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Le conte et l'éducation chez les Lokpa du Bénin

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par Akéouli Nouhoum BAOUM
Université d'Abomey- Calavi (Bénin ) - Maà®trise en lettres modernes 2010
  

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2.4.5 Le respect du choix des enfants

S'il y a un fait qui est bien connu dans toutes les sociétés du monde, c'est le penchant des parents à vouloir influencer le choix de vie opéré par les enfants, parfois contre la volonté de ceux-ci. Le père est forgeron, son rêve le plus cher, c'est de voir un jour son enfant exercer cette profession pour que la tradition se perpétue. Le père est charlatan, son voeu le plus cher est de passer la main à sa progéniture. La mère est couturière, la fille doit aussi l'être. Tout se décide sur et pour les enfants, sans l'avis de ces derniers. Si la mère est couturière et que l'enfant veut être coiffeuse, il y a conflit. L'enfant veut être maçon, mais le père voudrait le voir devenir menuisier, car c'est le métier qu'il trouve meilleur. Et l'enfant dans tout ceci ? Le médecin veut voir son enfant devenir aussi médecin même si celui-ci veut chanter, ou être footballeur professionnel, car il en a les talents. Dans un monde où l'enfant est victime d'injustices, le respect du choix des enfants apparait comme un thème pas du tout banal. C'est

un thème pourtant sensible, car l'enfant, en Afrique ou ailleurs, ne semble pas être maître de son destin. Trop de décisions sont prises pour lui et à sa place par ses ainés, ses parents.

Le conte n°6 repose avec finesse cette question : doit-on prendre des décisions à la place des enfants ou les parents doivent-ils respecter plutôt le choix de leur progéniture ? Notre conte et son conteur semblent avoir tranché sur cette question. Pour eux, il faut laisser les enfants faire le choix de l'existence qu'ils veulent mener. Le conte pose plusieurs problèmes tous liés aux choix des enfants. Il pose entre autre le problème de l'exode rural, celui du choix du métier et enfin celui plus complexe et plus ambigu du choix de la vie qu'on veut mener.

Commençons par l'exode rural, plus précisément l'émigration. Il s'agit du déplacement massif des jeunes des campagnes vers les zones ou régions prospères. Ce fléau est en partie responsable du sous-développement des régions rurales de nos pays. Il a été, il est et reste un problème majeur dans les régions pauvres. Le conteur nous dépeint le tableau et nous donne la cause principale de ces départs des zones rurales. Il nous apprend que : « Quand ils travaillèrent la troisième année, ils récoltèrent moins de trois paniers, alors qu'ils avaient labouré tout le champ. » (Syntagmes 8 et 9) Les jeunes quittent ainsi leur terre natale dans l'espoir d'avoir ailleurs ce qu'ils ne sont plus sûrs d'avoir chez eux. L'un des fils a voulu perpétuer la tradition en disant : « Moi, je ne vais plus jamais cultiver le champ. Je m'en vais au Ghana. » Mais pourquoi le Ghana ? Le Ghana parce que c'est un pays producteur de café, de cacao et dont l'agriculture était et est encore florissante comparée à celle du Bénin. Bien sur la Côte-d'Ivoire avait aussi une agriculture florissante et pouvait également accueillir des migrants Lokpa. Mais le Ghana était plus proche du pays Lokpa, aujourd'hui Ouaké que la Côte-d'Ivoire. Il était plus facile de traverser le Togo et d'entrer au Ghana que de traverser le Togo et le Ghana pour arriver en Côte-d'Ivoire. Mais le Togo et la Côte-d'Ivoire ont eux aussi accueilli des migrants venus de Ouaké. Mais le Ghana était le pays de prédilection des migrants à cause du fait qu'il était plus riche que le Togo et plus proche que la Côte d'Ivoire. Le conteur cite ici le Ghana pour nous ramener à ces temps durs. Les parents n'ont jamais voulu se séparer de leurs enfants. Car ce sont ces enfants qui constituent la main d'oeuvre, les bras valides. La majorité des parents s'est opposée au départ de leurs enfants. Pour les enfants qui décidaient de partir sans l'accord de leurs parents, ils étaient maudits, ne recevaient aucune bénédiction de ceux-ci. Le départ en exode avait et a encore une mauvaise presse dans la société Lokpa.

Le second problème que relève le conte, c'est celui du choix du métier. C'est un problème
que nous avons évoqué plus haut. Mais dans notre conte chaque enfant a choisi librement ce
qu'il veut faire comme métier et a reçu la bénédiction du père. Le conteur nous dit que les

enfants ont chacun choisi son métier. L'un décide d'être chauffeur, l'autre couturier, et l'un dit : « Je ferai ceci », l'autre dit : « Je ferai cela. » pour montrer que tous ont choisi toutes sortes de métier. Cette liberté de choix du métier pacifique contraste avec la réalité. Car dans la société Lokpa, on ne se lève pas un beau jour et décider de devenir un charlatan. C'est une chose qui se transmet de père en fils et de génération en génération. Il existe des familles de charlatans, de guérisseurs de telles ou telles maladies. En réalité, chaque famille de guérisseurs par exemple a sa spécialité. Chaque famille a son domaine de définition. Ce qui rend l'improvisation quasi impossible. C'est dans la famille que l'enfant apprend le métier de ses parents. Placer donc dans le conteste Lokpa, ces questions et réponses (Syntagmes 25 à 29, Conte n°4) entre un père et son fils restent utopiques, un rêve du conteur. La volonté d'être charlatan dépasse de loin un simple choix de métier. C'est en fait un choix de vie.

Le choix de vie que l'on veut mener est le troisième problème posé dans notre conte. Ce problème se pose à travers le héros et aussi les autres enfants. Etre charlatan, c'est accepter d'être traité différemment, soit avec respect, soit avec dégout dans une société où le charlatan reste un personnage controversé. C'est, pour certains, une personne dangereuse car dotée de pouvoirs maléfiques et traitant avec les diables ou le Diable (Satan selon les croyances modernes). A ce titre, le charlatan est craint et ne peut pas mener une vie normale. Sa vie affecte non seulement lui, mais aussi sa famille, car il est tantôt le bon, tantôt le mauvais. Le charlatan peut dans certaines sociétés jouir du privilège que lui confère son statut de sauveteur, de celui qui connaît tout sur tout le monde. Il est parfois guérisseur, et en même tant envoûteur. Alors il est à la fois craint et respecté pour cela. Il peut aussi être vu comme un menteur, un vendeur d'illusion. Dans ces conditions, il ne jouit d'aucun respect. Il est plutôt méprisé, injurié.

Le héros du conte, a fait un choix assez surprenant : il ne veut rien faire du tout. Il veut juste rester à la maison et partager tous les repas avec son père. Le conteur nous dit qu'à la question du père : « Toi, que veux-tu faire129 » l'enfant a répondu « Moi, tu ne vas jamais m'envoyer. Mais si on apporte à manger, nous mangerons ensemble. Moi, c'est cela mon travail. Moi, je ne ferai rien du tout130. » Dans ce dialogue en quatre phrases du conte, l'enfant conteste dans la première phrase l'autorité parentale, il brise les barrières traditionnelles en décrétant de manger ensemble avec son père dans la deuxième, puis refuse de travailler dans les deux dernières. Cette attitude frise la provocation, et devrait naturellement provoquer l'indignation

129 Conte n°4, syntagme 34

130 Idem, syntagmes 35 à 39

du père. Mais contre toute attente, celui-ci répond : « D'accord, j'approuve131. », donnant ainsi la liberté à son fils de choisir lui-même la voie qu'il veut tracer pour sa vie. Ce qui est assez étonnant, c'est comment un père peut-il permettre à son fils de dormir, de manger et de ne rien faire. L'on accepte que le père ait accepté la décision des autres enfants de faire le travail de leur rêve. Mais encourager la paresse sort du commun, et cela est difficile à accepter pour un parent. Pourtant le conteur nous montre que cela est possible.

Lorsque nous mettons ensemble les trois problèmes posés, et que nous y analysons le comportement du père à chaque étape, nous remarquons que celui-ci est exemplaire. Il n'a opposé aucun refus à aucun voeu de ses enfants. Bien au contraire, il en encourage même les plus inimaginables. C'est un fait qui contraste avec la réalité chez les Lokpa. Chez les Lokpa, l'âge joue un rôle très important. L'âge est la clé de l'autorité. C'est le plus âgé qui dicte la voie à suivre au plus jeune. Tout est mis en oeuvre pour que chacun sache à quelle génération, il appartient. Ce qui fait qu'un enfant ne peut jamais s'opposer à son père qui non seulement lui a donné la vie, mais aussi est son supérieur hiérarchique.

Aussi le peuple Lokpa est un peuple brave, travailleur. Un père mourrait de honte et de tristesse s'il a un enfant qui ne veut rien faire. Or le conteur nous décrit un personnage qui a transgressé ces deux aspects de la société Lokpa.

Le conteur joue dans ce conte avec la catharsis. C'est ainsi qu'il pourra parvenir à faire sa démonstration. L'acceptation du père est elle aussi inacceptable dans la société Lokpa. Dans ce genre de situation, le minimum qu'on puisse attendre du personnage du père, c'est d'essayer de ramener son fils à la raison. Au lieu de cela, il donne son accord. La réaction de l'auditoire aux propos du héros montre le choc que celui-ci a ressenti. En effet, par un kééí132 suivi de rires, l'auditoire s'indigne du comportement du fils et aussi de la passivité du père. Et pourtant, le conteur a atteint son objectif. Cette première partie prépare la deuxième. Cette attitude du père participe de la construction de l'idéal du conteur. Rappelons que le conteur veut nous montrer qu'il faut laisser les enfants choisir eux-mêmes leur destin. Dans cette première partie qui s'étend du syntagme 1 à 43 du conte n°4, le conteur a montré l'ouverture d'esprit d'un père qui donne la liberté à ses enfants d'être maîtres de leur vie, malgré les voeux ou les envies déplacés ou inacceptables de ces enfants. Il a surtout encouragé la volonté de ne rien faire exprimée par le dernier fils. Cette première partie s'achève par un malaise exprimé par l'auditoire qui n'accepte ni le comportement du héros, encore moins celui du père du héros. Ce malaise est voulu et recherché par le conteur. C'est ce malaise qui donnera et posera

131 Idem, syntagme 50

132 Kééi est une onomatopée qui permet d'exprimer son rejet, son étonnement, sa surprise et parfois son indignation face à une situation. Ici le comportement du fils laisse perplexe l'auditoire.

la question du droit ou non des enfants à disposer de leur liberté de choix. Ce malaise participe aussi à la mise en oeuvre de la catharsis voulue par le conteur.

Dans la deuxième partie du conte, le héros qui jusqu'ici s'était montré inactif décide d'entrer en action. Le conteur nous précise qu'il est resté sans rien faire pendant un an. Cette partie du conte ne nous apprend qu'une seule chose : l'enfant qui entre temps s'est montré rebelle, paresseux, bon-à-rien est devenu la source de revenue principale de la famille. Ce revirement de situation donne alors raison au père qui a su laisser l'enfant choisir sa propre voie. L'auditoire pourra par cette fin, par ce changement d'attitude du héros tirer ses propres conclusions. C'est d'ailleurs pour cela que nous avons parlé de catharsis.

Le conte construit comme une pièce de théâtre en deux actes permet au conteur de faire découvrir à son auditoire, de faire accepter à son auditoire, que les enfants peuvent choisir eux-mêmes leurs chemins.

Voyons un peu cette construction et ce qu'à chaque étape, le conteur a pu faire comprendre à son auditoire.

Acte 1 :

- Situation normale = les récoltes sont bonnes et tout le monde est content.

- Dégradation de la situation = les récoltes sont très mauvaises et tout le monde est démotivé.

- Amélioration = le père convoque une réunion et chacun décide de la démarche à suivre. Les enfants décident librement le chemin de leur existence.

Noeud : le héros prend la décision absurde de ne rien faire du tout. Son père accepte. Malaise de l'auditoire face à une situation atypique.

Acte 2 :

- Situation normale = le héros reste un an sans rien faire. Le père respecte ce choix

- Dégradation = le héros sort un matin et revient le soir avec une chicotte. Il demande à

son père de le chicoter. Le père choqué refuse mais cède sous la pression du héros.
- Amélioration = le héros se transforme en un beau cheval et se fait vendre à un roi.

Mais il feint la mort par trois fois. Il doit la vie à son pouvoir la troisième fois. Il a

failli se faire prendre par un roi plus fort que lui. Mais il gagne le duel.

- Dénouement ou situation normale = le héros décide de ne plus jouer des tours. Sa famille renoue avec l'opulence perdue.

L'acte1 est consacré à la présentation de la situation : un homme et ses presque douze enfants tous paysans. Placée dans un schéma quinaire, cette partie correspond à la situation initiale.

Mais après deux ans de bonnes récoltes, la troisième année voit la récolte baissée complètement annihilant ainsi toute la joie des années passées. C'est l'élément modificateur selon le schéma quinaire. C'est une situation qui pousse le père à convoquer une réunion pour résoudre la crise (La série des actions pour dénouer la crise). Cette partie montre également l'ouverture d'esprit du père qui ne s'est pas assis tout seul et réfléchir pour tout le monde. Le personnage du père qui peut avoir plusieurs interprétations (président d'un pays, chef d'un village ou un chef à tous les niveaux) se montre humble et conciliant car sa situation lui permettait de prendre des décisions autoritaires. A ce niveau, le conteur donne sa première leçon didactique, car le comportement du père est exemplaire. Son exemplarité se confirme quand il accorde à chaque enfant le droit de faire ce qu'il souhaite pour sa vie.

Mais accepter que son fils reste sans rien faire provoque l'indignation. La scène de la réunion permet au conteur de relancer le débat, de relancer l'histoire, mais aussi d'introduire ce personnage atypique qui jusque là n'avait pas joué un rôle spécial, qui se révèle être le héros de la suite de l'histoire. C'est aussi son entrée en scène qui crée l'effet cathartique voulu par le "conteur-metteur-en-scène". Il ouvre aussi par cette entrée en scène l'acte n°2.

Si dans la première partie le père de famille semblait avoir joué le rôle principal, dans la deuxième partie, le héros a le monopôle de l'action. Le héros a aussi fait volte-face. Paresseux dans la première partie, il se dévoile dans la deuxième partie. Il étale tout son pouvoir et étonne par sa conduite son père et même l'auditoire qui avait déjà fait son procès. Ce revirement du personnage confond les personnages à l'intérieur du texte, le père en l'occurrence, et l'auditoire. A travers trois séquences, les premières plus époustouflantes que les suivantes, le conteur nous montre comment le paresseux s'avère être un enfant doué de pouvoirs et de courage. Ces trois séquences nous exposent la super puissance de l'enfant. Elles, ces séquences, permettent à l'auditoire de se rendre compte de ce dont est capable un enfant qui, très vite, a subi son indignation, son jugement. Elles sont les arguments qui plaident pour le respect de la volonté des enfants.

L'opposition entre le comportement du héros dans la première partie et celui dans la seconde partie permet au conteur de montrer à l'auditoire que tout est possible. Ce changement de comportement intervient dans un intervalle de temps précis : « ? nà p kômà p tàlà pinté ?s?? pà cà kótà w? to (Tu vois, exactement un an après la réunion convoquée par leur père)» laisse présager que ceci n'est pas un fait du hasard. Le héros a attendu un an, jour pour jour, pour changer de comportement. Cela permet, en tout cas, de plaider que le "vaut-rien" d'aujourd'hui peut devenir un être utile demain. La patience du père paye alors.

Le conteur appelle par ce fait l'auditoire à dépasser les conventions existantes, à juger son monde, ses manières de faire les choses. Le caractère absurde du héros, son comportement qui sort des limites fixées contraste avec celui du héros tout puissant qui permet à sa famille de gagner beaucoup d'argent. Ce contraste fait douter l'auditoire sur ses conventions, et l'amène à reconsidérer les choses. Ce qui était impossible devient possible ou tout au moins envisageable. Les exploits d'intensité croissante du héros finissent alors par convaincre l'auditoire et lui faire admettre de la justesse de la décision du père de laisser son enfant décider ce qu'il veut faire de sa vie. S'il était contraint à aller au champ, peut-être n'aurait-il pu jamais avoir l'occasion d'affirmer son pouvoir. Ce pouvoir peut prendre plusieurs formes : un talent ou un don à faire quelque chose, plus de motivation à faire autre chose, plus d'inspiration dans un domaine donné, etc.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci