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Roman: "Voix étranglées "

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par Jean- Baptiste NTUENDEM
Université de Dschang - Master 2 2011
  

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CHAPITRE X

M

be'nnem avait réussi, sans difficulté, à évacuer vertement Mlle Eding de l'Amphithéâtre cette nuit du Vendredi 22 Juin 199... Mlle Samsekle, la seule créature qui parfumait encore la lugubre assemblée de son haleine féminine, manifesta une joie indescriptible. Elle se mit à applaudir de toutes les forces de ses mains frêles. Son visage multicolore brillait d'allégresse. Elle s'inclina à sa droite et fit ces révélations à son voisin immédiat :

- Ah ! Mon frère, quelle joie sans borne ! A l'instant qu'il est, je suis tentée d'affirmer sans exagération, que je suis actuellement la fille la plus comblée et la plus heureuse qui soit. Quelle magnificence ! Notre Président Mbe'nnem sera de tous les siècles, le meilleur Président qu'une Association tribale ait jamais eu à sa tête. Mbe'nnem, c'est un vengeur ; c'est un rédempteur ; c'est lui le vrai sauveur.

- Ouf ! Je dois avouer que depuis que cette villageoise et traîtresse Eding a fait son entrée dans cette auguste salle, je ne vivais plus qu'à moitié. J'avais l'impression qu'elle empestait l'air de la salle de sa présence impure.

- Moi, j'ai toujours eu l'impression que vous autre, vous prenez l'Archonte Mbe'nnem à la légère. C'est quelqu'un à qui je dois toute ma personnalité et toute ma vision du monde. Il m'a tout enseigné ; il m'a façonnée à son image. Le plus grand enseignement que j'ai reçu de lui est la haine tribale : n'aimer que notre tribu et haïr toutes les autres qui veulent nous ravir à nous-mêmes, qui veulent accaparer notre pays, notre pouvoir, nos institutions, notre palais et surtout notre Président !

- Mon frère, ne vois-tu pas que Eding est une folle entièrement guidée par Satan ? C'est un suppôt du Diable ! Elle n'a jamais voulu se conformer à nos usages : elle ne met jamais les tricots de notre Président ; les pagnes du parti ? Elle n'en pas besoin. Les marches de soutien, elle en a une horreur sans exemple ; nous aider à distribuer les tracts, vous ne la verrez jamais ! fit Samsekle.

Mbe'nnem était de retour. Il fit son entrée et attira l'attention du parterre infernal :

- Mes frères, chère soeur, ce jour et un jour sacré pour nous. Il tient sa sacralité du fait que nous avons remporté une victoire légendaire. Les services que nous rendons à ce pays n'ont pas de prix. Car s'il fallait que nous soyons rémunérés, nous serions les citoyens les plus riches de ce monde. Voyez-vous ? Il n'est pas donné à n'importe qui de traquer et de dénicher les ennemis d'un régime ! Ce que je vais surtout déplorer ici, c'est le sommeil des services des renseignements. Je crois qu'ils sont là pour recevoir des renseignements et pour passer immédiatement à l'action. Ce travail titanesque auquel nous nous livrons sans formation, sans expérience, sans armes et sans moyens légaux, c'est bien le leur. Je crois qu'à l'avenir, ils seront dénoncés à la plus haute hiérarchie de notre pays.

Après l'annonce de ces nouvelles perspectives, l'entourage de Mbe'nnem applaudit ; Puis, très flatté, l'Archonte enchaîna d'un ton seigneurial :

- Bien, vous savez que chez nous, après un travail bien accompli, il faut prendre un verre. Il faut fêter. C'est l'occasion pour moi de vous informer de ce que désormais, vos jours et vos nuits seront saturés de fêtes. Tout à l'heure, à la sortie, le coup d'envoi sera donné autour d'une dizaine de casiers, leur promit-il.

Dès cette nuit-là, ils se mirent à boire. Ils buvaient ainsi chaque jour et chaque nuit. Ils finirent par être dans les vignes du Seigneur. Il fallait exprimer la liesse de cette grande victoire le plus longtemps possible. Il fallait boire régulièrement pour maintenir la fraîcheur du souvenir de cette victoire historique. Ils buvaient. Ils buvaient au point de devenir des suppôts de Bacchus. Chaque jour, ils laissaient un peu de leur équilibre et de leur raison au fond des bouteilles. Chaque jour, ils allumaient et enflammaient leurs sens. On buvait. Il fallait bien boire pour exprimer la joie qu'on peut ressentir après avoir livré aux forces de l'ordre des maquisards, des opposants, des subversifs. A la longue, ils finirent par être atteints de dipsomanie.

Un soir, alors qu'il avait une envie aiguë d'inonder ses amygdales comme à l'accoutumée, Mbe'nnem remplit ses poches d'une bonne partie de leurs cotisations hebdomadaires, et se dirigea tout seul cette fois-là, vers un bar. C'était dans le quartier appelé «quartier Latin ». Ce quartier était le seul de la ville où on voyait pousser au fil des années des lycées et collèges, les grandes Ecoles de formation et autres centre universitaires.

Le « Bar des Martyrs » était celui des bars qui accueillait le plus d'étudiants. C'était une propriété des anciens étudiants pourchassés et persécutés par le passé par une milice d'un ancien dirigeant de l'Université Fédérale. On y rencontrait souvent presque toute la fine fleur intellectuelle de la capitale. C'était aussi, curieusement, le lieu que la secte tribale de Mbe'nnem aimait pour ses ripailles et pour ses beuveries.

Ce même soir-là, les « assassins » sans assassinat, les « Subversifs », les « Poseurs de bombe » etc. s'y étaient retrouvés, comme par hasard, et s'étaient mis à s'entretenir de ce qu'ils étaient devenus depuis leur ``libération''. Le temps avait passé et ils ne s'étaient plus revus. Assis tous autour d'une table ronde, ils avaient formé un cercle. Autour de cette table on pouvait apercevoir : Menkaazeh', le visage exprimant la candeur. Tout à côté, à sa gauche, c'était l'éternelle Angeline NDOLO, la pénélope des temps modernes, l'âme de son âme. Près d'elle parlait Senõra NO avec beaucoup d'entrain, le sourire parcourait le visage lumineux. Elle s'adressait à Sophie Eding, la charmante « rebelle ». En face, Francis Menkaakong, Charly NO et Eben le philosophe spéculaient autour des jeux olympiques et les chances des Africains. A la droite de Menkaazeh', Docta Maben et Ateb parcouraient quelques pages du magazine »ONZE ». Puis,

- Alors, les « subversifs », la belle aventure souterraine, quels souvenirs ? Blagua Docta Maben.

- Oulala, Docta, voilà un mot qui pue une époque presque révolue ! « Subversif » « la subvertion » ; les « maquisards », «  les activistes » etc. etc. fit Francis avec amertume.

- N'oubliez surtout pas les « poseurs de bombes », les « spécialistes des attentats », et... et surtout, surtout, les « opposants », renchérit Eben le philosophe.

Tout le monde se mit à rire. Ils rirent si fort que le fond musical que distillait la chaîne musicale du bar n'avait plus de grands effets sur les papilles auditives.

- Je tiens seulement à vous rappeler qu'actuellement, vous respirez l'air de « notre pays », de « notre régime ». Et gardez-vous désormais de jalouser « notre Président » ; empêchez-vous de convoiter « nos institutions » et « notre beau palais », leur rappela Docta Maben, tout en gesticulant comme un comédien.

- Ce sont là, vous le savez tous, certains chefs d'accusation qui pesaient sur vous et qui, à ce que je sache, pèsent toujours...

- Mon cher ami, depuis qu'on nous a « relaxés », j'ai traîné ma toux du côté de nos gens d'armes sans succès de me faire reconnaître. Je leur ai toujours rappelé que c'est bien moi Eben le philosophe. Arrêté et incarcéré pendant plusieurs semaines dans leurs cellules, relaxé provisoirement appelé à venir de temps en temps passer à des « petites enquêtes » de routine pour clarification définitive de la situation. Mais, qui s'occupe de moi ? Qui semble se rappeler notre « affaire » ? Personne ! J'ai déduit que la justice ne nous reconnaît plus, qu'elle n'a plus besoin de nous, m^me quand nous allons vers elle.

- Hé ! Oui, peut-être le temps a-t-il trouvé, seul, la solution malgré les hommes, déduisit Menkaaseh'

* *

*

Mbe'nnem était resté figé dès l'entrée du bar, comme médusé par on ne sait quelle force surnaturelle. Il n'en revenait pas. Il broyait du noir. Il lui avait semblé qu'il avait mis les pieds dans un cimetière de revenants. Quel choc peut provoquer une telle surprise dans l'esprit d'un vivant. ? Imaginez-vous tout puissant, en connivence avec les autorités de votre établissement, protégé par des Ministres, livrant les étudiants aux forces de l'ordre sous prétexte qu'ils sont des ennemis du régime afin qu'il soient exécutés et... et croyant qu'ils pourrissent déjà dans une fosse commune, vous les revoyez dans un milieu mondain ! Bouleversant, traumatisant, n'est-ce pas ?

Ils étaient bien assis, ces pendards qu'il avait souhaité morts. Ils respiraient l'air pur que distillait gratuitement la mère nature. Ils pouvaient encore rendre eux aussi un hommage mérité à Bacchus. Ils avaient même de surcroît assiégé ce soin sacré qu'affectionnaient Iscariote et sa secte tribale. Mben'nnem était tout simplement paralysé de stupeur et de peur. Dans son coeur ténébreux au gouffre duquel il avait toujours roulé la traîtrise, la délation, la haine, la méchanceté et le tribalisme, il ruminait devant un monde plutôt étonné, ces sombres pensées qui le torturaient :

- Ah ! C'est grave ! C'est très grave ! Mais... qui vois-je ? Qui vois-je là ? Sont-ce des fantômes ? Des revenants ? On dirait des hydres ! C'est comme si j'ai ouvert le portail d'un étrange cimetière ! C'est comme un rêve ! Mais... c'est un cauchemar ! Aïee ! Ma tête est toute couverte de sang ! Je sens ma cervelle se fêler. 

Mbe'nnem n'avait pas pu supporter cette vision spectrale. Sitôt qu'il s'était partiellement remis de sa paralysie, il prit la fuite, tel un lièvre en danger.

Quelques jours plus tard, Iscariote s'était découvert à ses semblables, totalement métamorphosé. Il avait perdu les sens et son cerveau était fêlé. Tous les jours, on le voyait errer, dans une tenue de ver de terre, dans la grande cité sur laquelle il croyait régner en maître absolu. Ses lèvres rouges qui suçaient tous les jours les bouteilles d'alcool étaient devenues plus lippues. Ses cheveux de brousse étaient désormais de grosses boules renversées qui pendaient jusqu'à son tronc qui trahissait des côtes desséchées. Il était presque exsangue. Sa barbe hirsute avait littéralement envahi sa poitrine difforme. Seul un vieux de morceau de tissu crasseux en lambeaux était tout ce que la culture pouvait lire sur sa virilité sans vie.

Entre ce symbole des passions destructives et mortelles et la société, il se livrait tous les jours un titanesque combat irrationnel. Cette société immortelle qui l'avait vu naître, le pauvre mortel l'avait souillée. Il l'avait désacralisée de ses paroles et de ses actes criminels.

Cette société longtemps en proie à une fermentation socio-politique était passée par l'étape décisive d'une salvatrice ébullition. Cet ultime bouillonnement qui allait lui permettre de muer. Cette société à la démarche de tortue qui voulait enfin passer par la porte étroite de la Démocratie l'avait totalement vomi, lui qui l'empestait de ses odeurs pestilentielles et excrémenteuses, de délation, de calomnie, de méchanceté, de tribalisme...

Tous les jours, il clopinait seul, sur la piste cahoteuse et ténébreuse qui l'éloignait des hommes, ses pauvres semblables qu'il n'avait jamais su aimer. Son voyage solitaire vers l'inconnu ressemblait à la terrible descente dans l'Hadès. Avant d'atteindre l'Erèbe, Mbe'nnem se soumit au tribunal de sa conscience malade.

- « Toi, pauvre mortel Mbe'nnem Iscariote, sache que cette société qui te renie et qui te vomit aujourd'hui est complètement inondée de ce sang innocent que tu as versé ou que tu as fait verser durant ton existence. Mbe'nnem, tu devrais savoir que ce liquide à la couleur sonore et aux odeurs sacrées est le don du Père de la Création. Tu as toujours été bercé par l'illusion d'une pseudo-puissance. Sache, pauvre mortel, qu'il n'y a que Dieu qui soit Tout-Puissant. Il n'y a que les dieux qui soient athanatoï. Ils sont nés un jour, mais ne meurent pas. Ils se nourrissent d'ambroisie, de nectar et de fumée. Les hommes, pour s'immortaliser, doivent impérativement s'aimer les uns les autres. »

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite