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La place de l'affaire Eichmann dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en France au début des années 1960

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par Patrick Gillard
Université libre de Bruxelles - Licencié en histoire 2009
  

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La mise en scène spectaculaire

La rencontre de ces objectifs parfois contradictoires exige l'organisation d'un procès juridiquement irréprochable et médiatiquement spectaculaire. Comme le fait remarquer l'historienne Idith Zertal dans son ouvrage déjà évoqué, ses organisateurs sont obligés de respecter cette double condition. Elle attire d'abord notre attention sur le fait que « pendant toute la durée du procès, les magistrats israéliens s'efforcèrent de respecter la procédure légale », mais souligne ensuite que « c'était aussi le procès de Ben Gourion, conçu dès le départ comme un procès à grand spectacle » 106(*).

Aux yeux d'Hannah Arendt qui, comme l'immense majorité des envoyés spéciaux sur place, n'assiste qu'à une partie des débats à Jérusalem, la salle choisie pour organiser les sessions du tribunal « n'est pas un mauvais décor pour le spectacle que méditait David Ben Gourion » 107(*). De fait, il s'agit en l'occurrence de la salle de spectacle de la Beth Ha'am (Maison du Peuple) dont on accélère la construction alors en cours et que l'on aménage tout spécialement en vue du procès.

Mais quel que soit leur degré de perfection, les caractéristiques architectoniques et techniques de cette salle aménagée en tribunal ne garantissent pas, à elles seules, le retentissement mondial du procès-spectacle envisagé. Pour atteindre cet objectif, encore faut-il y convier nombre d'acteurs de qualité (les témoins) et quantité de reporters internationaux.

D'une capacité totale de sept cent cinquante places, l'auditorium de la Maison du Peuple reconverti en salle de justice peut encore accueillir des centaines de journalistes venus du monde entier 108(*). « Intégralement filmé en vidéo pour être diffusé de par le monde grâce à la popularisation d'un nouveau médium, la télévision », comme le font observer les historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka dans le texte d'une conférence déjà indiquée, le procès est de ce fait susceptible de recueillir une plus large audience dans les pays où, comme aux États-Unis à la différence de la France, beaucoup de ménages sont déjà équipés d'un récepteur de télévision 109(*).

Comme le signalent les chercheurs Nicolas Weill et Annette Wieviorka à partir du travail déjà mentionné de Tom Segev, les nombreux témoins appelés à la barre font quant à eux l'objet d'un casting soigneusement orchestré par Gidéon Hausner et sont issus « de toutes les parties de la nation » israélienne 110(*). Bref, les préparatifs vont bon train 111(*) ; le procès-spectacle est sur le point de commencer...

* 106 Idith ZERTAL, op. cit., p. 152.

* 107 Hannah ARENDT, op. cit., pp. 13-14. À entendre les historiennes Lindeperg et Wieviorka, Arendt aurait quitté le procès dès le 7 mai 1961 -- soit moins d'un mois après son ouverture le 11 avril. (Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 86) L'envoyée spéciale du New Yorker semble pourtant de retour sur place en juin 1961, après une visite éclair à Bâle -- sans doute chez son ami Karl Jaspers. (Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 669, n. 7) Cet aller retour explique sans doute pourquoi Lawrence Douglas indique que la philosophe juive allemande couvre le procès pendant « dix semaines » et qu'elle le quitte « trois semaines » avant que le témoin Eichmann n'entre vraiment en lice. (Lawrence DOUGLAS, The Memory of Judgment. Making Law and History in the Trials of the Holocaust, Yale University Press, New Haven, 2001, p. 180) Au cours du même été 1961, Hannah Arendt et son second mari, Heinrich Blücher, en profitent, il est vrai, pour revoir l'Italie et la Sicile. (Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 436) En tout cas, son départ prématuré de Jérusalem n'est guère une surprise. Hormis les journalistes allemands qui « sont presque tous restés » jusqu'à la fin, note le poète Haïm Gouri à la date du 19 mai 1961 dans son journal, « la plupart des journalistes étrangers sont repartis ». (Haïm GOURI, La Cage de verre [Journal du Procès Eichmann], Éditions Albin Michel, Paris, 1964, p. 87) Par contre, le poète israélien suit le procès presque de bout en bout. À la date du 2 mai dans son journal, Gouri reconnaît toutefois qu'il a été « absent du Tribunal pendant quelques jours ». (ibid., p. 45)

* 108 Christian DELAGE, La Vérité par l'image. De Nuremberg au procès Milosevic, Éditions Denoël, Paris, 2006, p. 243 ; Lawrence DOUGLAS, op. cit., p. 98. Plusieurs estimations allant de 350 à 600 circulent sur le nombre de journalistes présents dans la salle du tribunal. Quoi qu'il en soit exactement, il semble y en avoir eu au moins plusieurs centaines pendant les moments forts du procès.

* 109 Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 77.

* 110 Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit., p. 180. De fait, Hausner « confie à Rachel Auerbach, historienne et survivante du ghetto de Varsovie [...] le soin de dresser une liste de témoins parmi lesquels il opère ses choix : «des enseignants, des maîtresses de maison, des artisans, des écrivains, des paysans, des commerçants, des ouvriers et des médecins, des fonctionnaires et des industriels ». (ibid.) Pour Segev, « Hausner avait privilégié les témoins célèbres dont on connaissait déjà l'histoire » . (Tom SEGEV, op. cit., p. 400) Sur le rôle d'Auerbach, voir ibid. pp. 399-400.

* 111 Pour plus de détails sur les préparatifs du procès, voir Tom SEGEV, op. cit., pp. 397-405 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 23-33 ; Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., pp. 80-88.

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