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Les réécritures bibliques dans l'oeuvre de Pascal Quignard

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par Daphné Pulliat
Université Paris IV- Sorbonne - Master II littératures françaises 2008
  

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b . sens et signiÞcations

Chaque forme que nous avons évoquée comporte donc des signiÞcations différentes. Toutes seront analysées avec précision lorsque nous les rencontrerons au Þl de ce travail de recherche ; nous voulons cependant en donner ici un rapide aperçu en préambule aÞn d'établir les problématiques qui sont celles de notre recherche.

L'allusion a pour particularité de s'adresser à un lecteur informé ; elle départage à leur insu les lecteurs entre Ç ceux qui savent È et comprennent et ceux à qui l'allusion échappe puisqu'ils ne peuvent pas la repérer faute d'information. Elle est une forme qui présuppose une certaine connaissance de la part du lecteur. En ce sens elle est discriminante ; le choix du texte auquel allusion est faite est à ce titre déterminant : si c'est un texte a priori connu de tous, tel le récit de la création de la Genèse dont tout lecteur francophone a entendu parler, voire a lu, l'allusion a alors un pouvoir uniÞant, elle a une valeur universaliste, elle unit la communauté de tous ceux qui ont quelques notions bibliques. Si au contraire le texte est un texte peu connu, ainsi l'évangile selon Thomas, qui sont des textes qui ne sont pas reconnus pas le canon chrétien, l'allusion a un pouvoir d'exclusion et dégage parmi ses lecteurs une élite.

La citation et la référence ont elles aussi des valeurs propres. Alors que la citation fait entendre un autre texte, un autre auteur, qu'elle en inscrit l'écriture et la voix dans le texte second, la référence elle fait revivre cet absent, elle redonne une dynamique à son texte. Ç Toute citation est - en vieille rhétorique - une éthopée : c'est faire parler

l'absent. S'effacer devant le mort57. È Les mots de Pascal Quignard nous disent le sens de la présence de cette intertextualité qui émaille son oeuvre et la lie à la tradition littéraire.

L'imitation, quelle soit critique ou pas, pose la question de l'héritage. Lorsqu'un auteur imite un autre auteur ou bien s'il imite un genre, la démarche de reprise est par essence entre assumassion et mise à distance. Imiter, même pour critiquer, c'est toujours reconna»tre l'existence de l'autre, genre ou auteur ; c'est toujours y prendre inspiration.

Pastiche ou parodie, la réécriture d'un texte est génératrice d'un décalage, comique ou critique dans le cas de la parodie, stylistique dans le cas du pastiche. Le sens de toute réécriture est situé dans cet intervalle : Pascal Quignard, quand il parodie certains épisodes bibliques et en donne une version athée, voire impie, pose entre son modèle et son texte un distance critique qui est celle de la pensée moderne ; à l'inverse, quand il reprend les thèmes bibliques pour en donner une version moderne, sans les critiquer, il place entre le texte source et le texte cible la distance stylistique qui distingue un

57 Petits Traités, op. cit., IXème traité, Ç Les langues et la mort È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 173

texte biblique du premier siècle de notre ère et un texte essayistique du XIème siècle.

Dans toute réécriture se pose donc la question majeure du décalage, idéologique ou stylistique. Pascal Quignard joue de cet atout littéraire qui permet à la fois de faire référence à un texte antérieur et de le mettre à distance en affirmant ses propres idées, religieuses ou littéraires. Ces formes de réécriture ne cessent pas elles non plus, au même titre que les formes de référence, d'inscrire la lettre quignardienne dans une intertextualité à travers les siècles et les genres.

La traduction enÞn est une forme littéraire qui a des enjeux très particuliers. Enjeux auxquels de nombreux écrivains et critiques ont consacré leur réßexion et auxquels Pascal Quignard n'a pas manqué lui non plus de dédier quelques paragraphes théoriques et de nombreux exemples pratiques.

La traduction, d'une langue à une autre, la transcription, d'un alphabet à un autre, l'adaptation, d'un genre à un autre posent elles aussi la question du décalage ; la problématique de toute traduction est celle de la direction donnée à la mise en version, soit vers le texte cible soit vers le texte source. Entre création et théorie, la traduction est toujours le signe des choix du

traducteur : choix de ce qu'il traduit et choix de comment il le traduit.

Traduire d'une langue à une autre pose la question de l'intraduisible, car un langage et fait de mots et de pensée. Ç La tâche du traducteur58 È est de rendre un équivalent dans la langue de traduction de ce qui est dit dans la langue originale. Ainsi, la traduction pose la question du rapport entre les langues. Entre linguistique et traductologie, la question de l'origine des langues est bien un enjeu majeur ici. L'hypothèse linguistique d'une langue originaire, présente dans le récit biblique de Babel59, est réinterrogée ici : d'une langue à l'autre devrait être révélée la racine commune, l'origine commune, la langue originelle qui lie entre elles toutes les langues. Selon cette hypothèse toutes les langues ont la même visée, seul change le mode de visé, et toutes sont complémentaires. Traduire c'est toucher à cette question de l'origine des langues. C'est aussi faire le constat de l'écart entre les langues et les pensées.

Quand on traduit, la langue la plus souple, la plus vivante, qui réserve le plus de vivacité et de surprise, la plus douée de subtilité et d'imagination, de ressource, la plus fra»che, la plus riche, la plus

58 Ç Die Aufgabe des †bersetzers È, préface à la traduction des Tableaux parisiens de Charles Baudelaire, Walter Benjamin (trad.), 1923, traduction francaise d'Alexis Nouss, Ç L'essai sur la traduction de Walter Benjamin. Traductions critiques È, TTR, Université McGill, Montréal, vol. X, n°2, 1997

59 Genèse, Ç La tour de Babel È, 11 ; 1-9, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 31

judicieuse, et dégourdie, la plus sagace est la morte. Et la langue dans laquelle on traduit para»t des plus éteintes, raides - appauvrie, appauvrissante. La plus inhabile. Morte60.

Du latin au français moderne Pascal Quignard fait l'expérience d'une douloureuse non équivalence, tant dans le sens des mots que dans la matière de la langue. Aussi passe-t-il du temps dans ses textes à expliciter une traduction ; une citation latine est souvent suivie de plusieurs traductions, de plusieurs propositions, dans une quête de précision du sens. Il en vient parfois au commentaire de traduction :

Les philologues classent désormais en deux familles distinctes Ç humus È et ses dérivés, et Ç humor È et ses dérivés. Les anciens Romains ne vivaient pas de même les mots de leur langue maternelle. Humus et humidus pour eux étaient inséparables. Humus ce n'est pas exactement tellus, ni terra. Du moins c'est la terre en tant que la localisation du bas. Humilis était ce qui ne s'élève pas de terre. Humare, c'était enterrer les morts. De là le sens classique du mot Ç inhumatus È, c'est-à-dire ce qui n'est pas dans la terre - le Ç non-inhumé È. Homo est Ç celui du bas È, le terrestre, par opposition à ceux du haut, les célestes. L'humanitas c'est le ras de la terre ; c'est l'humble ; c'est le rez de jardin61.

60 Petits Traités, op. cit., IXème traité, Ç Les langues et la mort È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 156

61 Petits Traités, op. cit., LVIème traité, Ç Longin È, Paris, Gallimard, [1990], Folio, 1997, p. 633

Une rêverie franco-latine qui nous plonge dans la quête des origines. Pascal Quignard utilise la traduction et ses jeux pour proposer à son lecteur de suivre avec lui sa remontée vers l'origine de l'homme par l'origine et le sens des langues.

En ce sens, traduire la Bible est générateur d'un sens supplémentaire dans la quête quignardienne. Paradigme de la traduction, puisqu'elle a été le premier livre traduit, la Bible est bien au cÏur de cette réßexion sur l'origine du langage, origine de l'écriture. L'ouvrage Les Septante62 est à ce titre majeur car il pose la question de la traduction de la parole divine ; les sages qui traduisent les versets de le Torah en grec le font de manière inspirée ; les Soixante-douze ont obtenu la même traduction : Ç C'était plus qu'une concordance, c'était une voix63 È, écrit Pascal Quignard, et il cite Saint Augustin : Ç On dit que les Soixante-douze ont traduit avec l'assistance du Saint-Esprit, au point que, en dépit du nombre de ces hommes, ils n'avaient qu'une seule bouche (ut os unum tot hominum fuerit64. È, et cite aussi Philon :

Là il se passa une chose extraordinaire, que tous

redirent et répétèrent : sous l'inßuence d'une
inspiration divine (kathaper enthousiôntes), chacun

62 Les Septante, op. cit., Paris, Patrice Trigano, 1994

63 ibid., p. 73

64 idem, cite Saint Augustin, De Doctrina Christiana, II, 15

enfermé à l'écart dans sa cellule, ils prononçaient non ceci plutôt que cela, mais tous tel nom pour tel nom, tel verbe pour tel verbe, sans hésiter, comme si chacun d'eux se faisait entendre intérieurement le souffle d'un unique souffleur (ôsper upoboleôs ekastois aoratôs enèchountos)65.

Traduire la Bible, commenter les traductions de la Bible, c'est toujours toucher à l'origine du langage, poser la question de la traductibilité de la parole divine, et donc évoquer l'éventuel échec de celle-ci, puisqu'elle doit être traduite. La traduction de la Bible nous dit la précipitation de la transcendance dans l'immanence. La pratique traductologique de Pascal Quignard pose bien la question de la désacralisation qui semble être irrémédiablement liée à toute traduction de la Bible.

Traduire le sacré se divise en deux pôles : d'une part la traduction inspirée, celle d'un croyant qui se fait hébra
·sant, latinisant ou hellénisant pour rencontrer la parole divine et son texte sera porté par cette croyance, par cette inspiration que lui donne le texte ; d'autre part la traduction critique, qui met à distance. L'écriture quignardienne est bien de ce ressort là : lire, traduire, écrire la Bible, la traiter en objet littéraire pour en évacuer le sacré, pour n'en garder que l'universel message originel dans une démarche de désacralisation et de

65 idem, cite Philon, Vie de Mo
·se, II, 37

la
·cisation qui n'est cependant pas nécessairement dévaluer ou mésestimer.

Tels sont les enjeux des modes de réécritures que nous trouvons sous la plume de Pascal Quignard essayiste. Il joue avec tous les codes et les écarts qui séparent un texte premier d'un texte second. Tous ces jeux et enjeux revêtent, nous venons de l'apercevoir, un aspect particulier lorsque le texte premier est la Bible.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein