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Roman: "Voix étranglées "

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par Jean- Baptiste NTUENDEM
Université de Dschang - Master 2 2011
  

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CHAPITRE III

A

près que Manbezimbi avait été impitoyablement frappé par les odeurs mortelles qui s'étaient échappées de la cellule 2 du quartier dangereux des criminels politiques, cellule dont il avait imprudemment ouvert la porte, on ne l'avait pas revu durant deux jours. Cet homme au visage ténébreux qui avait toujours fait preuve de prudence en descendant à pas lents et comptés s'y était maladroitement dirigé ce vendredi-là.

Depuis ce maudit jour, l'homme n'avait plus goûté aux douceurs de la santé. Après l'avoir cherché, fouillé dans tous les coins du triangle de la république, même dans tous les temples de Bacchus où il avait plus d'une fois menacé d'élire définitivement domicile, on était rentré le retrouver comme ça, par hasard, baignant dans la crue de ce corridor souterrain dont il avait percuté le corps contre les murs gluants et rugueux.

Le pauvre soldat était piteusement couché à quelques pas de cette porte de la sombre cellule qu'il n'avait pas pu refermer. Il était dans une situation fort préoccupante. Son corps meurtri de chocs, et enfermé dans une tenue camouflée, nageait sur les eaux noires et écumantes qui s'étaient progressivement échappées de la cellule 2. Seul son crâne couleur de nuit reposait sur son béret rouge, le tout soutenu par quelques vêtements de prévenus.

On l'avait soulevé, déshabillé et lavé. Ses frères de corps l'avaient d'urgence transporté à l'hôpital principal qui se trouvait heureusement à une colline de la gendarmerie. Son cas étant très sérieux, il avait été interné dans une des salles d'urgence très équipée. Tous les grands spécialistes de l'hôpital avaient été sollicités : les anesthésistes réanimateurs, les dermatologues, les hématologues, les bactériologues, les neurologues-électroencéphalographistes, les otorhinolaryngologistes et bien d'autres dont on lisait difficilement les noms et les spécialités sur les blouses. On n'allait tout de même pas perdre un homme aussi important que ce soldat aux relations multiples...

Les clichés radiocospiques montraient le bassin touché. Les prélèvements du dermatologue-vénérologue cosmétologue- mycologue présentaient des eczémas prurigineux généralisés. Une otalgie bilatérale était dépistée par le spécialiste. Chaque médecin avait pu diagnostiquer une maladie. Manbezimbi n'avait pas l'habitude des dispensaires ou des hôpitaux. Il était de ceux qui croient aux vertus thérapeutiques de l'alcool.

Le réanimateur qui s'activait avec beaucoup d'entrain sur lui rassura les tout premiers visiteurs en leur disant que, bien que la situation était sérieuse, la fin de ses jours n'était pas encore proche.

A réunir toutes les ordonnances, elles ressembleraient à un livre. En pharmacie les prix de tous les produits avaient doublé, du fait de la dévaluation. Ah ! La dévaluation ! Pendant que les gouvernants chantaient sa nécessité pour la survie de l'économie et tous les bienfaits qu'elle allait engendrer dans les poches des populations, le peule qui la vivait concrètement au quotidien trouvait qu'il fallait avoir vendu son âme au Diable pour accepter pareille aventure.

La première moitié du jour était passée. Bientôt la deuxième heure de l'après midi allait sonner. De l'autre coté, un peu plus bas, dans la maternité principale, des cris de détresse déchiraient l'air et allaient piquer les oreilles, au point que même celles des sourds les percevaient. Tout le monde avait accouru, même ceux des malades qu étaient sous perfusion. Seul Manbezimbi ne put vivre ces évènements pathétiques qui le concernaient pourtant, lui qui était douillettement enveloppé dans les bras d'un coma câlin.

Elle était là, couchée sur une large flaque de ce sang qui s'était échappé de ses entrailles avec son enfant ! Elle était venue, depuis deux jours, à la maternité principale, pour donner vie à un humain. Elle voulait pérenniser l'espèce humaine. Dans cette marée humaine prise de panique et de stupéfaction, une femme en travail qui y avait passé toute la journée avec elle raconta !

- Ee a zamba wa wa kom bot1(*) ! La pauvre femme d'autrui est arrivée ici depuis deux jours. C'était bien depuis vendredi. Ee ana Maria ny zamba2(*) ! » Elle m'a dit que son mari aime trop boire et il adore les prostituées. Il avait disparu de la maison depuis deux jours, surtout que c'était la période des salaires, période pendant laquelle il est très rare chez lui, et au lieu de service. Et, c'est à cette même période que sa grossesse arrivait à terme ! Ee bèbèlè zamba3(*) !

Ce sieur Manbezimbi, fils aîné d'une famille de onze enfants dont il était l'unique garçon, état né dans un village perdu très loin, dans une grande forêt du sud du pays. Ce village était réputé dans la région pour la pratique de la sorcellerie, pour la paresse. L'idolâtrie maladive de l'alcool, la prostitution et les commérages. Ici, la boisson la plus prisée était une boisson localement appelée « Odontol ». C'était un type spécial de liqueur incolore obtenue à partir d'un savant traitement sous haute chaleur du vin de palme. Le résultat ainsi obtenu était tout ce que le vin de palme avait d'alcool. On aimait  l' « Odontol » parce que sa composition était simple : son ingrédient unique était l'alcool. Il résolvait efficacement les problèmes et dissipait les soucis. On n'avait pas besoin d'en consommer plus d'un verre pour être dans les faveurs de Bacchus.

Tous les matins, dès l'arrivée de l'Aurore au visage blanc, c'était avec cette boisson qu'on se brossait les dents. L'Odontol rythmait les conversations et donnait un sens à la vie dans ce village. Pour faire des avances à une jouvencelle ou à la femme du voisin, il fallait lui prouver qu'on maîtrisait cette liqueur dont seule l'odeur allait provoquer la salivation et les premières gouttes déliaient la langue et réveillaient l'inspiration.

L'une des vertus de l'Odontol était qu'elle éloignait aussi la famine. On voyait très rarement ses buveurs crier famine. Ils finirent par accorder peu d'importance à l'agriculture. Dans ce village, les plantes qui foisonnaient étaient les dons de la nature : manguiers, avocatiers, goyaviers etc. A la longue, l'hécatombe se produisit. Les gens se mirent à mourir, de faim ou d'alcoolisme aigu.

Ce village perché sur une petite chaîne de montagnes s'appelait Ekolzin. Les parents de Manbezimbi, comme beaucoup d'autres villageois, avaient déserté le village par une nuit de pluie, alors qu'ils venaient d'avoir leur premier fils. Un moment plus indiqué que la nuit n'existait pas pour ce genre d'exode. Car les sorciers y régnaient en maîtres absolus ! Tous s'y passait comme si on leur devait la vie ou la survie ! C'était une sorte d'Etat dans l'Etat de ce côté-là.

Parmi les histoires traumatisantes de cette petite localité infernale, deux se racontaient régulièrement pour résumer le destin du village.

La première est celle d'une femme. Alors, une femme, c'est-à-dire ce qu'il conviendrait d'appeler « un être de sexe féminin » ! Cette créature, la quarantaine révolue, la taille moyenne, les cheveux longs, la poitrine arrondie par les seins qui tendaient ses vêtements, la démarche voluptueuse et le langage suave avait ainsi tous les traits extérieurs d'une femme. Mais cette féminité extérieure ne laissait rien soupçonner de monstrueux derrière ses robes et ses jupes. Cette « femme » était aussi un « homme » ! Elle n'avait ni barbe, ni pomme d'Adam, pas d'allure hommasse.

Madame Evu était une veuve sans enfants qui vivait seule. Elle avait la mythique particularité d'avoir deux sexes. Les mythologues vont vous dire que n'est aucunement du jamais vu. Car la mythologie greco-romaine fournit un exemple du nom incarné de la sorcellerie ? Madame Evu était une terroriste sans grenades et sans fusils. Ses armes démoniaques, c'étaient ses pouvoirs occultes qui lui permettaient de séduire les femmes, leur faire l'amour et les rendre stériles ! Beaucoup de ses victimes avouaient avoir été séduites et avoir couché avec elle dans les rêves. Les plus grandes victimes étaient les filles nubiles.

Cette situation affreuse avait tellement inquiété les humbles du village que Madame Evu était devenue l'objet d'une forte suspicion. Mais, les sceptiques étaient encore à se demander comment un être humain pouvait avoir à lui seul deux sexes.

Un soir, Madame Evu, dans un élan de solidarité et de compassion pour une famille voisine endeuillée, s'y était rendu, pour une veillée. Ce soir-là, Evu on ne saura pourquoi, avait « oublié » de mettre un sous-vêtement pour couvrir ses intimités virile et féminine. Elle avait mis un gros pull-over noir et une jupe d'un bleu foncé. A une heure tardive de la nuit, alors que le sommeil torturait ce monstre biologique et social, elle s'agitait en cherchant la position idéale qui la mènerait sans problème dans les bras câlins et très reposants de Morphée : plongée dans une demi-inconscience, levant et baissant ses jambes de manière incontrôlée, elle s'abandonna à une position qui dévoila ses mystères.

Ses voisines, apeurées par la rumeur nourrie qui planait sur son ombre, aperçurent, en sus du Mont de Vénus clairsemé d'un petit buisson noir et crépu et une concavité vaginale,un membre viril d'une épaisseur et d'une longueur à faire fuir même la femelle en chaleur !

Panique généralisée auprès de ce corps de la défunte dont l'esprit était déjà certainement arrivé vers la voûte azurée ! Madame Evu ne s'était réveillée que lorsque tout son scandale biologique était déjà découvert et bien identifié.

L'information, tel un éclair, se propagea dans tout le village et dans tout le pays. Dans les villes, les journaux firent une recette jamais égalée.

Madame Evu, avait ajouté presque tous les journaux, avait une marmite mystérieuse où se scellaient les destins des jeunes du village. Aucun enfant ne devrait jamais franchir la classe du cours moyen deuxième année. Aucune fille, si elle n'était pas passée par sa braguette, ne devrait épouser un homme « bien » !

Ainsi ce village sous le règne obscur de ce spécimen de monstres qui peuplent la jungle de nos sociétés. Emmenée par certaines personnes vindicatives chez les agents de l'ordre et les autorités judiciaires, bien que ses deux sexes fussent constatés, Evu fut relaxée ! La justice s'avouait toujours incapable de juger les affaires gravitant autour de la sorcellerie.

La deuxième histoire était celle de ce jeune innocent trouvé couché sur la place du marché du chef-lieu d'Arrondissement du coin.

Dès l'aube, les premiers commerçants l'avaient trouvé là, dans un léger coma. Ce jeune garçon, disaient les voyants, avait embarqué à bord d'un « avion »fantastique par un groupe de sorciers et de sorcières du village. Il s'agissait d'une sortie « initiatique » pour l'ingénu.

L'avion, en effet, une vieille chaussure, avait décollé sur la toiture d'une maison avec dalle. Très loin dans les airs sombres de cette nuit sans étoiles et sans lune, le jeune naïf était appelé à prendre les commandes de l'appareil. Mais, ne sachant pas exactement où il était et ce qui lui arrivait, il paniqua et l' « avion » perdit le Nord et alla percuter un poteau électrique. Tous les occupants adultes disparurent et, seul le jeune esprit s'écrasa sur le sol.

Ce matin-là, tout l'Arrondissement était bouleversé par cette autre démonstration des forces du mal. La panique s'installa dans toute la région. On implorait le secours du bon Dieu, on sollicitait à grand renfort de cris d'alarme et de détresse le secours du gouvernement qui avait toujours souligné son impuissance à traquer les sorciers et à endiguer le torrent dévastateur de la sorcellerie. Partout on respirait l'odeur des sorciers. Seule l'escapade était devenue la seule voie du salut.

Une fois arrivé dans la capitale, Mongo Nnam, le jeune père, n'eut pas le temps de contempler la beauté des lampadaires ou la majesté des buildings administratifs. Il se jeta dans la vie active et fit ses premiers pas près de la gare routière comme chargeur crieur.

Mongo Nnam quittait son domicile très tôt et n'en revenait qu'une fois la nuit tombée. Mais ce long et pénible séjour dehors ne lui garantissait pas toujours une pitance acceptable. Les jours fastes, le manioc ou les bâtons de manioc et du poisson meublaient sa table. Sous ce toit, on ne savait pas à quoi servait l'épargne. Ils comblaient la famine de deux jours avec les entrées d'un jour heureux, au risque de passer les jours à venir à jeun.

Mongo Nnam Barnabas et son épouse se souciaient peu de la misère dans laquelle ils vivaient. Chaque année, une nouvelle naissance succédait à une autre. Parfois, une grossesse venait surprendre un mioche juché sur les seins encore pleins et dégoulinants de madame.

Madame Mongo Nnam, la nommée Mvoue Bibouan Pancracia avait simplement profité de ce désordre dans la succession des naissances pour aligner subtilement dans les rangs des enfants légitimes de son époux, cinq filles qu'elle avait conçues de cinq hommes différents. Après une dizaine d'années de vie conjugale, la jeune Mvoue Bibouan avait machinalement réussi à fabriquer onze enfants dont le seul mâle d'ailleurs le sosie de papa.

L'épouse infidèle s'était fixé deux objectifs précis : combler les vides sentimentaux laissés par un époux qu'elle ne voyait que très tard dans la nuit, couché près d'elle, dégageant parfois les effluves du Dieu du vin dont les senteurs étaient rehaussées par les odeurs de cigarettes et de sueur et, ronflant tel un groupe électrogène. Le deuxième objectif était d'esquiver la famine par tous les moyens. Elle avait pensé qu'en concevant des enfants de différents hommes, elle se verrait « entretenue » par plusieurs géniteurs.

Madame Mongo Nnam était consciente que dans le quartier Elikzi, la famine n'épargnait personne. Aussi avait-elle juré que désormais, elle serait à l'abri de ce fléau. D'ailleurs, Dieu et la nature exauçaient déjà ses voeux. Car, sur onze enfants, ne lui avaient-ils pas donné dix filles ? Oui, elle était mère de dix filles ! Des filles à dompter des mâles les plus résistants. N'eût été ce fainéant de Manbezimbi, elle en aurait onze au total. Onze filles ! Quelle fortune inépuisable dans une capitale où la plupart des grands décideurs marchaient braguette ouverte ! Les concours, les examens, les recrutements se négociaient très souvent dans les « circuits », dans les « chantiers, dans les boîtes de nuit et surtout dans les auberges et les hôtels.

Madame Mongo Nnam n'en avait aucun doute, car elle-même en avait fait l'expérience. Elle était une preuve vivante d'un libertinage sexuel fortement apprécié et encouragé par la gent virile. Malgré son vieillissement rendu brutalement précoce par les accouchements répétés et la misère des débuts en ville, cette reine du concubinage passait rarement un jour sans rendre satisfaction à un mâle. Son extrême disponibilité avait souvent aisé croire qu'elle avait un cycle menstruel qui défiait la science et les calendriers. Il se disait d'ailleurs, et ce n'était plus qu'un secret de Polichinelle, qu'elle utilisait fréquemment certaines herbes et certaines écorces d'arbres rares pour imposer ce rythme à son organisme.

Lorsque ses premières filles sortaient à peine de l'adolescence pubertaire, les mâles, tels des oiseaux prédateurs, fondaient dessus avec des appétits insatiables. Les plus assidus puisaient et dans les entrailles de la mère et dans celles de ses filles l'essentiel de ce qui peut calmer les instincts libidineux d'un mâle en rut. C'est ainsi qu'il se créa un vaste cafouillage sexuel, tel que la génétique en sortait offensée. Ainsi allait la vie dans cette famille au quotidien ; on y mangeait ; on s'y faisait manger.

Dans ce violent tourbillon, le père de famille, le désormais très résigné Mongo Nnam, n'avait pas seulement perdu, pensait-il. Non, il avait aussi gagné, parce que depuis un certain temps, ce qu'il mangeait chaque jour avec tant de délectation débordait de loin cette maigre somme d'argent qu'il laissait au chevet de son lit pour la ration alimentaire de toute la journée !

A la longue, constatant que son épouse ne daignait plus toucher à cette modique somme, il finit par augmenter le budget de ses alcools.

Malheureusement, il avait trouvé la mort un jour de Saturne sur son propre lit ; Mais, ce n'était pas des suites de famine ou de maladie qu'il rendit l'âme. Ce jour-là, sa femme, Mme Mongo Nnam née Mvoue Bibouan avait découché, attirée par l'alcool, le sexe et l'argent. Bien qu'il fût un personnage presque inconnu, le décès de Mongo Nnam fit couler beaucoup de salive. Peu de gens le connaissaient en réalité, lui qui sortait dès le premier chant du coq et ne retournait chez lui qu'au crépuscule et parfois très tard. Beaucoup de gens dans le quartier connaissaient mieux son épouse et se perdaient dans l'identification de son époux réel parmi ce régiment d'hommes qui prenaient d'assaut le domicile conjugal dès le départ de l'époux légitime. Mme Mongo Nnam était devenue très célèbre grâce à ces précieux services qu'elle rendait aux hommes. Elle avait donné naissance à une petite république de filles qui rythmaient les battements des coeurs et rééquilibraient ou déséquilibraient les températures.

Le pauvre Mongo Nnam était parti. Il était mort sans laisser de confidences. La mort l'avait fauché ce samedi-là en pleine nuit, seul dans son lit conjugal. Les langues légères disaient que son épouse était à l'origine de ce coup fatal. Elle le trouvait désormais trop vieux et démodé pour elle. Il la gênait. Ses fréquentations mondaines et des concurrences avec ses propres filles l'avaient amenée à redécouvrir une jeunesse qui lui avait échappé précocement. Avec Mongo Nnam, elle ne pouvait pas prolonger sa vie mondaine jusqu'à l'aube. La seule idée qu'elle partageait ses couches avec ce chargeur éloignait beaucoup d'autres soupirants. Or elle avait un coeur à aimer tous les hommes... elle était devenu «l'épouse » et la « belle-mère » de beaucoup de « grands » de la capitale. Et, tout ce beau monde n'irait pas toujours l'attendre dans les coins de rue !

Pour ne pas réveiller les soupçons, Madame Mongo Nnam avait acheté deux litres d'Odontol dans lesquelles elle avait introduit un poison à effets rapides. Après le retour de son époux, elle lui avait servi le repas du jour et cette boisson déjà transformée. Le pauvre ignorant avait cru lire dans ces soins de madame un signe indubitable d'un attachement toujours solide qu'elle lui témoignait. Et, pour lui rendre grâce, il s'était senti obligé d'en prendre jusqu'à la dernière goutte, sous le regard menteusement affectueux de cette gorgone.

Mongo Nnam était passé de vie à trépas. Couché seul sur son lit, tous ses restes n'étaient plus que l'expression de l'alcool, un alcool pris à dose surhumaine.

La veuve avait tôt fait de faire disparaître l'image du défunt. Chaque jour, elle luttait pour la reconquête de son beau nom de jeune fille. Un nom qui, à lui tout seul, allait à la conquête des hommes. Aussi préférait-elle répondre à Mvoue Bibouan plutôt qu'à Madame veuve Mongo Nnam... ce dernier nom puait la pauvreté, la misère et la prison. En moins de quelques semaines après le départ de Mongo Nnam, elle s'était fait construire une maison de ses rêves, une maison à engloutir une centaine de prétendants et de soupirants. C'était une maison qui dégageait essentiellement les odeurs de femmes et d'amour. Nul ne pouvait y entrer s'il n'était amoureux. Seuls le coeur et le sexe y conduisaient.

On avait vite trouvé un emploi à Manbezimbi. Son cas n'était pas un problème pour tous ceux qui convoitaient sa mère ou ses soeurs. C'était un illustre fainéant qui ne s'était jamais gêné pour se trouver une place dans la société ; c'était lui le proxénète de la famille. Il coordonnait avec une certaine dextérité presque tous les mouvements des siennes. Il se trouvait même des jours où sa moindre mauvaise humeur pouvait coûter une réprimande verte à un séducteur, fût-il déjà solidement implanté. Aussi faisait-on tout le nécessaire pour que le jeune salaud fût aux petits soins. Manbezimbi avait finalement choisi de faire carrière du côté de Mars. Il s'était dit que le rythme de vie des gens en tenue était l'expression d'une certaine aisance des fins de mois. Les baisses de salaires et la dévaluation ne perturbaient en rien leur train de vie.

Grâce à sa huitième soeur, la nommée Célimène Tamzou dont les petits bouts de seins tendaient à peine les tricots. Agée seulement de quatorze ans, la jeune Tamzou connaissait déjà tout ce qui peut se garder précieusement derrière une baguette. Les jeunes recrues de la garde présidentielle en avaient fait leur chasse gardée. C'est chacun qui la berçait avec les histoires vraies ou fausses- des coulisses de la Présidence. Tous ses assaillants lui tenaient le langage de fiançailles et lui promettaient le mariage dès sa sortie de sa quatorzième année. Au milieu de son adolescence pubertaire, Célimène maîtrisait déjà toutes les voies d'accès dans le corps de Arès. Lors d'un des multiples recrutements qui se faisaient parfois tacitement, Célimène avait, après une simple résistance passive à un gradé influent, obtenu l'inscription de son frère aîné sur la liste des recrues.

A peine « recruté » dans la gendarmerie, Manbezimbi qui n'avait aucun diplôme dans son curriculum studiorum, bataillait nuit et jour pour s faire affecter du côté de la brigade des recherches. Par la suite, il réussit à se faire transférer dans l'unité chargée des contrôles routiers, parce qu'il se disait que de ce côté-là, les billets et les bières nettoyaient bien la sueur qui peut couler sur le visage en poussière d'un routier.

Mais, après quelques mois de service de ce côté-là, l'homme, un ivrogne confirmé, avait tout simplement transformé le contrôle routier en une activité lucrative très juteuse. Il finit par se faire appeler  «  Massa Tchopdaï ». Car, l'homme avait l'art de réclamer de l'argent aux chauffeurs autant de fois qu'ils faisaient des aller et retours devant son impériale personne : on eût comparé ses « recettes » quotidiennes aux revenus hebdomadaire du péage.

Un jour, alors qu'il avait suffisamment bu en pleine chaussée pour étancher cette soif provoquée par ce soleil particulièrement déshydratant de chez nous, l'homme semblait perdre progressivement l'équilibre. Mais, cela n'altérait en rien sa vigilance. Chaque engin qui passait devant lui était automatiquement stoppé. Mais, voilà qu'un chauffeur bien malin et entêté avait choisi de ne pas se soumettre aux caprices du sifflet de « Massa Tchopdaï ». Arrivé à dix mètres de lui, ce chauffeur de voiture appelée ici affectueusement « OPEP CLANDO » avait tout simplement fait cracher un épais nuage de fumée par son tuyau d'échappement en morceaux, sur le visage du gendarme cupide. L'homme, courroucé par cet affront jamais essuyé, avait machinalement démarré sa grosse moto de couleur noire et s'était lancé à sa poursuite. C'était sans tenir compte de la dextérité dont font preuve ces chauffeurs des voitures dites clandestines sur leurs routes habituelles. Ce sont des gens qui sont animés par un souci majeur : faire le lus grand nombre de tours en chargeant le maximum de passager et de marchandises possibles.

Ces chauffeurs se comportent comme des gens sans coeur ; leur seul objectif est d'encaisse le plu d'argent, au mépris des vies humaines. Dans un pays où souffle l'aquilon, on pleurerait chaque jour des centaines de femmes arrachées du sommet de leurs marchandises. Autant la cime du chargement avoisine les bouts des grands arbres de notre forêt, autant le poids d'un tel chargement affaisse le véhicule au point qu'il cache ses roues complètement aplaties.

A voir ces voitures circuler à cet état sur nos routes au vingt-et-unième siècle, on croirait que, depuis la production des toutes premières voitures, la science, la technique et la technologie ont refusé de progresser.

Manbezimbi avait juré de rattraper ce chaffard clandestin, insolent y et égoïste qui avait osé le mettre au défi, lui Manbezimbi, fils de Mme Mvoue Bibouan et frère très aimé de tant de belles filles qui voyaient chaque jour tous les puissants de la capitale se prosterner à leurs pieds ! Que lui arriverait-il même s'il tuait dix chauffeurs par jour ? Rien à son avis : l'armée, c'était lui. La justice, c'était toujours lui. Ses Soeurs étaient des appâts fortement appréciés des magistrats et des hauts gradés de l'armée. Tout cela constituait pour lui des motifs de zèle, de fierté, d'impunité et d'immunité

Il n'avait pas attendu son retour pour le traquer. Mais l'épais nuage de fumée que cette ferraille ambulante avait vomi ne permettait pas de l'identifier aisément. Tel un voile couleur de nuit, cette fumée épaisse et très salissante des usines de houille semblait envelopper le véhicule épuisé qui tel un poisson dans l'eau, glissait sur la route bitumée, malgré sa charge colossale Manbezimbi, galvanisé par l'alcool et surchauffé par la chaleur, démarra sa moto, réajusta son casque, fixa ses lunettes et se lança à sa poursuite. C'était désormais une véritable chasse à l'homme telle qu'on l'aurait vécue dans un film western. Par moments, il tentait de déborder le chauffeur fugitif de tous les côtés, même au grand mépris du code de la route et de la prévention routière. Mais, ces tentatives étaient toujours anéanties par les passages de camions ou de quelques véhicules. L'homme sortit son pistolet de sa main droite et fit une tentative à gauche pour mieux cibler son ennemi, puis, n'ayant pas réussi, il crut plus facile et plus efficace de tirer sur les roues de la voiture. Cependant, non seulement la fumée ne lui laissait aucune chance d'en finir là, mais aussi, les roues étaient perdues on ne savait où. De temps temps, c'était plutôt la carapace de la voiture qui en grattant l'asphalte, produisait des étincelles qui ne manquaient pas d'effrayer le gendarme.

Le chauffeur avait tenu son pari : résister à cet ogre qui, à lui tout seul, représentait un obstacle à son épanouissement et à la prospérité de ses confrères et des populations. Ses fréquents zigzags sur la route lui valaient d'ailleurs des salves d'applaudissements. Manbezimbi, dans un cafouillage, avait essayé une ultime fois de tirer à tout hasard dans la brume opaque qui se dessinait continuellement devant lui et l'enveloppait. Cette fois-ci, il réussit à mettre en menus morceaux tout ce qu'il restait de rétroviseur à cette voiture : un soupçon de miroir que le chauffeur avait acheté un jour pour se sauver d'un contrôle. Choqué après avoir constaté qu'il n'avait pus de « rétroviseur », le chauffeur décida de faire une riposte exemplaire, sur-le-champ.

Après de nombreux zigzags auxquels il avait soumis le gendarme, l'homme en colère amorça un virage sur une route non bitumée assez accidentée et poussiéreuse, à toute vitesse. Le pauvre gendarme, piqué par le virus de la vengeance, tel un automate pris dans une double enveloppe de fumée et de poussière, perdit immédiatement la boussole et après avoir perdu connaissance, sa grosse moto alla percuter le flanc droit de la voiture en escapade au milieu d'un petit pont et, elle le projeta comme un plongeur maladroit, vers l'aval du cours d'eau. N'eût été la présence des petits campagnards qui, après avoir lavé leurs haillons, se baignaient là ce jour-là, Manbezimbi aurait été emporté, pour l'éternité, par les eaux rouges de la rivière.

Manbezimbi fut récupéré in extremis mais la moto était irrécupérable. Tel un avion qui a chuté, cette moto ne se reconnaissait plus que par les quelques pièces détachées qu'on pouvait ramasser çà et là dans les herbes.

Du côté de la gendarmerie, c'était clair. Il fallait stabiliser Manbezimbi, sans quoi on le perdrait un de ces jours. On l'admit enfin dan un service qui lui convenait aussi bien : fouetter quotidiennement les prévenus, du moins leur « donner du café » comme on le dit ici par euphémisme.

Manbezimbi s'était illustré dans la bastonnade au point où à l'unanimité, on lui donna un titre de commandant. Il se disait ici qu'une bonne dose d'alcool et un peu de chanvre le rendraient particulièrement farouche et infatigable. Ses yeux toujours rouges et sa moustache hirsute suffisaient seuls à apeurer un prévenu et l'amener à cracher ses forfaits. Ce dévouement à sa nouvelle tâche et cette dextérité dans l'art de châtier les ennemis de l'ordre public lui avaient valu des félicitations. Et, il finit par devenir lui aussi commandant, dans cette gendarmerie où il y avait beaucoup de commandants. Il y avait un commandant d'escadron, un commandant de compagnie, un commandant de brigade. Lui, était le plus célèbre de tous : c'était le fameux « commandant des brimades ».

Manbezimbi pouvait à lui tout seul châtier en une demi-journée toute une ville ! Il aimait rappeler à tous ceux que le sort conduisait chez eux que c'était un très mauvais lieu. C'était cet homme sous l'effet incandescent de l'alcool et de la drogue qui avait la responsabilité de garder toutes les clés de cellules. Tâche qui, à la longue, lui avait donné de l'influence. Car, tel un cerbère noir, il connaissait un règne sans partage sur ce monde de Pluton.

- Aujourd'hui, continua l'oratrice, nous avons passé toute la matinée ici ensemble. Mme Manbezimbi n'était pas accompagnée. Elle m'a dit qu'elle vit chez elle avec l'une de ses soeurs cadettes. Mais, son mari lui avait fait des avances plusieurs fois sans succès. Malheureusement, un jour, le copain de cette fille était passé la chercher, à une heure où Monsieur dînait. Dès qu'il avait aperçu son rival, il était allé chercher son arme. Pendant ce temps, le jeune homme avait pris ses jambes au cou. Manbezimbi avait alors profité de cette occasion pour fouetter cette fille qui avait fini par s'enfuir pour le village.

Ce matin, l'enfant l'a beaucoup secouée. Et, à chaque minute, elle se croyait en train d'accoucher. Une infirmière accoucheuse est venue vers nous et elle a récupéré nos carnets de visite. Elle n'a même pas eu le temps de feuilleter celui de Mme Manbezimbi. Elle s'est tout juste contentée de s'attarder sur son nom. Après avoir constaté que cette femme était l'épouse d'un homme en tenue, elle s'est enflammée :

«Ah bon ! Oui, Ah bon ! Oui, oui, c`est vous. C'est vous les femmes des hommes en tenue, les gens qui engloutissent tout le budget de ce pays. Hein, dans l'armée, même un « sans galon » qui n'a même pas le CEPE gagne plus du triple de ce que les infirmières diplômées d'Etat gagnent... de toutes les façons, je vais vous montrer qu'ici, c'est nous les civils qui commandons » Dès qu'elle a fini de vomir sa colère sur la pauvre femme, elle lui a jeté le carnet sur le ventre et, elle s'en est allée. Quelques temps après, une autre infirmière s'est amenée. Mais, au lieu de lui demander de monter sur la table d'accouchement, elle lui a plutôt demandé d'aller se promener dans tout l'hôpital. La pauvre femme qui n'avait plus de jambes pour rester debout s'est écroulée et, l'enfant s'est échappé pour s'écraser sur le sol.

« A moi, elle a demandé de lui offrir cinq paires de gants, un demi-carton de savon, cinq flacons d'alcool, des thermomètre, les compresse et un carton d'antitétaniques. Tout cela, elle devait l'avoir avant que je monte sur la table ! » Précisa-t-elle.

Et, il était là, le petit Manbezimbi à qui on n'avait pas encore donné un nom patronymique, cet enfant de la crise des mentalités. Il était là, écrasé sur le sol souillé de la maternité, cet enfant de la dévaluation. Il était bien là, gisant en pâte, cet enfant de la baisse drastique des salaires. Cet innocent n'avait pas demandé à être conçu. On l'avait conçu t, il était tout de même arrivé dans le monde cruel de ces humains qui avaient à jamais enterré leur gouvernail moral. On vivait dans une république, mais la notion élémentaire de « Res publica » était totalement ignorée des citoyens en proie aux flaires de rapaces et aux appétits de loups.

La pauvre femme qui avait perdu son rejeton et qui était dans un état de santé préoccupant était, elle aussi, transportée de toute urgence dans la salle des grandes urgences pour des soins intensifs. Là reposait son époux. A la vue de ce dernier, elle crut que toutes ses douleurs quittaient son corps. Les médecins qui veillaient à leur chevet répétaient à tout venant : « Nous croyons que leurs vies ne sont pas tellement en danger. Ils ont reçus des soins et ... et aujourd'hui, c'est tout de même le jour du Seigneur. »

* 1 Oh ! Dieu, toi qui crée les hommes !

* 2 Oh ! Sainte Marie, mère de Dieu

* 3 Oh ! Au nom de Dieu !

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery