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Roman: "Voix étranglées "

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par Jean- Baptiste NTUENDEM
Université de Dschang - Master 2 2011
  

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CHAPITRE V

C

'était un an plus tôt. Cette flamme vive qui couve au fond du coeur des âmes sensibles s'était allumée un jour de Vénus, tout juste vers le début du mois de Junon. C'était par une après-midi fraîche, dans les jardins d'un des rares parcs qui avaient pu résister à la négligence des pouvoirs publics et à l'insouciance des populations emballées par d'autres préoccupations.

Le parc était situé dans une zone reculée du centre des affaires et de ces quartiers populeux qui agressaient la mère nature de leurs ordures. Sa vaste étendue lui permettait d'ouvrir ses portes à un large public. Les gens de tous les horizons s'y rendaient du jour de la lune au jour du seigneur. Ce parc conçu et réalisé après les indépendances était divisé en vastes étendues réservées chacune aux animaux et à la flore.

Pour beaucoup de visiteurs, le parc zoologique était le lieu le plus attrayant. Pour s'y rendre, ils partaient de chez eux avec des provisions : bananes, goyaves cerises, cannes, orange, ananas et beaucoup d'autres fruits.

Ce parc était malheureusement le plus dangereux et le plus redouté. On ne pouvait s'y rendre alors qu'on était peureux. Les responsables, pour limiter les dégâts, avaient construit une haute barrière épaisse, avec des fils barbelés aux extrémités. A l'entrée, il y avait toujours des gardiens. Ils contrôlaient les entrées et les sorties. A l'intérieur, il régnait des gardes.

Avec le temps, il s'était même crée un vaste marché très animé autour du parc. On s'épargnait la peine de parcourir la ville avec des provisions. Pour aller visiter ces bêtes qu'on ne voit très souvent que sur images ou à la télévision, on s'empressait de leur acheter tout ce qu'elles pouvaient consommer et tout ce qu'elles aimaient utiliser pour se distraire. Beaucoup de produits et d'objets que nous croyons être l'apanage des humains leur étaient réservés. On achetait : cigarettes, bonbons, poules, livres, journaux, vêtements et même les produits de beauté. Les femmes et les jeunes filles aimaient à apporter du rouge à lèvres et des vernis.

L'intérieur du parc zoologique était grand, tel un village dans un village. Il était divisé en quartiers distincts : quartier des chimpanzés, des singes, et des cynocéphales, des reptiles, des éléphants etc. et du lion !

Le lion était le seul animal à vivre seul dans son quartier. On ne lui avait pas encore trouvé une autre compagne depuis le décès de la précédente, lui qui était pourtant l'un des habitants les plus anciens de cette jungle apprivoisée. Il était tout majestueux dans sa parure et dans ses allures. On avait de la peine à croire que c'était bien de lui, que les légendes et les documentaires parlent. Sa vaste demeure ne lui permettait pas de régner librement et en maître sur cette gent animale qu'il n'apercevait plus que de loin. Il ne pouvait plus convoquer tous ses sujets pour faire réflexion sur les problèmes qui étaient les leurs.

Les visiteurs du lion se recrutaient le plus chez les zoophiles, les zoologistes et les touristes. L'illustre roi solitaire sans trône ne pouvait passer une seule seconde sans être ébloui par les flashes que projetaient les centaines d'appareils qui se bousculaient pour l'immortaliser.

Pour tester sa voracité ce carnassier, les visiteurs nantis lui amenaient des chèvres et des chairs de vaches. Il se livrait donc à une belle partie de ripaille. Le roi des animaux, sans grande peine, les mettait à mort d'un seul coup de crocs. Il était tout sourd à leurs cris piteux qui alertaient le parc. Après, dans un calme seigneurial digne des grands rois, il dépeçait ses victimes sans défense. Le repas fini, le ripailleur insensible allait se coucher, inoffensif dans un recoin de son royaume.

Le quartier des chimpanzés était le plus bruyant et le plus animé. Ce qui lui valait une grande sollicitude. Cette particularité tenait du fait qu'il s'y offrait des spectacles très alléchants. Un autre fait très accrochant, ils ressemblaient par bien de comportements aux hommes. Certains qui s'étaient illustrés par leur habileté et leur intelligence avaient le succès de se faire habiller.

Aux femelles, on cousait de jolies robettes et des jupettes. Parfois, on leur donnait également des jupes-culottes. Aux mâles, on réservait des tricots, des chemises, des pantalons et des culottes.

Lorsqu'on voulait leur faire jouer certains rôles : les galants, les princes charmants, les déçus, on leur faisait porter des chapeaux à bords larges ou repliés. On les habillait convenablement et ils recevaient des paquets de cigarettes, d'allumettes et aussi des journaux. Lorsqu'ils se pavanaient, la ressemblance avec l'homme devenait plus nette. Ils se mettaient à jouer les rôles qu'on leur attribuait. Les femelles faisaient la cuisine, les mâles, très admirés, jouaient ou se livraient à des combats de boxe.

Parfois, très contents, ils se livraient à des séries de sauts périlleux. Bien des fois aussi, ils jouaient les amoureux, et c'étaient les moments où il fallait avoir suffisamment de muscles résistants pour pouvoir s'accrocher et les observer. Les autres quartiers se vidaient littéralement. On ne les avait jamais entendu dire : « je t'aime », c'était là le plus grand rubicond qu'ils n'avaient jamais pu franchir. Mais, les gestes ne trahissaient aucunement leurs sentiments. Ils négociaient bien les avances. Ils réussissaient aisément à s'embrasser et à se bécoter. Mais, s'accoupler devant tant de regards, ils n'avaient jamais accepté ce sacrilège.

Le chimpanzé le plus intelligent de tous s'appelait Lucky. C'était un grand chimpanzé noir. Son grand visage plat, presque écrasé, était traversé par de profondes rides. Ses doigts, longs et gros, sa main, très large pouvaient lui permettre de soulever deux hommes colosses. Il partageait sa vie avec une douce compagne : Lady. C'était le couple le plus ancien des chimpanzés. Cela leur avait toujours valu du respect et un peu plus de cadeaux.

Lucky n'avait pas voulu bénéficier exclusivement des fruits de son âge. Il avait mis ses multiples talents d'amuser au service de sa renommée. C'était un artiste complet.

Un jour, alors que tout le parc se reposait, Lucky et sa compagne s'étaient adjugés tous les visiteurs. C'était un jour exceptionnel. Tout avait commencé par une série d'acrobaties de routine dont eux seuls détenaient le secret. Les jeunes qui en raffolaient leur gratifiaient de régimes de bananes.

Ce jour-là, Lucky était d'une belle chemise rayée de noir et d'un pantalon rouge .il portait un chapeau aux bords larges. Ses larges orteils qui ne pouvaient pas accepter l'enfer des chaussures étaient logés dans de grosses chaussettes élastiques. Il lui était demandé de jouer le prince charmant. Il s'assit confortablement sur une petite chaise. Après avoir croisé les pieds et les mains, il appela sa compagne d'un clignement de l'oeil droit. Telle une épouse complice, elle s'amena très vite. Après lui avoir gratifié de quelques caresses, il lui montra le paquet de cigarettes et les allumettes. Lady s'exécuta. L'habile séducteur sortit une cigarette et l'accrocha à ses larges lèvres fines et très noires. Après avoir réajusté son chapeau de Western, d'un geste machinal, il claqua la bûchette et alluma aisément sa cigarette. Ces gestes techniques d'une rare beauté lui attirèrent des applaudissements prolongés. Après avoir craché un épais nuage de fumée, il prit son journal des mains de Lady et se mit à le feuilleter. Tout le monde était muet de surprise.

Tous les chimpanzés n'étaient pas de la classe de Lucky et de Lady. Certains semblaient vouloir faire échec au dressage. Kiki était de ceux-là.

Un jour, un visiteur inexpérimenté s'amena naïvement. Il se dirigea vers la cage de Kiki qui vivait avec toute sa famille. Le visiteur s'était approché d'eux avec un régime de bananes destiné à tout le parc. A sa vue, la famille infernale se mit à grimacer. L'homme, leur envoya une bonne dizaine de bananes, mais sans bénéficier d'un moindre spectacle. Le mâle sortit son long bras noir du grillage pour en demander davantage. Pris de pitié, leur hôte imprudent y déposa quelques doigts bien mûrs. Cet exercice dangereux se répéta jusqu'à ce que, sachant que le régime était désormais nu, Kiki lui tendit sa main fatale en guise de reconnaissance. C'était un piège que le visiteur n'avait pas dépisté. Il introduisit sa petite main sans force. Le monstre la maîtrisa de toutes ses forces de fauve et, d'un geste mécanique, il tira le pauvre. Toute sa famille l'assomma à le faire périr. L'homme, après quelques minutes de résistance passive, s'abandonna aux bêtes féroces. N'eut été la présence de quelques gardes vigilants qui étaient de passage, le visiteur serait passé de vie à trépas. Il fut rapidement transporté dans un hôpital de la ville.

Les cynocéphales n'étaient pas très nombreux. C'était une espèce récemment introduite. La curiosité qu'ils offraient à voir, c'était leurs têtes de chiens et leurs fesses rouges, semblables à de blessures incurables.

Les singes, eux, se comptaient par centaines. On éprouvait du plaisir à voir les guenons attentives chercher avec application les puces sur le corps broussailleux de leurs époux, pendant que leurs petits venaient s'accrocher à leurs petites mamelles pointues. C'étaient des scènes très fascinantes. Tous les parasites dénichés sur les corps étaient directement transférés dans la bouche. On se demandait avec surprise combien il en fallait de puces pour remplir leurs ventres en quête perpétuelle d'un support alimentaire.

Les reptiles étaient là, toujours sournois et calmes. Ils étaient peu visités parce qu'offrant très peu de spectacles et surtout parce qu'ils étaient très effrayants. Les crocodiles et les caïmans séduisaient quand même. On les voyait parfois sortis de l'eau et se reposant. Leur habileté à attraper les poules avec leurs longues gueules jalonnées de volumineux crocs en forme de clous fascinait. Parfois, n'ayant plus rien à se mettre dans le ventre, ils glissaient dans l'eau et s'y tassaient. Seuls leurs gros yeux globuleux y trahissaient leur présence.

Les serpents avaient toujours effrayé tout le monde ; ces êtres rampants, à leurs seuls mouvements, créaient une folle débandade. On n'arrivait pas à les regarder pendant une minute. Parfois, leur vue faisait penser aux ascendants bibliques de l'humanité. On se demandait comment ils avaient pu réussir à parler à Eve et l'induire dans cette fatale erreur qui est la cause suffisante de notre malédiction. L'extrême vigilance des gardes avait toujours favorisé la survie de cette espèce.

Un cou kilométrique protestant une petite tête vers les nues, quatre pattes en forme de brindilles, voilà ce qui amusait tous les amis des girafes. Les voir s'abreuver était parfois le plus beau spectacle qu'elles offraient.

On les appelle les onguligrades et ils sont de l'ordre des prosboscidients, ils ont des oreilles aussi larges que les feuilles de taro bien épanouies, leurs défenses, très précieuses, les exposent cruellement au braconnage, ils ont une peau rugueuse, épaisse et dure. Les éléphants d'Afrique étaient très respectés par les visiteurs parce qu'on disait d'eux que tout sur eux avait une vertu thérapeutique, même leur fiente !

Ainsi allait la vie au quotidien dans cet univers qui mérite bien la protection de l'homme.

Une fois de plus, Angeline NDOLO ne s'était pas rendue de ce côté-là. Elle avait trop peur des animaux, surtout la faune sauvage dont les réactions sont parfois très imprévisibles, malgré le dressage. Elle aimait la douceur, le calme, bref tout ce qui peut se prêter à une sensibilité romantique. Elle avait préféré l'autre côté, celui des fleurs.

Le jardin botanique, quel vaste tapis de couleurs ! Le jardin botanique était très fréquenté. Sa fréquentation laissait lire des statistiques astronomiques qui montraient l'importance des fleurs dans la vie humaine. C'était un véritable monde de divertissement et d'extase. Mais, c'était aussi la chasse gardée des photographes, des écrivains et des amoureux.

Tous les écologistes et les environnementalistes qui faisaient des inspections périodiques ou permanentes croyaient devoir y lire les succès de leurs sciences et de leurs luttes.

Menkaaseh', qui venait d'achever la lecture des Rêveries du promeneur solitaire s'était rendu seul au parc, dans l'après-midi, comme de coutume, ce jour de Vénus. Le jeune étudiant s'y était retiré, non pas pour fuir un éventuel complot de la société, mais pour se soustraire momentanément au travail intellectuel et pour se délasser, pour rêver. Il savait, d'après ses lectures, que la nature, lorsqu'elle n'est pas agressée, est une douce et prudente mère qui tient un langage rassurant et édifiant.

Le jardin s'étendait à perte de vue sur plusieurs hectares. Les fleurs, d'une très grande variété, étaient plantées selon les espèces, les couleurs et les parfums. Dans un angle isolé du jardin, dans un grand hangar, des fleuristes s'activaient. Pendant que certains s'employaient au rempotage qui se faisait périodiquement, d'autres travaillaient la terre. La tâche, apparemment aisée, nécessitait une très grande délicatesse. Les plantes cultivées du pot étaient à l'étroit. Le reproduction chez les fleurs obéissait à plusieurs méthodes : le semis, les semailles, la division de touffes, l'éclatage, le drageonnage, le labourage et le marcottage.

Vu à partir d'une certaine altitude, le jardin présentait des figures géométriques savamment tracées. C'était un cadre soigneusement segmenté par des espaces blancs. Il s'agissait des différentes allées qui le desservaient. A chaque point de rencontre de ces multiples allées, il y avait de vastes bassines en béton qui émettaient des jets d'eau. Par endroit, dans des allées larges, étaient alignés des bancs publics. Ils étaient cependant espacés les uns des autres. Assis sur ces bancs, le vent recueillait et transportait des parfums que distillaient ces fleurs vers nous.

La première rangée était essentiellement composée des plantes fleuries d'intérieur. Leur habile disposition faisait penser à une exposition. Chaque espèce portait son nom qui renseignait facilement les visiteurs.

Lorsqu'on se retrouvait dans l'enceinte proprement dite du jardin, à droite, on apercevait les belles hortensias qui se laissaient découvrir sous leurs différentes formes et couleurs. Par endroit, leurs touffes de feuilles vertes et légèrement humectées supportaient de volumineux amas de fleurs blanches, roses ou rouges qui ne laissaient pas découvrir les petites tiges qui les supportaient. Certains papillons aux formes et aux couleurs les plus variées venaient fréquemment y former des cercles harmonieux, on eût dit qu'ils célébraient des cérémonies nuptiales.

Tout à côté, une autre longue rangée se dessinait. Le Cyclamenpersicum créait le contraste avec ses maigres tiges étrangement longues qui s'élevaient très haut au-dessus des pots. C'était une plante compacte, aux feuilles plutôt marbrées, aux fleurs blanches, roses, rouges violettes. Leur disposition en forme étoilée créait une vivante harmonie. A certains endroits de la rangée, on avait fait un savant mixage de toutes ces quatre couleurs, ce qui apportait un relief particulier dans la disposition de tous ces beaux éléments floraux.

De toutes les plantes, le poinsettia était celle dont les feuilles étaient les plus arrachées. La raison, avait expliqué un fleuriste, c'est la forte ressemblance qui existe entre ses feuilles et celles du manioc. Les visiteurs les arrachaient pour mieux les observer.

Ce triste sort, l'azalée indica dont les fleurs multicolores dominaient le beau feuillage vert luisant ne l'avait jamais connu. L'aspect broussailleux de ses fleurs et de son feuillage laissait difficilement voir à quoi ressemblaient ses tiges.

Les plantes fleuries fragiles bénéficiaient d'une attention soutenue. Les bougainvillées qui se présentaient en arceaux et en buissons baignaient dans une forte luminosité et dans une chaleur importante. L'hibiscus était là. Comme dans la ville, elle servait à établir certaines frontières. Son feuillage touffu et mousseux était l'objet d'une forte admiration.

Les belles fleurs blanches et odorantes du jasmin n'avaient jamais eu la chance du soleil : presque tous les visiteurs tenaient à en avoir avec soi. Ces fleurs exhalaient un parfum exquis qui guérirait même les gens frappés d'anosmie.

L'un des charmes de ce jardin était, au centre, les trois losanges constitués du bromelia au feuillage vert blanchâtre dont la fleur rose pâle avait des points bleus.

Il y avait une kyrielle de fleurs : le nidularium tricolor, sorte de plante en rosette, le guzmania à la petite taille, les palmiers décoratifs qui dominaient le jardin de leur stature remarquable comme le majestueux kentia forteriana, le cocos weddeliana au feuillage fin et le phoenix canariensis au feuillage ébouriffé.

Avant d'atteindre les rangées des plantes résistantes, des plantes retombantes et des hautes plantes envahissantes qui s'accrochent aux murs et aux grilles, on était très attiré par les rosiers plantés sur un terrain tapissé d'un gazon d'une verdure très éclatante, soigneusement tondu. Ces plantes étaient les plus adorées et convoitées. On distinguait : le rosier tige, le rosier pleureur avec sa forme parasol et le rosier miniature à fleurs minuscules dont la taille n'excède guère les trente centimètres.

Dans ce grand concert de fleurs aux sucs précieux s'élevai une musique. La musique modulée et stridente de certains oiseaux et la musique des odeurs. Aux odeurs humaines se mêlaient les odeurs suaves et câlines de fleurs.

A droite comme à gauche des grandes allées comme dans les grands cercles qui tenaient lieu de carrefour, des suites de bancs publics servaient de reposoirs. Une certaine catégorie de jouvenceaux joufflus de familles bourgeoises batifolaient sur les voies publiques. Dans leurs courses folles, ils arrachaient des gens à leurs rêveries.

Menkaaseh' Innocent était assis là, sur un de ses bancs préférés qui bordaient l'allée principale du jardin. Il avait déjà parcouru tout le jardin. Derrière lui, une mer de blancheur exhalait des parfums exotiques. C'étaient les fleurs blanches et odorantes du jasmin qui, sous la caresse du Zéphyr qui venait du côté occidental du jardin, provoquait une belle ondulation sur leurs extrémités.

Placé à une distance reculée de ce lieu, on croirait que ces hommes et femmes assis étaient engloutis par les flots.

Un soleil tamisé jetait ses faibles rayons crépusculaires sur les cheveux noirs et mousseux des rêveurs qui reflétaient bien les éclats de sa lumière dorée. Menkaazeh' était très bien habillé, simplement, mais d'une propreté éclatante. La main gauche allongée sur le dossier chaud qu'une jeune dame rondouillarde et mafflue venait de quitter, le regard emporté par l'immensité de ce tapis de fleurs, il caressait ses lèvres et son nez d'une fleur de jasmin dont il s'abreuvait d'un parfum velouté.

Soudain, il revit venir vers lui l'ombre d'une créature. C'était cette charmante fille au sourire de perle et aux cils de vierge. C'était encore cette svelte basanée, suffisamment velue, à la démarche de mannequin et aux pas légers. De ses yeux noirs légèrement soulignés d'un crayon fin, et, encadrés sous des sourcils taillés légèrement en surface, sortait un regard doux et envoûtant. Sa poitrine haletante que ceinturait un soutien-gorge noir tendait le T-shirt qu'elle avait bien enfilé dans une culotte Kaki.

Les cheveux au vent, elle s'avançait d'un pas sûr comme calculé, une grosse touffe de roses d'infinies variétés de couleurs dans les mains. Toute cette mosaïque qui exhalait une odeur de plaisir et de volupté était surplombée par la rose impériale.

C'était une fille telle que l'homme aime les voir. Son passage ne pouvait pas laisser indifférent. Menkaaseh' retira machinalement son bras tendu. Cette même appréhension traversa encore son corps. Son coeur une fois de plus, comme par le passé, se mit à émettre des vibrations avec une accélération bien cadencée. Le prisme sous lequel il avait revu la jeune fille avait rehaussé son lustre ; elle était devenue plus belle et très ravissante.

Avant qu'elle ne prenne place, le mignon aux manières raffinées avait délicatement pris des dispositions. Un sourire dissipé sur les lèvres fines soulignées d'un noir couleur de la terre, Angeline laissa ses soixante kilogrammes sur le banc. De leurs regards se mit à brûler une flamme vive

Ces belles fleurs et leurs doux parfums vitaux avaient finalement réussi à attirer l'un vers l'autre. Ils se donnèrent des fleurs en échange, gestes ponctués de sourires. C'étaient des fleurs qui véhiculent un langage ésotérique. Pour la première fois, ils réussissent à se regarder longuement, mais, la bouche restait interdite. Peut-être les mots qui n'expriment pas toujours aussi exactement que possible ce que le coeur et l'esprit pensent auraient-ils trahi leurs tendres sentiments jusqu'ici déguisés. Peut-être le faisant, la langue qui se querelle régulièrement avec les dents aurait-elle provoqué un perfide lapsus ?

Convaincus qu'une force de la nature les appelait depuis, l'un vers l'autre, ils s'étaient enfin défaits de l'hésitation qui les avait toujours fait tergiverser pendant leurs rencontres désormais, la bouche pouvait prendre le relais et assumer ses responsabilités. Les mots allaient confirmer ce que les regards et les gestes avaient souvent exprimé.

Dans l'air frais du jardin au crépuscule se distillait inlassablement une musique des odeurs : parfums sucrés des fleurs, odeurs humaines, odeurs sensuelles, odeurs d'amour. C'était bien là enfin, sur ce long banc blanc, au crépuscule de ce jour de la sublime Vénus que le désir ardent les avait embrasés. Les mots pour exprimer ce désir aigu arrivaient désormais à grands flots et inondaient leurs bouches aux lèvres sans résistances.

Menkaaseh' prit son courage viril ; il fit passer ses doigts dans les crins des cheveux d'Angeline comme pour y dégager quelque corps étranger ; elle lui sourit largement ; c'était un bon signe. Peut-être aurait-elle souhaité qu'il prolongeât le séjour de ses doigts sur ses cheveux ?

- Douce colombe, souffre enfin que ma main impure souille l'onde de tes cheveux. Tu es une métaphore incarnée de cette rose et, je n'ose pas croire que tu sauras te défendre de ce que tes regards pleins de grâce m'ont toujours signifié depuis que nous rencontrons dans ce jardin.

- Doux coq, ne te fais aucun doute au sujet des messages que ton coeur a toujours reçus. C'est le langage de l'amour, le tendre amour, cette flamme qui étincelle au doux régal des yeux des amoureux, c'est l'amour aux douceurs câlines qui me l'a toujours dicté. Timidité et prudence de femmes, je n'avais pas eu de courage pour te parler.

- Non, c'est plutôt une timidité courageuse et une prudence salvatrice, qui protègent toujours la femme d'un éventuel amour aveuglant et manifestement tyrannique, ma mie. Tu sais la nature est très riche en conseils. Et lorsque ta nature de femme qui est de surcroît très intuitive te guide, ne te montre pas rebelle tu as eu raison de l'écouter et de lui obéir.

- Certainement.

- Alors, je suis Menkaaseh' Innocent, étudiant en lettres. Je peux dire que tous ces jours-ci, je suis en « stage bloqué », hein, un peu comme chez les compétiteurs. Je vais affronter la licence dans deux semaines. Tu sais, j'aime les fleurs ; je les adore. J'aime leur douce musique ; j'aime... leurs couleurs sonores. Voilà, tiens, c'est le jasmin dont j'ai toujours cru que le parfum régénérait mes cellules.

- Merci, tu es très gentil et je te trouve doux et sympa.

- Merci pour les compliments. Voyons, pardonne ma curiosité, ma mie. Puis-je savoir à qui la fortune me permet enfin d'avoir l'honneur ?

- Humm ! Heu ! Ne t'inquiète pas hein ? Ne t'inquiète pas... C'est la moindre des choses. Je nourrirai ta curiosité en lui disant que je me prénomme Angeline. Et, NDOLO c'est mon patronyme oui, trois syllabes seulement. Et pour l'heure je prépare le bachot. Comme toi, j'aime les fleurs, j'en raffole. Tu l'as certainement déjà constaté. J'adore les fleurs, surtout la rose. Regarde ces formes étoilées, c'est presque un miracle de la nature !

- C'est bien. Tu sais, le baccalauréat, c'est le tout premier diplôme universitaire. Lorsque tu réussis à l'obtenir, tu as l'impression qu'on t'a donné la clé de l'univers. Nous verrons dans quelle mesure je pourrais t'être utile.

- Merci, c'est vraiment gentil .je trouve ça encourageant. Dis, comment trouves-tu cet univers depuis que tu le fréquentes ?

- Humm ! Où crois-tu qu'on pourrait trouver l'Eden, ma mie ? Ca c'est un monde édénique ! J'ai toujours cru que ce jardin était une grande page romantique sur laquelle la nature, de sa plume délicate et habile, a écrit ses plus belles phrases : des phrases colorées, parfumées, des phrases tendres, des phrases d'amour.

- Aïee ! Que tu t'exprimes bien ! On dirait ... un poète. Ça coule et... c'est limpide et beau. Alors, un petit exercice, hein ? Tu veux ? Décris fidèlement celle que tu as à côté de toi.

- Tu veux que je fasse un portrait de toi ? Ça c'est une colle ! Humm, Humm... Humm... Ah, mais c'est pas facile, hein ?

- Vas-y, vas-y. Je suis...

- Laisse-moi prendre du recul, hein ? Bon, voilà. Ce qui me frappe en toi, c'est ton charme voluptueux ; c'est ton teint basané de jeune quarteronne guadeloupéenne, ton élégance d'une maîtresse de danse. Ce sont ces longs cheveux ondulés ; c'est la fraîcheur vespérale que dégagent tes cuisses à la peau de velours, ce sont ces belles jambes à la peau de soie. Ce sont aussi et surtout tes douces lèvres fines et finement soulignées, Ah ! Et cette voix suave, on dirait une voix de berceuse professionnelle. Enfin, ce sont tes beaux yeux qui dégagent une lumière dorée, des yeux où brûlent ces flammes de volupté qui embrasent mon coeur.

- Voilà, voilà ! Je ne me suis pas trompée. Tu as le « langage », tu as « le verbe ». Tu as un verbe d'Orphée. Ça c'est bien. J'aime la langue française ; j'aime les langues, surtout lorsqu'elles sont parlées ou écrites par des plumes de talent.

La conversation se nourrissait et se conduisait profondément au mépris des regards concupiscents des visiteurs et des visiteuses. On pouvait difficilement soupçonner que ce n'était que cet après-midi là qu'ils avaient réellement commencé à se parler. Tout s'était très bien négocié. Surtout que l'amour seul guidait leurs pas et leurs coeurs.

- Angeline, des projets ?

- Euh !... Disons, oui. Pourquoi pas ? On doit toujours en avoir, et parfois, on en a plein dans la tête. Mais, avant tout, le bachot. Bon, après, on verra. Pour la préférence, je penche beaucoup pour la profession d'avocat.

- Tu seras donc obligé de passer par la fac de droit, quoi ?

- Oui, forcément.

- Une motivation particulière ?

- Humm ! Disons, la plaidoirie, ça me plaît, vraiment. C'est le domaine par excellence où l'éloquence et la rhétorique sont mises à l'épreuve. Ensuite, on éprouve toujours du plaisir et de la satisfaction à défendre et à sauver des compatriotes. Tu sais, en plus dans une société en perte d'équilibre moral comme la nôtre, hein ? L'avocate, ça peut bien aider, non ?

- Euh ! Oui, oui, c'est bien, c'est bien pensé. C'est une profession qui peut bien t'aller ; tu en as le charisme ; calme, réfléchie, pondérée... éloquente.

- Tu trouves ?

- Oui, tu es éloquente. C'est un aspect de ton portrait que je viens de dépister.

- Merci. Et toi ? Un Ronsard ? Un Chateaubriand ou rien ?

- Enseignant. J'aimerais bien enseigner. J'adore cette profession ; c'est pour moi une vocation.

- Ah bon ! Tu trouves qu'elle peut te convenir, cette profession ? Enumérons-en les problèmes : les effectifs pléthoriques, pas d'infrastructures adéquates, des classes toujours poussiéreuses, de la craie et de la poudre de craie tous les jours...allons-y. les coups bas, les jalousies des collègues, les rancunes des élèves paresseux, l'ingratitude de ceux qui réussissent, les affectations fantaisistes, les nuits blanches et... et pour combien ?

- Ma puce, je ressens cela en moi comme une vocation. C'est un appel. Je braverai tous les obstacles. J'aiderai notre jeune nation à former et à éduquer sa jeunesse, ses populations.

- A t'entendre parler, je devine déjà que tu mettrais toute ta verve de Cicéron au service de ta cause. Mais, je lis également en toi des talents de poète, d'écrivain en général.

- Tu crois que je sois capable d'aller plus loin que ce que j'ai fait tantôt ? La poésie, le roman etc. Ne se limitent pas aux portraits, fussent-ils envoûtants ou aux descriptions. L'écriture c'est toujours plus...

- J'aime la lecture Innocent, j'aime la littérature. C'est un merveilleux champ d'investigation de l'imagination humaine. Tu as lu Les milles et une nuit, tu as lu L'Odyssée, L'Iliade. Tu as lu Ronsard, Montaigne. Je me rappelle ces vers immortels du séducteur Ronsard ; - Mignonne, allons voir si la rose...

Qui ce matin avait déclose

Sa robe de pourpre au soleil,

A point perdu cette vesprée

Les plis de sa robe pourprée,

Et son teint au votre pareil.

- Tu vois ça, Innocent ? C'est doux ; c'est beau ; c'est super !

- Cueillez, cueillez votre jeunesse :

- Comme à cette fleur, la vieillesse

- Fera ternir votre beauté. Angeline, c'est du Ronsard.

- Innocent, tu vois que cette rose que j'ai en main est très riche de symboles ? Donc, tu as lu tous les grands auteurs français, africains et autres. Tu ne peux pas manquer à dire. Surtout, ce n'est pas le verbe qui peut te faire défaut, Innocent.

- Alors, si je te comprends bien, je rentre du Lycée un beau jour, je mange, je prends ma sieste et allez, je me mets à écrire un roman ou des poèmes ? Il faut l'inspiration ; il faut le coup de pouce de la Muse.

- Tu peux t'inspirer du vécu quotidien. La société est la source par excellence où moult auteurs ont puisé le limon de leurs oeuvres.

- Mais, voyons, on ne peut pas parler de tout. Et surtout, on a l'impression que les autres avaient déjà écrit sur tout, Angeline !

- Bon, euh ! Un sujet, un sujet, hein ? Écris quelque chose sur nous par exemple, sur ce jardin, et puis, tu glisses sur la société.

- Et je dis qu'elle est belle, elle va bien, tout va comme sur les rails, etc. etc. hein ?

- Non, pas tellement cela. Tu peux décrier le tribalisme, critiquer la voracité de certains dirigeants, le favoritisme... Ce sont des thèmes jamais épuisés. Ils sont toujours d'actualité, vois- tu ? En plus et surtout, l'amour. C'est un thème éternel.

- Donc, un roman sur l'amour ? Ô Amour, le plus beau des immortels ! Amour qui pénètre de ta douce langueur et les dieux et les hommes ! Amour, toi qui domptes les coeurs et triomphes des sages résolutions ! Amour... amour, le principe primitif qui vivifie toute la nature et assure la perpétuité des espèces ! Cupidon au visage charmant ! Jeune rejeton du beau Mars et de la ravissante Vénus ! Ô père de la sensuelle volupté ! Amour aux yeux bandés !

- Voilà ! Voilà, voilà déjà tout un poème, Innocent. Et, lorsque tu vas évoquer Angeline et Innocent, le texte sera complet, et le tire : Les Amoureux !

- Angeline, puisque tu y tiens, je ferai tout pour te satisfaire. Le vent frais du crépuscule mordait vivement leurs joues tendres. Le soleil qui n'émettait plus que des rayons rouges était allé rejoindre ses pénates. La nuit couvrait déjà le jardin de l'un de ses manteaux dont la couleur tendait vers le noir, quand l'étoile polaire signala l'arrivée majestueuse de la reine des ombres au large front d'or. Le jardin avait sevré tous ses visiteurs.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984