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La scatologie dans la trilogie beckettienne

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par Valentin Boragno
Université Paris III - Master 1 2006
  

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3.3- Cadeaux empoisonnés : FAIRE CHIER

Molloy appelle ses histoires d'anus ses « affaires de fondement ». Ce mot pourrait à nouveau faire penser à un renversement de perspective ontologique. Il pourrait apporter un nouveau point de vue, même burlesque, en même en même temps qu'il en démonterait un autre. C'est l'interprétation que font certains psychanalystes, comme Dolto, des pulsions anales, à la fois porteuses de destruction et de création. "Faire prend ainsi la double connotation de donner et d'emmerder. L'esprit d'enfance des poètes, rappelle Françoise Dolto, leur permet d'exprimer le fond des choses. De fait il s'agit bien d'une affaire de fondement."150(*) Il n'y a pas cette double connotation chez Beckett. Faire, c'est emmerder, à la limite, mais ce n'est pas donner.

- Le don du torche-cul

Voyons avec quel plaisir Molloy subvertit précisément cette image du don. Dans la scène de l'agent, il donne un torche-cul en guise de papier d'identité. Il n'y a pas de cadeau. Beckett ne fait pas cadeau à personne. Il faut se garder de céder à une interprétation sublimante de la scatologie. Le torche-cul reste quelque chose d'infiniment sale. Certes la théorie psychanalystique d'Abraham formule que "L'excrément serait ainsi le premier cadeau offert par l'enfant à celle qui prend soin de lui."151(*) Mais la scène du don de Molloy n'est qu'une blague, qu'une affreuse blague sans aucun cadeau à l'arrière plan. Pour la simple raison, que Beckett n'est pas un enfant. Il n'est pas innocent et naïf. Il n'est pas ce Molloy débile qui affirme: "Or les seuls papiers que je porte sur moi, c'est un peu de papier journal, pour m'essuyer, vous comprenez, chaque fois quand je vais à la garde-robe, non mais j'aime être en mesure de le faire le cas échéant. Cela est naturel, il me semble. Affolé je sortis ce papier de ma poche et le lui mis sous le nez. Le temps était au beau. Nous prîmes par des petites rues ensoleillées, peu passantes, moi sautillant entre mes béquilles, lui poussant délicatement ma bicyclette de sa main gantée de blanc."152(*) Ce passage hilarant n'a de valeur que par sa capacité destructrice de la figure de l'ordre, du cliché de l'atteinte à la figure de l'ordre, du lyrisme printannier, de la fausse confidence autbiographique. Cette scatologie est décapante. Il ne faut pas trahir cet usage corrosif de la merde chez Beckett, pour en faire une fleur de vertu, une fleur de littérature ou une fleur de rhétorique critique.

- L'ECOEURANTE BÊTISE

La merde est un objet de vengeance, au même titre que l'est l'histoire qu'il crée pour nous. Il se venge en prêtant à des personnages ses propres paroles comme autant de cadeaux empoisonnés."...je leur prêterai des propos qu'on ne donnerait pas à un chien, une oreille, une bouche, avec quelques débris d'entendement au milieu, je me vengerai, quelques crottes d'entendement, ils verront ce que c'est, je leur foutrai un oeil quelque part dans le tas, comme ça au jugé, des fois qu'il pourrait s'égarer quelque chose devant, je m'assiérai dessus et je leur chierai des histoires, des photos, des dossiers, des sites, des lumières, des dieux, des prochains, toute la vie de tous les jours, en gueulant, Naissez chers amis naissez, rentrez-moi dans le fondement, vous verrez s'il fait bon si tordre, ce ne sera pas long, j'ai la courante."153(*) Tout ce qu'il produira, les pages écrites, mais aussi les choses écrites, sera une merde puante. Chier des histoires n'est pas qu'une tournure plaisante, c'est une agression. Beckett agit comme certains animaux dont la libération de déchets est la principale arme. Bachelard citant Buffon affirme : "On trouverait facilement chez certains névrosés une agression par l'ordure qui rappelle certaines conduites animales. Buffon a cité de nombreux exemples d'animaux qui dans leur fuite, répandent une urine nauséabonde, voire des excréments dont la puanteur leur sert de moyen de défense contre leurs ennemis."154(*) Les personnages se donnent ainsi des merdes entre eux, comme Molloy à l'agent, mais c'est également le narrateur qui chie des immondices à son lecteur. Difficile de comprendre la métaphore, loursqu'un texte qui court sur une page blanche en caractères propres et réguliers semble là pour le plasir de l'oeil. On pourrait l'exprimer malgré de la manière suivante. La teneur polémique du texte tient en sa "bêtise", sa bêtise insondable sans restriction, sans arrière pensée, écoeurante d'indifférence à l'égard de la supposée intelligence du lecteur: "c'est comme ça que je les écoeurerai à la fin, par ma bêtise"155(*) Et l'affirmation n'est pas seulement théorique. Montrer son cul c'est montrer sa connerie : "Elle est si con, la lune. Ca doit être son cul qu'elle nous montre toujours."156(*) L'Innommable ne se prive pas pas de dire des bêtises réellement écoeurantes: "Je suis peut-être un sperme qui sèche, dans les draps d'un gamin, c'est long, il faut tout envisager, il ne faut pas avoir peur de dire une bêtise."157(*) La connerie est le non sens cul: "Et je suis à nouveau je ne dirais pas seul, non, ce n'est pas mon genre, mais, comment dire, je ne sais pas, rendu à moi, non, je ne me suis jamais quitté, libre, voilà, je ne sais pas ce que ça veut dire mais c'est le mot que j'entends employer, libre de quoi faire, de ne rien faire, de savoir, mais quoi, les lois de la conscience peut-être, de ma conscience, que par exemple l'eau monte à mesure qu'on s'y enfonce et qu'on ferait mieux, enfin aussi bien, d'effacer les textes que de noircir les marges, de les boucher jusqu'à ce que tout soit blanc et lisse et que la connerie prenne enfin son vrai visage, un non-sens cul et sans issue."158(*) L'oeuvre est sale, puante, mais pas d'une saleté baudelairienne ou même bataillienne. Elle est volontairement médiocre. Beckett fait le même emploi de la merde que l'artiste peintre Jacques Lizerne. Celui-ci qui se définit comme un "artiste de la médiocrité" peint avec de la merde, non pas pour transfigurer le laid en beau, mais volontairement rester dans le laid et le sale. Son regret après chaque création est de ne pas avoir été assez médiocre. 159(*)

- Insultes

Le lecteur ne peut recevoir le texte que comme une insulte. Il est dans la position de Lousse devant son perroquet qui l'assène d'obscénités. Là où le lecteur attendait du beau , du "pretty", il recevra des grots mots.: "Elle avait un perroquet, très joli, toutes les couleurs les plus appréciés. Je le comprenais mieux que sa maitresse. Je ne veux pas dire que je le comprenais mieux qu'elle le comprenait, je veux dire que je le comprenais mieux que je la comprenais elle. Il disait de temps en temps, Putain de conasse de merde de chiaison. Il avait dû appartenir à une famille française avant d'appartenir à Lousse. (...) Lousse essayait de lui faire dire, Pretty Polly! Je crois que c'était trop tard. Il écoutait la tête de côté, réfléchissait, puis disait, Putain de conasse de chiaison de merde."160(*) Volontairement laborieuse, cette phrase de Molloy qui peine à aligner deux pensées à la suite, est aussi désinvolte pour le lecteur que les mots du perroquet ne le sont pour sa maîtresse. Bachelard insistait sur l'importance des insultes scatologiques, liés à des mécanismes psychiques primitifs : "En travaillant dans cette zone psychologique inférieure, le psychologue comprendrait mieux certains aspects scatologiques des injures humaines."161(*) Il y a du caca là on l'on attend le beau. Ces oiseaux clichéiques aux couleurs flamboyantes sont à l'image du "cacatois" auquel L'Innommable identifie ses yeux, fenêtres de l'âme : "A bien y réfléchir, ce gris est légèrement rosé comme le plumage de certains oiseaux, dont le cacatois je crois."162(*) Le "cacatois" est une petite voile carrée, le "cacatoès" ou le "kakatoès" est un oiseau grimpeur aux couleurs vives. Visiblement, Beckett errone volontairement cette orthographe pour obtenir un nom d'oiseau plus suggestif: le "caca toi". Il se dissimule derrière ces animaux parleurs comiques pour indirectement lâcher ces merdes. C'est là un procédé habituel de la scatologie enfantine. "Le perroquet est un personnage favori des histoires d'enfants... A une obscénité anale, correspondrait une hypocrisie et un déguisement de la parole."163(*) En même temps qu'il la déguise le perroquet propose une parole modèle, à laquelle Molloy adhère totalement. Molloy comprend mieux le merde que le pretty. D'une manière générale, il comprend mieux le "français" que l'anglais. Lousse parle en anglais maniéré, abstrait. Le perroquet qui a "appartenu à une famille française" a un parler concret. C'est là précisément ce que Beckett aime dans la langue française, et la raison pour laquelle il écrit pour la première fois un roman en français. "L'anglais est tué par l'abstraction" affirme-t-il164(*). A voir les titres et le style de certains critiques beckettiens anglais, comme ce Structures, dimensions, et textualité de B. Fitch, on comprend que l'affirmation de l'auteur ne se cantonne pas à son époque. Bref, Beckett préfère le "putain de connasse de chiaison de merde".

- L'AUTRE EN BOUILLIE

Il y a dans ces cadeaux et paroles fangeuses l'expression de quelques pulsions sadiques, ou de pulsions anales-sadiques. C'est là un poncif que de voir dans un poème une volonté de subversion. Faire quelque chose, y compris un poème, c'est chier ou emmerder. Ainsi Aragon théorise-t-il l'importance de ces pulsions: "La pulsion anale illustre le début du Traité du style d'Aragon : "Faire en français, veut dire chier", écrit Aragon »165(*). Pour comprendre que la merde n'est pas seulement un objet fait pour dégoûter les enfants sortis de leur phase anale, il faut voir le lien fort qu'elle entretient avec les pulsions sadiques. Faire veut dire chier et chier veut dire tuer ou se tuer. Le mot-valise "défungeons d'abord"166(*), composé de "défunt" et de "fange", suggère cette parenté. Beckett a lu Sade, et s'est même vu proposer une traduction de ses oeuvres complètes en 1938167(*). Donner à l'autre une merde, c'est lui renvoyer une image de lui-même comme être à mourir, comme être en décomposition. "La répugnance aux matières corporelles déchues tiennent à cette hantise d'habiter un corps que l'on sait promis à la dissolution. Tout organisme vivant est du fait de sa simple existence un déchet potentiel, un cadavre en puissance."168(*) Les pulsions anales sadiques suscitent le désir de réduire l'autre en bouillie, ou de l'écrabouiller, même si les psychanalystes prennent le soin de distinguer ces deux verbes : "Il nous faut distinguer l'écrabouillage, comme expression des pulsions orales agressives, de la réduction en bouillie et du battre, qui est une expression des pulsions anales sadiques."169(*) Molloy-Moran réduit le visiteur du soir en bouillie : "Mais un peu plus tard... je le trouvais étendu par terre, la tête en bouillie."170(*) Le visiteur qui sera vitime de ses coups est lui-même animé de sentiments hostiles. C'est lui aussi un "genre d'emmerdeur"171(*). Molloy est, il est vrai, lui aussi victime des désirs de destruction de la société. Ainsi, après avoir écrasé le chien Teddy, il est la cible d'une bande de justiciers qui veulent le mettre en hachis : « et on s'appliquait déjà à me mettre en hachis lorsque la dame intervint.172(*) » si espère-t-il que le fermier rencontré à la fin de son périple éprouve un plaisir malin à l'aider: "Rendre ce petit service à un pélerin en marmelade, vous avouerez que c'est tentant."173(*) Lui aussi est en décomposition par l'effet de son voyage. Malone aussi se livre à l'écrabouillage du crâne de ses congénères : "Combien de personnes ai-je tué en les frappant sur la tête ou en y foutant le feu. Pris ainsi au dépourvu je n'en vois plus que quatre"174(*) . Dans le processus sadique de la dégradation de l'autre, la merde joue un rôle bien connu. Cyrille Harpet étudie le rapport imposé aux prisonniers des camps de concentration à leur propre excrément : "Dans le cas des camps de concentration, il s'agit d'amener les individus détenus à se répudier eux-mêmes... Le déchet excrémentiel n'est point l'objet d'une épreuve d'affirmation de soi, de valorisation des forces vitales et organiques. Il devient un indice au jour le jour des forces en perdition , d'un affaiblissement. Il est l'indice non seulement des manques endurés mais aussi des humiliations en présence des bourreaux."175(*)

- FAIRE CHIER SON FILS

On peut réduire l'autre à un état fangeux en lui donnant de la fange, c'est-à-dire en chiant sur lui. Mais, au-delà de l'insulte, ce n'est pas le pire châtiment. Le pire c'est de le faire naître comme fange. Beckett emprunte aux enfants leur théorie cloacale de la naissance. Faire naître c'est chier, c'est faire souffrir, c'est faire mourir déjà. Le père n'est là que pour mieux tuer ou faire chier ses personnages. Le thème de la cruauté paternelle court dans les trois romans, mais il est mis en scène dans Molloy, lors de la scène des lavements. Moran fait chier son fils Jacques au sens propre : " As-tu chié, mon enfant? dis-je tendrement. J'ai essayé, dit-il. Tu as envie? dis-je. Oui, dit-il. Mais rien ne sort, dis-je. Non, dit-il. Un peu de vent, dis-je. Oui, dit-il. Il me souvint soudain du cigare du père Ambroise. Je l'allumai. Nous allons voir ça, dis-je, en me levant. Nous montâmes à l'étage. Je lui fis un lavement à l'eau salée. Il se débattit mais pas longtemps, je retirai la canule. Essaie de le garder, dis-je, ne reste pas assis sur le pot, couche-toi à plat ventre. Nous étions dans la salle de bains. Il se coucha sur les carreaux son gros cul à l'air. Laisse-le bien pénétrer, dis-je. Quelle journée. Je regardai la cendre de mon cigare. (...) Un bruit de vidange me ramena à des soucis moins élevés. Il se releva tout tremblant. Nous nous penchâmes ensemble sur le pot qu'après un long moment je pris par l'anse et fis pencher de côté et d'autre. Quelques copeaux filandreux nageaient dans le liquide jaunâtre. Comment veux-tu chier quand tu n'as rien dans le ventre?"176(*) Par la trivialité du sujet de discussion, par l'abondance des propositions incises qui signalent que malgré tout Moran essaie de mettre en forme ce dialogue, et par l'effet de masse typographique, l'échange entre le père et le fils est dénaturé. La "tendresse" paternelle est parodiée. Moran humilie son fils au sens étymologique , c'est-à-dire qu'il le met au sol.

- L'image du CIGARE

Comment interpréter l'attention subitement portée par le père à son cigare? Cet objet est important. Il parcourt Molloy et intervient de manière privilégiée dans les scènes scatologiques. Le propriétaire du poméranien constipé ôte son cigare de la bouche lorsqu'il saisit son chien : "La constipation chez les Poméraniens est signe de bonne santé. A un moment donné, préétabli si vous voulez, moi je veux bien, le monsieur revint sur ses pas, prit le petit chien dans ses bras, ôta le cigare de sa bouche et plongea son visage dans la toison orangée."177(*) L'homme disparaît ensuite avec son cigare, lequel est désigné par une périphrase : "Il disparut la chose fumante à la main"178(*). Dans la deuxième partie, le cigare de Moran offert par le Père Ambroise179(*) est l'objet d'une longue digression, lorsqu'il est retrouvé loin de la ville de Shit : "Mon cigare s'était éteint sans que j'y eusse pris garde. Je le secouais et le mis dans ma poche, avec l'intention de le jeter dans le cendrier, ou dans la corbeille à papier, plus tard. Mais le lendemain, loin de Shit, je le retrouvai dans ma poche et ma foi non sans satisfaction. Car je pus encore en tirer quelques bouffées. Découvrir le cigare froid entre mes dents, le cracher, le chercher dans l'obscurité, le ramasser, me demander ce qu'il convenait d'en faire, en secouer la cendre et le mettre dans ma poche, me représenter le cendrier et la corbeille à papier, ce n'était là que les principaux relais d'un processus que je fis durer un quart d'heure au moins."180(*) Quel intérêt de chercher un cigare dans l'obscurité puis de le ramasser ? Quel plaisir à se représenter durant un quart d'heure le cendrier et la corbeille à papier alors que ces objets ne sont ni spectaculaires ni comiques ? Ces objets reviennent plus loin dans l'esprit du narrateur, toujours en objets virtuels et imaginés. Le cigare est à nouveau perdu puis retrouvé et enfin jeté, ni dans la corbeille ni dans un cendrier mais par terre : "Le premier jour, je trouvai le mégot du cigare du père Ambroise. Non seulement je ne l'avais pas jeté dans le cendrier, dans la corbeille à papier, mais je l'avais mis dans ma poche en changeant de costume. Cela s'était passé à mon insu. Je le regardai avec étonnement, l'allumai, en tirai quelques bouffées, le jetai. Ce fut le fait marquant de cette première journée."181(*) Le "mégot" en anglais se dit "butt", mot qui signifie également "cul". Beckett joue ailleurs avec ce xénisme en évoquant Butt Bridge, le Pont du cul182(*). Le cigare est d'ailleurs répertorié comme symbole obscène. Il peut désigner la merde, comme dans l'expression "avoir le cigare aux lèvres"183(*), mais il peut aussi désigner le pénis en français comme en anglais dans des expressions comme "avaler la fumée" ou "swallow the smoke" où la fumée prend le sens de "foutre"184(*). Quel que soit le référent du symbole, si c'en est effectivement un, la métaphore présenterait une certaine cohérence. Le plaisir éprouvé par le père à côté de son fils le cul a l'air pourrait suggérer l'expression d'une sodomie symbolique, excitée elle-même par l'évocation de la merde de l'enfant : "il me souvint alors du cigare" intervient juste après le dialogue scatologique. La corbeille à papiers pourrait ressembler à une cuvette remplie de papiers hygiéniques, les mêmes que Molloy conserve précisément dans sa poche.

Le cendrier semble également métaphoriser un objet coriace à l'interprétation. Pourquoi Molloy éprouve-t-il un coup au coeur à la vue d'une mouche au-dessus de son cendrier précisément au moment où il affirme : "Mais par moments il me semblait que je n'en étais plus très loins [de Molloy], que je m'en approchais comme la grève de la vague qui s'enfle et blanchit, figure peu appropriée à ma situation, qui était plutôt celle de la merde qui attend la chasse d'eau. Et je note ici le petit coup au coeur que j'eus une fois, chez moi, lorsqu'une mouche, volant bas au-dessus de mon cendrier, y souleva un peu de cendre du souffle de ses ailes."185(*) Les mouches volent plutôt au-dessus des bouses que des cendriers : "Les mouches répondent de moi si l'on veut mais jusqu'à quel point? Ne se poseraient-elles pas avec autant d'appétit sur une bouse de vache ?"186(*) . Alors pourquoi sont-elles ainsi liées à la cendre ? La cendre peut être une image du fumier, sachant que le tas de "fumier" sur lequel on a l'habitude de représenter Job n'est en fait dans la Bible qu'un tas de cendre : "Et Job prit un tesson pour se gratter et s'assit la cendre. » (Job, 2:8) Il y a donc là une métaphore extrèmement dense et difficile à expliquer. Cigare et cedrier sont liés à la merde, laquelle figure le plus souvent dans leur "co-texte"que dans leur contexte. L'interprétation n'en est que plus corsée. La fumée qui s'en dégage rappelle de cet univers de cendre conjuguée à la mention des "charniers"187(*) et à celle des "fours à gaz" de chez Molloy, concorderait avec la lecture de Ludovic Janvier selon laquelle l'image de la Shoah hante l'oeuvre de Beckett. Quoi qu'il en soit, cet excursus permet d'affirmer qu'il y a dans le geste du père l'expression d'une pulsion inavouée, et qui pourrait s'apparenter à une pulsion anale sadique.

* 150 Clerget, p.121

* 151 Clerget, p. 121

* 152 Molloy, p. 26

* 153 L'Innommable, p. 155

* 154 BACHELARD, Gaston, La terre et les rêveries de la volonté, 1949, p. 109

* 155 L'Innommable, p. 101

* 156 Molloy, p. 50

* 157 L'Innommable, p.154

* 158 Molloy, p. 16

* 159 M. Monestier, Histoire et bizarreries sociales des excréments des origines à nos jours , Le Cherche midi, 1997, p.275

* 160 Molloy, p.49

* 161 Bachelard, p.111

* 162L'Innommable, p.24

* 163 Gaignebet, p.90

* 164 Grossmann, p.114

* 165 Clerget, p.121

* 166 Malone meurt, p.103

* 167 D. Bair, Samuel Beckett, Fayard, 1990, p. 390

* 168 Harpet, p.102

* 169 Clerget, p. 123

* 170 Molloy, p.206

* 171 Molloy, p.204

* 172 Molloy, p.42

* 173 Molloy, p.235

* 174 Malone meurt, p.103

* 175 Harpet, p. 178

* 176 Molloy, p. 162

* 177 Molloy, p. 14

* 178 Molloy, p. 14

* 179 Molloy, p.136

* 180 Molloy, p.166

* 181 Molloy, p.184

* 182 Malone meurt, p.127

* 183 J. Jouet, Les mots du corps dans les expressions de la langue française, Larousse, 1990, article "merde"

* 184 Dictionnaire électronique franco-anglais http://www.orbilat.com/Languages/French/Vocabulary/French-Uncensored.html

* 185 Molloy, p.221

* 186 L'Innommable, p.91

* 187 L'Innommable, p. 156

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand