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Les réécritures bibliques dans l'oeuvre de Pascal Quignard

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par Daphné Pulliat
Université Paris IV- Sorbonne - Master II littératures françaises 2008
  

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2 . réécrire/traduire la Bible

Ç Traduire, même ce qui n'a encore jamais été traduit, c'est toujours déjà retraduire. Parce que traduire est précédé par l'histoire du traduire.

Traduire la Bible, plus que tout autre texte encore, étant donné l'histoire des effets de Bible, est un retraduire66. È

L'imaginaire judéo-chrétien et l'histoire de

l'imprimerie placent la Bible à l'origine de l'écriture, Ç Le Livre È, Ç L'Ecriture È, majuscule et article déÞni qui affirment le caractère originel des écritures saintes. A partir de ce texte, tout texte postérieur est donc

66 Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Ç Traduire, c'est retraduire - La Bible È, Paris, Verdier, 1990, p. 436

irrémédiablement frappé de secondarité et appartient au domaine de la réécriture, à plus ou moindre degré.

Mais réécrire la Bible peut relever d'une démarche volontaire de la part d'un auteur ; à ce titre, réécrire ou traduire la Bible, toucher au texte originel, devient un choix littéraire et philosophique au sens fort, aux enjeux majeurs. Tenir la Bible pour le premier texte, le textesource, Ç l'Urtexte È - élargissant la notion d'Ursprache établie par Steiner67 pour évoquer une langue originelle unique - relève donc à la fois du lieu commun - toute littérature lui est secondaire - et de la démarche unique et individuelle d'un auteur qui décide de réécrire ou de traduire la Bible.

Il apparait alors que réécrire et traduire la Bible mettent en jeu la question de la source, de l'origine. La Bible premier texte est à la source de tous les autres ; texte premier elle est aussi la source de toutes les traductions. La démarche quignardienne de prendre les écritures saintes comme source de réécritures et de traductions relève à la fois de la fatalité - que réécrire et que traduire d'autre que la source unique ? - et d'une liberté intellectuelle, d'un procès idéologique qui met en jeu des questions littéraires majeures : religion et littérature sont liées par l'histoire, la traduction permet de

67 George Steiner, Après Babel. Une poétique du dire et de la traduction, Paris, Albin Michel, 1978

rendre accessibles les écritures aux peuples peu instruits ou éloignés des foyers religieux ; ainsi la traduction de la Torah en grec entre 250 et 150 avant notre ère, en latin entre 327 et 420 puis dans les langues vulgaires dès 1170 en France, la traduction de Calvin en 1551 enÞn. Dans les années qui suivent, l'imprimerie permet au Christianisme de propager les Ecritures, et donc l'écriture.

Imprimerie et traduction sont bien le signe du lien écriture/religion. Pascal Quignard joue de ce lien. Il s'inscrit alors dans une tradition littéraire multiséculaire. La Bible est bien un paradigme de la traduction, nous en verrons les sens et les signiÞcations, mais le traitement qu'en propose Pascal Quignard s'inscrit dans la problématique plus large de sa quête matricielle.

a . un paradigme

Ç C'est sur les grands textes anciens que s'accumulent les traductions. C'est là qu'on peut confronter un invariant et ses variations68. È

Nous venons d'évoquer l'histoire qui lie religion et littérature. La Bible est à la fois la première forme Þxée de

68 Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Ç En commencant par les principes È, Paris, Verdier, 1990, p. 11

l'écriture et la première source des traductions. Nous voulons revenir rapidement sur l'histoire de la traduction et voir en quoi la Bible y occupe une place particulière.

Symboliquement, la traduction apparait lors de la destruction de Babel : Ç Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres69 ! È. Cette fatalité des différences des langues, ce Ç mal absolu du langage70 È reste irrémédiable dans toute l'histoire de la traduction.

L'histoire fait état de professions de traducteurs vers 3000 avant notre ère chez les Egyptiens et les Mésopotamiens. Les scribes, dont les fonctions étaient officielles et administratives, composaient des glossaires multilingues.

Alors que le Grecs antiques ne traduisaient pas, Rome inaugure la traduction littéraire. Les Romains inaugurent le lexique de la traduction : transvertere, convertere, translatare alors que le grec n'avait que le verbe hermeneuein. La personnalité de Cicéron, traducteur d'Eschine et de Démosthène, incarne l'importance prise pas la traduction gr%oce à la Rome antique.

69 Genèse, Ç La tour de Babel È, 11 ; 7, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 31

70 Henri Meschonnic, Poétique du traduire, Ç Traduire, c'est retraduire - La Bible È, Paris, Verdier, 1990, p. 436

La traduction biblique de la Septante est la première traduction collective connue. Vers 250 150 avant notre ère, cette entreprise dont le récit nous est donné par la lettre d'Aristée71, marque une rupture dans l'histoire des religions, car c'est à partir de cette traduction que se développe le Christianisme, la traduction grecque contre l'original hébreu.

La traduction de Jérôme, entre 327 et 420, devenu saint patron des traducteurs, est la première Ç grande traduction È latine de la Bible. La Vulgate est l'occasion d'un retour à l'hébreu, le latin de Jérôme s'en retrouve hébra
·sé, une technique qui vise le texte source, justiÞée par Jérôme, ce qui a pour conséquence de lier la traduction à l'exégèse et au commentaire de traduction.

Vient ensuite la contribution des savants arabes qui, avides de connaissances, ont traduit en arabe les textes grecs et latins et ont par là sauvé ces cultures des invasions barbares.

Le XIIème siècle retrouve ces traductions et entreprend une re-traduciton, depuis l'arabe et le grec vers le latin, puis vers les langues vulgaires. Les artisans de ce travail à caractère de palimpseste sont les moines, traducteurs et copistes. La traduction fonde ainsi le

71 André Pelletier (trad.), Lettre d'Aristée à Philocrate, op.cit., Paris, Cerf, 1962

Moyen åge occidental. En 1135 est fondé le premier Collège de traducteurs à Tolède.

La période renaissante européenne redécouvre l'Antiquité et la démarche de retour vers les sources engendre de nouvelles traductions des textes antiques ; traductions qui sont sur le Þl de la réécriture et créent le genre des Ç belles inÞdèles È, entre la traduction, l'adaptation et le commentaire parfois. Ces libertés prises du texte-source au texte cible sont le fruit d'interrogations épistémologiques : le verbe traduire est créé par Robert Estienne et remplace celui de translater ; en 1540 Etienne Dolet crée les substantifs Ç traduction È et Ç traducteur È. A cette période la question de la Þdélité et posée. Etienne Dolet, mais aussi Joachim Du Bellay théorisent les principes de traduction. Les écrivains traduisent et théorisent, tandis que l'Eglise décourage les traductions de la Bible par peur des hérésies.

Mais le XVIème siècle est celui de l'illumination et des agitations religieuses, les traductions bibliques se multiplient. C'est dans ce contexte que la Réforme a lieu : Luther traduit la Bible en allemand et pose la pierre fondatrice du Protestantisme.

Le XVIIème siècle voit le nombre de dictionnaires multilingues cro»tre et la traduction devenir une pratique courante et qui s'applique à tous les domaines. C'est l'époque des belles inÞdèles, expression créée par Gilles

Ménage à propos d'une traduction de Nicolas Perrot d'Ablancourt. Les problématiques de la traduction sont au cÏur de la querelle des Anciens et de Modernes. Le siècle classique est aussi celui de la traduction de la Bible par Isaac Le Maistre de Saci, dite la Bible de Saci, jusqu'en 1695, qui manifeste de la sensibilité janséniste.

Le XIXème siècle romantique est partisan d'une recherche de l'original. Les écrivains français traduisent, Chateaubriand traduit Milton, Nerval traduit Heine, Baudelaire traduit Poe.

Au XXème siècle, il est acquis que traduire est une activité à part entière, nombreux sont les écrivains qui s'adonnent à la traduction d'auteurs qui leur sont chers, comme un hommage à un ma»tre. Les traductions de Bible sont plus nombreuses de nos jours qu'elles ne l'ont jamais été. Comme pour les traductions littéraires, les plus grandes traductions bibliques ont été celles qui ont assumé une conception d'ensemble du traduire, font ainsi date la Septante, la Vulgate, la traduction de Luther.

La Bible est bien à l'alpha et à l'oméga de la question de la traduction. Elle est le lieu où est évoquée la langue de Dieu, cette langue unique originelle qui fut celle adressée par Dieu aux hommes et celle qu'il Ç brouilla È lors de l'épisode de Babel. L'histoire et la sociologie des religions révélées associent cette Ursprache à l'hébreu.

Langue divine, elle est le signe du monde, elle fait entrer en adéquation les mots et les objets. En deçà de sa manifestation linguistique, cette langue originelle porte un noyau de sens fondamental, un énoncé primal incommunicable car sacré. La Bible apparait à ce titre comme paradigme de l'intraduisible, car jamais la transcendance ne sera réductible à l'immanence. L'hébreu, langue divine, est ainsi assimilé à cette langue originelle ; la langue des Ecritures est, par voie d'un certain mysticisme, perçue comme la langue-mère de toutes les langues, l'Ursprache. Cependant, faire de la langue première un élément dont la sacralité entra»ne l'intraduisibilité est une erreur de compréhension des sources hébra
·ques. Le Juda
·sme perçoit la langue originelle comme un appel à la traduction, au commentaire, à l'interprétation inÞnie car le sens de la parole divine n'est jamais épuisé, ainsi le montre la tradition midrashique.

La Bible est le lieu où se passe cet éclatement des langues ; l'épisode de Babel est majeur dans toute la pensée judéo-chrétienne. Ç La terre entière se servait de la même langue et des mêmes mots72. È Langue unique que la tradition rabbinique identiÞe à l'hébreu, langue fondamentale qui a été employée à la création et pour la

72 Genèse, Ç La tour de Babel È, 11 ; 1, TOB, op. cit., Paris, Cerf, [1975], 2004, p. 31

Création selon les commentaires de Rashi. Après l'hébreu, après Babel, les langues sont multiples, différentes, diverses. Mais, disent certains commentateurs de la Bible et ils sont relayés par des linguistes, la somme de ces langues constitue la langue fondamentale ; nous avons vu que la visée était la même dans toutes les langues, seul le mode de visée change, ainsi la chose visée ne peut être atteinte par une langue en particulier, mais seulement par le tout des visées de toutes les langues qui sont complémentaires et forment le Ç langage pur, die reine Sprache73. È

L'épisode de Babel constitue pour l'humanité la source de la question de l'origine des langues. A partir de ce texte on a cherché quelle était la langue Ç adamique È, elle a souvent été assimilée à l'hébreu, puis les théologiens chrétiens lui ont substitué le grec puis le latin, les Musulmans l'arabe. Cette question de la langue originelle entra»ne, nous l'avons vu, celle de la langue parfaite, langue mère fantasmée des linguistes car l'origine des langues demeure une énigme scientiÞque. L'épisode de Babel est bien un symbole des ces interrogations majeures de l'humanité, sa présence et son traitement dans les textes de Pascal Quignard sont le signe de cette préoccupation à laquelle il participe.

73 Walter Benjamin, Ç Die Aufgabe des †bersetzers È, Ç La tâche du traducteur È, préface à la traduction des Tableaux parisiens de Charles Baudelaire, 1923

A partir de ces éléments qui inscrivent dans la lettre de la Bible la question de l'origine de la langue, origine de l'écriture, les données historiques quant à l'imprimerie et la traduction ne sont que des éléments venant conÞrmer que la Bible est au cÏur de la question de la traduction et de la réécriture.

Elle est à ce titre un paradigme de l'intraduisible car, parole divine, elle ne peut jamais être traduite complètement, aucun équivalent des langues immanentes n'existe pour rendre l'épaisseur et le sens de la parole divine. Les traductions successives, Septante et Vulgate puis la traduction de Luther montrent bien que le passage de la langue divine dans une autre langue est un moment clé dans l'idéologie et dans la pensée religieuse. Traduire la parole divine est une quête impossible.

A ce titre, l'exégèse est elle aussi témoin du caractère à jamais inépuisable du sens des écritures saintes. Le commentaire, pratique connexe à la traduction, est par excellence le texte second, le fruit d'un texte source. Il trouve ses origines dans l'exégèse et devient au Moyen åge un genre, le commentum, commentaire suivi d'un texte sacré74. Dans la pratique de la traduction, il devient aussi un usage courant, les choix

74 Dominique Boutet, article Ç commentum È, Lexique des termes littéraires, Michel Jarrety (dir.), Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 91

du traducteur sont par là expliqués et justifiés. La pratique du commentaire est donc à la fois liée à la tradition des écritures saintes et à celle de la traduction.

La Bible, source de l'écriture, de la traduction et du commentaire, est bien la pierre angulaire des problématiques de réécriture et de traduction. Nous voulons à présent cerner quels sont les sens littéraires et idéologiques des pratiques de traduction et de réécriture des textes bibliques.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway