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Ressources fourragères et représentations des éleveurs, évolution des pratiques pastorales en contexte d'aire protégée. Cas du terroir de Kotchari à  la périphérie de la Réserve de biosphère du W au Burkina Faso

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par Issa Sawadogo
Museum national d'histoire naturelle de Paris (ED 227) - Docteur du museum national d'histoire naturelle spécialité physiologie et biologie des organismes  2011
  

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2.4. Le pastoralisme : un genre de vie, un rapport particulier à l'espace

La sociologie du pastoralisme et celle de la société peule qui lui est associée ont fait l'objet de nombreuses recherches en Afrique soudano sahélienne. En effet, la pratique pastorale a été pendant longtemps, dans cette région comme un peu partout dans le monde, l'affaire de groupes socioculturels précis (Lhoste et al. 1993) dont la vie est entièrement organisée autour du troupeau. Dans la région qui nous intéresse, elle est l'apanage du groupe ethnique Peul et de groupes apparentés.

Pendant de nombreuses années, une abondante littérature sur les peuples pasteurs tendait à démontrer leur archaïsme et l'improductivité de leurs systèmes. Ainsi, bien après les indépendances, le pastoralisme était encore jugé inopérant dans la gestion des espaces des jeunes États en Afrique sahélienne. Le point de vue dominant dans les années 1970 considérait les pasteurs comme des individus dénués de bon sens économique, adoptant des systèmes de tenure des terres communales intrinsèquement néfastes (Dahl, 1983 ; Moorehead & Lane, 1995 ; Steinfeld et al. 1997 ; Wane, 2006 ; Nori, 2007) qui aboutissaient inéluctablement au surpâturage et à la dégradation de l'environnement. Cette posture, soustendue par la théorie de la « tragédie des communs » (Hardin, 1968) ajoutée au désir des jeunes états de fixer les pasteurs pour mieux les contrôler (Jaubert, 1997), allait servir de base à des politiques, aujourd'hui reconnues d'une impertinence totale (au moins dans leur conception), de fixation des pasteurs et de leurs animaux (Moorehead & Lane, 1995; Touré,

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1997 ; Baroin, 2003)22. Le credo était en effet que toute ressource à "accès libre" (ici l'espace pastoral) était inéluctablement vouée à se dégrader (Moorehead & Lane, 1995), l'hypothèse étant faite que les différents utilisateurs de cette ressource (ici les pasteurs), fonctionnaient comme des agents économiques de manière rationnelle, et seraient tentés, chacun de son côté, de tirer un profit maximal du caractère gratuit de la ressource. Cette approche a fait son temps et il est maintenant reconnu que partout où les institutions traditionnelles sont restées intactes ou peu déstructurées, comme le Macina au 19è siècle (Boutrais, 1994), les espaces pastoraux ont rarement été à accès libre (Boutrais, 1994 & 2002 ; Riegel, 2002). Selon Thébaud (1995), Touré (1997) et Bary (1998), dans un tel contexte, si l'accès aux ressources est collectif, leur gestion n'en est pas moins rationnelle et définie entre groupes sociaux.

On a montré depuis que les sociétés pastorales ont de tout temps disposé dans leurs principes, d'une certaine rationalité économique (Bonfiglioli, 1988) se traduisant par un rapport particulier à l'espace et aux ressources naturelles. L'inexistence de règles d'accès et de gestion en milieu pastoral était une idée fausse. Il faut comprendre que, même si le pastoralisme est basé sur la ponction et le libre accès aux ressources naturelles (Benoit, 1998; Riegel, 2002), la réalité est que sans règles d'accès et d'usage de l'espace et de ses ressources, les sociétés pastorales auraient difficilement survécu (Thébaud, 1995). Comme le fait remarquer Pélissier (1995), « les pratiques foncières expriment la projection de la société sur l'espace et sont largement le reflet de son organisation et de son histoire ». Or, compte tenu du fait que l'élevage pastoral marque faiblement l'espace, ces pratiques, qui sont d'une exceptionnelle souplesse, ont mis du temps à être mises en évidence. En fait, le pasteur, par le truchement de ses animaux, entretient avec la nature un certain type de rapport excluant un processus d'appropriation de l'espace qui pourrait compromettre son accessibilité par tous (Benoit, 1979; D'Amico et al. 1995 ; Boutrais, 2002). Riegel (2002) note qu'on relève rarement auprès des bergers peuls des termes qui exprimeraient un sentiment d'appartenance à un lieu géographique donné ou une appropriation d'un espace bien défini. En outre, il n'existe pas de transformation volontaire de la nature et d'accumulation de biens dans leurs projets. Au contraire, il y a une relation directe et égalitaire avec la richesse naturelle et l'épuisement du stock est perçu comme normal et assumé en conséquence par le déplacement. C'est pourquoi le pasteur ne comprend pas qu'on veuille lui refuser le droit d'accès aux aires protégées qu'il considère comme des stocks fourragers et comme des maillons de sa stratégie (Benoit, 1998).

Touré (1997) et Thébaud (1995), étudiant des sociétés peules respectivement au Sénégal (Ferlo) et au Niger oriental, rapportent que la mobilité des hommes et des troupeaux repose sur un principe de réciprocité entre les éleveurs ou agriculteurs sédentaires et les arrivants, des alliances durables favorisant le partage des ressources entre plusieurs utilisateurs suivant des accords. En outre, l'occupation et l'utilisation de l'espace font l'objet d'un contrôle collectif qui engage la responsabilité de tous les usagers dans la gestion des problèmes fonciers. En réalité, dans les zones traditionnellement d'élevage comme au Sahel,

22 Si dans le milieu des chercheurs, la pertinence de l'élevage mobile en zone aride et semi aride est reconnue, cela ne semble toujours pas être le cas au niveau des politiques et des services techniques qui le considèrent toujours comme dégradant à l'égard de l'environnement (Kossoumna Liba'a, 2008 ; Kossoumna Liba'a et al. 2010) et mettent tout en oeuvre pour sa sédentarisation.

l'espace pastoral était « divisé » en secteurs selon les potentialités pastorales et l'accès à chacun des secteurs, dont certains sont soumis à des droits prioritaires mais non exclusifs, était soumis à des règles (périodes et ordre d'accès) (Touré, 1997 ; Riegel, 2002).

Selon donc ces auteurs, contrairement aux apparences, toutes les ressources, dans les communautés pastorales, étaient sous des systèmes à « accès surveillé » jusqu'à ce que le droit de regard de celles-ci sur lesdites ressources leur soit retiré par l'administration coloniale et les jeunes États (Babin et al. 2002).

Un autre aspect à prendre en compte est que le pastoralisme relève d'un système de vie (Bonfiglioli, 1988 ; Lhoste et al. 1993 ; Daget & Godron, 1995 ; Bovin, 1999). En effet, la mobilité, en tant que mouvement vers l'inconnu (Benoit, 1979) ou dans un environnement hostile (Landais, 1990) et célébré comme tel, est source de valorisation sociale et vue comme un fait nécessaire indispensable à la survie du groupe. Dans son rapport direct au milieu naturel, le pasteur se confronte à un certain nombre de risques, dont les risques sanitaires du bétail, les risques liés à la prédation par les fauves, les risques liés aux contraventions résultantes des infractions et les risques de conflits avec les agriculteurs (Toutain, 2001; Paris, 2002; Tamou, 2002 ; Kagoné, 2004). De nombreux éleveurs interrogés de nos jours considèrent qu'au-delà de la recherche du bien-être pour leur bétail, la transhumance dans les aires protégées constitue un défi que seuls peuvent relever les bergers braves et authentiques (Convers, 2002; Riegel, 2002 ; Paris, 2002).

Au plan écologique, la mobilité tant reprochée à ces peuples est assimilée par Daget & Godron (1995) et Faure (1997) à un phénomène historique dans les zones arides et semiarides réputées difficiles ou pauvres en ressources pastorales. Benoit (1976 & 1998) et Touré (1997), précisant que ce phénomène s'opère dans des milieux en « équilibre instable» où les ressources sont dispersées, pensent qu'il s'agit d'une stratégie opportuniste d'exploitation de la diversité et de la variabilité de l'offre en ressource en relation avec la diversité écologique. Loin donc de traduire seulement des stratégies de survivance, la mobilité consisterait en un véritable « programme de nutrition » centré sur des objectifs à atteindre.

Nous avons indiqué plus haut que l'un des reproches majeurs faits aux peuples pasteurs, c'est de manquer de rationalité économique. Or, cette rationalité existe, mais elle n'est pas orientée vers le marché (Pratt et al. 1997), elle combine des biens privés (bétail) avec des ressources publiques (les pâturages) et réside dans la capacité des systèmes pastoraux à s'appuyer sur la mobilité (Boutrais, 2002), Rester sur place reviendrait en effet à accepter la baisse des rendements (chute des productions et des effectifs) et à empêcher le milieu de se restaurer (Benoit, 1979). L'itinérance, selon Bernus (1981), autorise la conservation d'un effectif animal maximal, objectif essentiel pour les pasteurs qui adoptent ainsi une stratégie de gestion du risque en contexte aléatoire (Boutrais, 1996). Ils s'assurent ainsi d'une reconstitution plus rapide des troupeaux, donc du capital, après d'éventuelles épizooties par rapport à des conditions d'élevage sédentaire.

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