme. En effet, de manière pragmatique, il s'est agi tout au long de ce travail de voir ce qui est fondamentalement congolais dans le contentieux tel qu'il est organisé par le droit positif. Mais au-delà nous ne nous sommes pas empêché de nous interroger sur la pertinence épistémologique du choix du cadre conceptuel opéré par le constituant congolais.

Enfin, le contentieux constitutionnel traduit, comme a pu le déceler Jean-Louis Esambo Kangashe, une sorte de « respiration démocratique » dont la garantie réside dans l'exercice effectif par le juge du contrôle de la constitutionnalité des actes législatifs ou réglementaires mais également de tout autre acte contraire à la Constitution.

Instituée par la Constitution, la Cour constitutionnelle assure la limitation du pouvoir politique, la sauvegarde de la suprématie constitutionnelle et la protection des droits et libertés fondamentaux. Sa saisine a été ouverte à toute personne pour qu'elle ne fonctionne plus dans une léthargie déconcertante.

Dans la pratique actuelle, on relève que cette juridiction est encore hésitante pour sanctionner la violation de la Constitution par les pouvoirs publics. D'où l'impérieuse nécessité d'appeler cette juridiction à assumer courageusement et de manière objective ses responsabilités, avant l'installation de la Cour constitutionnelle.

La question du constitutionnalisme est capitale pour être laissée aux seuls juristes « constitutionalistes », aux membres de la Cour constitutionnelle ou aux acteurs politiques. Il importe de la décloisonner et de procéder à une sorte de remise à niveau de son contenu. La démarche commande une socialisation des gouvernants et des gouvernés aux principes du constitutionnalisme. Elle consiste à créer une sorte de synergie entre les pouvoirs publics, la Cour constitutionnelle, les milieux universitaires et associatifs aux fins de vulgariser et de promouvoir le constitutionnalisme.1126(*)

On observe aujourd'hui que la politique est saisie par le droit, et il en résulte une « juridicisation » de la vie politique. Aussi certaines Constitutions font-elles des juridictions constitutionnelles les organes régulateurs du fonctionnement des institutions et de l'activité des pouvoirs publics. Les juridictions constitutionnelles se trouvent ainsi investies d'un rôle de pacification et d'encadrement de la vie politique qui est, par nature, tumultueuse.

Mais sont-elles en mesure d'assurer pleinement ces missions ? Les acteurs politiques sont-ils toujours disposés à se soumettre au droit ? N'y-a-t-il pas là source de crise ?

En droit, la crise s'analyse comme une situation de trouble ou de conflit qui, soit affecte le fonctionnement des pouvoirs publics, et il en va ainsi d'un conflit d'attribution entre les pouvoirs législatif et exécutif, de la paralysie ou de la démission du gouvernement, soit nécessite, en raison de sa gravité, des mesures d'exception comme c'est le cas de l'état de siège, de l'état de guerre, de l'état d'urgence, de l'état de nécessité...1127(*)

En politique, la crise révèle la situation dans laquelle l'ordre social et la légitimité des gouvernants sont remis en cause par une fraction de la classe politique ou du corps social. Elle conduit généralement à un conflit ou à un blocage des institutions. Elle peut également résulter d'une perception divergente des règles du jeu politique ou de leur défaillance.

En fait, le mot « crise » est perçu comme un terme de médecine et désigne, d'après le dictionnaire Littré, un « changement qui survient dans le cours d'une maladie et s'annonce par quelques phénomènes particuliers... »1128(*)

Le mot est présent aussi bien dans le langage commun que dans le langage scientifique. Il n'est donc pas de domaine qui, aujourd'hui, ne soit hanté par l'idée de crise.

Quel que soit son milieu d'utilisation, ou son objet d'application, le terme, dont l'étymologie grecque (krisis) signifie choix, lutte, décision, désigne toute situation de désordre, de perturbation, de dérangement, de dysfonctionnement s'introduisant dans un système. Le mot crise invite donc à l'identification rapide de l'élément perturbateur à fin d'une décision plus ou moins rapide à prendre sur la solution à appliquer.

Les juridictions constitutionnelles ont pour mission de prendre des décisions pour prévenir ou résoudre les crises relevant de leurs domaines de compétence. Mais quelles sont les crises relevant de leurs domaines de compétence ? Les crises qui procèdent des actes contraires à la Constitution ? Celles impliquant des violations des droits de l'Homme ? Ou encore celles perturbant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ou celles portant atteinte à l'existence ou à l'intégrité des pouvoirs constitués ou de l'ordre constitutionnel ? Ou, enfin, celles perturbant le déroulement normal ou faussant les résultats des élections ? L'une et/ou l'autre, sinon toutes, en fonction des prescriptions de la Constitution concernée.

La question la plus délicate est soulevée par la démocratie elle-même. Démocratie implique nécessairement la reconnaissance et la garantie de toutes les libertés: liberté de pensée, de parole, d'organisation, de manifestation, droit de grève et de protestation, etc....

A partir de quand peut-on dire que l'usage de telle ou telle liberté a donné naissance à une crise? Il y a nécessairement une question, d'une part, d'intensité et, d'autre part, d'objectif dans l'appréciation d'une manifestation de liberté. Le critère d'appréciation paraît être constitué par l'Etat de Droit: chaque liberté est déterminée dans sa forme et dans ses objectifs par l'Etat de Droit et le détournement d'une liberté peut être constitutif de crise.1129(*)

Or, la démocratie est le régime politique de gestion des contradictions politiques et sûrement même de mini-crises quotidiennes. Et c'est là la raison d'être des juridictions constitutionnelles et de la juridicisation de la vie politique : ramener, le cas échéant, chaque institution constitutionnelle, chaque acteur de la vie politique et chaque citoyen dans la voie prévue par la Constitution.

Dans un Etat de Droit, la loi prévoit les voies et moyens de droit pour contester et même réduire à néant la décision d'une autorité politique voire destituer ladite autorité. Il y a nécessairement crise, lorsqu'il est recouru, par l'usage d'une liberté ou d'une prérogative légale quelconque, à une voie non prévue pour la finalité vers laquelle on l'utilise.

Ainsi, l'on peut distinguer les crises ordinaires (bénignes ou normales) inhérentes à une démocratie et les crises graves, celles qui remettent en cause le système. Mais le passage de l'une à l'autre peut se produire.

Quelle que soit la compétence dévolue par la Constitution à une juridiction constitutionnelle, une crise n'ayant manifestement aucun rapport avec les institutions ne peut-elle pas en fin de compte entraîner des effets relevant de la compétence du juge constitutionnel?

Par exemple une crise climatique qui entraîne une crise alimentaire, laquelle provoque une crise sociale qui à son tour génère une crise politique et institutionnelle. Le juge constitutionnel peut-il se retrouver ainsi interpellé par une situation au départ éloignée de la Constitution ?

De même qu'aujourd'hui, la réflexion et l'action progressent sur l'alerte précoce et la prévention des conflits, de même la question se pose au sujet de la prévention des crises par les juridictions constitutionnelles. Celles-ci en ont-elles les moyens ? A quelles conditions ? Toutes ces questions constituent autant des manettes pour soulever la question fondamentale qui est celle du fondement de la justice constitutionnelle en République démocratique du Congo. De manière triviale, à quoi sert-elle ?

Nous avons tenté tout au long de ce travail d'indiquer les fondements théoriques ainsi que les modalités pratiques de l'exercice de la fonction juridictionnelle constitutionnelle en République démocratique du Congo. La simple description des mécanismes nous fonde à dire que la justice constitutionnelle congolaise est un décalque des justices constitutionnelles européennes.1130(*)

De ce point de vue, elle est, du moins sur papier, en avance théorique sur plusieurs modèles du système européen mais au regard des valeurs et principes que la Constitution doit charrier, il est utile qu'une dose importante de la coutume saisie ici comme la praxis millénaire des nos ancêtres soit intégrée dans le jugement des conflits politiques soumis à la Cour constitutionnelle. La panoplie des modèles vus plus haut montre, si besoin en était encore, que chaque peuple a su inventer sa justice constitutionnelle.1131(*)

Au contraire, l'on doit éviter le reproche que fait Jean Ziegler lorsqu'il écrit que la plupart des classes dirigeantes de l'Afrique contemporaine, mises en place, formées et téléguidées par l'ancien colonisateur, s'efforcent de suivre à la lettre les recommandations de Jaurès : leurs modes de pensée, leurs coutumes vestimentaires, alimentaires, sexuelles, leurs habitudes de consommation, d'habitation, leur langage politique, tout dénote une furieuse volonté d'imitation, de reproduction des valeurs de la métropole. Les significations et valeurs autochtones, les conduites qu'elles génèrent sont mutilées, perverties, discréditées. La culture traditionnelle est niée, noyée dans la culture imitative, son oubli organisé1132(*).

Il n y a pas meilleure expression pour parler du mimétisme institutionnel dont le coût peut aller jusqu'au suicide culturel, à l'instar de Haïti.

Cette conclusion tient au fait que « dans la plupart des Etats et sociétés francophones de l'Afrique noire, le pacte colonial, persiste au-delà de l'accession à l'indépendance formelle. Ce pacte est d'ordre économique, politique et surtout : culturel1133(*). Que faire pour briser ce pacte d'extraversion ?

La réponse semble nous venir de Ziegler lorsqu'il propose qu'il faille une intelligence créatrice, un courage rare pour puiser dans l'expérience de son peuple les valeurs, les convictions nécessaires à la construction d'une nouvelle culture1134(*).

La nôtre ne vient pas d'en haut, elle est plutôt constituée des compromis multiples que les gens se font sous l'arbre à palabres. Ainsi, la justice rendue à l'occidentale avec un vainqueur et un vaincu débouche en Afrique noire au minimum sur une contestation sourdine ou ouverte que le juge ne sait plus trancher et au maximum, sur un projet de renversement du pouvoir incarné par le juge.1135(*)

En Afrique noire, en revanche, l'arbre à palabres étant l'arbre de tous, il n'est arrivé à personne l'idée saugrenue de le déraciner ni de contester les décisions issues finalement de la volonté de tous.1136(*) La question reste posée comme paradigme d'action et d'efficacité d'une Cour constitutionnelle congolaise réellement démocratique.1137(*)

En effet, il faut avoir à l'esprit que le phénomène constitutionnel ainsi que l'observe Jean-Louis Seurin1138(*) ne pouvait être isolé du contexte qui l'engendre, de la matrice sociologique qui le porte et l'enchâsse dans une conception du monde qui est elle-même le produit d'un peuple toujours et déjà nécessairement situé historiquement. La refondation de l'Etat de droit sous cette perspective appelle également la prise en charge de l'Homo politicus, celui-là même qui est appelé à gérer ce changement d'une vie misérable vers une vie plus heureuse.1139(*)

C'est, en d'autres termes, demander à tous et à chacun de se dépasser. Mais un tel discours (moral) ne saurait être scientifique. Voilà pourquoi des contrôles politiques et juridiques prévus par les mécanismes institutionnels que nous avons préconisés s'imposent pour empêcher que des hommes politiques, peu scrupuleux, ne se repositionnent en vue de ramasser leurs savates dans le vomitorium de l'histoire.1140(*)

Sans contrôle donc, une décision, fût-elle salutaire en principe, risquerait de devenir très vite suicidaire pour le peuple. La première garantie de ce contrôle réside dans le système politique qui doit favoriser la participation du peuple.1141(*)

Il est démontré que les modes de participation classiques ou plutôt hérités de l'occident ne sont pas efficaces dans la mesure où le peuple participe aux élections et autres votations comme à une besogne sans signification mystique particulière.

En effet, comment dire à un peuple à grande échelle analphabète que les élections générales qui ressemblent à des grand-messes dont la liturgie lui est étrange et étrangère constituent le seul mode démocratique de sa participation à l'exercice du pouvoir dans l'Etat ? Nous avons tenté de montrer que d'autres modes alternatifs de participation sont possibles et même envisageables. Ainsi, il nous a paru possible la participation des chefs coutumiers à l'exercice de la justice constitutionnelle dans la mesure où ces non-élus manifestent encore, l'on s'en doute, une aura incontestable de représentation séculaire de nos populations au niveau des structures de base.

En plus, il n'est pas inutile de constater que le choix levé par le constituant congolais est à maintes reprises confirmé dans sa structuration de la vie administrative : les tribus sont reconnues à la fois comme pourvoyeuses de la nationalité congolaise et matrice sociologique de la coutume comme norme de droit public. Au demeurant, la géographie politique de notre pays indique que la République démocratique du Congo demeure encore un pays rural de sorte qu'il nous semble perturbant que les Congolais résidant dans nos campagnes et cités ne soient pas suffisamment représentés dans les structures de la justice des justices.

Voilà les axes de réflexion de la présente thèse et les perspectives sans doute nombreuses qu'elle appelle. Il reste à convoquer les autres disciplines scientifiques au crible de la raison pour tenter une approche plutôt holistique de la notion d'Etat de droit sous les tropiques.1142(*) Cette tâche, l'on s'en doute, est au-delà des compétences du juriste, fut-il constitutionnaliste.1143(*)

* 1126ESAMBO KANGASHE (J.-L.), La constitution congolaise du 18 février 2006 à l'épreuve du constitutionnalisme, op.cit, pp.210-311.

* 1127 Dans ce sens, BOSHAB (E.), « La misère de la justice et justice de la misère en République démocratique du Congo », Revue de la Recherche Juridique, n° XXIII-74, 23ème année, 74ème numéro, P.U.A.M., 1998-3, pp. 1163-1184.

* 1128 Dictionnaire Littré 2009.

* 1129 Lire CONSTANTINESCO (V.) et PIERRE-CAPS (S.), Droit constitutionnel, Coll. Thémis Droit public, Paris, PUF, 2004, pp. 45-47.

* 1130 Il suffit de consulter les Constitutions des pays choisis dans cette étude et de les lire sous la lumière du droit congolais pour faire apparaître le mimétisme effarent dont il est question plus loin.

* 1131 Dans ce sens, BADIE (B.), L'Etat importé. L'occidentalisation de l'ordre politique, Paris, Fayard, 1992.

* 1132 ZIEGLER (J.), La victoire des vaincus, Paris, Seuil, 1988, p.85.

* 1133 ZIEGLER (J.), op. cit., p. 89

* 1134 Idem, op. cit, p. 97

* 1135 Voir KAMTO (M.), Pouvoir et droit en Afrique noire. Essai sur les fondements du constitutionnalisme dans les Etats d'Afrique noire francophone, Paris, L.G.D.J., 1987.

* 1136 Lire DJOLI ESENG'EKELI (J.), Le constitutionnalisme africain. Entre la gestion des héritages et l'invention du futur, Paris, éditions Connaissances et Savoirs, 2006.

* 1137 BON (P.), « Observations générales sur la préparation de la décision du juge constitutionnel », Séminaire international sur les modes de décision du juge constitutionnel, Bruxelles, 6 et 7 décembre 2001, Revue belge de droit constitutionnel, 2004, pp. 307-316.

* 1138 SEURIN (J.-L.)(sous la direction de), Le constitutionnalisme aujourd'hui, Paris, Economica, 1984, rapport introductif.

* 1139 MABI MULUMBA, Les dérives d'une gestion prédatrice. Le cas du Zaïre devenu République Démocratique du Congo, Kinshasa, C.R.P., 1998 ; MAPPA (S.), Pouvoirs traditionnels et Pouvoir d'Etat en Afrique. L'illusion universaliste, Paris, Karthala, 1998 ; MICHALON (T.), Quel Etat pour l'Afrique ? , Paris, l'Harmattan, 1984.

* 1140 BAYONA-ba-MEYA, « Le recours à l'authenticité dans la réforme du droit au Zaïre » in GONAC (G.) (sous la direction de), Dynamiques et finalités des droits africains, Actes du colloque de la Sorbonne, « La vie du droit en Afrique », Paris, Economica, 1980.

* 1141 NGIRABATWARE CYUBAHIRO, Héritage colonial, Histoire des ethnies frontalières du Zaïre : le cas des Hutu et des Tutsi du Kivu. Du 16ème siècle à 1972, Kinshasa, s.e, 1989 ; NGOMA-BINDA, Une démocratie libérale communautaire pour la RdCongo et l'Afrique, coll. Points de vue concrets, Paris, L'harmattan, 2001 ; P. NGOMA-BINDA (sous la direction de), Justice, démocratie et paix en République démocratique du Congo, Kinshasa, Publications de l'IFEP, 2000.

* 1142 NGOMA BINDA, Une démocratie libérale communautaire pour la RdCongo et l'Afrique, Paris, L'Harmattan, 2001 trace des bons sillons pour un modèle de démocratie à la congolaise qui a été tenté pendant ce que l'on a appelé le 1 plus 4.

* 1143 Le spécialiste de questions constitutionnelles devrait cependant avoir une bonne approche pluridisciplinaire du droit, dans la mesure où le droit constitutionnel est perçu comme le droit de la fondation, c'est-à-dire celui qui contient la cosmogonie politique et philosophique d'un peuple donné.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo