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Cosmologie de l'émergence et pensée du chaos : au-delà  de la science classique..

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par Bernard Coly
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise 2005
  

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III

Le chaos : un

nouveau paradigme

Comme l'a montré Thomas Samuel Kuhn, à travers l'évolution de la science, toute époque génère une vision générale du monde, un paradigme par lequel elle interprète et construit la réalité. En effet la science moderne, du 17ème siècle jusqu'à nos jours, peut être divisée en deux types de paradigmes : le premier étant celui dominé par les figures de Descartes, Newton et Laplace, tandis que le second est celui encadré par les travaux de Einstein sur la Relativité, de Planck sur la physique quantique et de Lorenz sur le chaos. Le premier paradigme aussi appelé « paradigme de la science absolue » traduit l'image traditionnelle de la science. Selon ce paradigme, la matière, et au-delà de celle-ci l'univers, étaient caractérisés par le déterminisme, la réversibilité et la prévisibilité du phénomène. Dans ce paradigme, pour analyser un phénomène, on procédait par réductionnisme et généralisation. Le raisonnement se réduisait en termes mécanistes, sur des systèmes linéaires, isolés et fermés.

En effet, c'est sous la bannière de cette conception, qu'a été forgée l'image d'un monde immuable et déterministe que la dynamique classique permettait de décrire. Ce qui justifie le fait que la science traditionnelle, à l'image de la dynamique classique, ne s'occupait que des phénomènes dont les comportements étaient à la fois réductibles et réversibles. Le flou, l'accident, l'événement, l'incertain, l'aléa étaient tous rejetés hors du champ de la rationalité, donc hors du domaine de la pensée dominante. Dés lors, toute tentative visant à les réintégrer apparaissait, aux yeux des scientifiques éduqués dans le cadre de l'ancien paradigme, comme anti-scientifique et irrationnel.

Cependant cette vision à la fois réductionniste et contraignante de la science, sera très vite remise en cause à partir du 20ème siècle. En effet nous dit Trinh Xuan Thuan, « Le 20ème siècle a vu s'écrouler l'un après l'autre les murs de certitudes qui entouraient la forteresse de la physique newtonienne. Einstein, avec sa théorie de la Relativité, fit table rase en 1905 de la certitude newtonienne d'un espace et d'un temps absolus. Dans les années 1920 à 1930, la mécanique quantique détruisit la certitude de tout pouvoir mesurer aussi précisément que possible. La vitesse et la position d'une particule élémentaire de matière ne pouvaient plus être mesurées en même temps avec une précision illimitée. Un dernier mur de certitude s'est effondré à la fin du siècle : la science émergente du chaos est venue éliminer la certitude

newtonienne et laplacienne d'un déterminisme absolu de la Nature. Avant l'avènement du chaos, « ordre » était le maître mot. Le mot « désordre »était au contraire tabou, ignoré, banni du langage de la science. La Nature devait se comporter de manière régulière. Tout ce qui était susceptible de montrer des velléités d'irrégularité ou de désordre était considéré comme une monstruosité. La science du chaos a changé tout cela. Elle a mis de l'irrégularité dans la régularité, du désordre dans l'ordre. Elle a enflammé l'imagination non seulement des scientifiques, mais aussi du public, car elle se préoccupe d'objets à l'échelle humaine et parle de la vie quotidienne. » 62

Ce beau texte de Trinh retrace de manière très brève, la révolution scientifique et conceptuelle que la théorie du chaos a établie dans le domaine de la science. En effet, la théorie du chaos est une des rares, des très rares théories mathématiques qui ait connu un vrai succès médiatique. Apparue dans les années soixante en météorologie, cette théorie s'est très rapidement étendue à tous les domaines de la science. Certains spécialistes sont même allés jusqu'à comparer les remous qu'elle a créés, aux brillants succès qu'ont connus en leurs débuts, la mécanique newtonienne, la relativité de Einstein ou même la mécanique quantique.

Tel que le définit le Petit Larousse, le « chaos » signifie un état de grand désordre, de confusion générale. Cette définition, malgré le fait qu'elle ne décrit pas les caractéristiques de la science nouvelle, reste tout de même celle que la grande partie du sens commun retient, lorsqu'on prononce le mot chaos. En effet, tel que le comprend le scientifique, le chaos ne signifie pas « absence d'ordre » ; celui-ci traduit plutôt un état d'imprévisibilité, d'impossibilité de prévoir à long terme. Techniquement, le terme « chaos » correspond à l'état particulier d'un système qui, non seulement ne se répète jamais, mais aussi a une dépendance sensitive par rapport aux conditions initiales. Ce qui veut dire que, des différences extrêmement faibles dans les valeurs des paramètres, peuvent s'amplifier et aboutir à des résultats largement divergents.

Historiquement, la science du chaos s'est établie à la suite des travaux du physicien Américain Edward Lorenz, sur la prévision météorologique. Cependant, bien avant Lorenz, un des anciens génies de la science occidentale, Henri Poincaré, avait posé les jalons de ce qui deviendra la plus brillante révolution de notre siècle. Mathématicien français de grande renommée, Henri Poincaré était un des grands scientifiques qui s'étaient insurgés contre la dictature du déterminisme newtonien dés la fin du 19ème siècle. En effet, Poincaré fut le

62 Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l'harmonie, Gallimard, 2000, pp 105-106

premier à réfléchir sur le problème de la dépendance du comportement de certains systèmes, vis-à-vis des conditions initiales. Il s'aperçut que pour de nombreux systèmes, un petit changement au début conduisait à un changement majeur de leur évolution ultérieure. Pour ces systèmes, le futur ne pouvait plus être connu ; ce qui alors rendait les prédictions à long terme complètement vaines.

C'est ainsi que, contre le credo laplacien du déterminisme universel selon lequel, « pour une Intelligence qui embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l'univers et ceux du plus léger atome, rien ne serait incertain pour elle, et l'avenir comme le passé serait présent à ses yeux » ; Henri Poincaré lança un avertissement prémonitoire dans son ouvrage Science et méthode publié en 1908. En effet, Poincaré écrit dans un extrait de cet ouvrage : « Une cause très petite, qui nous échappe, détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous connaissons exactement les lois de la Nature et la situation de l'univers à l'instant initial, nous pourrions prédire exactement la situation de ce même univers à un instant ultérieur. Mais, lors même que les lois naturelles n'auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions connaître la situation initiale qu'approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c'est tout ce qu'il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu, qu'il est régi par les lois ; mais il n'en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux ; une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit. »

L'un des principaux exemples qui mirent en valeur cette prédiction de Poincaré, est celui connu en physique sous le nom de problème des trois corps. Comme l'indique son nom, le problème des trois corps, traduit la difficulté rencontrée en physique lorsqu'on tente de décrire les trajectoires produites par l'interaction gravitationnelle d'un système composé par trois corps, semblable au triptyque Soleil - Lune - Terre. Dans ce cas précis de notre système solaire, les attractions exercées d'une part par le Soleil sur la Lune, et d'autre part par la Terre sur cette dernière, occasionnent des irrégularités dans les trajectoires de notre gros satellite, la Lune.

En effet, depuis des siècles, les scientifiques et les astronomes qui se sont succédés tout au long de la civilisation humaine, de la tradition greco-babylonienne à l'avènement de la

science moderne, ont tenté, chaque époque avec ses génies, d'expliquer sans réussir véritablement, le mouvement de la Lune. Contrairement aux planètes, la lune décrit un mouvement dont les orbites sont à la fois irrégulières et imprévisibles. A son temps déjà, Newton, à la suite de son prédécesseur Kepler, avait tenté de résoudre ce problème. Pour s'attaquer à cette difficulté, le scientifique Britannique avait tenté d'intégrer le problème du mouvement de la lune, dans une suite d'équations semblables aux équations différentielles par lesquelles on décrivait le mouvement des planètes.

Pour ce dernier, comme il en est pour deux corps, le mouvement de la lune devait pouvoir être résolu en augmentant l'indice de la lune à celle, déjà résolue, de l'interaction entre le Soleil et la Terre. Cependant, malgré les multiples efforts qu'il déploya pour résoudre ce problème majeur de la science du 19ème siècle, Newton n'a pas pu faire mieux que ses prédécesseurs. Ce qui, par conséquent a laissé le problème des trois corps, sans solution véritable jusqu'au 20ème siècle. En effet, le problème de l'interaction de trois corps, ne connaitra une solution véritable qu'en 1889. Lors de cette année légendaire, le Roi Oscar de Suède proposa aux mathématiciens du monde entier un concours, dont l'objet consistait à résoudre le problème du comportement de trois planètes. En guise de récompense, le roi Oscar décida de remettre à celui qui résoudrait ce problème, sur lequel avaient buté Kepler, Newton et Laplace, le Grand Prix International du roi de Suède. En fait, ce problème se formulait comme suit : « Le système solaire est -il stable ? »

Face à une compétition de cette ampleur, Henri Poincaré décida de relever le défi. Poincaré était un personnage hors du commun, un des plus grands mathématiciens de notre époque et sans doute le plus universel. Lorsqu'il se mit à travailler sur ce problème, Poincaré découvrit très vite que les solutions des équations de Newton n'étaient pas intégrables dans le cas de trois planètes. C'est alors qu'il eut l'idée géniale d'aborder le problème d'une toute autre façon : par la géométrie. Il inventa pour se faire le concept « d'espace des phases ». Cette notion purement mathématique, permettait en fait de suivre dans le temps, l'évolution de l'état d'un système physique. En effet, pour réaliser un « espace des phases », on construit d'abord un modèle avec les lois physiques et les paramètres nécessaires et suffisants pour caractériser le système considéré. Dans cette nouvelle vision géométrique, les modèles des systèmes sont caractérisés par des équations différentielles par lesquelles on définira, à un instant donné, un point dans un repère. Ce point caractérisera l'état du système dans l'espace à cet instant. C'est cet espace que l'on nomme « espace des phases ». Dans cet espace, lorsque le temps

s'écroule, le point représentant l'état du système, décrit en général une courbe : on parle alors de son orbite.

A la suite de nombreuses représentations effectuées dans le cadre des mouvements de trois corps, Poincaré tira la conclusion que les trajectoires, de trois planètes s'influençant mutuellement, étaient imprévisibles. Ce qui revient à dire que le système solaire ne fonctionnait pas comme une horloge. Pour la première fois donc, les lois de Newton montraient leurs limites ; sur ce point particulier, l'avenir redevenait imprévisible. N'ayant pas d'ordinateur, Poincaré ne put explorer ni même simuler le comportement de trois planètes dans leur espace des phases, comme le fera cinquante ans plus tard Edward Lorenz sur la météo. Faute de quoi, il aurait pu donc découvrir les attracteurs étranges et le chaos. Personne à cette époque, ne saisit l'importance de la découverte de Poincaré.

Par manque d'intérêt pour la science d'alors, les travaux de Poincaré sont restés sans continuité ; ce qui par conséquent a interrompu momentanément le processus qui aurait permis à la théorie du chaos de voir le jour. C'est ainsi que Lorenz reprendra en 1960, sans pour autant le savoir, le témoin longtemps défendu par Poincaré. La théorie du chaos, née à la suite des travaux de Lorenz, propose pour l'univers un modèle déterministe tout en laissant une place au hasard, une dimension à l'imprévisible.

Dans cette troisième partie, nous allons montrer dans un premier temps comment le hasard, longtemps chassé du domaine de la science, reste malgré tout une caractéristique qui a beaucoup joué aussi bien dans la formation du réel, que dans le comportement de certains phénomènes. Dans une seconde section intitulée « l'effet papillon », nous montrerons que dans les systèmes dynamiques instables à forte dépendance sensitive aux conditions initiales, de petites causes conduisent, dans certains cas, à de grands effets initialement imprévisibles. Enfin dans la dernière section consacrée à la mécanique quantique, nous montrerons comment cette nouvelle branche de la physique a fini par battre en brèche, la certitude newtonienne du déterminisme.

III- 1 / Le hasard

Le hasard est la part maudite de notre vie de tous les jours. Chacun le rencontre, personne ne l'explique. Au regard de notre logique mentale, le hasard est rejeté, dénié. Cette attitude participe en fait de ce qui a rendu négative la définition du hasard : il n'est qu'absence d'ordre. En effet, pour des raisons de commodité et de cohésion sociales, on préfère généralement éviter la confrontation directe avec le hasard, car celui-ci ne se laisse pas facilement apprivoiser par l'explication. Cependant, au cours de l'histoire de la physique, le hasard a suscité dans son explication deux attitudes aussi extrêmes et aussi paradoxales l'une que l'autre. En fait, fondées sur le même refus qu'il puisse exister une absence d'organisation, ces pensées axées autour de l'explication du hasard ont fini par scinder les scientifiques en deux camps qui se heurtent mutuellement. Ceux qui y croient, le font au nom d'un ordre sousjacent ne relevant pas de la causalité cartésienne, tandis que ceux qui refusent d'y croire le font, eux aussi, au nom d'un ordre causal non encore élucidé.

Dans la préface à son ouvrage Hasard et chaos, David Ruelle écrit : « Le hasard a sa raison, dit Pétrone, mais quelle raison ? Et qu'est-ce- que en fait le hasard ? D'où vient-il ? A quel point le futur est-il prévisible ou imprévisible ? A toutes ces questions, la physique et les mathématiques apportent quelques réponses. Des réponses modestes, et parfois incertaines, mais qu'il est bon de connaître. [...]Les lois de la physique sont déterministes. Comment donc le hasard peut-il faire irruption dans notre description de l'univers. »63 Rien que dans la formulation même de cette citation, la succession des interrogations révèle les difficultés auxquelles on se trouve confronté, lorsqu'on tente d'expliquer la notion de hasard.

Si on se réfère aussi bien à l'histoire de la philosophie qu'à l'évolution des idées scientifiques, on se rend compte que la notion de hasard, longtemps chassée du domaine de la rationalité, n'a que tardivement réintégré les champs de celle-ci. En effet, la science occidentale a été, pendant prés de trois siècles, guidée par la philosophie de Descartes et la physique de Newton. Or, comme on le sait déjà, la science newtonienne considérait la Nature comme un Tout ordonné, susceptible d'être expliqué par la raison humaine. Dans ce paradigme galiléo-newtonien, lorsqu'on connaît l'état d'un système physique à un instant donné, aussi nommé instant initial, on peut déduire son état futur à tout autre instant. Car selon Newton, pour tout système donné, les forces de celui-ci sont à chaque instant déterminées par l'état du système à cet instant initial. La conséquence d'une telle idée consiste à dire que, connaissant l'état d'un système à son état initial, on peut calculer comment cet

63 David Ruelle, Hasard et chaos, Odile Jacob, 1991, p 7

instant varie au cours du temps. Ce qui revient à dire qu'on peut parfaitement connaître un système physique, dés lors que l'on connaît les paramètres suivant lesquels celui-ci est déterminé.

C'est en raison de ce credo déterministe, que Laplace a soutenu dans son Essai philosophique sur les probabilités la possibilité, pour une intelligence qui connaitrait pour un instant donné, l'ensemble des paramètres régissant la Nature, d'acquérir une connaissance idéale. Même si Laplace reconnaît la supériorité de cette intelligence par rapport à l'esprit humain, il n'exclut pas pour autant la possibilité pour l'homme d'avoir, à l'image de ce « démon », une connaissance plus ou moins approximative de la réalité. Nous voyons, que selon Laplace tout peut être prédit dans la Nature, connaissant au préalable les conditions initiales. Or, une telle conception scientifique revient à dire que rien n'est fortuit dans la nature : le hasard en tant que tel n'existe pas, il n'est qu'une imperfection de notre connaissance. C'est au regard d'une telle considération philosophique, qu'il devient important de se demander si, le hasard se réduit seulement à une simple attitude psychologique ou à une convention sociale ; ou bien existe-t-il un hasard pur, loin de notre manipulation humaine ?

Comme le souligne David Ruelle, l'étude du hasard, c'est-à-dire son exploitation scientifique, a commencé à partir du 17ème siècle. Selon Ruelle, c'est à partir des travaux de Blaise Pascal, Pierre Fermat, Christiaan Huygens et Jacques Bernoulli, les tous premiers à s'être intéressés à l'analyse des jeux dits de « hasard », que la notion de hasard sera pour la première fois considérée comme objet de science. En effet, comme leur nom l'indique, les jeux dits de hasard comportent de manière intrinsèque une incertitude liée à la connaissance des résultats. Dans ces types de jeux, aucune connaissance des conditions initiales n'est en mesure de procurer au joueur une certitude fiable à propos du résultat final. Ce qui veut donc dire, que quelque soit la perfection de notre connaissance, nous ne pouvons jamais être totalement sûr du résultat qui adviendra. L'analyse de ces jeux a donné naissance à une nouvelle branche des mathématiques appelée « calculs de probabilités ».

Longtemps considéré par les mathématiciens eux-mêmes comme une branche mineure des mathématiques, le calcul des probabilités s'est progressivement posé comme l'un des outils incontournables pour la connaissance de nombreux phénomènes. En effet, à l'opposé des autres branches des mathématiques, « Un fait central du calcul des probabilités est que si l'on joue à pile ou face un grand nombre de fois, alors la proportion des piles (ou des faces) devient voisine de cinquante pour cent. Ainsi, à partir d'une incertitude totale quand au

résultat d'un jet de pièce, on arrive à une certitude à peu prés complète pour une longue série de jets. ». 64 Cependant, en dépit des énormes progrès accomplis par le développement du calcul des probabilités, il faut attendre le 20ème siècle pour voir la notion de hasard intégrer réellement le domaine de la science.

L'étude du hasard comme objet de science, n'a pu être effective qu'avec la création vers 1900 de la mécanique statistique, par Ludwig Boltzmann et l'Américain J. Willard Gibbs. En effet, cette nouvelle branche de la physique, à côté du fait qu'elle permet de décrire les mouvements des molécules contenues dans un gaz, s'intéresse à déterminer la quantité de hasard contenue dans une structure à comportement chaotique. Dans un système dit chaotique, l'état final n'est pas strictement déterminé par les conditions initiales ; car à cause de la non linéarité de ce type de système, des structures nouvelles inattendues peuvent apparaître de manière totalement imprévisible. C'est ainsi que dans ces dits systèmes, l'évolution ne se calcule pas en termes linéaires, mais plutôt en termes de probabilités. Ces dernières consisteront à donner les différentes chances qu'on a, de trouver le système dans un de ses états potentiels. Avec l'avènement de la mécanique statistique, le passage de la négation du hasard à sa domestication par la physique moderne est devenu plus aisé.

Toutefois, malgré les multiples efforts consacrés par les défenseurs de la mécanique statistique en vue d'une reconnaissance du hasard comme caractéristique de la nature, la physique a dû attendre plusieurs années pour reconnaître le rôle véritable, que nous devons, dans notre fabrication du réel, à cette notion. En fait, c'est avec le changement de paradigme établi par l'avènement de la théorie du chaos, que peut être mesurée l'importance jouée par le hasard dans l'élaboration de la Nature. En effet, pendant plusieurs siècles, l'étude de l'univers ainsi que celle de ses composantes, a conduit philosophes et scientifiques à considérer pour la plupart, l'existence de l'univers comme un fait nécessaire ; négligeant ainsi le rôle, à la limite essentiel, que l'impact du hasard a pu y exercer.

En dépit des multiples considérations métaphysico religieuses que l'étude de l'univers a eu à concéder en faveur du postulat de la nécessité, la cosmologie moderne compte aujourd'hui de nombreux exemples, à travers lesquels ce constat du rôle joué par le hasard dans la fabrication du Réel est sans équivoque. En effet, partant d'une étude rétrospective, de la formation de notre système solaire à celle de différentes planètes qui le composent, on se rend compte que la notion de contingence a, pour bien des cas, joué un rôle fondamental. Dans un

64 David Ruelle, Hasard et chaos, Odile Jacob, 1991, p 13

de ses ouvrages, Trinh Xuan Thuan a essayé de montrer l'importance et la nécessité que la science se doit aujourd'hui de tenir compte de l'élément contingent de la Nature. En effet dans un extrait révélateur, l'astrophysicien d'origine vietnamienne écrit : « Nous avons vu que nombre de processus physiques relèvent de l'universel. Mais la contingence joue aussi un rôle non négligeable dans le façonnement du Réel. Et si nous ne reconnaissons pas cet élément de hasard, si nous ne tenons pas compte de cette intrusion de l'histoire, nous courons le risque, dans notre recherche des lois de la Nature, de faire fausse route. »65

Cette remarque de Trinh, est d'autant plus importante, qu'il existe dans l'histoire de la science occidentale des exemples qui peuvent la confirmer. En effet, un des exemples les plus patents, justifiant cet argument de Trinh, est celui advenu dans l'histoire de la cosmologie avec Johannes Kepler. Pour avoir négligé la part de contingence que pouvait avoir la manifestation de la nature, cet astronome Allemand l'apprit à ses dépens, lorsqu'il voulut expliquer la disposition des planètes dans le système solaire. Pour Kepler, Dieu est un fin géomètre, d'où selon lui, la beauté et l'harmonie des mathématiques devaient se refléter dans le ciel, c'est-à-dire dans la disposition des planètes. Pour élaborer sa thèse, Kepler se servit dans son explication d'une ancienne idée émise par le célèbre géomètre Euclide. En effet, Euclide avait démontré que dans l'espace à trois dimensions, il ne peut exister que cinq solides dont les faces sont identiques. Ces solides nommés pythagoriciens en référence au nom de leur découvreur, sont composés du Tétraèdre constitué de quatre triangles, du Cube constitué de six carrés, de l'Octaèdre composé de huit triangles, du Dodécaèdre constitué de douze pentagones et enfin de l'Icosaèdre composé de vingt triangles.

Comme du vivant de Kepler, il n'était connu que six planètes seulement, en raison des planètes Uranus, Neptune et Pluton encore ignorées ; ces six planètes connues étaient séparées par cinq intervalles. Cinq solides, cinq intervalles entre les planètes. Pour Kepler, ce ne pouvait être une simple coïncidence, d'où il supposa que cette concordance expliquait à la fois le problème du nombre de planètes et leur disposition par rapport au Soleil. Une fois que la concordance fut établie, Kepler construisit une image nouvelle du système solaire, où les cinq solides pythagoriciens étaient encastrés dans les six sphères planétaires. Cette nouvelle image était ainsi constituée : Mercure - Octaèdre -Venus -Icosaèdre - Terre - Dodécaèdre - Mars - Tétraèdre - Jupiter - Cube - Saturne.

65 Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l'harmonie, Gallimard, 2000, p 44

Aujourd'hui, il est facile de constater jusqu'à quel point, ce précurseur de la science moderne et découvreur des lois qui régissent le mouvement des planètes, s'était fondamentalement trompé. Son erreur lamentable vient du fait qu'il n'a pas su distinguer le hasard de la nécessité, la contingence de l'universel. Il s'était évertué à appliquer son sens de la beauté et de l'harmonie de la Nature, à des phénomènes contingents. De nos jours, on sait que le nombre exacte des planètes aussi bien que leur disposition par rapport au Soleil ne sont pas des données nécessaires, mais relèvent de la succession d'incidents historiques qu'est le hasard de l'agglomération des grains de poussières dans la nébuleuse solaire. Car dans un autre système solaire autour d'une autre étoile, le nombre des planètes et les distances les séparant seront différents. Il est à noter, que la nécessité n'est un bon guide que quand il s'agit de l'universel. Ce qui veut dire, que pour expliquer les phénomènes naturels, il nous faut à la fois découvrir les lois qui régissent le nécessaire et reconstituer les événements fortuits.

Pour continuer toujours sur notre exposé apologétique du hasard, nous allons à présent examiner un autre exemple concernant cette fois-ci notre planète, la Terre. En effet, notre planète manifeste une inclination sur son axe du Zodiaque de 23.5° par rapport à la perpendiculaire. Pendant des siècles déjà, les astronomes savaient que notre planète ne se tenait pas droit par rapport à l'axe du Zodiaque, cependant personne n'était en mesure d'expliquer la raison véritable de cette légère inclination. Longtemps restées mystérieuses, l'inclination de notre planète ainsi que celle de tant d'autres, se révèlent, de nos jours occasionnées par des collisions avec des astéroïdes. Notre planète, de même que tous ses homologues voisins ont connu au cours de leur histoire, une longue période marquée par d'intenses bombardements de comètes et d'astéroïdes. Ces événements scientifiquement avérés seront reconsidérés par le nouveau paradigme du chaos, pour justifier plusieurs phénomènes.

En effet, c'est dans le cadre de ces reconstructions de thèses scientifiques, que de nombreuses considérations cosmologiques stipulent de nos jours, que c'est à la suite d'une de ses nombreuses collisions que notre planète a quitté sa position perpendiculaire par rapport à son axe de rotation. Selon cette même thèse, cet événement de violents tamponnements s'est produit à une époque où la population des astéroïdes est devenue très amenuisée. Ce qui de ce fait, a rendu les collisions tellement rares qu'une correction ultérieure devenait très improbable. Ainsi, faute de collision correctrice, notre planète la terre est restée légèrement penchée, donnant aux hommes l'avantage du changement de saisons que nous remarquons dans la vie. On voit que cette collision aujourd'hui bénéfique aux populations terrestres,

relève pourtant du domaine de la contingence et de l'aléatoire ; puisque celle-ci n'était inscrite de manière fondamentale dans aucune loi de la Nature.

Pour continuer à entendre les « louanges » adressées à « notre dame du hasard », restons encore à l'écoute des chantres de la fabrication du réel. En fait, un des autres faits relevant du hasard, se trouve lié à la formation de la Lune, satellite de la Terre. En dépit des différentes théories et explications soulevées pour justifier aussi bien sa présence que sa parfaite rotation autour de la Terre, notre certitude d'avoir atteint l'explication adéquate à la formation de la Lune est presque établie. En effet, parmi les quatre hypothèses généralement retenues, une seule nous paraît concorder avec la réalité.

La première hypothèse suppose que la Lune est née de la même façon que toutes les autres planètes et autres satellites du système solaire ; c'est-à-dire par le jeu de l'agglomération des planétésimales, il y a quelques 4.6 milliards d'années. Selon cette thèse, l'embryon de la Lune s'est développé au sein d'un anneau de matière gravitant autour de la Terre, tout comme les neuf planètes de notre système solaire se sont développées autour d'anneaux de matière gravitant tous autour de notre étoile le Soleil. Cependant, même si cette hypothèse paraît plausible, elle n'explique pas pour autant pourquoi la Lune est si grosse par rapport à la Terre (la taille de celle-ci fait environ le quart de celle de notre planète), tandis que les satellites de Jupiter, Mars et Saturne sont beaucoup plus petits, comparés à leurs planètes.

La seconde hypothèse, plus étonnante que la première, pose l'idée d'une lune originairement étrangère à notre système solaire. Selon cette dernière en effet, la Lune est un astre errant venu visiter notre système solaire. Cette thèse continue et affirme que c'est lors de cette visite autour de notre système solaire, que la lune sera capturé par la gravite de la terre, ce qui depuis lors l'a maintenue en rotation autour de notre planète. Cette hypothèse, même si elle permet d'expliquer partiellement pourquoi la Terre est la seule des quatre planètes telluriques à posséder un si gros satellite, elle non plus ne tient plus la route dés qu'elle est examinée de prés. La raison demeure, d'une part il faut reconnaître que la capture d'astres s'approchant du voisinage de la Terre par cette dernière est extrêmement improbable ; car nombreux sont les astéroïdes qui viennent régulièrement visiter les abords de la Terre, jamais ils ne s'y attachent, tous repartent vers les confins du système solaire d'où ils sont venus, d'autre part si la Lune était capturée comme le suppose cette hypothèse, elle aurait, selon les lois képlériennes du mouvement des planètes, une orbite en forme d'ellipse aplatie et non

celle presque circulaire observée. Faute de preuve conséquente, cette hypothèse sera très vite reléguée aux oubliettes.

La troisième hypothèse plus originale que les deux premières, a été suggérée par l'astronome anglais Georges Darwin, le fils de Charles Darwin le père de la théorie de l'évolution des espèces. Selon lui, c'est la Terre qui a accouché de son satellite la Lune. Ce dernier stipule que la lune a été éjectée de la Terre, par la force centrifuge résultant de sa rotation. En effet souligne Georges Darwin, « A son origine, la Terre aurait tourné beaucoup plus vite qu'aujourd'hui. La force centrifuge, très supérieure, aurait alors arraché une région entière de l'écorce terrestre et l'aurait propulsée dans l'espace, créant un grand trou à la surface de notre planète, à l'emplacement de ce qui est maintenant le bassin de l'océan Pacifique. Ce morceau expulsé de la Terre se serait ensuite condensé pour former la Lune. »

66

Selon cette hypothèse donc, la Terre aurait dans le passé une vitesse de rotation largement supérieure à celle de 30kms/s que nous lui connaissons aujourd'hui ; condition sans laquelle elle n'aurait pu produire cette supposée force centrifuge. Cependant, des données produites sur la base de simulations faites sur ordinateur, donnent lieu à une improbabilité. Les calculs montrent que, pour qu'une force centrifuge capable d'éjecter la lune se produise, il aurait nécessité que notre planète tournât à une vitesse dix fois supérieure à sa vitesse de rotation actuelle. Ce qui voudrait dire que la Terre faisait un tour sur elle-même en seulement deux heures et demie. Or, à une telle vitesse de mouvement, on imagine mal comment l'agglomération des gravillons qui a conduit à la formation de la Terre, a pu se réaliser. En outre, cette hypothèse de Georges Darwin ne nous explique pas comment et pourquoi la vitesse de la Terre a-t-elle décru jusqu'à atteindre les vingt-quatre heures, nécessaire aujourd'hui à la Terre pour faire un tour complet sur elle-même. Enfin, l'hypothèse de la force centrifuge est irrecevable parce qu'on sait aujourd'hui que les océans sur Terre, se forment non par l'éjection de morceaux de croûte terrestre, mais par la dérive des plaques continentales qui crée de grandes fosses où s'engouffrent leurs eaux. On sait que des quatre hypothèses retenues, trois se révèlent inadéquates.

A présent, comme à la fin d'un roman policier d'Agatha Christie, arrive le moment fatidique où le détective rassemble tous les indices pour exposer la solution du problème. Dans le cas de notre tentative d'explication de l'origine de la lune, l'indice principal se trouve dans ce que

66 Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l'harmonie, Gallimard, 2000, pp 59-60

les astronomes ont appelé la théorie du « Grand Impacteur ». En effet, cette théorie explique l'origine de la Lune de la manière suivante : elle postule qu'un très gros astéroïde de la taille d'un dixième de celle de la terre, aurait percuté la planète bleue, faisant ainsi voler en éclat une partie de son écorce. Cette même théorie continue et affirme que : « Sous la violence du choc, des gerbes de matière provenant à la fois de la Terre et du Grand Impacteur jaillissent alors dans l'espace. Une partie de la fantastique énergie d'impact se convertit en chaleur qui liquéfie et volatilise la matière éjectée. L'eau et les éléments volatils s'évaporent et se perdent dans l'espace. De la matière éjectée, la partie qui ne s'est pas évaporée est surtout composée d'éléments réfractaires. Celle-ci s'assemble pour former une Lune pauvre en éléments volatils et riche en éléments réfractaires. Cette théorie d'une collision gigantesque explique encore bien d'autres faits. La Lune a une densité proche de celle de l'écorce terrestre, puisque la première a été arrachée à la dernière par un choc violent. Le coeur de la Lune est pauvre en fer, car la partie centrale de l'astéroïde impacteur, riche en fer, s'est incorporée à la Terre. La puissance des ordinateurs modernes a permis de vérifier la plausibilité d'une telle hypothèse. La théorie du Grand Impacteur est actuellement la meilleure sur le marché pour expliquer l'origine de la Lune. Elle a le vent en poupe car, comparée aux théories rivales, c'est elle qui rend le mieux compte des indices recueillies. »67

Une fois de plus, le hasard et la contingence de la nature ont encore fait parler leur puissance, s'agissant de déterminer le réel et de permettre son harmonie à son niveau le plus profond. Cet événement aléatoire advenu il y a 4.6 milliards d'années, est aujourd'hui responsable non seulement de la clarté obscure qui illumine nos campagnes par les nuits de pleine lune, mais aussi dans une certaine mesure de notre existence. Car comme l'a montré le professeur Trinh, la Lune joue, au-delà du rôle de lanterne nocturne ou de compagnon des jeunes amours, un autre rôle à la limite essentiel pour notre existence. En fait par son rôle de stabilisatrice du climat terrestre, la Lune a été indispensable à l'émergence de la vie. Des simulations faites sur ordinateur ont montré que si on ôtait la Lune de sa position de satellite terrestre, son absence dans notre système solaire aurait engendré sur notre planète d'énormes conséquences.

En effet, Jacques Laskar et ses collègues du bureau des longitudes de Paris, ont montré qu'en l'absence de la Lune, l'axe de rotation de la terre, se comporterait de façon tout à fait fantasque. Ce dernier stipule que si notre planète était démunie de sa très chère Lune, l'état de

67 Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l'harmonie, Gallimard, 2000, pp 61-62

déséquilibre dans lequel elle serait plongée, l'aurait amenée à décrire des variations allant d'une position perpendiculaire au plan du Zodiaque, à la position presque couchée, semblable à celle de la planète Uranus. Le plus étonnant dans toutes ces prédictions, c'est qu'en l'absence de la Lune, l'axe de rotation de la Terre qui oscillerait entre plusieurs variations pendant un temps géologiquement court de quelques millions d'années se comporterait de façon tout à fait chaotique. Ce qui, entre autres conséquences, n'aurait pas permis l'émergence ni le développement de la vie. A ce propos Trinh Xuan Thuan écrit : « Ainsi, en freinant le comportement inconstant de la Terre, la Lune a permis à l'homme de faire son apparition. A nouveau nous devons apprécier ici le rôle fondamental de la contingence le façonnage de la réalité. Une collision accidentelle d'un astéroïde avec la Terre, en la faisant accoucher de la Lune, a permis l'émergence de la vie. »68

Par ces quelques exemples tirés de la cosmologie nous voyons, comment des événements célestes totalement fortuits et complètement imprévisibles, ont pu influencer notre vie dans son sens le plus profond. Au contraire des lois physiques, ces événements ne sont pas dictés par la nécessité, mais par le hasard et l'aléatoire. A tous les niveaux, le Réel est construit par l'action conjuguée du déterminé et de l'indéterminé, du hasard et de la nécessité. Dans le cas de notre système solaire, il existe des phénomènes que les théories physiques pouvaient prévoir, comme la formation par agglomération de gaz ou de planétésimales du Soleil et de son cortège de planètes. En effet, les théories physiques auraient pu prédire que les planètes tourneraient sur elles-mêmes et autour du Soleil dans le même sens, d'Ouest en Est, que le Soleil autour de notre centre galactique. Car ce mouvement à la limite prédéterminé leur est dicté par le sens de rotation originelle de la nébuleuse solaire. Toutefois, à côté de ces phénomènes, il existe d'autres qui sont totalement imprévisibles, même pour une Intelligence surhumaine telle que celle imaginée par Pierre Simon Laplace.

C'est dire, au regard de cette constatation, que dans la fabrication du réel, « Tout est mis à contribution : hasard et nécessité, événements aléatoires et lois déterministes. C'est pourquoi le Réel ne pourra jamais être décrit complètement par les seules lois de la physique. La contingence et l'histoire limiteront à tout jamais une explication complète de la réalité. Pour expliquer l'apparition de l'homme, nous pouvons invoquer l'astéroïde qui a paru dans le ciel il y a 65 millions d'années avant de frapper la Terre et d'y tuer les dinosaures, mais nous ne pourrons jamais expliquer pourquoi cet astéroïde est venu percuter notre planète juste à ce

68 Trinh Xuan Thuan, Le chaos et l'harmonie, Gallimard, 2000, p 67

moment-là. Pour expliquer la beauté fleurie du printemps, nous pouvons invoquer le choc d'un astéroïde avec la Terre, mais nous ne pourrons jamais expliquer les conditions du choc qui ont fait que la Terre s'est penchée seulement de 23.5°, au lieu d'être complètement couchée sur le côté comme Uranus, ce qui nous aurait donné de longues nuits et d'aussi longues journées se succédant toutes les demi années L'intrusion de l'histoire n'est pas seule responsable de la libération de la Nature. Les lois de la physique ont aussi perdu de leur déterminisme. Avec le développement de la théorie du chaos, le hasard fit son entrée fracassante dans le monde macroscopique. » 69

Aujourd'hui nombre d'exemples permettent de remettre en cause le postulat de la science newtonienne, à savoir l'idée du déterminisme. En effet, on se rend compte que dans différents domaines de la vie l'illusion de tout pouvoir prédire, qui guida pendant longtemps la science classique, a perdu tout son sens épistémologique. Dans le cas de la psychologie par exemple, on voit que le comportement d'un individu peut être influencé par une cause à la limite très banale. Dans ce domaine précis de la vie de l'individu, on se rend compte qu'il est presque impossible de prédire véritablement le comportement, quelque puisse être la connaissance supposée détenue de l'individu considéré.

Cependant, comment peut-on justifier le fait que, malgré l'impossibilité avérée d'une prédiction indéfiniment certaine, l'hypothèse du déterminisme ait pu prendre le dessus sur l'indéterminisme qui paraît pourtant plus légitime. C'est probablement face à une telle indignation, que s'est trouvé Karl Popper avant la rédaction de son plaidoyer pour l'indéterminisme. Dans cet ouvrage, Popper essaye d'avancer les arguments qui, selon lui, ont poussé les scientifiques à soutenir le déterminisme, plutôt que l'indéterminisme. En effet, Karl Popper stipule que si en matière de science, les gens sont plus portés à exploiter les théories qui de prime abord présentent des implications déterministes et simplistes, cela est dû au fait que ces théories sont en général celles qui, non seulement sont plus faciles à expliquer, mais aussi celles qui apportent le plus de réconfort à l'homme. Car affirme Popper, il est plus facile pour l'endentement humain de s'accommoder à un univers déterminé, plutôt que d'être ballotté dans un monde indéterminé, laissé aux seuls caprices du hasard.

C'est dans le sillage de tels contextes épistémologiques que Karl Popper a pu écrire : « C'est de nos efforts pour décrire le monde avec des théories simples que dépend la méthode de la science. Les théories qui sont d'une trop grande complexité ne peuvent plus être testées même

69 Trinh Xuan Thuan pp 102-103

si elles devaient être vraies. L'on peut décrire la science comme l'art de la sursimplification systématique - comme l'art de discerner ce que l'on peut avantagement omettre. »70 Cette attitude réductrice de la science, va pourtant changer avec l'avènement de la théorie du chaos. Désormais, l'explication du réel tient compte de la Nature dans sa totalité ; comme le dit Trinh Xuan Thuan, tout est mis à contribution : l'ordre coexiste avec le désordre, le déterminé avec l'aléatoire. L'image de la science n'est plus réductionniste, mais plutôt holiste. Car c'est la considération de la nature dans sa totalité, et non pas dans ses composantes, qui est le plus fondamental.

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"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard