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Le conte et l'éducation chez les Lokpa du Bénin

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par Akéouli Nouhoum BAOUM
Université d'Abomey- Calavi (Bénin ) - Maà®trise en lettres modernes 2010
  

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2.4.4 La satire de la paresse

La paresse est, selon le dictionnaire de l'Académie française, une « disposition qui porte à éviter l'effort, le travail, à négliger de remplir ses obligations, à se complaire dans l'oisiveté. » Elle est la risée de beaucoup de critique dans toutes les sociétés du monde. Elle serait aussi l'un des péchés capitaux selon la croyance chrétienne.

Chez les Lokpa, elle est aussi critiquée, combattue chez l'être humain. Elle est décrite comme handicap au développement personnel et aussi collectif, c'est-à-dire d'une communauté, d'un pays, voire d'un continent. D'ailleurs pour introduire le conte n°9 qui traite de la paresse, le conteur nous prévient : « Tu écoutes, le paresseux, celui qu'on appelle paresseux, toutes ses rétributions et ses difficultés. Aujourd'hui, tu vas entendre d'où cela vient. » (Syntagmes 1 et 2). La paresse représenterait ainsi un danger pour le paresseux. C'est en tout cas ce que s'est évertué le conteur à nous démontrer.

Cette phrase introduisant le conte lui confère l'allure d'une argumentation. Le conteur
prévient, à la manière de Jean de la Fontaine qui disait : « La raison du plus fort est toujours

la meilleure : Nous l'allons montrer tout à l'heure127 » en introduction à sa fable "Le Loup et l'Agneau", ce qu'il se prépare à faire : montrer les rétributions et les difficultés du paresseux. En clair, le conteur tente de convaincre l'auditoire que la paresse n'est pas une bonne chose par des exemples. La paresse est l'un des fléaux qui peuplent la société Lokpa et contre laquelle l'on met en garde. Elle est la source du non développement des sociétés, du non épanouissement des peuples.

La paresse est une disposition de l'esprit qui nous encourage à ne rien faire. C'est du moins la parodie que nous pouvons faire de la définition du dictionnaire de l'Académie française. Cette disposition de l'esprit pourrait donc être interprétée comme un arrangement ou une distribution selon un certain ordre provenant du Créateur de l'homme, c'est-à-dire Dieu. Mais le conte nous révèle que ce n'est pas Dieu qui nous a rendus paresseux, mais plutôt Dieu a subi cette paresse alors qu'il créait les êtres vivants. La paresse résiderait ainsi en nous. Le crabe nous en a fait la démonstration car il refuse à cause de sa paresse d'aller se faire construire. La paresse est donc aussi vieille que l'univers. Elle existe en nous, vit en nous, se développe en nous. C'est pourquoi le conteur nous met en garde. La question à la quelle il faut nous répondre, c'est de savoir : comment le conteur traite le thème de paresse dans ce conte ? Comment s'y prend-il pour nous prévenir des risques que nous encourons à être paresseux ? Pour répondre à cette question, nous allons aborder le conte en plusieurs étapes. Il faut, pour commencer, comprendre le sens symbolique des personnages utilisés par le conteur. Le choix de ces personnages est loin d'être un fait simple. Les deux principaux personnages sont le crabe, personnage concret, et Dieu, personnage abstrait en tant qu'entité non matérielle, concrète, Etre suprême, Créateur des hommes, pour les croyants. Mais il y a aussi des personnages secondaires. Parmi les personnages secondaires, nous pouvons classer tous les êtres vivants qui, au même titre que le crabe, ont été crées par Dieu. Ces personnages sont utilisés comme des antihéros dans la situation d'un conte de type en miroir. Si dans une situation de conte en miroir ordinaire, le héros et l'antihéros sont les principaux personnages, dans ce conte intervient un troisième personnage principal : Dieu. C'est ce personnage qui permet à chaque personnage de se démarquer. Une présence qui ne modifie pas pour autant la structure de la trame d'un conte de type en miroir.

Commençons par le personnage Dieu. Le personnage de Dieu a repris dans le conte le même rôle que celui à lui conféré par les religions modernes : Islam et Christianisme pour ne citer que ces deux religions. C'est l'image du Dieu-Créateur du ciel et de la terre et de tout ce qui est entre les deux. Ajoutons aussi, qu'il est le Créateur de tout ce qui existe sur terre comme

aux cieux, de tout ce qui est visible et invisible. Il est le Tout-Puissant, l'Omniscient et l'Omnipotent. Ce sont là des croyances que nous tirons des Ecritures Saintes, fondatrices des religions monothéistes que nous venons de citer. Ce sont des croyances que nous retrouvons également à travers le conte et dans la société Lokpa. C'est d'ailleurs le rôle que Lui confère le conteur : celui de Créateur des êtres qui peuplent l'univers, les hommes y compris. Le personnage de Dieu est ainsi sans ambigüité dans le conte. Il n'a pas de valeur connotative. Il est Dieu tel qu'il est ancré dans le subconscient des croyants, en général et surtout les religions monothéistes, en particulier.

A côté du Créateur, nous avons les créatures. Le crabe, contrairement à Dieu a une valeur allégorique, une valeur connotative. Si le personnage de Dieu n'a pas donné lieu à des interprétations, car il n'y a pas d'autres dieux, et Dieu avec grand "D" renvoie à cette entité dite Dieu, celui du crabe reste la clé même du conte. Prendre le crabe seulement au sens propre du mot revient à laisser tomber l'essentiel. Le crabe, au sens propre du mot, est un animal qui existe et qui est bien connu dans la société Lokpa surtout pour sa chair blanche au goût presque sucré, mais qui est objet de convoitise pour les jeunes, les enfants, et aussi certaines personnes âgées. Il est aussi reconnu pour être un animal particulièrement laid par son physique. Le conteur lui-même le décrit en ces mots : « A cause de sa paresse, il a ses yeux sur son épaule » (Conte n°9 syntagme 88). "Il" désigne le crabe. Le crabe est, selon le conteur, laid à cause de sa paresse. Le message du conte se construit, de toute façon, autour de cette laideur du crabe.

Dans une autre mesure, le crabe représente allégoriquement l'être humain paresseux, pour qui la paresse est une tare. Elle a conduit à sa laideur. La laideur peut avoir aussi plusieurs interprétations : elle est d'abord un échec. Echec du crabe à se faire doter d'un corps parfait. Echec, c'est-à-dire mauvaise récolte d'un paysan qui n'entretient pas bien son champ. Famine pour la cigale128 qui est obligée à quémander pour se nourrir après avoir chanté pendant toute la saison des cultures. C'est également l'échec d'un élève ou étudiant qui n'est pas endurant, assidu. Cet échec est à mettre à côté du succès de l'antihéros, les autres animaux qui sont parvenus à se faire doter chacun d'un corps parfait par Dieu.

Pour récapituler, le conte contient trois sortes de personnages : le héros (le crabe), l'antihéros (tous les autres êtres vivants sauf le scorpion qui serait resté aussi chez lui à cause de sa paresse) puis le donateur ou l'adjuvant (Propp et Greimas), c'est-à-dire Dieu qui a permis aux êtres vivants d'exister. Le personnage de Dieu pourrait aussi être dans ce conte le destinateur

128 Jean de la Fontaine, Fables, Livre 1 à 6, Larousse, Classiques Larousse

par le fait qu'il a initié de créer les êtres vivants, et les destinataires seraient les êtres euxmêmes.

Voyons le comportement des actants à travers le modèle actanciel de Greimas.

Destinateur

Dieu mu par la vonlonté de
créer les être vivants

Adjuvant
Dieu, endurance et
assiduité chez les
autres êtres vivants

Objet

Création des êtres

vivants

Sujet

Le crabe et les autres
êtres vivants

Destinataire
Les êtres vivants

Opposant

Paresse chez le crabe et le
scorpion

Figure 5 : Schéma actanciel du conte n°9 selon le modèle de Greimas

L'analyse du schéma que nous venons ainsi de dresser nous montre que sur l'axe Adjuvant? Sujet? Opposant, Dieu aide mais ne force pas. Il est le donateur, celui qui aide donc le héros pour réussir sa mission. Nous voyons également à côté de Dieu, un autre Adjuvant très important se montre après déterminant : l'assiduité, l'endurance. C'est elle qui permet la réussite. C'est elle qui a permis aux autres animaux de se faire construire complètement.

Toujours sur le même axe, la paresse est l'Opposant à la réalisation de l'oeuvre de Dieu. La paresse que nous retrouvons chez le scorpion et le crabe.

Mais en considérant l'axe Destinateur ? Objet ? Destinataire, il est aisé de constater que Dieu veut créer les êtres vivants. Il est l'initiateur de la création des êtres vivants. Mais les êtres vivants sont les bénéficiaires de cette création. Il n'a donc aucun intérêt à créer les hommes, car il a tout et n'attend rien des êtres vivants.

En mettant ensemble, le premier et le deuxième axe du schéma, apparaît clairement la leçon ou la philosophie du conte : Dieu, malgré sa bonté et sa toute puissance, ne peut pas faire notre bonheur à notre place sans que nous ne donnions le meilleur de nous. Le crabe est aujourd'hui mal construit à cause de sa paresse. Les autres êtres vivants sont parfaits car ils se sont montrés endurants. Le conteur nous rappelle ainsi que c'est nous et seulement nous qui sommes maître de nos destins. Dieu n'est qu'un accompagnateur, l'adjuvant, jamais l'opposant, car nous l'avons vu il n'a pas pu s'empêcher de faire tout ce qui était en son pouvoir pour permettre au crabe d'avoir des yeux. D'ailleurs une sagesse Lokpa l'illustre en disant que « lorsqu'une personne veut tomber d'un arbre et celle-ci crie « ô Dieu, sauvemoi », elle tombera et mourra, mais si celle-ci tout en demandant le secours de Dieu fait

l'effort d'attraper une feuille, Dieu donne à cette fragile feuille la résistance d'une branche, et cette personne survivra. » Cette sagesse nous invite à comprendre l'utilité de l'endurance en toute chose. Elle nous apprend que Dieu ne nous aide que lorsque nous lui en donnons les moyens. Dans notre conte, alors que le crabe et le scorpion sont victimes de leur paresse, les autres êtres vivants doivent leur salut à leur endurance, leur effort. Efforts et endurance qui ont permis à Dieu de parvenir à les construire convenablement, en les dotant chacun d'un corps parfait. Le crabe a eu lui aussi les yeux en faisant l'effort d'aller chez Dieu, en laissant de côté sa paresse, en se montrant endurant.

Pour mieux comprendre, récapitulons :

Personnages

Crabe (héros)

Dieu (adjuvant)

Etres vivants (antihéros)

Caractéristiques

Mal construit, laid,

paresseux.

Bon, omniscient,

omnipotent, créateur,

Bien construits, beaux,

endurants, pas paresseux

Tableau 2 : Tableau récapitulatif des personnages et leurs caractéristiques du conte n°9

Le tableau nous montre que les êtres endurants, non paresseux sont "beaux et bien construits". En opposition le crabe, paresseux et non endurant, est mal construit et laid. Malgré l'omniscience et l'omnipotence de l'adjuvant(Dieu), il n'a pas pu aider, ni bien construire le crabe paresseux. La question « Pourquoi n'es tu pas venu hier ? » (Syntagme 55, Conte n°9), montre bien que Dieu n'aide que ceux qui sont endurants. L'observation du tableau nous permet de voir que le caractère endurant des autres animaux a permis à Dieu de bien les construire. Mais la paresse du crabe a produit l'effet contraire à l'exception du scorpion qui est aussi resté chez lui. La puissance de Dieu n'a d'effet que si celle-ci est aidée par la bonne volonté, l'endurance des êtres à construire.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille