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Sexe, contestation, drogue et rock'n'roll

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par Damien VAQUIE
Université Paul Valéry - Montpellier III - Maà®trise de musique 2003
  

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B. Les Trente Glorieuses selon une vision durkheimienne

Faisons dès à présent une approche sociologique des Trente Glorieuses à travers une vision durkheimienne. Emile Durkheim, sociologue français né en 1858 et décédé en 1917, s'est penché sur la différenciation entre les sociétés traditionnelles et industrielles. Il distingue ces deux types de société à travers les relations établies entre l'individu et l'ensemble de la société. Nous pouvons en conclure deux types de relations : la solidarité mécanique et la solidarité organique3.

La solidarité mécanique est une solidarité par similitudes c'est-à-dire que les individus appartiennent à une même collectivité. Ils ont les mêmes sentiments, la même façon de penser, la même religion et les mêmes valeurs. Par conséquent l'individu est la copie conforme de l'autre. La collectivité prime donc sur l'individualité. La conscience collective, c'est à dire « l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des membres d'une société et formant un système qui a sa vie propre »4, écrase la conscience individuelle. Les interdits sociaux, souvent dictés par des codes moraux corrélatifs à la religion, proviennent du groupe et non de l'individu. Ainsi nous nous retrouvons devant une interprétation du bien et du mal assez subjective comme nous pouvons le constater dans les sociétés féodales et traditionnelles dont l'illustration la plus significative reste l'Inquisition.

Mais prenons un exemple pour bien comprendre ces dernières. Un village de 100 habitants tout au plus, isolé géographiquement. L'ensemble de la population travaille dans l'agriculture afin de subvenir à leurs besoins, ce qui

3 ARON Raymond, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967, pp. 319-330.

4 CAPUL Jean-Yves GARNIER Olivier, Dictionnaire d'économie et de sciences sociales, Paris, Hatier, 1996, pp. 420-421.

confère donc une supplémentarité des professions et des individualités. Les enfants ne poursuivent pas d'études supérieures trop onéreuses pour le revenu familial et reprennent en règle générale le métier de leurs parents. Cela permet d'avoir un revenu de plus ainsi qu'une main supplémentaire. Les personnes vivant dans ce village se marient entre elles et acceptent mal les « étrangers » (toute personne provenant d'un autre lieu que ce soit d'un autre village ou d'un autre pays). C'est l'exemple type de la vie rurale en France avant 1945. L'illustration la plus frappante du point de vue de la mentalité qui règne dans ces villages se devine dans les films de Marcel Pagnol car ils sont bien souvent le reflet de l'atmosphère rurale et contiennent une dimension sociologique assez intéressante. L'un des thèmes privilégié chez Marcel Pagnol est l'illégitimité parentale que l'on peut tout aussi bien retrouver dans La Trilogie Marseillaise que dans La Fille du Puisatier ou encore dans Angèle. Jusqu'à une période assez récente, il était mal vu de concevoir un enfant hors mariage. Marcel Pagnol montre bien le poids de la société sur l'individu. Prenons La Fille du Puisatier par exemple. Ce film datant de 1945 raconte l'histoire d'une jeune fille qui a succombé aux avances d'un jeune aviateur présumé disparu lors de la seconde guerre mondiale. Sa famille la rejette parce qu'elle attend un enfant illégitime. Ceci est pour moi l'exemple même de la réalisation de l'individu à travers le regard des autres et des valeurs sociales. Ce qui est assez frappant dans ce longmétrage, c'est le déchirement sentimental de cette famille restreinte à des normes subjectives de la société. En effet, l'individu est jugé sur ses attitudes par rapport aux codes issus de la morale elle-même liée à la religion. S'il ne pratique pas la même religion que ses semblables il est très vite exclu du groupe et de la société. Le droit répressif écrase alors l'individu qui n'a comme solution que de se fondre dans le moule social où toute visite des chemins de traverse est à proscrire. Avec le film Manon des Sources datant de 1952, Marcel Pagnol nous montre la bêtise d'un assez fort ethnocentrisme ancré dans l'esprit rural avant 1945 dû à un manque d'ouverture et de communication avec le reste du

monde. Les Trente Glorieuses ont permit de développer la communication que ce soit part le biais de la démocratisation des loisirs (automobile, télévision, tourisme) que par l'amélioration des infrastructures (réseau routier et autoroutier).

Par contre la solidarité organique s'applique aux sociétés urbaines telles que nous les connaissons actuellement. Elle repose essentiellement sur la complémentarité des individus, que cela soit sur le plan professionnel que culturel. Cela permet une circulation des échanges, aussi bien financiers que culturels, plus importante que dans une société de type traditionnel. Chacun occupe une place unique dans la société et contribue à son bon fonctionnement. Par conséquent, la différenciation des individus se fait par analogie. L'individualité prime sur la conscience collective et les infractions sont alors sanctionnées dans un but de restitution ou de réparation. L'interprétation du bien et du mal ne se fait plus à partir de préjugés moraux mais suivant s'il y a atteinte à la vie publique ou à la société. Le droit répressif fait alors place au droit restitutif dont la fonction première n'est pas de sanctionner mais de porter réparation à ce qui a été détérioré, ce qui confère à une notion du mal beaucoup plus objective.

Seulement l'évolution sociale qu'a entraînée la croissance effectuée entre 1945 et 1975 ne s'est pas fait ressentir au niveau de l'ethos. En effet, la vie domestique devenait moins contraignante grâce à la démocratisation des biens électroménagers et des loisirs mais les mentalités n'évoluaient guère. La société était encore régie par des sous-entendus suivant les attitudes et les comportements de chacun. Ainsi les Rolling Stones furent mal vus dès le début de leur carrière à l'aube des années 1960. Le seul fait d'avoir des cheveux longs, de ne porter ni costume de scène ni cravate leur valurent des critiques aussi bien dans les médias que dans la rue. Quelques petites anecdotes illustrent bien l'ambiance qui régnait à cette époque. Un jeune collégien écossais âgé de 14 ans

se fait renvoyer de son école parce qu'il porte la même coupe de cheveux que les Rolling Stones. Cet exemple reflète ce qui fait la force du rock et plus précisément de ses interprètes : une identification se met en place encouragée par la commercialisation et par le caractère non conventionnel de ces jeunes gens. Les cheveux longs font pâlir les coiffeurs car ils imaginent une réduction de leur clientèle si les choses évoluent dans ce sens. Mais les Rolling Stones ne sont pas les seuls en ligne de mire. Les premiers furent les Beatles qui concurrencent cette corporation en se coupant eux-même les cheveux et en arborant une nuque non dégagée à une époque où l'on venait dans les échoppes deux fois par mois pour se dégager les oreilles et la nuque. Le président de la Fédération nationale des coiffeurs de Grande Bretagne, Wallace Scowcroft, est si intrigué de l'identification faite par les adolescents au travers de ces groupes qu'il passe une annonce publicitaire dans le Daily Mirror : « Mr. Wallace Scowcroft, President of the National Federation of Hairdressers, offered a free haircut to the next number one group or solist in the pop chart. »5 (NdT : « M. Wallace Scowcroft, président de la fédération nationale des coiffeurs, offre une coupe de cheveux gratuite au prochain groupe ou chanteur numéro un du hit-parade. »).

Une inadéquation entre l'évolution économique et sociale et le changement des mentalités s'est fait vivement ressentir particulièrement chez les adolescents entre 1965 et 1971. En France l'événement majeur de ce désaccord idéologique est perceptible lors des manifestations de Mai 1968. Ce fait reste unique dans notre société parce que c'est pour moi ce qui a permis de basculer d'un mode de pensée du type solidarité mécanique à un ethos de type solidarité organique. La société en ce temps-là connaissait une perpétuelle mutation effectuée par une jeunesse désireuse de balayer des normes et des valeurs sociales poussiéreuses et non conformes à un nouveau mode de vie. Reprenons

5 BON François, Rolling Stones, une biographie, Paris, Fayard, 2002, p. 259.

la société telle quelle était dans nos villages français d'avant-guerre. Les habitants avaient à peu près tous le même statut professionnel et social. Seuls trois personnalités sortaient du lot : le maire, l'instituteur et le prêtre. Leur statut était au-dessus de la masse parce qu'à eux trois ils représentaient à la fois le pouvoir et l'autorité. Le maire était le garant du pouvoir politique, l'instituteur celui de l'éducation et de la morale tandis que le prêtre s'occupait de faire régner l'ordre moral. Les jeunes contestataires de Mai 1968 s'attaquent à ces trois ordres du point de vue de leur fonction sociale. En effet, ils s'en prennent au pouvoir politique, et par conséquent le plus élevé symboliquement à savoir le Président de la République qui était en ce temps-là Charles de Gaulle, à l'éducation à travers l'éducation nationale et l'agitation des mouvements dans les lycées et les universités. De ce qui est de l'atteinte à la morale, elle s'inscrit dans un processus de libéralisation des moeurs de par la révolution sexuelle et l'usage de produits illicites et de par un échappatoire à la société de consommation. Cette abnégation des nouvelles normes urbaines a pour conséquence une nouvelle conception du mode de vie par une approche communautaire. La jeunesse occidentale de cette époque veut croire en de nouvelles valeurs telles que la fraternité et la paix. Une notion de respect en découle de manière tout à fait inédite puisque ces jeunes gens ne se préoccupent plus que de respecter autrui. Le sort de la planète au niveau écologique les turlupinent à l'heure où le conflit vietnamien fait rage parmi les populations civiles et dévaste les forets asiatiques tout comme la pollution s'installe dans les grandes villes mettant en danger l'être humain et la planète. Les adolescents forment ainsi un groupe social à part entière avec un pouvoir d'achat assez conséquent et un niveau de réflexion assez élevé.

Hormis Emile Durkheim, certains sociologues parvinrent à établir une différenciation entre les sociétés traditionnelles et les sociétés industrielles. Ferdinand Tönnies (1855-1936) ne parle pas de solidarité mécanique et de

solidarité organique mais de gemeinschaft (NdT : communauté) et de gesellschaft (NdT : association). « La communauté est un ensemble de personnes fondé sur "le sentiment d'appartenance subjectif "»6. A l'inverse l'association ressemble à un regroupement partiel de la population dont les membres ont peu d'affinités les uns par rapport aux autres. Ferdinand Tönnies situe sa réflexion dans une sorte d'affectivité et de nostalgie qui lui permet de donner la préférence aux sociétés traditionnelles.

Herbert Spencer (1820-1903) distingue ces deux types de société en les termes d'« homogénéité indéterminée et cohérente » et d' « hétérogénéité déterminée et incohérente ». Lui aussi se positionne dans une perception peu glorieuse des sociétés industrielles7.

6 CAPUL Jean-Yves GARNIER Olivier, op. cit., p. 411.

7 RYDER Judith SILVER Harold, op. cit., p. 160.

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