WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La place de l'affaire Eichmann dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France au début des années 1960

( Télécharger le fichier original )
par Patrick Gillard
Université libre de Bruxelles - Licencié en histoire 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

L'intérêt en France

Pendant cette phase préparatoire, le CDJC participe de différentes manières « à la constitution du dossier Eichmann » 112(*). Aux yeux des rédacteurs de sa revue manifestement satisfaits d'informer le grand public, le Centre apparaît comme « l'Institut qui pouvait et devait fournir à l'opinion mondiale une documentation d'une authenticité indiscutable sur le sinistre criminel, ses chefs et ses complices » 113(*). La contribution du CDJC ne s'arrête cependant pas en si bon chemin.

De l'aveu des rédacteurs eux-mêmes, le Centre documente également les autorités judiciaires israéliennes « directement chargées d'établir et de fonder l'accusation contre » l'ancien colonel SS 114(*). De même, après l'exécution de ce dernier, au début de l'année 1963, le CDJC et les éditions Calmann-Lévy publient Le procès de Jérusalem -- un livre que l'historien Léon Poliakov réalise, à entendre l'archiviste du Centre, à partir de « tout le matériel documentaire, les informations recueillies lors des audiences, et surtout le jugement » du procès 115(*).

La sortie de presse quelques mois après l'annonce de la capture d'Eichmann de la deuxième édition du Bréviaire de la haine de Léon Poliakov révèle-t-elle dans une certaine mesure le retentissement que l'affaire a alors en France ou bien plutôt le pari que certaines personnes financièrement intéressées font à ce sujet 116(*) ? En tout cas, les éditions Calmann-Levy entendent visiblement en profiter pour conquérir de nouveaux lecteurs.

Le texte de la quatrième de couverture ne laisse planer aucun doute à ce sujet : « Au moment où l'affaire Eichmann ramène au premier plan de l'actualité l'étude d'une des plus monstrueuses entreprises de «génocide», cette nouvelle édition, revue, et qui comporte plusieurs références à Eichmann, présente le plus vif intérêt 117(*)» Mais le succès de cette réédition n'est pas garanti pour autant 118(*).

L'historien américain Raul Hilberg dont l'ouvrage monumental La destruction des Juifs d'Europe fait désormais autorité en la matière n'a pas connu la chance de son homologue français 119(*). De l'aveu même de l'intéressé, la première version de son livre n'a finalement été publiée que pendant l'année 1961 par « une petite maison d'édition indépendante de Chicago nouvellement créée : Quadrangle Books » -- soit un peu trop tard pour « tirer parti de l'actualité » du procès 120(*).

* 112 Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 1-2. Sur les différentes publications que le CDJC consacre à l'affaire, voir supra.

* 113 Ibid., p. 2. « Aussi, des journalistes et correspondants de presse, des cinéastes, des écrivains, des reporters de radio et de télévision de nombreux pays se précipitèrent-ils aussitôt dans les bureaux du CDJC et demandèrent-ils des documents et photos concernant Eichmann. » (ibid.) Le Monde Juif publie aussi la liste des « principaux organes de la presse française » ainsi que les noms de certains journalistes de radio et de télévision et de cinéastes étrangers « qui eurent recours au CDJC ». (ibid.)

* 114 Ibid., p. 4. Dans l'historique qu'il dresse pour le vingtième anniversaire de la création du CDJC en 1963, Michel Mazor, alors directeur des archives du Centre, rappelle que « le CDJC, après avoir eu des conférences dans ses locaux avec le chef de la police judiciaire d'Israël, M. Selinger, a fourni, pour l'instruction du procès, de nombreux documents originaux, prouvant la responsabilité directe d'Eichmann dans la déportation des Juifs des pays de l'Ouest ». (Le Monde Juif, vol. 18, n° 34-35, juillet-décembre 1963, p. 51) Pour une note biographique sur Michel Mazor, voir Annette WIEVIORKA, Il y a 50 ans. Aux origines du mémorial de la Shoah, Mémorial de la Shoah, Paris, 2006, p. 13. Dans son réquisitoire inaugural, le procureur général Hausner soulignera la contribution documentaire du CDJC. Sur ce point, voir infra.

* 115 Le Monde Juif, vol. 18, n° 34-35, juillet-décembre 1963, p. 51.

* 116 Léon POLIAKOV, Bréviaire de la Haine. Le IIIe Reich et les Juifs, Calmann-Lévy, Paris, 1960, XVI et 399 p. Déjà préfacée par François Mauriac, la première édition de ce livre sort en 1951.

* 117 Ibid., quatrième de couverture. Dans la note introductive à la deuxième édition, Poliakov dit son espoir que le procès complétera la connaissance du processus d'extermination des Juifs d'Europe. (ibid., p. XVI)

* 118 Parue « en plein procès Eichmann », la version allemande de Si c'est un homme de Primo Levi intéresse apparemment un large public. (Philippe MESNARD et Yannis THANASSEKOS (dir.), Primo Levi à l'oeuvre. La réception de l'oeuvre de Primo Levi dans le monde. Actes du colloque international des 12, 13 et 14 octobre 2006, Bruxelles, Éditions Kimé, Paris, 2008, pp. 435 et 122) Ce n'est pas le cas du film Judgment at Nuremberg du cinéaste américain Stanley Kramer. La première mondiale de ce film réalisé à partir d'un scénario d'Abby Mann a pourtant lieu à Berlin le 14 décembre 1961 -- c'est-à-dire au moment-même où les juges d'Eichmann s'apprêtent à prononcer leur verdict. Alors qu'il était convaincu que le public allemand serait intéressé par son film, « Kramer reconnaît lui-même que l'accueil fut très froid. » (Christian DELAGE, op. cit., p. 227) Pour plus de détails sur ce film, voir ibid., pp. 225-232 ; Judith E. DONESON, op. cit., pp. 87-107 ; Abby MANN, Jugement à Nuremberg (Judgment at Nuremberg), Éditions Robert Laffont, Paris, 1962, 222 p.

* 119 Raul HILBERG, La Destruction des Juifs d'Europe, Librairie Arthème Fayard, Paris, 1988, 1103 p.

* 120 Raul HILBERG, La Politique de la mémoire, Éditions Gallimard, Paris, 1996, pp. 111 et 110. Lors de négociations antérieures avec un autre éditeur, alors pressenti, Hilberg avait pourtant essayé en vain d'attirer « son attention sur les grands titres de la presse qui annonçaient la capture d'Adolf Eichmann par des agents israéliens en Argentine. Il y aurait un procès, insistai[t-il], et il serait dommage de ne pas tirer parti de l'actualité en publiant l'ouvrage à temps. » (ibid., p. 110)

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault