III- L'ÉCONOMIE DE DEFENSE ET DE
SÉCURITÉ
Les menaces actuelles exigent une réponse forte,
globale et surtout durable. Une réponse efficace passe par des Forces
bien équipées. Cela suppose du matériel moderne, mais
aussi une véritable politique industrielle et de recherche. Pour
traduire cela en réalité, il faut mobiliser d'énormes
moyens financiers, ce qui implique une économie de défense. Elle
peut être définie comme l'ensemble des moyens investis par un
gouvernement pour assurer sa politique de défense. Il s'agit des budgets
d'ensemble, des industries militaires sans lesquelles il n'y a ni
défense, ni sécurité remplissant leur mission, celle d'une
assurance au profit des citoyens. C'est ainsi que tout Etat, pour faire face au
défit de l'heure se doit d'élaborer une économie de
défense à l'instar de celle de la France élaborée
et publiée chaque année par le Conseil économique de la
défense. Pour les éditions 2005 et 2006, plusieurs
améliorations de méthode et développements sont à
chercher, et en particulier :
· Les analyses concernant l'équipement
opérationnel des Forces en distinguant les budgets d'acquisition des
matériels et systèmes et les budgets de maintien en condition
opérationnel ;
· L'analyse des industries concourant à
l'économie de la défense autour de quelques grands secteurs,
c'est-à-dire à coté des groupes systémiers, le
domaine de la propulsion, les industries spatiales, les industries navales et
les industries terrestres, et si possible (en 2006), les secteurs « non
partie » à la production de l'armement mais, concourant à la
technologie et l'économie de la défense et de la
sécurité90.
90 http ://
www.defense.
gouv.fr/ced/layout/set/print/content/view/full/100875
Les F.A.C. face aux nouvelles formes de menaces
à la sécurité : d'une Armée « de garde »
vers une Armée « d'avant-garde » 1960-2010
Il demeure utile et important de progresser dans
l'élaboration d'un chiffre objectif crédible et convainquant de
budgets pour l'ensemble des économies de la défense prenant en
compte la politique de défense, l'état de leurs moyens, leurs
objectifs. De ce fait, les Etats africains soucieux de moderniser leurs Forces
de Défense se doivent de bâtir une économie de
défense et sécurité reposant sur la disponibilité
des budgets et la création des industries de défense.
1) LA DISPONIBILITÉ DES BUDGETS DE
DÉFENSE.
L'inopération des Forces de Défense est pour la
plus part des cas souvent due à l'indisponibilité du budget de
défense consécutive soit aux lenteurs administratives, soit au
manque de financement. Il s'agit donc de mettre en oeuvre des réformes
budgétaires, des financements innovants et l'efficacité
économique et opérationnelle des dépenses de
défense. Pour ce fait, une question s'impose : comment mettre en oeuvre
les réformes budgétaires en améliorant l'efficacité
économique et opérationnelle des dépenses de
défense ?
Dans la plupart des pays conscients de l'importance de la
défense, les ministères de la défense constituent les
premiers investisseurs et acheteurs publics. Ils présentent une
spécificité au sein de l'Etat, se traduisant par un format
défini d'Armée et une planification des équipements
militaires. Face à des dépenses publiques déjà
difficiles à rationaliser, la réussite des réformes
budgétaires est un objectif important pour la défense, qui
consent des efforts significatifs pour la mener à bien. Ces
réformes concernent les administrations d'Etat dans leur ensemble. Elles
visent à améliorer la gestion des actifs publics et à
faciliter la décision publique en l'appuyant sur des données
comptables fiables et comparables avec celles du secteur marchand. Elles
marquent le passage d'une logique budgétaire de caisse à une
approche économique et patrimoniale (valorisation des actifs). Elles
introduisent une responsabilisation accrue des
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gestionnaires. Ces nouveaux instruments devraient contribuer
à l'efficacité des dépenses et à la
réactivité de l'outil de Défense91. La
réforme du cadre comptable et financier doit aussi permettre de
renforcer l'efficacité à long terme des dépenses de
défense, en les inscrivant dans une optique pluriannuelle. La
connaissance du coût des politiques publiques doit s'accompagner d'une
évaluation de leurs conséquences financières à long
terme. En recourant à des comparaisons internationales, l'on pourra
dresser un bilan des processus les plus avancés et proposer des
évolutions dans le cadre des réformes en cours. Les
réformes entreprises aux USA, en France, au Royaume-Uni et dans d'autres
pays de l'Union européenne suscitent des questions quant à
l'architecture budgétaire la mieux adaptée et les pratiques les
plus efficaces, qu'il s'agisse de la planification des budgets, du
contrôle des dépenses ou de la mesure de la performance.
Pour la France, la nouvelle constitution financière,
définie par la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) vient
d'être mise en place. Son architecture a fait l'objet d'un dialogue
approfondi entre le Parlement, le ministère des Finances et le
ministère de la Défense. Le projet de loi de finances 2006 a
inauguré cette nouvelle structure, dont la pertinence a
été éprouvée en fonction de l'exécution
budgétaire et vis-à-vis des objectifs des missions et programmes
de la Défense.
a) LA REFORME BUDGETAIRE EN FRANCE
Peu de parlementaires ont réalisé les
conséquences du vote de l'article 7 de la Lolf (définition et
principes des missions et des programmes) sur l'organisation des
ministères. Le pilotage par objectifs constitue une réelle
nouveauté, qu'aucun pays n'a expérimenté à ce jour.
Entre 2001 et 2005, le Parlement s'est concentré sur les indicateurs de
performance, qui paraissaient être au coeur de la réforme.
Parallèlement, les
91Conseil économique de la Défense
français, L'ÉCONOMIE DE LA DÉFENSE 2006
Thèse de Doctorat/Ph.D en Sce Po, UY2, 2011 Ernest
Claude MESSINGA 334
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ministères ont décliné leurs programmes
en Budgets Opérationnels de Programme (BOP), une subdivision qui
n'était pas prévue et définie dans la loi organique. Le
Parlement a découvert tardivement ces budgets opérationnels de
programme, dont le nombre et la taille variaient considérablement d'un
ministère à l'autre. La mise en oeuvre de la Lolf à la
défense a du prendre en compte les spécificités propres
à ce ministère :
· Il s'agit, et de loin, du premier budget
d'investissement de l'Etat, les autres ministères investisseurs
(Equipement et Education nationale par exemple) ayant vu leurs crédits
transférés aux collectivités territoriales ;
· Hiérarchie militaire et hiérarchie
budgétaire doivent coïncider, pour des raisons évidentes de
cohérence ;
· L'existence d'un outil particulier, la loi de
programmation militaire (Lpm)92.
L'année précédente a été
consacrée à la mise en place d'une architecture
budgétaire, cette année a été marquée par la
mise en oeuvre de l'exécution budgétaire. A l'origine, le
Parlement avait recherché une interarmisation étendue. Cette
logique achoppait sur les difficultés organisationnelles et pouvait
à terme opacifier le contrôle parlementaire. L'architecture
budgétaire retenue, fondée sur une analyse fonctionnelle, a
cherché à limiter les recoupements. Elle repose sur la notion de
mission (35 pour l'ensemble de l'Etat) qui constitue l'unité de vote. La
mission se décline en programmes, qui constituent l'unité de
spécialité budgétaire. La définition des programmes
a fait l'objet d'intenses discussions entre ce qu'il était convenu
d'appeler « l'approche bleue » et « l'approche blanche ».
Ces deux termes faisaient allusion à la couleur des documents
budgétaires : l'approche bleue, couleur des projets de lois de finance,
consistait à reprendre l'organisation existante, avec notamment un
programme par Armée. L'approche blanche (couleur des anciens budgets de
programme)
92Op cit.
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visait au contraire à réorganiser la structure
du ministère autour des objectifs. Par la suite, un débat s'est
fait jour sur le découpage des programmes. Le cas le plus frappant
étant celui du programme «gendarmerie», inclus dans une
mission interministérielle «sécurité
intérieure». Initialement conservés au sein de la mission
« Défense », les crédits d'infrastructure et
d'informatique de la gendarmerie ont fini par rejoindre la mission «
sécurité intérieure ».93 Le
découpage actuel des programmes ne devrait pas évoluer. Le
ministère de la Défense est partie prenante dans quatre missions,
deux à caractère interministériel et deux à
caractère ministériel. Les missions Sécurité
(partagée avec le ministère de l'intérieur) et Recherche
duale (partagée avec le Ministère de la recherche)
relèvent de la première catégorie. Parmi les deux missions
à caractère ministériel, la mission Défense
représente près de 80% des crédits de la Défense,
aux cotés d'une mission «renforcement des liens entre la nation et
son Armée».94
Dans le cas du chef d'état-major des Armées,
elles passent par des contrats opérationnels avec les Armées,
exprimés en termes de performances. Le programme «
équipement des Forces » est soumis aux mêmes règles
que les autres en dépit de ses particularités. On pouvait
attendre de la Lolf qu'elle améliore l'efficacité
économique de la conduite des programmes, or rien n'a été
prévu. On aurait pu, par exemple considérer que les
investissements publics, civils et militaires devaient être
financés par l'emprunt public. Cette solution aurait pu résoudre
le problème des financements innovants. La crainte de l'endettement
hors-bilan a conduit dans un premier temps à comptabiliser en
autorisations d'engagement l'ensemble des flux des partenariats
public-privé. L'application d'une telle règle aurait
condamné le nouveau mode de commande publique récemment
lancé, le contrat de partenariat. Aussi la Lolf a été
modifiée afin que seuls
93 Idem.
94 Ibi dem
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les coûts d'investissement et de financement d'un tel
contrat soient comptabilisés, le fonctionnement étant pris en
compte sur une base annuelle, au fur et à mesure.
L'autre problématique propre à
l'équipement des Forces est celle des reports de crédit. Ces
derniers sont limités à 3% des crédits initiaux du
même titre du programme concerné. Cette règle est
facilement applicable aux dépenses de fonctionnement, mais difficile
à respecter lorsqu'il s'agit d'investissement. Il faut en effet prendre
en compte l'héritage de la précédente loi de programmation
militaire, la fameuse «bosse des programmes», dont les reports de
crédits s'ajoutent à l'actuelle programmation. Le vote de la loi
de finances rectificative permet de rétablir les crédits, mais
dans les faits, il survient trop tard pour que ces derniers puissent être
consommés. Un article dérogatoire a été voté
pour la Défense, l'affranchissant du respect du plafond des 3% sur ses
crédits d'équipement..
En conclusion, le ministère de la Défense a
réalisé un travail considérable d'adaptation, même
si certains aspects, comme les indicateurs de performance, restent à
finaliser. Cet effort doit se poursuivre par le franchissement d'une
étape encore plus complexe, la mise en place d'une comptabilité
analytique. Il ne faut également pas perdre de vue le rôle de la
Lolf dans la modernisation du ministère, qui permet d'associer les
instruments budgétaires et financiers. Cette dernière repose sur
trois axes : la clarification des responsabilités, l'interarmisation et
le recentrage des fonctions militaires.
La pluriannualité reste une problématique
particulière à la Défense : elle est nécessaire non
seulement pour assurer l'équipement des Forces, mais aussi dans le cadre
des réformes de structure. Elle inscrit dans le temps une
stratégie. Cette prise en compte du long terme peut se heurter aux
limites des instruments existants. La Lpm, et les lois de programmation et
d'orientation (sécurité intérieure, Justice,
hôpitaux...) posent une question de cohérence budgétaire
d'ensemble. Il existe pourtant un programme de
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stabilité, qui doit tracer des perspectives sur
l'évolution des finances publiques et pourrait constituer cet instrument
de cohérence.
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