WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Cosmologie de l'émergence et pensée du chaos : au-delà  de la science classique..

( Télécharger le fichier original )
par Bernard Coly
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise 2005
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

I

La science classique :

Une apologie du

Déterminisme

universel

La science classique marque dans l'histoire des sciences, la période qui s'étend du 17ème siècle à la fin du 19ème siècle. Dans l'histoire de la philosophie occidentale, le 17ème siècle est l'époque de la grande révolution. Ce siècle pendant lequel ont vécu d'éminentes figures philosophiques et scientifiques, constitue un tournant essentiel dans l'élaboration de la science occidentale, et au-delà de celle-ci, de la pensée humaine. En effet, le 17ème siècle, aussi appelé le siècle de la renaissance, marque la rupture avec le monde médiéval, et annonce par cela, le début d'une nouvelle ère qu'est la modernité.

Au-delà de la nouvelle science proprement dite qui se met en place, il s'agit de la formation d'un univers mental et intellectuel inédit. La science classique est fondamentalement une critique contre la pensée d'Aristote, laquelle avait servi de modèle intellectuel aussi bien dans le domaine de la philosophie que dans celui des sciences encore en formation. Aristote avait en effet fondé un système scientifique, qui était basé sur certains principes métaphysiques ; principes que la science classique va attaquer en y montrant les caractères arbitraire et irrationnel.

Nous savons que Aristote a réfléchi dans presque tous les domaines de la science. Son école nommée le Lycée était considérée comme une sorte d'université, parce qu'on y apprenait de la philosophie, des mathématiques, des sciences naturelles, de la physique etc. Mis à part ces considérations, nous allons dans ce petit rappel nous limiter à la physique. La physique d'Aristote s'est très longuement penchée sur l'étude des mouvements, et en cela, elle peut être considérée comme une physique de choc ; c'est-à-dire celle d'un monde où tout est lié. En effet, selon Aristote, tout objet en mouvement est mû par une force extérieure, de sorte que si la force s'arrête, le mouvement aussi cesse nécessairement.

Aristote distingue dans la nature cinq éléments auxquels il attribue pour chacun un mouvement spécifique suivant sa nature : l'Eau, l'Air, la Terre et le Feu. L'Eau qui est plus lourde que légère, a un mouvement qui va du haut vers le bas. Ce mouvement, parce que caractérisant la nature de l'objet même, est nommé mouvement naturel. L'Air qui est plus léger que lourd, se meut d'un mouvement vertical qui se fait du bas vers le haut, qui se trouve être son lieu naturel. La Terre, appelé aussi le lourd absolu par Aristote, se dirige dans son mouvement, du haut vers le bas, qui est son lieu de prédilection. Quant au Feu, aussi appelé le léger absolu, il se meut du bas vers le haut, son lieu naturel.

A côté de ces mouvements dits « naturels », Aristote ajoute une seconde catégorie de mouvement dit « mouvement accidentel ». Ce mouvement est dit accidentel, parce qu'il est causé sur un objet par un autre corps étranger. Ce mouvement du fait de ne pas appartenir à la nature de l'objet qu'il entraîne, s'arrête une fois que la force qui l'a causé s'épuise. Dés lors, le corps dérangé dans son état de repos, cesse de se mouvoir et cherche à rejoindre son lieu initial d'où il a été enlevé. C'est pour cette raison que chez Aristote, tout est naturellement en repos, d'où tout mouvement a une cause qui lui est contiguë.

Par ailleurs, Aristote distingue aussi dans sa physique deux univers, séparés dans leurs dimensions par la position de la Lune. Au dessus de la Lune, se trouve ce qu'il appelle le monde supra lunaire, parallèlement en dessous de celle-ci le monde sublunaire. Le monde supra lunaire, du fait d'abriter des corps parfaits, est éternel et immuable. C'est le monde des sphères célestes, des astres et du Premier moteur. Quant au monde sublunaire, du fait de son imperfection, il est le lieu de la corruption et du changement. Ce monde abrite des corps qui naissent, vivent, durent et meurent éventuellement.

Pour finir ce bref rappel de la physique d'Aristote, il faut noter que celui-ci a établi un système cosmologique centré autour de la Terre, qui de ce fait était immobile. Celle-ci est selon Aristote entourée par la Lune, et six autres planètes qui tournent autour des sphères concentriques ; au-delà de ces sphères, se trouve la sphère des étoiles fixes, qui constitue la limite même de l'univers.

C'est cette conception du monde tel que décrit par Aristote, que la science naissante au 17ème siècle se propose de remettre en cause. La science classique va donc s'attacher à briser, un à un, les verrous avec lesquels Aristote avait cadenassé son système physique. D'abord, la découverte par Tycho Brahe d'une nouvelle étoile qu'il nomma Stella nova en 1573, brise la perfection des cieux telle que celle-ci a été soutenue par Aristote. Dés lors, nous constatons que la séparation en mondes supra lunaire et sublunaire de l'univers par Aristote, n'était nullement scientifique, sinon seulement arbitraire. Le ciel est à l'image de la terre un monde changeant et corruptible.

Quelques années plus tard, plus précisément en 1577, ce même Tycho Brahe va découvrir dans le ciel, des corps qui fusent à grande vitesse, traversant ainsi les fameuses sphères d'Aristote. Ces objets célestes appelés Comètes, vont, à leur tour remettre en cause la finitude de l'univers, et permettre ainsi de mettre en place l'image d'un monde infini tel que proposé

par Nicolas de Cues et Giordano Bruno. Ensuite, viendra après Tycho Brahe, Johannes Kepler. Ce scientifique allemand va s'attaquer à l'hypothèse des épicycles, qui était utilisée pour expliquer les mouvements rétrogrades qu'on observait dans les trajectoires des planètes.

En effet contrairement à Ptolémée qui appuyait la thèse aristotélicienne du géocentrisme, Kepler va reprendre le modèle héliocentrique proposé par Copernic, en y remplaçant les trajectoires circulaires par des trajectoires elliptiques, centrées autour de trois foyers dont l'un est celui occupé par la position du Soleil.

A côté des critiques, on peut aussi noter d'autres attaques dirigées à l'encontre d'Aristote, comme celle faite par Galilée à propos de la distinction entre le ciel et la Terre. Lorsque Galilée observe à travers ses lunettes astronomiques la surface de la lune, ce dernier découvre des inégalités représentées sous la forme de montagnes identiques à celles constatées sur la surface de notre planète. A partir de là, il en déduit que le monde céleste était identique par sa structure à notre monde terrestre. Une fois de plus, la distinction qu'en a faite Aristote se révèle inadéquate. Galilée est aussi celui qui a observé et annoncé l'existence des corps satellites, autour de la planète Jupiter. Il les nomma les Médicéens, espérant bénéficier de la noble famille des Médicis un financement de ses projets de recherches.

Toutes ces attaques contre le système d'Aristote, vont trouver leur parachèvement dans ce qu'il est aujourd'hui légitime d'appeler la synthèse newtonienne. Newton est en fait celui qui a pu rassembler toutes ces découvertes parallèles, pour en tirer l'ingénieuse idée de la théorie de la gravitation universelle. Cette théorie, tout en expliquant les mouvements qui adviennent dans le monde terrestre, permet aussi de rendre compte, avec toute la précision souhaitée, du mouvement des planètes autour du Soleil. Ainsi Newton amorça le triomphe de la lumière rationnelle sur l'obscurité métaphysique qui caractérisait le monde médiéval.

Après avoir retracé le mouvement de la révolution scientifique amorcée au 17ème siècle, il importe donc désormais de voir sur quels principes et bases scientifiques, celle-ci a pu venir à bout de l'édifice aristotélicien. Dans cette première partie, deux aspects, vont nous intéresser. D'une part, nous tenterons de voir comment la science classique a pendant très longtemps fondé ses principes sur la notion d'ordre. De fait, la physique classique croyait, contre toutes les manifestations phénoménologiques que, le monde était régi suivant un ordre bien déterminé.

C'est ainsi que toute la connaissance consistait, à rechercher dans la nature les lois qui justifient cet ordre. D'autre part, nous abordons la problématique soulevée par la science classique du déterminisme universel. Le déterminisme est la conception qui consiste à dire, que tout est lié dans l'univers par des relations de causalité. Or, selon cette conception, aucune variable ne peut affecter l'effet résulté d'une cause qui le précède. Niant la réalité du temps, elle dépouille celui-ci de tout pouvoir de production de nouveauté.

I-1/ L'exigence d'ordre

La philosophie classique se caractérise par une vision du monde, conditionnée pendant près de trois siècles, par la pensée cartésienne et la physique de Newton. Ces deux figures ont marqué de leur empreinte toute la science du 17ème siècle. Initiant une méthode qu'il veut universelle, Descartes développe dans ses ouvrages, des règles fondatrices pour l'acquisition de toute connaissance dont la visée est la certitude. Dés lors l'acquisition de toute connaissance, passe nécessairement par l'adoption d'une méthode, sans laquelle on ne saurait atteindre aucune certitude. De là l'idée d'ordre va apparaître aux yeux du 17ème siècle, comme le socle même de la science. Très fécond en productions intellectuelles, ce siècle connaîtra l'avènement de méthodes appliquées à la connaissance, au nombre desquelles figure l'induction mise à jour par Bacon. Parallèlement, la déduction est adoptée par Descartes.

Quand à Newton, son nom est resté à jamais attaché à la naissance de la science prédictive. La publication en 1687, des équations différentielles au rayonnement fulgurant, a fini par faire de Newton le prince de la science moderne ; celui à qui furent montrées à l'instar du prophète Moïse, les tables de la loi . Les équations différentielles ont été commémorées comme l'avènement d'un miracle dans l'histoire de la science. Car disait-on, « Un homme a découvert le langage que parle la nature, et auquel il obéit. »5

En effet, dans son ouvrage intitulé Philosophae naturalis principia mathématica, Newton établissait d'une part, la théorie qui explique comment les corps se meuvent dans l'espace et dans le temps ; d'autre part, il y développait aussi les équations mathématiques qui permettent l'analyse de ces mouvements. A partir de ces deux auteurs, la science classique va mettre en place un système scientifique, essentiellement basé sur la notion d'ordre développée par les 17 et 18ème siècles. Cette notion développée par ces deux siècles, consistait à dire que la

5 Prigogine et Stengers, La nouvelle alliance, Gallimard, 1986, p 58

nature dans son ensemble était ordonnée. Pour connaître le monde, il suffisait à l'homme, de chercher par sa raison les principes suivant les quels l'univers a été régi.

Une telle conception scientifique n'a pu être mise en place, que parce qu'on croyait au 18ème siècle que l'univers est une immense horloge dont le fonctionnement a été préétabli par Dieu, le grand horloger.

Comme l'artiste se représente le mode de fonctionnement d'un instrument avant de le fabriquer, Dieu, avant de créer l'univers, avait dans son entendement les règles qui régiraient le fonctionnement de celui-ci. A l'image de nos machines, l'univers fonctionne donc suivant des lois qui sont indépendantes de sa structure. Ces lois, parce qu'elles existent, peuvent être découvertes par l'homme, si ce dernier conduit sa raison suivant une bonne méthode.

C'est à la base donc de ces croyances philosophiques et métaphysiques, que la physique classique pensait entreprendre l'étude de l'Univers. En effet, parce qu'on croyait d'une part que l'univers conservait en lui l'ordre de sa création, la communauté scientifique devait mettre à jour les lois mécaniques. C'est cette conception mécanistique de l'univers qui justifie le développement et le rayonnement éclatant, que la science de la mécanique a connu dés ses débuts. A cette époque, la connaissance des lois de la mécanique était déterminante pour conduire à celle de la nature dans son ensemble.. D'autre part, la science classique, imprégnée du principe de l'ordre universel, se donnait comme ambition première de dévoiler le « langage » suivant lequel Dieu Créa l'univers. C'est ainsi que ces deux idées, du mécanisme universel et de la notion de langage de Dieu, vont tout au cours de ce chapitre guider notre argumentation.

Dans l'Europe occidentale, l'époque des Lumières a établi une transformation dans la manière non seulement de penser le réel, mais aussi dans la nouvelle fonction que la physique attribue à la pensée. Car faut-il le dire, à partir du 18ème siècle, la science de la nature ne se pose plus tout uniquement comme étant le mouvement de pensée qui se porte vers le monde des objets, mais aussi le milieu au sein duquel l'esprit acquiert la connaissance de soi.

Cette nouvelle manière d'appréhender le réel, réside pour l'essentiel dans la fonction attribuée à la raison en tant qu'elle est nécessaire pour la connaissance de la nature. En rompant avec les considérations métaphysiques qui caractérisaient le monde médiéval, la science va à travers la philosophie de Descartes, donner à la raison la puissance de connaître et de rendre compte de l'univers. A ce propos Ernst Cassirer écrit « C'est la force de la raison

qui constitue pour nous l'unique mode d'accès à l'infini, qui nous assure de son existence et qui nous apprend à lui appliquer la mesure et la limite dans le but, non de restreindre son ampleur, mais de connaître la loi qui l'enveloppe et le pénètre tout entier. »6

Sous ce rapport, la raison est en mesure de nous rendre compte de la nature de l'univers, qui depuis sa création reste régi par le même ordre éternel et immuable. Ainsi, il y a par ce fait l'introduction d'une sorte d'immanence dans l'explication de l'univers. Car, comme il en est d'une machine, dans la nature, il n'est nul besoin de s'élever à une cause transcendante pour comprendre un phénomène : l'explication de tout phénomène se trouve dès lors liée à sa structure, c'est l'établissement par celle-ci d'une dichotomie nette entre la vision d'un homme strictement étranger au monde, et celle d'un univers ordonné et homogène dans son ensemble. En effet, de Galilée à Newton, la philosophie des sciences jusque là hantée par l'idée d'un créateur de l'univers, posait l'existence de la raison au point de ralliement entre la nature, produit de la création, et Dieu, autour de la création. L'homme est de ce fait étranger au monde qu'il cherche à comprendre.

La science classique considérait de manière séparée d'un côté l'homme, être intelligent capable de connaître le réel en le soumettant à des lois physiques ; et de l'autre, le monde réel automate immuable dont les lois sont prescrites de toute éternité.

Cette conception, au-delà de l'aspect scientifique qui lui est assigné, demeure conforme aux croyances métaphysiques et religieuses de la philosophie de cette époque. L'homme, créé à l'image de Dieu, devait non seulement être différent des autres créatures par sa forme, mais aussi et surtout par sa nature qui, parce qu'elle est pensante, reste supérieure à toutes les autres natures créées.

Or, l'éminent scientifique belge d'origine russe Ilya Prigogine, montre que cette opposition faite entre l'homme et le reste de la nature, a fini par rendre impossible le seul mode de dialogue fécond que l'esprit humain devait entretenir avec la nature.

Face à cette attitude réductionniste et appauvrissante de la science Prigogine et Isabelle Stengers soulignent dans La nouvelle alliance : « La science à ses débuts a opposé avec succès des questions qui impliquent une nature morte et passive ; l'homme au 17ème siècle

6Cassirer . E, La philosophie des lumières, Fayard, Paris, 1966, p 82

n'a réussi à communiquer avec la nature que pour découvrir la terrifiante stupidité de son interlocuteur. »7

Par sa capacité à connaître les lois de la nature, l'homme se pose en tant que créature comme une sorte d'existence intermédiaire entre la création et le créateur. Né de la création divine, le réel entretient avec son créateur un lien étroit. Cette idée au contenu étrange était en fait l'un des véritables arguments qui ont encouragé le projet de recherche des « lois de la nature », entrepris à partir du 17ème siècle. A cette époque disait-on, si l'essence de la nature est contiguë à cette dernière, cela voudrait dire que Dieu, en créant le monde, y a laissé les empruntes de sa signature. L'ultime but de la connaissance scientifique, était de chercher dans la nature, les lois qui régissent l'univers et par lesquels celui-ci fonctionne. Avec Newton ce but de la science sera atteint.

En effet, grâce à Newton et plus précisément à ces travaux sur la dynamique, la physique classique pensait avoir enfin trouvé le sol ferme, le fondement qu'aucun autre bouleversement ultérieur de la science ne pourrait ébranler. Les lignes de correspondances entre la nature et l'esprit humain, venaient d'être établies avec la découverte des équations différentielles. Newton a donc permis d'unir l'homme à la nature, et cela par une alliance apparemment indissoluble. C'est en raison de ce fait, que Ernst Cassirer a pu écrire ceci : « La nature qui est en l'homme rencontre en somme, la nature du cosmos et se retrouve en elle. Qui découvre l'une ne saurait manquer de trouver l'autre. C'était déjà ce que la philosophie de la nature de la Renaissance entendait par nature : une loi que les choses ne reçoivent point de l'extérieur mais qui découle de leur propre essence, qui est dès l'origine implantée en elles. » 8

Pour mieux consolider sa conception d'une nature-automate, la science classique va par la découverte des lois scientifiques, se lancer dans la voie difficile de la recherche de ce qu'on peut appeler le « langage de Dieu ». La notion de langage de Dieu, n'est rien d'autre que les principes qui rendent compte de l'ordre de l'univers ainsi que de son harmonie. Ce point de vue qui a dominé la pensée occidentale ainsi que le développement de la science classique, aura connu un succès énorme. Il sera repris comme par l'effet d'écho, par plusieurs penseurs au XVIII ème siècle. En effet, c'est parce qu'ils ont été convaincus de l'existence d'une symétrie structurale entre l'esprit humain et le monde réel, que les penseurs de la science classique ont postulé la réalité de ce prétendu « langage de Dieu ». A cette époque disait-on

7 Prigogine et Stengers, La nouvelle alliance, Gallimard, 1986, p 34

8 Ernst Cassirer, La philosophie des lumières, Fayard, Paris, 1966, p 89

« L'esprit humain qui habite un corps soumis aux lois de la nature, est capable d'accéder par le déchiffrement divin que ce monde exprime globalement et localement. » 9

La question qui se pose dès lors est de se demander ce qui a permis à la science classique de se faire une telle idée. Cette conception aux apparences étranges, remonte en fait à une époque qui en réalité, est antérieure à l'avènement de la science au XVII ème siècle. Cette idée date de l'époque de Pythagore.

En effet, sur Pythagore lui-même, la postérité n'a retenu que peu de choses. On raconte que c'est la musique, qui a apporté à Pythagore l'illumination de la connaissance. Pythagore diton, postulait qu'il existe un rapport simple entre la longueur des cordes d'une lyre et le son qui en émerge. Il affirmait aussi que le son engendré par un marteau sur une enclume, est proportionnel au poids du marteau. A partir donc de l'inspiration de l'harmonie musicale des marteaux et des cordes vibrantes. Pythagore énonce une proposition révolutionnaire à son époque. Celle-ci consiste à dire que la nature est fondamentalement mathématique. Il en résulte l'idée que les nombres gouvernent la réalité toute entière, ils en sont l'essence : le chiffre est la clé du cosmos.

A la suite de Pythagore, Platon va reprendre cette idée inédite dans sa manière d'appréhender l'univers. Platon est pénétré à beaucoup d'égards, de l'influence des doctrines telles que, la doctrine mathématique de Thalès et la géométrie de Pythagore. En effet, les Idées de Platon jouent à peu près le même rôle que les nombres de Pythagore. Car de la même manière que les successeurs de Pythagore cherchaient pour chaque être le nombre qui le caractérise, Platon a doublé la réalité, en établissant pour chaque être l'existence d'une Idée qui représente son essence dans le monde intelligible. Pour Platon donc le monde réel, n'est que la copie imparfaite du monde intelligible. C'est dans le domaine de la cosmologie que cette conception platonicienne sera le plus en vue. Selon la cosmologie platonicienne, le démiurge- le grand artiste de l'univers- en créant le monde, avait les yeux fixés sur des modèles géométriques. Et c'est suivant ces modèles que toute la réalité sera faite.

De son avis, l'ultime nature est de l'ordre des Idées. Celles-ci existent comme nous l'avons déjà noté, dans un au-delà non localisable ; à partir duquel elles fondent et gouvernent toutes les manifestations de notre univers.

9 Prigogine et Stengers, La nouvelle alliance, Gallimard, 1986, pp 89-90.

Selon Pythagore et Platon, Dieu est un fin géomètre et ils affirment l'idée qu'il doit effectivement exister un plan suivant lequel le monde a été crée, et c'est à partir de ce plan que doit être cherché tout l'ordre universel. Cette idée qui date de l'antiquité, sera reprise à partir des XVIIème et XVIIIème siècles par les promoteurs de la science naissante. Ces siècles qui correspondent au grand bouillonnement intellectuel caractérisé par la remise en cause de la pensée d'Aristote, vont trouver dans la philosophie de Platon, le modèle idéal de la conception qu'ils se sont fait de la science ; ce qui justifie la naissance de ce qu'il est possible d'appeler le renouveau platonicien.

En effet, les XVIII ème et XVIII ème siècles qui marquent en Europe l'époque des grandes découvertes coïncident avec l'essor des mathématiques nouvelles. C'est à cette époque que Descartes invente la géométrie linéaire, tandis que Leibniz et Newton vont parallèlement découvrir le calcul infinitésimal séparément duquel figure l'invention de l'arithmétique binaire par Leibniz. Cette époque très fertile en découverte, est celle où Galilée va aussi mettre en place la théorie de la chute des corps, sans oublier l'invention par Pascal, de la calculatrice.

Toutes ces découvertes et inventions vont profondément influencer la conception qu'on se faisait de l'Univers. Avec la science naissante émerge un réductionniste qui consiste à ramener tout l'ensemble du réel, à une sorte d'expression mathématique. Dans la logique de cette conception, d'éminents penseurs tels que Galilée, Newton et même Einstein, vont considérer les mathématiques comme exprimant le langage de Dieu. A ce propos Galilée écrit en 1623 dans le Saggiatore que « La philosophie écrite dans le grand livre de l'univers est formulée avec langage des mathématiques. Sans lui, il est humainement impossible de comprendre quoique ce soit ; et on ne peut qu'errer dans un labyrinthe obscur. » Quand à Newton, il dira que les mathématiques sont le langage de Dieu. Tandis que Einstein lui considère que le monde est intelligible en terme de géométrie.

A travers donc ces trois piliers de la science moderne, on voit comment la physique classique considérait l'Univers. Cette idée apparemment simple, va entraîner des conséquences qui ont servi de guide, pendant près de trois siècles, au paradigme de la science classique. En effet, depuis la coupure galiléo newtonienne, l'ensemble de la communauté scientifique croyait à l'idée d'après laquelle, non seulement la nature est régie par un certain nombre de lois bien déterminées, mais aussi, l'esprit humain est en mesure de découvrir ces dernières. La recherche scientifique va dès lors consister à une sorte d'abstraction, c'est-à-dire

une sorte d'élévation vers la saisie de l'essence dernière des choses ; cette essence qui expliquerait tous les principes de l'existence des choses. La science est donc comme le dirait Aristote la recherche des premiers principes et des premières causes.

Toutefois, cela ne veut pas dire que la science classique se réduisait à une activité métaphysique. Car selon la physique classique l'essence de la chose n'est pas séparée de la chose elle-même, elle lui est contiguë parce que Dieu en créant toute chose y a imprimé le code suivant lequel cette dernière se comporte. C'est donc pour cette raison que Ernst Cassirer a pu écrire dans le même sens que selon la science de la nature de l'époque des Lumières, « L'être véritable de la nature ne doit pas être cherché sur le plan du créé mais sur le plan de la création. La nature est plus que simple créature ; elle participe à l'être divin originaire puisque la force de l'efficace divine est vivante en elle [...] Le pouvoir de se donner forme et de se développer soi-même marque la nature du sceau de la divinité. »10 . On a donc plus besoin de fonder la physique, comme il a été avec Aristote, sur une quelconque métaphysique. Désormais l'expérimentation scientifique se révèle largement suffisante pour expliquer le réel.

Par ailleurs, la conception scientifique d'un univers ordonné fondé sur le principe de la création divine, soulève un problème lié à la problématique du devenir. Car s'il est vrai que la nature est l'oeuvre de Dieu, qu'elle renvoie à l'image de l'esprit divin, alors elle doit refléter le signe de son immutabilité et de son éternité. C'est en fait sur cette conception que repose l'identification spinoziste de Dieu et de la nature, exprimée par la formule « Deus sirve Natura »

Selon Spinoza donc, l'uniformité de la nature prend sa racine et sa source dans la forme essentielle de Dieu. L'idée même de Dieu implique selon lui, que ce dernier soit pensé comme un, en accord avec soi-même ; c'est-à-dire immuable dans ses pensées et dans ses volontés. Poser en Dieu la possibilité d'un changement de son existence, équivaudrait à une négation et à un anéantissement de son essence. Par conséquent, la nature est éternelle à l'image de son créateur. Ce postulat de l'éternité de l'Univers va donner une chiquenaude à l'élaboration des théories scientifiques. L'Univers étant partout le même, les lois scientifiques ne risquent pas d'être influencées par des bigarrures du temps ; comme le notent si bien Prigogine et Isabelle Stengers : « Non seulement la nature est écrite dans un langage mathématique déchiffrable

10 Ernst Cassirer La philosophie des lumières, Fayard, Paris, 1966, p 85

par l'expérimentation, mais ce langage est unique ; le monde est homogène, l'expérimentation locale découvre une vérité générale. »11

La conséquence d'une telle idée revient à nier la réalité même du temps, car comme le dit Bergson le temps est invention et porte en lui la marque du devenir.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Ceux qui rĂªvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rĂªvent de nuit"   Edgar Allan Poe