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Roman: "Voix étranglées "

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par Jean- Baptiste NTUENDEM
Université de Dschang - Master 2 2011
  

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CHAPITRE VIII

A

près les interrogations qui s'étaient déroulés la nuit de ce dimanche-là toujours sous une forte escorte, les prévenus furent conduits dans une autre cellule. Ils furent dépouillés au préalable de tous leurs vêtements, tout ce qu'ils pouvaient utiliser pour s'arracher à la morbidité de la vie et aux injustices de la société. Ils empruntèrent la petite porte qui donnait sur une salle bien sombre. De là, ils embranchèrent à droite, sur un couloir qui conduisit à un corridor parallèle au corridor principal. Puis, ils remontèrent un escalier qui menait juste à la nouvelle cellule.

Pendant près de trois heures d'interrogatoires, ils avaient goûté avec délices à la fraîcheur de l'air pur. Ils avaient retouché de leurs mains devenues presque insensibles, l'eau pure et fraîche des robinets qui leur avaient cruellement manqué. Ils avaient enfin revu les hommes, leurs semblables. Ils avaient enfin revu les hommes leurs semblables. Ils avaient aussi été bercés par les doux motifs pour lesquels ils agonisaient, jour après jour, sans fin. Ils avaient enfin pris connaissance de cette centaine de preuves qui faisaient d'eux des pendards. Où devraient-ils trouver encore assez de courage pour supporter les odeurs au cas où ce nouveau monde serait pareil au précédent ?

Après l'ouverture de la porte, ils retrouvèrent dans un couloir de dix mètres de long sur un de large. A l'extrême gauche, un vieux robinet dont la dernière goutte d'eau datait d'une décennie décorait le mur d'où il sortait.

Derrière, c'étaient quatre antichambres qui, disait-on ; étaient réservées aux prévenus particulièrement dangereux. C'étaient des gens dont la spécialisation était de couper les routes, de braquer, d'assassiner. Leurs demeures étaient des cellules dans la cellule. A leurs portes en fer massif fixés des cadenas et des chaînes colossales. Ils étaient hermétiquement séparés des autres. On eût dit que même les cancrelats ne pouvaient pas se glisser chez eux pour leur transmettre d'éventuelles nouvelles.

A l'extrême droite, un fleuve écumant d'urines à la couleur noir foncé dégageait des odeurs assommantes. D'emblée, il était difficile d'imaginer où les deux premiers occupants trouvés là, faisaient leurs selles. Au plafond, était suspendue une longue ampoule qui émettait une lumière blanche. Les murs qui avaient perdu leur couleur initiale au profit des graffiti et des écrits divers étaient devenus de larges pages d'une littérature de combat, de revendication et de défoulement. Tout y prêtait à faire croire que chaque prévenu qui y avait séjourné avait tenu à y transcrire ses ressentiments ou ses aspirations. Un bob psychanalyste y trouverait un champ fertile pour les recherches. Des érotomaniaques en proie à une libido incontrôlable et tumultueuse avaient adroitement dessiné des scènes obscènes. Ici, c'étaient quelques jouvencelles tout récemment sorties de l'adolescence pubertaire qui s'amourachaient, plus loin, c'étaient des femmes mûres dont toutes les parties intimes étaient découvertes. Elles étaient de toutes les races et avaient toutes les formes. Elles étaient blanches, blondes, rouges, brunes, noires, chocolat, basanées et il y avait des grasses, des mafflues, des trapues, des effilées, des velus replètes... Elles étaient là dans des positions des plus osées. Ce qui frappait le plus sur ces peintures qui défiaient tout érotisme, c'étaient surtout les formes qu'on avait données aux parties mises en gros plan. Les cheveux ondulés allaient couvrir l'arrière.

Train les joues arrondies brillaient, les lèvres rouges étaient lippues.

Elles étaient là, figées dans leurs positions, les unes riaient, les autres souriaient, d'autres criaient ou gémissaient de plaisir ou de déplaisir. Ces images n'étaient pas muettes. Pour mieux allumer les sens, les dessinateurs avaient vivifié leurs oeuvres des textes érotiques.

Par endroits, c'étaient des scènes de révolte des prévenus débordés de souffrance et de colère qui, après avoir piégé des gardes imprudents et cruels, leur administraient des bastonnades dignes d'esclaves révoltés. Plus loin, on pouvait lire : « La justice règnera un jour ! », « Vive la démocratie, à bas le tribalisme, la délation, le mensonge, la haine, la tyrannie... ! », « Qui tue par l'épée périra par l'épée », « Le sang d'un Innocent ne se sèche jamais, il finit toujours par monter dans la tête de celui qui l'a versé.» , « Tous les méchants passeront, la République restera », « Nous mourons mais c'est une mort advitam aeternam1(*) », nous sommes condamnés au carcero duro2(*) », cédant arma togae3(*) » « Adhuc sub judice lis est4(*) », « Vive la déclaration universelle des droits de L'Homme » etc.

Les nouveaux locataires de cette cellule n'avaient pas encore fini de décrypter, de décoder cette littérature, que l'un des deux premiers occupants les rappela vertement à l'ordre : « Les amis, oh ! Les gars, vous-là, nous tenons à vus rappeler que lorsqu'on entre en cellule, on se dirige d'abord vers les premiers occupants pour s'acquitter des droits de cellule. Ces droits sont obligatoires et payés totalement, sinon... »

Le second qui l'avait suivi en secouant la tête en guise d'approbation enchaîna : « Tel que je vous vois si nombreux, je tiens à vous rappeler ceci : lorsque vous vous serez acquitté de vos droits de cellule, la conduite à suivre est la suivante : bien, ici chez nous il y'a que les urines que nous n'arrivons pas à bien maîtriser. Voilà des dizaines de bouteilles que nous avons déjà remplies. Cependant, cela n'est pas très grave. Mais, en ce qui concerne les selles, c'est le problème le plus cruel qu'il faut à tout prix résoudre. Nous autres, nous avons essayé de le contourner à notre manière. Ces fûts que vous voyez devant nous sont pleins. Nous avons pu les couvrir avec tous les morceaux de cartons et journaux. Pour éviter les crues, nous avons cru devoir nous soulager dans ces sacs. Nous souhaitons seulement qu'ils n'éclatent pas d'un moment à l'autre. Ceci dit, vous serez tenus de suivre scrupuleusement nos prescriptions. A bon entendeur... »

Francis Menkaakong qui était tenu devant celui qui s'était autoproclamé chef de cellule leur fit ces réponses :

- Mes chers amis, soyez sages. Ne venez pas dans une cellule postuler des titres vides de sens. Ne convoitez pas des honneurs inutiles. Les Chefs, c'est là haut qu'on les trouve, chez ceux qui jouissent encore de la liberté. Ici, nous sommes tous appelés à contempler les mêmes parois, et à respirer les mêmes odeurs. Tout au contraire, je dirais que celui qui a évoqué l'épineux problème d'urines, de selles, des odeurs, d'insectes etc. a bien parlé. Nous venons d'une cellule souterraine invivable. Pour amortir le choc, je propose deux petites solutions : manger très peu et exclusivement du pain et autres pâtes et boire très peu. Voilà ce qui peut mettre long dans l'estomac et les intestins ! Cette intervention reçut une approbation collective. L'heure était grave et il fallait mûrement réfléchir pour trouver des tranches de solutions. Les problèmes, il y en avait par milliers. Chacun chercha un espace pour se recroqueviller. On ne pouvait pas prétendre allonger les pieds ou se coucher. L'espace ne prêtait guère à ce genre de fantaisies. Ils se servirent des feuilles de vieux journaux pour composer des matelas et des coussins. Les odeurs des urines et celles qui s'échappaient lourdement des demi fûts mal couverts se mélangeaient à la chaleur cuisante pour ralentir le rythme respiratoire.

- On peut déjà dire qu'on vient de faire un pas dans la procédure. L'interrogatoire est une phase dans la conduite des enquêtes. Ils ont bien mis long pour en arriver là. Mais, l'essentiel était qu'on sache au moins pourquoi nous allons mourir, fit Docta Maben.

- Lorsque j'ai fait mon entrée, ils m'ont bien fouillé. Ensuite j'ai pris place devant un Monsieur en civil. Seule une table nous séparait. Les quatre autres étaient debout et m'observaient. Ils m'ont demandé les noms et prénoms de mes parents, leurs professions et notre domicile. Je les ai bien édifiés sur ce sujet. Ensuite, on m'a dit : « Monsieur Menkaaseh' dites la vérité et rien que la vérité. Bien, on vous accuse de vandalisme, d'anarchie et d'assassinat. » Je me suis dit alors que ça y est, je suis mort ! Moi vandale, anarchiste et assassin ? « Reconnaissez-vous les faits ou non ? » m'a-t-on demandé.

- Je ne reconnais aucun fait, chefs, leur ai-je dit  «Vous voulez dire que vous êtes indifférent à tout ce qui se passe dans le campus de l'université et dans celui de l'Ecole Normale tous ces jours-ci ? »

- Chefs je vous assure que ces évènements, je les vis comme vous autres. J'en suis le plus informé par les radios, les journaux et la télé.

« Tournons la page, Monsieur Menkaaseh'. Que pensez-vous des revendications politiques qui secouent le pays tous ces temps-ci ? Vous savez que les opposants organisent des marches historiques pour réclamer le changement. Alors, n'avez-vous pas encore pris part à une de ces marches, oui ou non ? »

- Chefs, je crois savoir que les revendications politiques, c'est l'affaire des politiciens ; un étudiant d'Ecole Normale en fin de formation a trop à faire pour consacrer son temps à des marches.

- « Monsieur Menkaaseh', soyez honnête et sérieux ! Vous êtes membre fondateur de l'Association des étudiants dits anarchistes, et on dit vous avoir déjà vu plusieurs fois en activité à l'Université, à l'Ecole Normale et dans les Lycées et Collèges. C'est vrai oui ou non ? »

- Chefs, les questions auxquelles on doit répondre par oui ou par non sont très ambiguës et embarrassantes. Je vous prie de bien vouloir comprendre que j'ai quitté l'université il y a de cela cinq ans. J'ai roulé ma bosse dans les collèges privés comme Professeur vacataire. A l'heure qu'il est, je n'attendais que la période des soutenances pour parachever ma formation. Les problèmes des étudiants de l'université ces jours-ci, sont des problèmes d'une époque et d'une génération.

- Les enquêteurs se regardent et secouent la tête. Mon vis-à-vis griffonne une phrase. Puis, ils me ramènent hors de la salle.

C'était la première phase des interrogatoires. Menkaazeh' était ainsi le premier à passer à la « barre ». Maintenant c'était le tour de Menkaakong Francis.

- Lorsque je suis entré, on m'a fait asseoir, probablement là où Innocent était assis. J'étais assis. J'étais entouré de je crois quatre personnes en civil et, devant moi un monsieur qui prenait des notes.

Dès qu'on finit de m'identifier, on me dit :

- « Monsieur Menkaakong, vous n'allez faire que confirmer tout ce qu que votre ami a affirmé. Innocent nous a tout révélé et confirmez tout simplement pour nous faciliter la tâche... »

- Que dois-je confirmer, chefs ?

- « Mais, vous voulez dire que Menkaaseh' est un menteur ? C'est tout de même votre chef ! Rendez-lui hommage en confirmant ce qu'il a dit de vous tous. »

- Qu'a-t-il dit au juste chefs ?

- « Mais il a affirmé que vous êtes des étudiants vandales et anarchistes. Ensuite, il a révélé que vous prenez tous part aux marches de revendications et de protestations de l'opposition ! »

- Chefs, je puis vous avouer que même dans un état psychotique, Menkaazeh' ne peut pas tenir de tels propos Peut-être peut-on les lui prêter ?

- « Monsieur Menkaakong, savez-vous qu'on vous accuse particulièrement d'avoir violé et volé une étudiante. Reconnaissez-vous les faits ? »

- Chefs, veuillez m'excuser, car je vais peut-être être long. Celle que vous appelez étudiante n'a rien d'une étudiante. Mademoiselle Samsekle est une Célimène d'une légèreté maladive. C'est une pimbêche qui a résolument décidé d'ingurgiter tout le torrent séminal de la gent virile. Elle avait l'habitude de faire irruption dans ma chambre contre ma volonté. Mais, lorsqu'elle entrait, elle feignait de na pas voir les chaises. Elle préférait s'asseoir ou se coucher dans mon lit, les cuisses ouvertes. Ses vêtements étaient pour la plupart transparents. Elle n'aimait pas mettre les sous-vêtements. A peine se couchait-elle, les pieds écartés, qu'elle feignait un sommeil de mort. Au début, je croyais qu'elle le faisait par inadvertance. A la longue, j'avais compris quelles étaient ses intentions. J'avais fini par lui interdire l'accès dans ma chambre, mais sans succès. La dernière solution, c'était de rester d'une parfaite impassibilité de statue d'ébène devant toutes ses intentions.

« Chefs, j'ai une horreur indicible de la fornication, de l'adultère, de la débauche, du harcèlement sexuel et de toutes formes de prostitution. Je ne sais donc pas si c'est tout ça qu'on appelle viol et vol ».

A la fin de mon intervention, tous croisent les bras. Ensuite, ils regardent et secouent la tête. Celui qui est en face de moi couche quelques phrases sur sa feuille. On me prend par le dos et on me conduit hors de la salle.

Eben le philosophe fut introduit dans la salle :

- Lorsque j'ai fait mon entrée, ils se sont tous mis à rire. Leur chef s'est mis à caresser sa moustache en souriant. Puis, la mine grave, on m'a demandé de m'asseoir. Celui en face de qui j'ai pris place a noté tous les renseignements que j'ai fournis sur mon identité et sur ma filiation :

- « Monsieur Eben le philosophe, vos camardes nous ont tout dit sur vous. Votre tâche consistera tout simplement à nous apporter un peu de lumière sur vos activités parallèles. Nous vous rappelons que vous êtes un membre influent de l'association des étudiants vandales et anarchistes ; votre rôle auprès de Menkazeh'' est capital ; vous êtes un des activistes de l'opposition... Reconnaissez-vous les faits ? »

- Chefs, je vous assure que je ne connais rien de tout ce qui m'est reproché et, si mes camarades ont fait de telles déclarations me concernant, j'avoue qu'ils étaient dans un état second.

- « Tenez pour votre mémoire Monsieur Eben. On vous a surpris dans un bureau de vote le 10 Octobre, pendant l'élection présidentielle. Vous avez voté contre le résident de la République. Allez-vous encore nier ces faits probants ? »

- J'étais mort de trouille à ce dernier chef d'accusation. Quand on vous fait ce type de révélation dans un contexte pareil, vous pouvez immédiatement rendre l'âme. Car j'ai directement reconnu le sieur Mbe'nnem Iscariote derrière ce chef d'accusation. En effet, le 10 Octobre, lors du scrutin, des bureaux de vote étaient installés un peu partout. Il y en avait dans les Lycées comme dans les écoles primaires. Moi, j'avais choisi de voter au Lycée. Lorsque j'avais voté, au sortir de l'isoloir, j'avais rencontré Mbe'nnem. Ce dernier avait sorti tous les yeux de sa tête et m'avait vertement demandé pour qui j'avais voté. Et lorsqu'il avait ainsi hurlé dans mes oreilles, je lui avais rappelé que j'étais libre de choisir qui je voulais. Par conséquent, il n'avait pas le droit de violer ma conscience et ma liberté.

Ce témoignage d'Eben le philosophe permit à tous les prévenus de comprendre progressivement et plus clairement d'où provenaient ces flèches mortelles. Du côté des enquêteurs, aucun nom n'avait été avancé. Ces gens aux pensées sombres, ils les appelaient leurs « sources d'information ».

- Ecoutez, moi ; je suis un journaliste. Je ne suis ni un juriste de formation, ni un juriste de carrière. Mais, en tant que journaliste, je m'intéresse beaucoup aux mutations politiques dans le monde contemporain. Ce que je sais aussi, pour avoir suivi un cas pareil dans un pays africain, Eben le philosophe aurait pu traîner ipso facto cet impertinent de Mbe'nnem en justice pour atteinte aux principes du secret du vote. En principe, pendant la période des élections, les bureaux de vote sont des lieux sacrés, parce qu'il s'y décide l'avenir de la République toute entière. Un bureau de vote n'est pas une arène de gladiateurs, précisa le journaliste.

- Peut-être ne vous ai-je pas révélé que Mbe'nnem m'avait menacé en ces termes effrayants : « De toutes les façons Monsieur l'opposant, vous avez ouvert vous-mêmes les portes fatales. Je vous assure que vous aurez de mes nouvelles, Monsieur l'assassin... » Fit Eben.

-Je crois vous avoir déjà parlé des atteintes à la constitution, non ? Mes chers amis, au vu de la légalité, c'est ce délinquant patenté de Mbe'nnem qui devrait se retrouver ici, à votre place. Il avait commis des délits électoraux, oui on appelle cela des délits électoraux et c'est condamnable. Sachez que le professeur de Droit que je suis n'invente rien. Tout cela est prévu dans notre code pénal. Ce fou de Mbe'nnem avait demandé à Eben pour qui il avait voté, n'est-ce pas ? Il l'avait fait dans un bureau de vote ; n'est-ce pas ? Eh ! bien, il s'agit là d'un cas manifeste du viol du secret du vote. Et, il me semble que Mbe'nnem l'avait intimidé et lui avait promis de ses « nouvelles », c'est-à-dire, éventuellement, la mort ? Ah ! Voilà un bon prisonnier ambulant. Les textes sont clairs là-dessus. Lorsque vous violez le secret du vote, vous portez atteinte à sa sincérité ; vous empêchez les opérations de scrutin ou vous en modifiez les résultats, attendez-vous à être punis de la détention de trois mois à deux ans et d'une amande de 10.000 à 100.000 francs ou de l'une de ces deux peines. D'accord ? Sachez que les textes sont clairs et formels là-dessus. Ensuite, lorsque vous influencez le vote d'un électeur ou vous le déterminez à s'abstenir par l'octroi ou par la promesse d'un avantage particulier de quelque nature qu'il soit, ou par voies de fait ou menace d'un dommage particulier quelconque, vous êtes punis de la détention de trois mois à deux ans et d'une amende de 10.000 à 100.000 francs ou de l'une de ces deux peines seulement. Mes chers amis, nous sommes en Afrique, c'est vrai. Mais ... mais... Mais... Humm ! Que les gens fassent très attention !

« J'ai l'impression que chez nous en Afrique, les lois sont des outils facultatifs. On fait d'elles ce qu'on veut et tout ce qu'on peut. Parfois et très souvent, ce sont ceux-là mêmes qui les connaissent bien qui marchent sur elles ! C'est vraiment dommage. Nous autres, nous formons les futurs cadres judiciaires de ce pays. Certains vont chez Thémis, d'autres chez Mars. Mais, je suis toujours à me demander ce qu'ils en font une fois en activité. Nos magistrats semblent avoir perdu leur balance. Lorsqu'ils n'arrivent pas aisément à se faire entretenir par les justiciables, ils renvoient abusivement et indéfiniment les affaires, quand ils ne refusent pas tout simplement de les juger. Parfois, lorsqu'ils consentent à trancher les affaires, ils s'autorisent de proposer des décisions méta juridiques. On me brandira l'argument selon lequel les textes sont peu clairs ou incomplets. On clamera haut et fort qu'on refuse de juger certaines affaires parce qu'elles prennent facilement des colorations politiques ou tribales. Mais, ce que je veux dire à propos, c'est que primo, les justiciables sont affreusement lésés du fait de la corruption des magistrats ; secundo, tous les citoyens ne sont pas égaux devant nos lois. On a l'impression que l'Article 10 de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme n'a aucun sens dans notre société. »

Docta Maben s'était voulu expressément prolixe. Ce qu'il vivait et ce qu'il écoutait l'écoeurait. A son actif, il avait déjà enseigné des milliers et des milliers de juristes qu'on retrouvait dans la justice comme dans l'armée. Mais, à voir comment allaient les choses, il était tenté de dire comme les anciens : « O Tempori, O Mores ! ».

- Moi on me reproche que je ne souis pas un étoudiant. Les chefs disent que je souis le propriétaire de l'imprimerie qui imprime les tracts contre le régime en place1(*)

A ces propos de Charly No, tout le monde se mit à rire à se rompre les côtes. Ils rirent au point d'oublier qu'ils étaient en cellule.

Au regard de tous les témoignages ainsi mis en relief, le journaliste, Docta Maben et les autres purent deviner, chacun, pourquoi ils souffraient eux-aussi. Ils comprirent pourquoi leurs voix étaient aussi étranglées !

Les jours se succédaient rapidement. Mais, dans la cellule où tout n'était qu'inertie et fixité, on se croyait le même jour. Seuls des sommeils intermittents et très souvent éphémères donnaient un certain rythme au temps, créant ainsi des nuits et des jours psychologiques. Pendant près de deux jours, ils s'étaient tous abstenus de se soulager. C'était plus par solidarité au groupe. Chacun s'était efforcé à sa manière de dicter un rythme à son appareil digestif. Il faillit à tout prix respecter la promesse faite. Ils alourdiraient l'air humide et épais. Mais, le naturel étant difficile à chasser, il était revenu au galop le troisième jour. Oui, un ventre avait tenu à expulser ce contenu excrémentiel qui l'alourdissait et qui menaçait de l'intoxiquer. Ce jour-là, le journaliste qui avait signalé ses malaises se plaignit :

- Mais les amis, je ne comprends plus rien, voyons. Je vous assure que mes pieds ne touchent plus le sol. A force de serrer mes fesses, j'ai fini par attraper des crampes. Croyez-vous honnêtement qu'un homme normal puisse faire plus d'un jour sans se soulager, fût-il le plus constipé de la République ?

- Mon type, voyons, tu veux nous dire que tu vas rompre le pacte conclu ? Lui demanda quelqu'un.

- Mon gars, il n'y a rien de plus légitime que de répondre à l'appel de la nature.

- Bon, puisque tu n'y peux rien, prends cette feuille de journal sur laquelle tu es couché ; vas t'isoler près de ce mont de sacs ; vide ton ventre et enveloppe délicatement le contenu et tu l'enfouis dans le petit sac en nylon, lui proposa le chef de cellule.

Cette scène à laquelle s'était livré le célèbre journaliste avait offert matière à réflexion et à rire à tout le monde. L'homme de la radio n'avait jamais pu se figurer nu comme un ver de terre, accroupi sous une lumière blanchâtre, devant des gens, en train de se soulager.

* *

*

C'était le jour de Vénus. Dans la ville, on vivait là déjà la vingt quatrième heure de ce jour de la déesse de l'amour, qui s'apprêtait à céder sa place au jour du sabbat. Sur la ville enveloppée d'un épais voile sombre d'une nuit sans lune et sans toiles, ce n'était plus la bruine qui régnait. Le ciel courroucé versait intensément d'épaisses larmes. Dans leur univers, ils continuaient à alimenter les commentaires. Ils commentaient abondamment les questions qu'on leur avait posées. Désormais, ils savaient presque tous, ce qu'on leur reprochait. Ils avaient compris pourquoi ils croupissaient ainsi dans les cellules des plus invivables du pays. Oui, leurs ennemis avaient prouvé à l'aide des centaines de preuves, leur culpabilité et leurs voix méritaient la strangulation.

On vint une fois de plus les chercher, les malheureux. Après avoir ouvert la porte massive de leur cellule, le garde solitaire qui montait la garde commença :

- Tout le monde est présent, je le suppose. Eh ! bien, on va procéder à l'appel. Répondez sitôt que vous entendez votre nom. En sortant de la cellule, tâchez d'aller dans l'autre couloir là-bas chercher ce qui vous appartient, et rien que ce qui vous appartient. Je m'adresse essentiellement à tous ceux qui sont de la suite de Menkaazeh' Innocent. Les autres ont leurs dossiers à part. suivez donc l'appel !

Tous étaient accrochés aux lèvres du disciple d'Arès. Ils avaient tous des allures des élèves qui attendent fiévreusement les résultats d'un examen. Les coeurs battaient à un rythme décuplé. C'était la trouille. On avait peur de ne pas entendre lire son nom. Ce serait très grave. Ce serait un mauvais signe. Cela laisserait comprendre qu'on avait un dossier plus « lourd », plus « chargé ». Par conséquent, on serait contraint à prolonger le séjour, peut-être seul, dans cet enfer de répression. Ils avaient pu braver beaucoup d'obstacles, grâce à leur grand nombre. Que ferait un prévenu tout seul entre quatre murs étroits et aux odeurs pestilentielles ? Et si on sortait ainsi pour aller se faire enfouir vivant dans une fosse commune ? Ce type de supplice n'était pas inconnu d'eux. Ne serait-il donc pas préférable de se voir oublié dans cette maudite cellule pour tout le restant de son séjour sur terre ?

- Je vous demande d'être bien attentifs. Suivez :

- Menkaazeh' Innocent

- Eben le philosophe

- Francis Menkaakong

- Docta maben Jean Baptiste

- Charly No

- Monsieur le journaliste.

- Bien, vous voilà tous. Les autres vont attendre. Leurs dossiers sont classés à part. les demoiselles et les dames qui sont de votre contingent sont de l'autre côté. Elles vont vous rejoindre lors du verdict. Vous savez qu'on ne peut pas commettre l'erreur de les laisser dans la même cellule que vous ? Nous ne voulons pas être responsables des grossesses. Sortez en ordre ; alignez-vous tous derrière Menkaazeh', votre illustrissime Président fondateur, cracha ce garde.

- Ces étiquettes effrayantes firent battre les coeurs plus forts. Jusqu'ici, rien ne leur avait garanti une libération pure et simple. Ainsi le verdict pouvait-il osciller d'un côté comme de l'autre. Chacun se mit à méditer : « Pourquoi ce garde appelle-t-il Menkaaseh' ``l'illustrissime Président fondateur'' ?» se demandèrent-ils tous. Ils se mirent à analyser les faits tels qu'ils s'étaient produits et déroulés jusqu'ici :

- « La dernière fois c'était tout un régiment conduit par un garde farouche qui était venu nous sortir de notre cellule. Les hommes n'avaient pas du tout la mine compatissante. Nous avions été interrogés séparément et gardés séparément. C'était au coeur de la nuit. »

- « Cette fois-ci, c'est presqu'à minuit également qu'on vient nous chercher. Que cache-t-on à l'opinion ? Ce n'est plus un régiment qui s'est amené ; c'est un garde solitaire ! »

Après avoir parcouru tout le labyrinthe de la vaste maison aux mille corridors, ils se retrouvèrent dans une grande et belle salle. C'était un univers aéré, bien éclairé, tapissé tel qu'on aimerait y écouler son séjour terrestre. Au mur, derrière un large bureau, un peu au-dessus, était accrochée l'effigie du Président de la République. Il était là, candidement souriant ; c'était un sourire d'espoir. A le voir regarder, on avait l'impression que de ses deux yeux, il allait assister au verdict.

Sur le bureau se trouvaient deux exemplaires de la constitution du pays. A droite, c'était la déclaration universelle des droits de l'Homme. Un peu en relief, c'étaient quelques livres de droit. Le code pénal et la procédure pénale étaient en bonne place. Au milieu, une grande carte géographique du pays occupait l'essentiel de l'espace.

Ils s'étaient tous retrouvés dans cette grande salle où on scelle les destins. Les filles et les dames les avaient rejoints. Ils étaient tous vêtus. Certains avaient tenté de redresser leurs cheveux qui s'étaient déjà enroulés en forme de nattes.

C'étaient les retrouvailles. Mais, en plus de deux semaines, on avait vieilli de plus de cinq ans. Malgré la peur qu'inspirait encore le verdict, on se saluait, comme ces élèves qui se retrouvent après deux semaines de congés de Noël. Parmi eux, Mme Señora No était celle qui faisait le plus pitié.

Elle avait, elle aussi, selon les « sources d'information », porté atteinte à la vie de son Excellence Monsieur le Président de la République ! Elle qui venait à peine de rentrer d'un stage de linguistique chez Cervantes. Elle était là elle aussi, cette jeune dame dont les entrailles chaleureuses venaient de donner à l'humanité un jeune et beau bébé. Cet Innocent qui depuis son arrivée dans l'enfer terrestre n'avait jamais bénéficié d'une seule tétée. Cet Innocent qui n'avait pas réussi à bénéficier de la chaleur des seins maternels. Il n'avait pas connu le flot des caresses et des berceuses, ces chants suaves et câlins qui nous transportent, bébés, vers le séjour des âmes vertueuses. Depuis plus de deux semaines qu'il était venu au jour, la chaleur maternelle qui devait continuer à le réchauffer, surchauffait l'air empuanti d'une cellule des condamnés à mort.

Son jeune époux était passé de jeune père à jeune veuf. Le sort ne l'avait pas laissé savourer en douceur des délices de la vie conjugale et les bénéfices de la paternité. Une pluie de larmes était venue ternir l'éclat de son visage. Le vent de la calomnie lui avait arraché sa douce compagne.

Ils étaient là, tous, le visage grave, la tête surchargée de points d'interrogation.

Trois hommes firent leur entrée. C'étaient les trois principaux officiers qui avaient mené les enquêtes d'un bout à l'autre. Ils étaient désormais en tenue de gendarmes. On pouvait voir : un officier supérieur arborant un grade respectable de lieutenant. Colonel, ensuite un capitaine et un adjudant. C'est ce trois martial qui devait fixer les sorts ! Soudain, l'officier supérieur, tel un athlothète, attira leur attention et convergea leurs regards vers lui :

- Eh ! Bien, mes chers amis, nous vous remercions de votre chaleureuse compagnie et votre bienveillante collaboration.

Qui parmi vous peut nous dire quel est le but de votre séjour ici ? Cette question jugée énigmatique installa un trouble dans les esprits. Personne n'avait eu le courage de se prononcer. Une éventuelle maladresse pouvait précipiter l'intervenant dans un gouffre sans issue, pensa-t-on.

- Bien je constate que personne ne semble savoir pourquoi nous vous avons gardés ici.

Alors sachez tout simplement que nous vous avons fait ``appeler'', je dis bien ``appeler'', rien que pour de  « très petites vérifications », de « toutes petites enquêtes et vérifications » seulement. Nous avons fait notre travail et rien que notre travail. A présent, il est question pour nous de vous li-bé-rer.

A ces mots, les fenêtres, les portes et le plafond allaient s'envoler avec les coups d'éclats de cris de joie : « Oué ! Oué ! Ouéééé ! Ouuuu ! Sauvé ! Sauvéééé ! Seigneur ! Seigneur ! Merci ! Merci seigneur ! Ouf !... » Le climat morose céda place à un climat détendu des jours de fête.

Puis, l'officier supérieur qui s'entretenait avec ses collaborateurs revint aux fêtards :

- Nous allons vous libérer. Nous vous libérons. Mais, mais, mais seulement, pendant votre séjour dans la ville, tâchez de ne pas vous éloigner de vos maisons. Ne sortez pas de la ville.

Si vous voulez voyager, passer par ici nous le signaler, car à tout moment, nous pouvons toujours avoir besoin de vous

* 1 Pour la vie éternelle

* 2 Dur cachot

* 3 Que le gouvernement militaire cède au gouvernement civil.

* 4 Le procès est encore devant le juge

* 1 NB : Charly No est de culture et d'expression anglaises.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus