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Les réécritures bibliques dans l'oeuvre de Pascal Quignard

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par Daphné Pulliat
Université Paris IV- Sorbonne - Master II littératures françaises 2008
  

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partie I : Ç au commencement était le Verbe19 È

La Bible comme début de tout, comme premier livre, première écriture, lieu même du récit de la création du premier homme, du premier langage. Ç Au commencement était le Verbe È nous dit que nous sommes faits de logos, que notre origine est parole, celle de Dieu, que notre essence est un dire :

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre (É) et Dieu dit : Ç Que la lumière soit ! È Et la lumière fut. (É)

Dieu dit : Ç Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux ! (É) È Il en fut ainsi. (É)

Dieu dit : Ç Que les eaux inférieures au ciel s'amassent en un seul lieu et que le continent paraisse ! È Il en fut ainsi. (É)

Dieu dit : Ç Que la terre se couvre de verdure (É) È Il en fut ainsi. (É)

Dieu dit : Ç Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel pour séparer le jour de la nuit (É) È Il en fut ainsi.

Dieu dit : Ç Que les eaux grouillent de bestioles vivantes et que l'oiseau vole au dessus de la terre face au firmament du ciel. È (É)

Dieu dit : Ç Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce (É) È Il en fut ainsi.

19 Evangile selon Jean, Ç Prologue È, 1 ; 1, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1513

Dieu dit : << Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance (É) È Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, m%ole et femelle il les créa. (É)

Dieu dit : << Voici que je vous donne (É) ; ce sera votre nourriture (É) È Il en fut ainsi20. È

Ce Verbe créateur est Dieu lui-même nous dit Jean dans la suite de ce vers : << et le Verbe était Dieu21 È, parole divine, parole créatrice puisque tout ce que Dieu << dit È - verbe en tête des neuf premiers paragraphes du récit de la création du monde - est, devient, existe soudainement à partir de rien. Chaque élément du monde est créé d'un << dit È de Dieu, la parole, le logos divin est à notre source.

Aussi, ce logos constitue pour Pascal Quignard une donnée majeure dans sa quête des origines de l'humanité ; le logos est à la source de notre être, aussi remonter à la source du logos semble être un premier pas dans la démarche quignardienne.

La Bible, traditionnel << premier livre È - bien que les premières écritures datent scientiÞquement de 3200 avant notre ère, ce que Pascal Quignard n'est pas sans savoir puisqu'il évoque << les tablettes d'argile que

20 Genèse, << La Création È, 1 ; 3, 5, 6, 7, 9, 11, 14, 15, 20, 24, 26, 27, 29, 30, TOB, op.cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, pp. 22-23

21 Evangile selon Jean, << Prologue È, 1 ; 1, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1513

consignait Sumer22 È -, premier livre imprimé en 1465 à Mayence, la Bible est bien un lieu source de ce logos. L'approche qu'en fait Pascal Quignard est des plus complexes : par les phénomènes de réécriture qu'il effectue il traite le texte biblique en objet littéraire, il en fait un texte source, base d'un texte secondaire, texte cible, dans lequel la Bible est même et autre à la fois : même car ce sont toujours des épisodes bibliques qui sont narrés - Babel, Noé, JonasÉ - les faits relatés sont les mêmes, autre car ce n'est plus la lettre biblique, ce n'est plus le texte sacré.

A la source de l'écriture quignardienne, le premier livre : le texte quignardien est à ce titre doublement secondaire, il vient après la Bible et il est une réécriture. La réécriture est à nos yeux un genre, une pratique littéraire qui a des codes et des enjeux propres avec lesquels joue Pascal Quignard. Protéiforme, de la simple allusion à l'imitation, sans oublier la traduction, la réécriture, par les choix qu'elle implique, nous parle de l'auteur qui la pratique, elle fait sens dans la démarche littéraire de celui-ci.

Nous voulons voir dans cette première partie quelles sont les problématiques soulevées par ce que nous considérons comme un genre : question des textes-

22 Petits Traités, op.cit., XVIIème traité, Ç Liber È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 313

sources et textes-cibles, question du changement de genre, et, quand c'est le cas, du changement de langue, voire du changement d'alphabet. Nous souhaitons aussi poser les bases d'une réßexion sur les spéciÞcités des réécritures du sacré : de l'inspiration à l'écriture désacralisante. Cette partie vise enÞn à interroger plus largement le concept de texte premier, originel.

1 . réécritures et traductions : problématiques

Ç Lire, écrire, traduire sont indiscernables23. È

La réécriture et la traduction, que nous considérons comme une forme particulière de réécriture, comportent des enjeux littéraires essentiels. Le choix du texte-source et le mode de restitution dans le textecible, et il en va de même dans la traduction, sont le signe d'une élaboration littéraire de la part de l'auteur.

Ré-écrire c'est écrire encore, écrire à nouveau nous dit le préÞxe du verbe. Ce n'est pas simplement écrire,

23 Petits Traités, op.cit., XXème traité, Ç Langue È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 497

c'est écrire avec un avant, avec une antériorité textuelle de laquelle on part, de laquelle on s'écarte sans trop s'en éloigner car la référence doit rester identifiable. Réécrire c'est écrire en assumant l'antériorité, l'origine qui a présidé à cette écriture secondaire, nouvelle.

a . méthodes de réécriture et de traduction

En ce sens est réécriture tout texte secondaire, tout texte qui procède d'un autre ; mais si les livres poussent des livres, ceux fruits de la réécriture explicitent et assument leur origine. Il en va de même de manière patente pour la traduction.

Nous souhaitons ici détailler les différentes formes de réécriture et de traduction, présentant chaque fois que possible les exemples quignardiens qui correspondent au type décrit.

intertextualité

Nous avons déjà évoqué le fait que la réécriture peut prendre différentes formes. Le premier degré de la réécriture constitue en l'intertextualité. Ainsi de l'allusion, qui est une référence discrète à un autre ouvrage, référence souvent identifiable seulement par un lecteur initié qui conna»t préalablement le livre auquel allusion est faite ; cela suppose un lecteur instruit et averti. Lorsqu'il évoque << les deux nudités principielles24 È Pascal Quignard fait allusion aux corps nus d'Adam et Eve en Eden décrits dans le récit de la création dans la Genèse : << Tous deux étaient nus, l'homme et sa femme25 (É) È, texte que tout lecteur au fait de la culture judéochrétienne est à même de reconna»tre dans cette formulation.

Plus précise que l'allusion est la référence ; l'auteur et l'Ïuvre évoqués sont identifiés et cités dans le corps du texte ; ainsi Pascal Quignard fait-il référence à l'évangile en usage chez les chrétiens de Syrie et d'Irak, celui de Rabbula, copiste mésopotamien du VIème siècle : << depuis 1497, cet évangile dL à Rabbula est conservé à Florence26 È dans la bibliothèque Laurentine.

24 La Nuit sexuelle, op. cit., <<Avant-propos È, Paris, Flammarion, 2007, p. 15

25 Genèse, << La Création È, 2 ; 25, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 24

26 Petits Traités, op.cit., XVIIème traité, << Liber È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 350

La citation enÞn est la forme la plus évidente d'intertextualité puis qu'elle fait entrer dans le corps du texte un élément textuel autre, étranger, dL à la main d'un autre écrivain. La citation est le signe de la connivence d'esprit entre deux auteurs ; même si l'écrivain second cite pour nuancer voire critiquer, le pan de phrase cité est toujours le signe de ce qui le préoccupe, toujours témoin de ce qui le touche, même si c'est en négatif. La citation se donne pour précise et Þdèle, elle donne les références nécessaires pour retrouver le mot, la phrase dans son contexte original. Elle donne comme corps étranger le texte premier puisqu'elle le démarque typographiquement avec les guillemets ou l'italique puis la référence entre parenthèses ou en note. Parfois une citation peut être faite sans que la source soit spéciÞée ; si c'est une source populaire, un texte prétendument connu de tous, elle se confond avec l'allusion, si au contraire c'est un texte peu connu la citation frôle alors le plagiat.

Citant Jérôme, Pascal Quignard donne les références de l'Ïuvre : Ç Quand Jérôme hallucine en rêve des livres, ce sont des codex qu'il voit dans son rêve (Ç codices saeculares È, Ep. ad Eust., XXII, 30) (É) Un Ç codex séculier È - pour reprendre l'expression de Jérôme27 (É) È

27 ibid., p. 355

Le lecteur peut retrouver cette expression dans la lettre d'exhortation épitre 22 à Eustochium, << de custodia virginitatis È. Il cite aussi en spécifiant ce qu'il cite, avec autant de précision qu'une bibliographie : << Je cite d'après le texte latin établi par Th. Graesse (Jacobi a Voragine, Legenda aurea, cap. XLVII, De sancto Longino, Dresdae, 1846, page 202). Jacques de Voragine dit qu'il avait fallu que le sang de Jésus de Nazareth touchât la main du centurion pour qu'il connLt son crime28. È

D'autres fois, il cite la Bible sans préciser cette source : << Comme Dieu en mourant sur la croix reprend les premiers mots et les dits à son père : << Je suis seul. Je suis abandonné ! È Il dit : << Sitio ! È (Mich dürstet ! J'ai soif !) et il expire29. È La source biblique est celle des évangiles : selon Matthieu : << Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné30 ? È ; selon Marc : << Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné31 ? È ; selon Jean : << J'ai soif32. È Luc lui ne fait rien dire de tel à

28 Petits Traités, op. cit., LVIème traité, << Longin È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 616

29 Petits Traités, op. cit., XLVIème traité, << Froberger et Grimmelshausen È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 427

30 Evangile selon Matthieu, << Mort de Jésus È, 27 ; 46, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1435

31 Evangile selon Marc, << La mort de Jésus È, 15 ; 34, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1463

32 Evangile selon Jean, << La crucifixion et la mort de Jésus È, 19 ; 28, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1542

Jésus. Pascal Quignard cite sans citer, la référence est culturelle, elle s'adresse à tout lecteur qui a rencontré les textes évangéliques.

réécriture

Allusion, référence et citation procèdent de

l'introduction d'un texte source dans un texte cible ; l'imitation, la parodie, le pastiche, toutes formes Ç à la manière de È sont elles tournées vers la création, vers une certaine mise à distance du texte source.

L'imitation est un premier exemple de réécriture ; elle procède de la mimèsis et consiste en la reprise d'un texte en conservant de celui-ci soit le ton soit l'esprit. L'imitation contient une notion de fidélité au texte source, celui-ci reste identifiable. Ainsi Pascal Quignard imite le genre apocalyptique en décrivant la fin des temps :

Au cours du XXème siècle la science imposa la conscience de la fin de ce monde. Tous les biens de l'humanité, tous les moments de la culture mondiale, tous les souvenirs de l'espèce humaine seront engloutis.

La terre brülera.

Le soleil se consumera.

C'est la première fois dans l'évolution de l'espèce que sa destruction est certaine et que cet engloutissement de tout monument humain, cet effacement de toute Ïuvre humaine, cet

anéantissement de toute valeur humaine font référence.

C'est la première fois que l'humanité a la

certitude que le temps succèdera à l'histoire. (É)

Que l'humanité ne peut plus rien confier d'elle-

même à rien.

Ni à la terre (qui dispara»tra).

Ni au système solaire (qui bouillira33).

Apocalypse areligieuse, la fin du monde

quignardienne a des aspects scientifiques. << Ecris donc ce que tu as vu, ce qui est et ce qui doit arriver ensuite34. È C'est bien ce à quoi semble se prêter Pascal Quignard ; il nous propose une apocalypse scientifique, rationnelle, en concordance avec les projections scientifiques contemporaines, le discours scientifique constituant un nouveau genre de prophétie.

Le genre du pastiche se distingue de la parodie en ce qu'il n'est pas caricatural. Il tente de transposer avec fidélité le texte source. Il peut être le signe de l'admiration de l'auteur pour son modèle. La parodie, elle, est volontairement caricaturale et la visée est comique voire critique. Ce qui fait rire ou réßéchir est le décalage entre le texte source et le texte cible, que ce soit dans son écriture ou dans son esprit.

33 Ab»mes, chapitre XXI, << Sur le temps mort È, Paris, Grasset, 2005, pp. 63-64

34 Apocalypse, << Vision du fils de l'homme È, 1 ; 19, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1744

Pascal Quignard pratique peu la parodie ; un texte cependant nous para»t mettre une distance critique suffisante pour y voir un aspect parodique. Dans un chapitre des Paradisiaques35 l'écrivain réécrit ainsi la création de l'homme selon un docteur de la mishna du premier siècle :

Rabbi Yohanan a dit que Dieu prit de la terre. Durant l'heure qui suivit il modela un corps. A la troisième heure il étira les membres et le sexe. A la quatrième il insuffla l'âme. A la cinquième il réussit à faire tenir Adam sur ses jambes. A la sixième heure Adam nomma tout ce qui est. A la septième Eve surgit à son côté. A la huitième ils s'étreignirent et elle conçut un autre monde dans son ventre. A la neuvième Dieu leur dit de ne pas manger le fruit de l'arbre. A la dizième le serpent parla à Eve et ils s'entretinrent. A la onzième heure, Eve ayant tendu la pomme a Adam, il la mangea. A la douzième il eut honte, il dissimula sa nudité, il fut chassé du jardin. C'est ainsi qu'Adam n'a même pas passé une nuit au paradis.

La pointe finale vient porter un discrédit

humoristique sur le reste du texte qui est construit à la manière du récit biblique de la Genèse : phrases courtes, anaphore, concision et ordre.

Autre parodie possible est le paragraphe suivant du même chapitre qui reprend une idée de l'écrivain Marcel Schwob selon laquelle Ç les disciples se trompèrent de calvaire. È

35 Les Paradisiaques., chapitre LXV, Ç Le bon laboureur È, Paris, Grasset, 2005, pp. 224-228

Les apôtres s'attroupent et enterrent un autre esclave qu'ils déclouent péniblement d'une autre croix servile et qu'ils enveloppent de linges. Jésus de Nazareth meurt abandonné de tous.

Marie aussi bien que le centurion Longin se sont mépris. Ils entourent de leurs soins un pauvre corps humain anonyme, martyrisé, ensanglanté, couvert d'ordures. Nul ne sait qui. C'est cet inconnu qui ressuscite, qui appara»t à Marie-Madeleine qui ne le reconna»t pas, à Thomas qui ne le reconna»t pas, aux pèlerins qui ne le reconnaissent pas.

Pendant ce temps-là le christ pourrit abandonné de tous.

L'humour impie de Pascal Quignard est cependant accompagné d'une connaissance précise des textes qu'il parodie : les apôtres sont Joseph, Marie et MarieMadeleine36, cette dernière ne reconna»t pas le Christ quand il lui appara»t37 et les pèlerins ne la croient pas, Thomas ne la croit pas et doute lorsque le Christ lui appara»t : << Cependant Thomas (É) n'était pas avec eux lorsque Jésus vint. (É) << Si je n'enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas38 ! È È

36 Evangile selon Matthieu, << Ensevelissement de Jésus È, 27 ; 57, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1435 ; Evangile selon Marc, << L'Ensevelissement È, 15 ; 43, ibid., p. 1463 ; Evangile selon Luc, << La sépulture de Jésus È, 23 ; 50, ibid., p. 1507 et Evangile selon Jean, << La mise au tombeau È, 19 ; 38, ibid., p. 1542

37 Evangile selon Matthieu, <<Jésus n'est plus au tombeau È, 28 ; 5, ibid., p. 1436 ; Evangile selon Marc, <<Apparition de Jésus ressuscité È, 16 ; 9, ibid., p. 1463 ; Evangile selon Jean, << Marie de Magdala voit le Seigneur È, 20 ; 14, ibid., p. 1543

38 Evangile selon Jean, << Le témoignage des disciples et la foi È, 20 ; 24, ibid., p. 1543

Nous reviendrons plus loin sur le sens de ces parodies qui sont propres à la réécriture du sacré. Reste que la parodie ne fonctionne que dans le cas où le lecteur conna»t le texte original ; les parodies bibliques s'adressent donc à un lecteur informé.

En terme de pastiche nous retrouvons de très nombreux exemples de réécriture Ç à la manière de È dans l'ensemble de l'Ïuvre de Pascal Quignard. Les pages du Dernier Royaume sont pleines de réécritures d'épisodes bibliques : Suzanne39, le treizième livre de Daniel, qui n'est pas reconnu par le canon mais est présent au chapitre des livres apocryphes40 ; la scène du noli me tangere41, présente dans l'évangile selon Jean42 ; la mort d'Elisée43, racontée dans le second livre des

39 Sur le Jadis, op. cit., chapitre XXXIV, Ç Rembrandt È, Paris, Grasset, 2002, p. 88

40 TOB, op. cit., pp. 1388-1990

41 Les Paradisiaques, op. cit., chapitre XXII, Ç Le jardinier irreconnaissable È, Paris, Grasset, 2005, pp. 78-79

42 Evangile selon Jean, Ç Marie de Magdala voit le Seigneur È, 20 ; 17, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 1543

43 Les Paradisiaques, op. cit., chapitre LI, Ç L'ombre d'Elisée È, Paris, Grasset, 2005, pp. 175-177

Rois44 ; Noé enivré45, un récit de la Genèse46 ou encore Jonas47, un livre de l'Ancien Testament48. Nous reviendrons en détail sur ces exemples.

Imitation, parodie, pastiche, trois types de réécritures auxquels Pascal Quignard semble bien se prêter ; le sens à donner à ces réécritures de textes sacrés est à découvrir dans l'écart qui se trouve entre le texte source, la Bible, et les textes cibles, des petits contes, des fragments.

Mais avant de dégager le sens de ces réécritures, nous voulons explorer et détailler une forme de réécriture particulière, la traduction.

traduction

La traduction est chez Pascal Quignard une sorte de jeu auquel il s'adonne volontiers. Son amour des langues anciennes, le latin surtout, le fait jouer avec les mots dans l'ensemble de ses livres.

44 Deuxième livre de Rois, Ç Maladie et mort d'Elisée ; deux miracles après sa mort È, 13 ; 14-20, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 433

45 Les Paradisiaques, op. cit., chapitre LLIII, Ç Le bois sacré È, Paris, Grasset, 2005, pp. 179-180

46 Genèse, Ç Sem, Cham et Japhet È, 9 ; 20-24, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 30

47 Les Paradisiaques, op. cit., chapitre LXXIV, Ç Joppé È, Paris, Grasset, 2005, pp. 252-254

48 Jonas, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, pp. 712-714

La traduction est un genre dont les problématiques ont souvent intéressé la réßexion littéraire. La traduction procède d'une forme de réécriture, en ce qu'elle est un texte second, texte cible, issu d'un texte source auquel elle est Þdèle. De la translation à l'adaptation en passant par la transcription, la traduction offre divers niveaux de Þdélité au texte original. Mais dans le procès même de changement de langue surgit une trahison du texte original. Le mot traduit n'est jamais le même que le mot original.

Penseurs et théoriciens se sont exprimés sur la traduction depuis l'Antiquité, mais le moment de la traduction de la Bible hébra
·que en latin par Jérôme entre 327 et 420 constitue bien un tournant dans l'épistémologie de cette discipline. Après Cicéron qui pose la question du sens et du mot dans la préface de l'une de ses traductions, Jérôme va plus loin et pose la question de l'orientation de la traduction : soit vers la source, induisant une traduction littérale Ð récusée par Cicéron -, soit vers la cible, inscrivant le texte dans une dynamique de création. La traduction est bien située entre théorie et création.

C'est dans cet intervalle que Pascal Quignard aime jouer, car ce sont littéralement des jeux de traduction que nous propose l'écrivain. A ce titre, la Bible de Jérôme est l'une de ses sources favorites : de nombreuses fois il

nous propose un vers biblique en latin et sa traduction en français. La traduction est bien une question majeure de la pensée quignardienne puisqu'il en propose des analyses : Ç Lire, traduire, écrire sont une même épellation au regard de dire49. È Nous voyons bien ici que la traduction est au cÏur de la réßexion de l'auteur.

Les exemples de traduction sont nombreux ; Pascal Quignard se pla»t à traduire des écrivains antiques, ainsi a-t-il traduit le poète Grec Lycophron50, un poème latin d'Emmanuel Hocquart dans Inter aerias fagos51, Kong Souen-Long, Sur le doigt qui montre cela52 est aussi une traduction ; Les Septante53 enÞn n'est pas une traduction à proprement parler, mais la consultation du texte grec de la lettre d'Aristée54 montre que la réécriture quignardienne s'est faite au plus près du texte original.

La traduction pose bien la question de l'originalité, de l'originellité, surtout lorsqu'il s'agit de traduire le texte originel, la Bible. Dans la tradition de la traduction

49 Petits Traités, op. cit., XXème traité, Ç Langue È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 498

50 Alexandra de Lycophron, Paris, Mercure de France, 1971

51 Inter aerias fagos, Paris, [Orange Export Ltd, 1979], Galilée, 2005

52 Kong Souen-Long, Sur le doigt qui montre cela, Paris, Michel Chandeigne, 1990

53 Les Septante, op. cit., Paris, Patrice Trigano, 1994

54 André Pelletier (trad.), Lettre d'Aristée à Philocrate, Paris, Cerf, 1962

cette question est majeure et se pose à tous les degrés de traduction.

La transcription, l'écriture d'une langue dans un autre alphabet que celui d'origine, est une première forme de traduction. Si elle n'est pas pratiquée par Pascal Quignard, nous trouvons dans certaines de ses formulations des traces de grammaire latine ; comme une contamination entre les langues, Pascal Quignard latinise son texte, dans la vivacité de sa langue il fait revivre cette langue morte. Des Ç traces È de rhétorique latine comme une démarche vers l'insaisissable origine. Un même alphabet pour les deux textes, source et cible, mais une trace de grammaire latine, comme le squelette de la langue de traduction.

Avant de proposer une traduction, souvent Pascal Quignard cite en latin, en grec, en anglais, ou en allemand. Il inscrit ainsi l'autre langue dans la lettre de son texte ; citant en grec, il y inscrit un autre alphabet, degré supplémentaire dans l'enchevêtrement des langues55.

L'adaptation, qui désigne habituellement le passage d'une forme d'art à un autre, - comme l'adaptation d'un livre pour le cinéma, tel le roman Tous les matins du

55 Exemple dans Petits Traités, op. cit., XLVIIème traité, Ç Hiver 412 È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 450

monde56 dont un film a été tiré - peut être perçue dans l'écriture quignardienne dans le dialogue qu'il instaure entre les genres littéraires.

Le traitement qu'il fait de la Bible relève à nos yeux d'un certain type d'adaptation. La forme fragmentaire qu'affectionne particulièrement l'auteur est bien un genre d'écriture à l'opposé de la somme monumentale qu'est la Bible. Le passage d'une forme dense, condensée à une forme plus aérée, en touche, peut être perçue comme une adaptation ; adaptation à la modernité, adaptation à un lecteur de plus en plus athée au fil des siècles. Face à l'ensemble biblique, Pascal Quignard propose une Bible en lambeaux, une esthétique du fragment propre à cet écrivain passionné par les sordidae de l'existence, ces objets, matières, images, mots qui ont quelque chose de repoussant, de vulgaire, de difforme, choses que nous nous cachons à nous-mêmes. Le changement de forme prend valeur de sens, devient détournement, au-delà même de l'adaptation. La Bible, texte multiséculaire, rencontre la modernité et devient sous la plume de Pascal Quignard morceaux, bribes,

Le dialogue entre les siècles qui s'opère dans les ouvrages de Pascal Quignard qui ont trait à la Bible est bien du ressort de l'adaptation, de la mise en coprésence

56 Tous les matins du monde, Paris, Gallimard, 1991 ; adapté au cinéma la même année par Alain Corneau

de l'ancien et du moderne, l'ancien dans le moderne. Il semble même que Pascal Quignard nous propose une Bible personnelle, dont les motifs rappelés sont ceux de son imaginaire. Aussi pourrions-nous parler d'une Bible adaptée par l'écrivain pour lui-même, il communique à son lecteur ce qui est dans la Bible le moteur et le signe de sa pensée.

De l'allusion à l'adaptation en passant par l'imitation et la traduction, c'est bien une Bible personnelle que nous propose Pascal Quignard, une Ç Bible quignardienne È. Il appara»t alors que la réécriture du sacré, sous toutes ses formes, est génératrice de sens. Toutes les formes de la réécriture ont des enjeux propres ; voyons à présent quels sont les sens et les signiÞcations de ces réécritures.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand