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Roman: "Voix étranglées "

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par Jean- Baptiste NTUENDEM
Université de Dschang - Master 2 2011
  

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CHAPITRE IX

D

ès qu'elle avait appris la triste nouvelle, Angeline s'était rendue, sans grande conviction, à la gendarmerie où une importante colonie d'étudiants piégés, enlevés ou arrêtés, étaient conduits. Cette forte incertitude l'avait également orientée chez le conseiller juridique. Malgré toutes les explications et tous les renseignements reçus, le flou hantait toujours son esprit. Elle voulait savoir pourquoi on avait enlevé son amant, où il se trouvait exactement et quel sort lui était réservé. Une fois de retour chez elle ce lundi soir-là, les chagrins l'accaparèrent de nouveau. Un flot d'images et de pensées envahirent son cerveau. Dans son retranchement solitaire, elle reçut la visite de deux charmantes demoiselles le jour de Mercure.

Annie et Cathy étaient très attachées à leur amie Angeline. Elles connaissaient très bien Menkaaseh' pour l'avoir régulièrement vu avec elle. Elles avaient tenu à lui témoigner leur compassion. La mine abattue, Angeline parfumait sa chambre de son haleine de tristesse. Sur ses joues, de nouvelles larmes trahissent les traces des larmes séchées. On eût dit qu'elle voulait augmenter de ces larmes de détresse, la fraîche rosée du soir. Elle s'était définitivement engouffrée dans un sombre et profond désespoir. A voir la couleur de ses vêtements, on eût cru qu'elle se mourait dans un juvénile veuvage.

Dehors, Phoebus, conduit par son fils phaéton, s'était lancé sur la route du couchant Arrivé dans ses pénates, il avait laissé sortir la nuit au visage sombre. Elle avait littéralement étendu son épais rideau noir lorsque la reine des ombres à la démarche inconstante s'apprêtait à fendre la voûte d'azur avec son solide front couleur d'argent.

- Mes chers amies, la vie n'a plus de sens pour moi à partir du moment où j'ai perdu en Menkaazeh'. Je ne le reverrai plus, Innocent le miroir de mon âme.

Angeline se servit de son mouchoir pour nettoyer ses fosses nasales qui laissaient couler les morves de lamentation.

- Nous avons toutes appris avec consternation la triste nouvelle Vendredi et, jusqu'ici, nous sommes à nous demander ce qui s'est réellement passé pour que Innocent et ses camarades subissent un sort aussi cruel, fit Annie.

- Lundi, je m'étais rendue chez le conseiller juridique Mètjèl, rue Thémis. Je lui avais clairement présenté la situation qui prévalait. Après analyses et commentaires à la lumière du Droit, le docteur n'avait rien vu de raisonnable ou de logique qui puisse être l'objet d'un enlèvement, d'une incarcération et d'une mise à mort.

- Alors, qu'avait-il dit concrètement, le Docteur ? demanda Cathy.

- Humm ! Le Docteur avait d'abord tenu à préciser que le vocable « faute politico-crimielle » annoncé n'a aucun sens au regard du Droit. Et, pour preuves, il avait montré qu'il existe des crimes, des délits et des contraventions. On peut également parler de crimes politiques, de crimes économiques etc. ; mais une faute politico-criminelle », c'est touffu ; c'est creux et ronflant. Il m'avait posé un certain nombre de questions relatives à la vie et aux comportements de Innocent. Vous qui le connaissez bien, croyez-vous qu'il puisse participer à des hostilités contre la patrie, qu'il puisse inciter les populations à la rébellion ou qu'il puisse inciter une puissance étrangère à des hostilités contre la République ?

- Donc il s'agit là des chefs d'accusation retenus contre eux ? demanda Annie très effrayée.

- Disons que le Conseiller juridique exploitait ce qui est prévu dans les textes. Il avait beaucoup exploité le code pénal. Et, pour lui, c'étaient là quelques raisons qui pouvaient entraîner une sanction suprême comme la peine de mort. Et, dans les cas contraires, il s'agirait d'une violation des droits de l'Homme.

- Je ne savais pas que cette histoire apparemment anodine était aussi compliquée ! Qu'on enlève des étudiants de l'Université, qu'on kidnappe les étudiants de l'Ecole Normale, qu'on arrête des professeurs... Mais, où va le monde ? La capitale est déjà devenue un Texas où seuls ceux qui ont les armes détiennent le monopole de la raison ! On fait irruption dans votre chambre, on vous crie « haut les mains », on fouille pille et vide les lieux et, comme cela ne suffit pas, on vous demande de chanter en disant que le CEPE est plus valable que la Licence ! Pour tout couronner, lorsque vous êtes une fille, on vous viole comme contrepartie de votre liberté ! Où va le monde, mes soeurs ? Où va le monde ? S'interrogea Cathy.

- A l'heure qu'il est, la voix du salut c'est le sauve-qui-peut. Oui, il faut fuir la capitale le plus tôt possible. L'ombre de la mort plane partout ; les forces du mal sont en pleine activité, beaucoup de voix humbles et innocentes seront encore étranglées ! fit Annie.

- Mais avant de te sauver, Angeline, il serait de bon ton que tu saches exactement ce qui est arrivé à Innocent et où se trouve sa dépouille. A voir comment vous étiez liés, à voir comment vous vous aimiez, je me dis que cette disparition va peser sur ta conscience, et tes nuits risquent d'être à jamais des nuits d'insomnies. Regardez le mur, partout c'est Innocent. Feuilletez les albums, hein ? Voilà, partout domine son image. Que voulez-vous ? Angeline ta responsabilité est grande. L'humanité attendra de toi que tu lui dises à quels résultats ont abouti tes recherches. Tu étais déjà à la Gendarmerie où on ne peut pas avoir accès aux renseignements à l'heure qu'il est ; tu étais voir le Conseiller Juridique, c'est bien, mais c'est insuffisant, ma soeur. Je te propose d'aller chez un voyant. Le voyant peut tout te dire sur le passé, le présent et l'avenir, affirma Annie.

- Aïeee ! Aller où ? Aller chez... chez un voyant ? Un voyant ! Il voit quoi ? Je n'aime pas entendre parler de ces gens-là. Ils sont trop compliqués pour qu'on les aborde. Et, souvent, ce ne sont que les vilains escrocs assoiffés d'argent et d'offrandes, répliqua Cathy, très énervée.

- Que t'ont-ils déjà escroqué ? Quelles offrandes t'ont-ils déjà contrainte à leur faire ?

- Annie, je t'ai déjà dit que je n'aime pas entendre parler de tous ces gens-là : les marabouts, les guérisseurs, les voyants, les... Ce sont tous des renards, des escrocs.

- Cathy, attention ! Tu fais des déclarations tapageuses et sans arguments. C'est très dangereux.

- Ecoute bien, ma chère amie, ils ne pourront jamais m'avoir, moi Cathy Ngo Mandeng. Je jure au nom de ma lucidité que la fille de Mandeng ne se fera jamais prendre. Ils ont fait trop de mauvaises choses aux miens : le mensonge, l'espionnage, l'escroquerie, la discorde... tout, oui, voilà ce dont ils sont capables. Comment un prétentieux peut te dire que ta mère a volé tes sous-vêtements pour te rendre stérile, toi sa fille unique et adorée ? Pardon, fermons leur triste page. C'est du chantage que de dire à un patient : « Paie vite ce que je te demande, sans quoi tes ennemis vont te tuer cette nuit même. »

- Alors, si je te comprends bien, tu veux dire que sur terre il n'existe nulle part un seul voyant, Cathy ?

- Annie je comprends que tu as besoin d'arguments et d'exemples, hein ? Tiens, l'année passée, Mandeng Jean Cave, notre frère, avait quitté la maison un samedi, ayant lavé et séché ses pantalons neufs. Le soir, à son retour, il n'avait rien retrouvé. Croyant que nous les avions décrochés, il ne s'étai pas inquiété. Mais, quand il avait compris dire que nous n'en savions rien, il avait paniqué. Pris de colère et de vengeance, il avait glissé et s'était rendu chez un prince des escrocs. Voilà ce que l'illustre prétentieux avait écrit sur sa plaque publicitaire :

Stop ! Ici Frater VOITOU SABITOU

Voyant - Traitant

Médium - Mystique

Spirit- Mage

Exorciste ésotérique

Grand spécialiste en voyance, 6ème temple d'Orient

Mes chères amies, retenez que ce pansophe n'avait ni boîte postale, ni numéro de téléphone ! mais, jean Cave s'était entêté et, voilà ce qu'il nous avait révélé, plus tard, des mois après :

- «  Ce monstre de VOITOU est un parfait renard. Cet escroc a une langue de miel et un coeur de fiel. Il m'avait dépossédé de trente mille francs ! Trente ! Plus du double de ce que j'avais dépensé pour la couture de ces pantalons ! Je me dis aujourd'hui qu'il m'avait hypnotisé. Dans son « salon », il n'y avait que de vieilles chaises et de vieux bancs d'une autre époque. Son mur était crépi de papiers. Toutes les images qui s'y déchiffraient représentaient des scènes de voyance et de guérison. Partout dominait la couleur rouge : rideaux, parfums, outils etc. les parfums des morts étaient rehaussées par l'odeur de l'encens brûlé. J'étais assis là, presqu'à demi mort dans cet enfer de senteurs et de couleurs. Sa chambre où se déroulait la voyance était une parfaite boîte incandescente : des bougies, des bougies, des bougies. Partout brûlaient des bougies et de l'encens. Partout aux murs étaient accrochées les peaux des fauves. Sa chambre sans fenêtre dégageait des odeurs qu'il disait avoir des vertus thérapeutiques et divinatoires. Des marmites pleines de crânes d'animaux tués depuis des mois écumaient. Avec tout cela, l'illustre Médium-spirit comptait « retirer le Démon » des corps de ses victimes en les faisant boire pendant des semaines ! C'est, les yeux fermés, que j'avais pris un autre spécimen de breuvage mystique. Après qu'il m'avait enduit le corps d'huiles noires, il avait pris une bible. Sur la Bible, c'était écrit :

« La Bible de Jérusalem ».

Il en avait lu quelques passages ; après avoir baragouiné quelques prières au nom de Barnabas, il m'avait rassuré que dès mon arrivée à la maison, j'allais retrouver mes pantalons au même endroit. »

- Mes chères amies, voici plus d'un an, et Jean Cave attend toujours et espère retrouver ses pantalons, après avoir dépensé trente mille francs !

- Cathy, merci pour tes arguments et tes exemples édifiants. Mais, comprends que ton frère Jean est un cave s'était lui-même laissé piéger par un rapace de charlatan. Il existe des charlatans tout comme il existe des médicastres, voilà la triste réalité. Mais, les vrais guérisseurs, les vrais voyants, les vrais médecins, cela existe dans notre société, Angeline.

Bercée par ces joues oratoires auxquelles s'étaient livrées ses amies, Angeline s'était momentanément échappée du gouffre de la tristesse. Elle feuilleta ses albums, revit les mythiques images du jardin qui avait vu naître leur amour. Ses amies prirent congé d'elle. Le temps passait avec une lenteur révoltante. Mais, enfin l'aube au front blanc avait rapidement chassé la nuit fugitive. Ses ombres étaient enflammées par le regard incandescent du soleil qui venait de percer la vitre dorée de l'Orient. Ses tout premiers souffles quotidiens avaient desséché la rosée qu'avait distillé la nature. C'était le jour de jupiter. Sans attendre que sa chambre soit envahie par les rayons du soleil, Angeline s'apprêta ; elle prit tout ce qui concernait Menkaaseh' Innocent et tout ce qui montrait qu'ils étaient fortement et intimement liés.

Ce jeudi-là, Angeline avait mis du temps pour trouver un taxi. Le climat qui régnait dans la capitale avait fortement apeuré les chauffeurs de taxis. Transporter des étudiants était devenu un indice manifeste de complicité, donc de culpabilité. Ils étaient nombreux, ceux qui s'étaient naïvement mêlés au sort des étudiants. Certains, pour ne pas risquer demandaient à tout postulant : « Etudiant ou non étudiant ? Lorsque la réponse était : « étudiant » ou étudiante », le taxi crachait la fumée et s'échappait comme s'il avait esquivé la peste.

Angeline n'avait réussi à se faire transporter que grâce à ce charme unique dont elle jouissait, et aussi au fait que le chauffeur était un ancien étudiant, titulaire d'une licence en sciences naturelles. Fils de chauffeur de taxi, ce jeune diplômé n'avait pas hésité à suivre les pas de son père. Ce dernier était illettré, lui était un diplômé de l'enseignement supérieur. Deux générations, deux visions du monde, deux tempéraments. Il s'était opposé à l'achat d'un véhicule « congelé1(*) » qui lui témoignerait tous les caprices d'un inconnu et le conduirait au garage tous les jours.

Tous les clients s'étonnaient de constater qu'ils étaient conduits par un  « intellectuel2(*) ». Et, chaque fois qu'il était appelé à se justifier, il leur disait avec courage, mais déception :

- Mes chers amis les temps sont devenus très durs, voyez-vous ? De nos jours, on ne choisit plus de métier selon les études menées. Rien ne vous interdit d'obtenir un Doctorat en sciences naturelles et de vous retrouver sous les voitures, le corps couvert d'huile et de poussière. Ma licence est vieille de cinq ans. Beaucoup de nos camarades de classe, fils de « grands3(*) » ont déjà trouvé des emplois et roulent même dans des « derniers cris 4(*)». Vous savez, ce pays n'est pas le nôtre, c'est ma conviction. Ce pays n'est pas le nôtre. Il appartient à un groupuscule de pieuvres aux longs tentacules. Nous autres notre rôle c'est de les accompagner. Ils doivent flatter leur orgueil au miroir de nos souffrances. L'insolence de leur fortune ne doit avoir d'égale que notre extrême paupérisation. C'est la loi de notre société. Et si vous osez lever la tête, vos voix sont immédiatement étranglées. Voyez ce véhicule, il est tout neuf. Voilà son dossier ; il est complet. Mais si nous tombons dans les filets des mange-mil5(*) », vous allez entendre les motifs. Avec tous ces harcèlements, toutes ces corruptions, ils sont protégés. C'est aussi cela notre société.

Le chauffeur avait tenu tous ses passagers en haleine. Ils étaient fiers d'écouter un chauffeur de taxi porter un regard aussi corrosif sur la société, surtout dans un français très accessible. Les autres s'étaient toujours plaints, mais sans se faire comprendre. Leurs interlocuteurs s'employaient seulement à rire, parce qu'ils étaient plus comiques que plaintifs et satiriques. Avec cette nouvelle génération de chauffeurs de taxis, une révolution lente mais radicale et efficace allait s'opérer. Dès qu'ils purent établir de statistiques, ils se rendirent compte qu'ils dépassaient déjà la centaine, les diplômes de l'Enseignement supérieur.

Ils allaient défendre avec acharnement cette profession pour laquelle ils n'étaient pas destinés. Ils créèrent une solide Association et prirent le syndicat en main. Par le passé, le syndicat était la priorité de quelques technocrates véreux qui se moquaient des cris des syndiqués. Les choses allaient changer ; elles devaient changer.

Le chauffeur de taxi se retrouva au virage le plus célèbre de la ville. On y trouvait toujours un important nid de mange-mil. Cette route était une route principale. Il était difficile d'accéder au centre urbain sans y passer. Un homme très avisé avait construit un débit de boissons à quelques mètres du trottoir. Son nom : « petit Virage Bar ». Il était plus fréquenté par les policiers et les chauffeurs de taxis que par les autres citoyens. C'était là que nos hommes de la sécurité écoulaient douillettement leurs journées de travail, dans les bras de Bacchus, bercé et sublimés par ces chauffeurs ignorants de leurs Droits et Devoirs. La pièce la plus importante d'un dossier, c'était un bon billet de mille francs. On pouvait transporter les plus grands criminels du monde, mais, avec ce billet, l'immunité était acquise.

Stoppé par des coups de sifflet assourdissants, il s'arrêta.

- Votre dossier, Monsieur, fit le policier qui rentra, tel un seigneur s'asseoir devant le bistrot.

- Pour qui me prend-il, celui-là ? Il me stoppe et me demande de le suivre dans un bistrot ? Mais, c'est un fou. Je n'y vais pas.

L'homme resta assis dans son véhicule. Après plus d'un quart d'heures, le policier revint.

- Mais Monsieur, pour qui te prends-tu ? Un pauvre chauffeur comme toi, tu te vantes dans un véhicule qui ne t'appartient pas ? Donnez-moi votre dossier, con.

- Il reçut le dossier et le feuilleta. Après avoir constaté qu'il n'y manquait rien, il prit de recul et regarda le chauffeur dans les yeux.

- Mais, Monsieur, non seulement tu fais signer les papiers de ton patron à ton nom, mais tu oses être complet ? Je vais te montrer qu'avec nous tu ne peux pas être complet.

Il parcourut la voiture de ses envieux et jaloux. Il se courba pour observer le dessous, il mit le doigt dans le tuyau d'échappement. Le véhicule était flambant neuf et dégageait les odeurs de l'usine.

- Monsieur, Euh... Vos pièces personnelles, vite !

Le chauffeur produisit ses pièces personnelles auxquelles il ajouta la copie légalisée et plastifiée de sa licence. Le policier zélé et insolent se courba, lui remit très vite ses pièces, le gratifia d'un salut militaire qu'ils ne réservent qu'aux commissaires. Tous ses collègues crurent que l'un de leurs patrons s'était dissimulé au volant d'un taxi pour mieux observer leur banditisme découvert et impuni.

* *

*

Le quartier où exerçait le voyant était au sud de la ville. Sa villa dominait une petite colline de son architecture mi-africaine, mi-occidentale et mi-orientale. A l'observer de loi, surtout après le coucher du soleil, elle perlait sur la peau sombre de la nuit.

Sur le mur de sa barrière, on pouvait lire :

Temple de la voyance chez Maître NGANGA'H

Spécialiste en : Chiromancie

Cartomancie

Cléromancie

Dendromancie

Géomancie

Nécromancie

Pyromancie

Ophiomancie

Ornithomancie

Oniromancie

Grand consultant en phénologie et en astrologie.

B.P. 1990 Rue la Mantique.

Tél : 12 11 90

Angeline s'était fait introduire par le gardien. La verdure du gazon et la diversité des fleurs lui rappelèrent le jardin botanique qu'elle fréquentait régulièrement. Cela concourait à la rassurer.

Entre les tiges et les racines de certaines plantes se faufilaient les tortues. Certains oiseaux aux cris modulés et stridents dévoilaient leur présence. Avant la première marche de l'escalier, deux gros perroquets braquaient leurs yeux sur les hôtes, comme des cameras. Angeline ne prit pas peur. Elle était conduite par un servant qui maîtrisait sa tâche.

Dès qu'elle mordit le paillasson d la porte principale, Maître NGANGA'H L'accueillit par son prénom. C'était un indice très rassurant, pensa-t-elle, malgré tout l'étonnement et toute la surprise que cela pouvait engendrer.

Il fit asseoir la jeune fille sur l'un des multiples tapis d'Orient qui couvraient le sol carrelé. Dans cet univers, on pouvait voir divers objets d'origines africaine, occidentale et orientale. La synthèse des cultures et des civilisations se lisait partout chez lui.

Une puissance bibliothèque dominait tout un pan de mur. On pouvait y voir également des livres sur le magnétisme, l'hypnose, la psychologie, la psychanalyse, la phrénologie et la Mantique.

Tout juste devant Angeline était dressée une table d'argile sur laquelle étaient inscrits dix commandements ; tout autour veillait la Sainte trinité. Dieu le père pointait majestueusement ces commandements qui ouvrent aux mortels les portes du séjour des âmes vertueuses.

A l'angle gauche loin au sud de la salle, comme un panthéon, un endroit comptait un certain nombre de dieux zoomorphes dont l'anatomie sèche faisait penser au taureau, au gorille, au coq, au caméléon et au lézard.

Plus loin, dans un cercle, s'étaient regroupés un chat noir aux yeux de cristal, un coq aux chants oraculaires, un miroir brisé, des morceaux de diamant, des graines de haricot et deux calebasses pleines de terre noire.

Sur deux nattes de raphia juxtaposées le voyant versa des cauris et des variétés de coquilles ; des tas de poussière et de terre, du sable, des petits cailloux et des morceaux de bois. On pouvait également voir une vase d'eau et deux calebasses sacrées. Il alla chercher deux oeufs. Sur quatre guéridons brûlaient des cierges. On apercevait des cartes du tarot, une boule de cristal et des carapaces de tortues sur une tablette ronde et... et l'ancienne monnaie.

Maître NGANGAH'H invita Angeline sur la natte. Elle prit place en face de lui. Les objets oraculaires les séparaient.

- Ne t'étonnes pas de ce que je t'appelle par ton prénom sans t'avoir déjà vue. Ce prénom je l'ai lu sur ton front, c'est la phrénologie qui me l'a donné. Toi, c'est Angeline NDOLO, n'est-ce pas ?

- Oui, Maître. C'est exact.

- Lorsque je jette un regard dans ce vase, je comprends pourquoi tu es ici. Mais, tu devrais cesser d'inonder ton corps de tes larmes de tristesse. Regarde ces cinq cauris que je viens de lancer en l'air, toutes les coquilles ont la bouche en haut, c'est -à dire ouverte, c'est un bon présage, vois-tu ?

- Puis rapidement, le maître prit la calebasse qui était à moitié coupée. Elle contenait de l'eau claire. Il y jeta le miroir brisé et lui posa des questions. Après les réponses d'Angeline, une image légèrement floue apparut au fond de la calebasse.

- Angeline, voilà une image qui apparaît au fond de la calebasse. Peux-tu la déchiffrer ?

- Ayo ! C'est Innocent, c'est Innocent ! Ayo, c'est lui ; c'est bien lui !

- Voilà c'est bien. C'est bien. Mais, les ombres montrent qu'il est enfermé. Il n'est pas libre. Il est dans une cellule dangereuse de la ville. A cette nouvelle, Angeline pâlit et perdit le petit sourire qui rehaussait l'éclat de son visage.

- Ton amant n'est pas seul dans cette cellule. Ils sont nombreux. Voilà, maintenant, cherchons les mains qui les ont poussés dans ce gouffre.

Puis, il prit un caillou qu'il se mit à frotter contre un gros morceau de rocher, en prononçant une série de prénoms et de noms. Après avoir prononcé Iscariote, le caillou se figea et refusa de se laisser décoller du rocher. Il se retourna vers Angeline :

- Voilà un prénom qui apparaît : Iscariote. Il y en a encore d'autres, mais celui-ci a trop figé le caillou. Alors, n'as-tu pas encore entendu parler d'un Iscariote parmi les étudiants ?

- Humm... Humm... Ce n'est pas facile... ce n'est pas facile...

Euh... sauf que, lorsque je m'étais rendu à la gendarmerie, beaucoup d'étudiants de l'Ecole Normale promettaient la mort à un certain Mbe'nnem. Ils disaient que ce garçon était une peste incarnée. Oui... Oui... Mbe'nnem.

- Voilà, Angeline, c'est la maïeutique socratique qui t'a poussée à cette découverte. Ce garçon, à des petits yeux caves, des cheveux de brousse et une barbe hirsute qui trahissent l'envie, la méchanceté et la cruauté. Il est animé par la puissance des esprits maléfiques. Mbe'nnem, tel que les astres le montrent, est né sous le signe de saturne. Il a un objectif : exterminer toutes les autres tribus du pays et faire étrangler toutes les voix contraires aux leurs.

Puis, le voyant changea de position. Il déploya une troisième natte de raphia. Il versa des graines sur un angle. Il se mit à prononcer des formules. Ces graines n'avaient pas d'yeux, mais elles semblaient voir. Elles n'avaient pas de boucle mais elles semblaient parler. Il sortit ensuite du sable, des cailloux et des fragments de cristaux de roche dont la transparence favorisait la divination. Il se mit à additionner les graines. Il répandit les graines en tas. De chaque tas, il enleva des graines deux à deux. Avec les restes, il marqua des figures. Puis, il poursuivit l'opération, ajoutant des figures aux précédentes, en allant de sa droite vers sa gauche. A la fin, il obtint des lignes multiformes. Puis, il dévoila :

- Angeline, j'ai lu beaucoup de choses. Voilà comment Menkaazeh' avait été enlevé. Jeudi soir ou du moins le Vendredi à une heure du matin. Mbe'nnem qui avait déjà envoyé des noms pour les arrestations, avait conduit les gens d'armes chez Innocent. Il s'était caché dans un coin obscur pour ne pas se faire remarquer. Les gens d'armes étaient en civil, mais armés. Ils avaient aussi des menottes. Mbe'nnem leur avait montré la porte cible. Après qu'ils s'étaient signalés comme ses camarades de classe, l'ingénu avait ouvert la porte. Ils lui avaient mis des éponges dans la bouche et l'avaient menotté. On lui avait rappelé qu'il était en état d'arrestation parce qu'il était un criminel. Il « était ainsi enlevé, et sa porte était restée ouverte. Alors à votre retour, comment l'aviez-vous trouvé, sa chambre ?

- Après mon retour, j'avis trouvé le battant enlevé et la serrure endommagée. Sa chambre était vidée comme s'il avait déménagé depuis des mois.

- Voilà, c'étaient des oeuvres de Mbe'nnem Iscariote. Il fallait donner l'impression que la chambre avait été cambriolée. Beaucoup d'étudiants, sous les lumières de Mbe'nnem, avaient été enlevés de cette façon-là.

- Tiens, observe ces figures devant toi. Cette ligne alambiquée que tu vois est le cursus scolaire de cet ange de la mort. Voilà, depuis le secondaire, Mbe'nnem livrait toujours ses camarades aux professeurs et aux surveillants. Aux examens, il trichait toujours pour réussir. Arrivé à l'Université, il y avait trouvé un terreau très fertile où il allait semer les graines de la délation et du tribalisme. Les autorités et certains professeurs avaient trouvé en lui un maillon important pour leurs chaînes infernales. Ils avaient fortement aiguisé sa monstruosité. Ils avaient trouvé en lui un maillon important pour leurs chaînes infernales. Ils avaient fortement aiguisé sa monstruosité. Ils avaient nourri sa voracité. Son passage à l'Ecole Normale par ces temps de torrent était l'une de ses récompenses et de ses consécrations. Il était ainsi apothéosé. Flanqué de son nouveau statut, il eut l'illustre idée de créer une Association tribale dont les objectifs seraient d'exterminer tous ceux que sa méchanceté aura rencontrés.

Maître NGANGA'H, très touché par ses découvertes, changea de site. Il prit les cartes qu'il étala sur tablette. Chaque carte portait une figure dont il déchiffrait, seul, les symboles. Il les jongla avec une aisance et une adresse étonnantes. Les mêmes cartes apparaissaient, aux mêmes endroits. C'était un bon présage. Il prit les deux mains tendres de la jeune fille et les posa sur la tablette. C'était d'abord le dos des mains, ensuite les paumes. Puis il révéla :

- Angeline, tu es chanceuse. Vous êtes chanceux, Innocent et toi. Les cartes et les lignes de tes mains font apparaître le chiffre six. Tu es née un Vendredi, ton amant aussi. Vous êtes nés en Juin, c'est le sixième mois, c'est aussi le mois de Junon, l'épouse de Jupiter. Votre amour était né un vendredi du mois de Juin. Très bonnes coïncidences !

Bien voyons...Humm... aujourd'hui, c'est Jeudi, c'est le jour de Jupiter, c'est l'image de la jeunesse. Il se situe entre Saturne et Mars. Deux images oppressantes et angoissantes. Mais, Jupin exercera une action exaltante, élévatrice et libératrice. Ton amant se trouve chez Mars à l'heure qu'il est. Mais Jupiter qui est le rédempteur de toute oppression et de toute angoisse lui apportera cette forte influence qui n'est que l'apanage des grands rois. Vous êtes tous nés sous le signe de Vénus. C'est un très bon signe. Vénus, c'est la déesse de l'amour. Rien ne peut vaincre l'amour. Si vous étiez nés sous le signe malin de saturne, les choses seraient très compliquées. Vénus représente le stade des anges, elle répand la force de phoebus le soleil ; elle est essentiellement bienfaitrice et c'est pourquoi elle est ainsi la déesse de la paix. Je vois son influence salvatrice s'exercer avec la bénédiction de la main du roi des dieux, Jupiter. Demain vendredi, Mars cèdera. Ses barreaux deviendront comme des frondes ; ses verrous, ses cadenas, ses chaînes lâcheront. Les voix étranglées se feront enfin entendre et comprendre et la belle liberté, aidée de sa soeur Victoire, triomphera.

Mbe'nnem est un ogre qui a vu le jour sous le signe dévastateur de Saturne, planète fauve. Saturne, c'est l'image terne de la vieillesse. Mbe'nnem, tel que sa destinée apparaît là sur ce fil tenu et tissé par Clotho et Lachésis, souffrira de l'effet paralysant, angoissant et dépressif produit par l'action de Saturne. Le sang des Innocents envahira sa tête. Je le vois empruntant seul, poussé par Atropos, le regard vide, un chemin sans lumière qui le conduit hors de la société, vers la demeure de Pluton.

* 1 Véhicule de seconde main, importé d'Europe.

* 2 Homme très instruit.

* 3 Les détenteurs de pouvoir

* 4 Nouvelle coupe de voiture

* 5 Policiers

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite