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Pour quelle(s ) histoire(s ) d'être(s ) ? Associations 1901, inter relations personnelles et interactions sociales, un art de faire

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par Jean- Marc Soulairol
Université Lumière Lyon 2  - Diplôme des hautes études des pratiques sociales D. H. E. P. S.  2002
  

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1.3.1.2 Peut-on fonder un système de valeurs ?

Nous venons de saisir que les valeurs morales dépendent pour Scheler de nos émotions liées à des schémas théoriques et sont le produit d'innovations. De même, nous avons vu que la morale intervenait pour produire des normes qui sont susceptibles d'orienter les agirs humains. Alors, si ces émotions visent et laissent apparaître non seulement les valeurs mais aussi les agirs humains, sur quelles bases l'individu évalue-t-il le choix de ses normes ? Par là donc, se pose le problème d'une morale qui met en relation l'individu avec un groupe social déterminé. Dans ce qui nous préoccupe ici : l'adhérent changeant avec l'association. Les analyses de Scheler affirment que « [l']indétermination des valeurs est non seulement observable ; elle permet aussi de comprendre qu'il existe en manière de valeurs des innovateurs, et que ceux-ci soient tenus pour occupant une place élevée dans la hiérarchie des valeurs. »189(*) Très proche de Weber ou Durkheim, Scheler nous propose d'y répondre par la valeur sentimentale de sympathie. Sympathie qu'il faut entendre non pas comme une bonne disposition envers quelque chose, mais plutôt à la manière de ce que nous venons de développer, comme un sentiment éprouvé pour quelqu'un. C'est-à-dire en tant que perception (émotion) et acte intentionnel (agirs humains). Par là même, la sympathie permet de saisir comme telle, par exemple, une sorte de désir d'union, de coopération positive (solidarité) pour conduire au bonheur, au plaisir190(*) et au bien être. En début de chapitre, nous avions relevé que pour exister et s'identifier, l'individu avait besoin des autres, cela voudrait dire que son existence et son identification seraient régis par le principe de sympathie régnant entre personnes appartenant à divers groupes. En l'occurrence, entre les adhérents de l'association répartis en branches (micro-groupes). Ce serait, donc, la sympathie qui assurerait la cohésion de ces groupes. Autrement dit, la sociabilité aurait trouvé ses fondements avec la sympathie. Ce qui va nous intéresser de repérer alors, c'est comment la sympathie va permettre une communication et signifier des conduites interpersonnelles. Nous nous intéressons à cette approche de la sympathie parce-qu'en tant que valeur, émotion, elle nous permet d'aborder le phénomène de changement comme une interrelation.

Des auteurs tels Husserl ou Simmel peuvent être évoqués à l'appui de la théorie de Scheler pour parler d'amitié et d'éthique. L'amitié, peut être entendue comme une lien d'affection, de tendresse, de générosité pour une personne, une forme d'amour. Valeur elle-même, elle est tolérance et permet une claire acceptation entre des différences et la reconnaissance de valeurs mutuelles. En ce sens elle marque le respect et l'égalité. Pour Aristote, l'amitié est « un sentiment de bienveillance active et réciproque, lien social par excellence. Nul bonheur n'est pensable si l'on est privé d'amis. » De ce point de vue, c'est un sentiment réciproque. Pour Kant, l'amitié « exige que l'on se maintienne l'un à l'égard de l'autre à une distance convenable. »191(*) Ici, l'amitié, pour être authentique, doit se fonder sur une certaine distance. Mais ce qui définirait le mieux l'amitié pour Scheler serait certainement une forme sublime de sympathie à l'égard d'autrui. Autrement dit, un altruisme. En ce sens, les changements observés pourraient être éclairés par la question de l'amitié en tant qu'altruisme. Parce-que la personne se manifeste à l'amitié dans la diversité de ses actes. Cette diversité autoriserait les interrelations permettant, à leur tour, son évolution donc son changement. Cette amitié, en tant qu'altruisme, peut dès lors désigner le lieu de naissance de l'éthique. C'est ce sens, qui éclaire la question d'autrui : autrui comme autre, altérité, non plus alter ego, différence. Cependant, Scheler introduit une distinction essentielle entre les formes de l'éthique et l'ethos192(*) : l'éthique apparaît « lorsque un ethos régnant se décompose. »193(*) Il définit l'ethos comme « le système de normes et de valeurs caractéristique d'une société. » Alors, si autrui est celui avec lequel une personne peut construire véritablement une relation et une réciprocité dans l'amitié notamment, autrui doit être aussi celui qui impose des limites et ouvre au désintéressement. Nous traduisons : ouvre à la morale, à la construction d'une éthique. Pourquoi a-t-on besoin de morale ? Parce-que, sans elle, rien de ce qui existe ne saurait être évalué ni affronté. Pour le dire avec André Comte-Sponville, « pour essayer de comprendre ce que nous devrions faire, ou être, ou vivre, et mesurer par là... le chemin qui nous en sépare. »194(*) Vu sous cet angle, la relation à autrui dépasse le cadre strictement affectif de Scheler. Toutefois nous lui resterons fidèle parce-que, nous le rappelons, une perception biaisée des valeurs par les individus n'en affectent pas moins les valeurs195(*). Or l'éthique étant une valeur, le fait que « toute connaissance éthique s'effectue selon des lois rigoureuses de la perception affective n'affecte en rien son objectivité. »196(*) Ainsi, en élaborant son éthique de la sympathie, Scheler s'attache à montrer qu'elle serait une forme englobante. « Ce qu'il appelle "théorie de l'identification de la sympathie" permet d'expliquer les situations de fusion. [...] Cette théorie de l'identification est en parfaite congruence avec le développement de l'image. »197(*) Ce qui semble faire écho 1) à la notion de solidarité comme nous l'avons comprise ; c'est-à-dire, ici, en tant qu'elle peut être expliquée comme une situation de fusion et 2) au concept d'identité en tant qu'il puisse apparaître comme une image.

Poser tout ce qui vient d'être développé dans cette section suppose une connaissance concrète des comportements de l'individu. Espérant découvrir, par là, « comment la profondeur peut se cacher à la surface des choses. »198(*) C'est-à-dire, comment le "récit" de l'individu à la recherche de sa place, d'une relation à l'autre et de reconnaissance identitaire permet une compréhension du phénomène de changement. En résumé, ce que nous apprenons, c'est que le phénomène de changement échappe aux normes et au contenu même des valeurs. Elles-mêmes tributaires de toutes sortes de facteurs extra-moraux. La relation des membres d'un groupe est donc fonction des valeurs internes qu'il produit : « l'apparition d'une valeur peut être facilitée par le contexte ou la conjoncture ; sa persistance ne peut s'expliquer seulement parce-qu'elle est adaptée au contexte et à la conjoncture. »199(*) Ainsi, du changement observé qui nous a occupé jusqu'ici, nous dirons que les valeurs permettent de comprendre le glissement d'une logique de l'identité à une logique de l'identification. Ce glissement pourrait être essentiellement individualiste, pourtant, il est beaucoup plus collectif. En fait, l'identification associe chaque personne à un groupe selon une relation. Cette relation est la conséquence d'une attraction : on s'associe suivant les contingences ou/et les désirs, les besoins. Ceci implique une multiplicité de valeurs et d'intérêts opposés les uns aux autres. L'individu n'est, ici, jamais une unité définitive mais toujours en construction, toujours solidaire avec tous dans l'appartenance à un même groupe ou micro-groupe. Ce qui voudrait dire que l'intérêt qui lie l'individu à ce groupe ou micro-groupe, ainsi que les valeurs qui sont partagées contractuellement, deviennent progressivement ciment et vecteurs d'éthique. Celle-ci paraissant factrice de socialisation ; c'est-à-dire : 1) d'intégration dans un groupe et 2) de transcendance de l'individu. Par cela, elle le transforme, le fait changer, donne du sens à ses interrelations et interactions. Bref, cette production individuelle permettrait de vivre, ce que nous nommerons, une "légende collective spécifique"200(*), c'est-à-dire une reliance201(*). Désormais, il n'y aurait plus rien de permis ou défendu mais l'individu a l'exigence de se produire lui-même, tenu pour responsable de tout ce qu'il est, fait ou paraît202(*). Et cette exigence serait un défi a assumer dans la solidarité parce-que cet effet de reliance est susceptible de donner aux individus une place qui acquiert du sens. Ce qui nous paraît désormais éclatant c'est que l'objectif unique de l'individu dans un groupe serait d'être ensemble au-delà de toute autres considérations. C'est, en tout cas, la manière de penser de Michel Maffesoli : « [nos tribus contemporaines] n'ont que faire du but à atteindre [...] Elles préfèrent "entrer dans" le plaisir d'être ensemble. »203(*) Mais il est frappant de constater au Compu's Club, que cette forme de collectivisation, cette socialisation, semble bien plus confuse, hétérogène, mouvante, que rationnelle, mécanique et finalisée. Par association d'idées, serait-ce à dire que les stratégies qu'appelle l'action humaine sont des stratégies de reliance ? Ce qui nous conduit à nous demander si comprendre le phénomène de changement ne pourrait pas être tenter de comprendre comment ce « entrer dans » est "négocié" par l'adhérent ? Parce-que cette construction individuelle de lien social, cette socialisation, nous signifie l'influence de l'individu sur lui-même par des manières de faire propres.

* 189 Les analyses de Scheler sont ici très proches de celles de Weber : « les prophètes au sens large, comme Confucius ou Jésus, occupent une place exceptionnelle dans la hiérarchie des grands hommes, parce qu'ils ont été des créateurs de valeurs. En même temps, il faut comprendre que les innovateurs ne sont reconnus que lorsqu'ils répondent aux "Neigungen" [(dispositions)] du public. » Boudon, R. Gemas n°6, ib. p.22.

* 190 Dans Ethique à Nicomaque (1099 a 17-21), Aristote impose le plaisir dans les actions morales : « On n'est pas un véritable homme de bien quand on n'éprouve aucun plaisir dans la pratique des bonnes actions, pas plus que ne saurait être jamais appelé juste celui qui accomplit sans plaisir des actions justes, ou libéral celui qui n'éprouve aucun plaisir à faire des actes de libéralité, et ainsi de suite. S'il en est ainsi, c'est en elles-mêmes que les actions conformes à la vertu doivent être des plaisirs. » Sur ce point, Scheler exprime un autre argument : « l'homme peut tendre, non vers le plaisir, mais vers le bien ; et l'on ne peut réduire l'un à l'autre en faisant mine de croire qu'on recherche le bien en raison du plaisir qu'il y a à faire le bien. » Scheler, M., Le formalisme..., ib. p.257 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.8. D'autres auteurs, ainsi Pascal, Rousseau, H. Bergson, d'autres écoles telles que les Utilitaristes anglo-saxons (Bentham, J.S.Mill) réhabilitant l'affectivité, ont mis l'accent sur le rôle des sentiments, la valeur de l'intuition et la fonction de l'intérêt et du désir, voire de l'amour dans le jeu de la pensée humaine.

* 191 Kant, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des moeurs, II, tr. V. Delbos, Delagrave, par.46, 148.

* 192 Scheler, M., le formalisme..., op. cit., p.308 in Boudon, R., Gemas n°6, op. cit., p.28.

* 193 Scheler, M., le formalisme..., ib. p.317 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.29.

* 194 Comte-Sponville, André, Parler de morale ?, Magazine littéraire n°361, 01-98.

* 195 C'est ce que nous avons compris avec la théorie de Scheler, p. 46.

* 196 Scheler, M., le formalisme..., ib. p.335 in Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.21.

* 197 Scheler, Max, Nature et Formes de la sympathie, Payot, 1928, p.113 in Maffesoli, Michel, Le temps des tribus, La Table Ronde, 2000, p.136.

* 198 Michel Maffesoli montrant, à propos de la vie quotidienne, comment la profondeur pouvait se cacher à la surface des choses. Maffesoli, M., Le temps..., op. cit., p.138.

* 199 Boudon, R., Gemas n°6, ib. p.30.

* 200 Une légende dans le sens de fabuleux, mythologique.

* 201 de re-ligare plutôt que de recollectere, c'est-à-dire de rassembler.

* 202 On reconnaît ici l'idée du persona, du masque qui peut être changeant et qui surtout s'intègre dans une variété de scènes, de situations qui ne valent que parce qu'elles sont jouées à plusieurs. De même, la personne joue des rôles au sein d'une configuration à laquelle elle participe, elle y prend une place. D'où l'importance de l'apparence en tant que vecteur d'agrégation, de sentir en commun.

* 203 Maffesoli, M., Le temps..., op. cit., p.VII

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