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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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6.4 Les « résidants » : le pôle domicile

Les termes « résidence » ou « maison » se trouvent être révélateurs de ce pôle (cf. chapitre 2) : ils marquent l'évolution de la prise en charge des personnes âgées dans l'établissement, passant d'un refuge où le pensionnaire est logé et nourri, à une maison/résidence où le résident « demeure habituellement » (Larousse 2013). Il s'agit aujourd'hui d'« intégrer du domicile dans de l'institutionnel » (Molinier 2013).

Si ce n'est pas une obligation, l'assistante sociale et le directeur insistent néanmoins fortement sur les bénéfices de l'appropriation de la chambre par le résident. Ces derniers sont invités à apporter leurs objets personnels, parfois même leurs meubles, « à condition que ceux-ci respectent les critères de sécurité, ne gênent pas l'occupation normale et n'altèrent pas l'hygiène des lieux » (art. 19/d du ROI). Ainsi Mme Va. a personnalisé sa chambre avec des tableaux de son ancien chat (les animaux pers onnels73 étant interdits), et m'explique qu'« on l'a fait un peu soi-même son atmosphère ! ». La plupart des résidents interrogés se sentent « chez-eux » dans leur chambre, « je suis ici dans mon domaine, j'me sens bien » (Mr K.) et ce, même si «c'est toujours mieux à la maison hein ! au début c'est difficile de s'adapter ! » (Mme C o.). Il est ici demandé au résident de s'approprier l'espace à l'aide de « marqueurs » personnels, et de faire de sa chambre un « territoire de la possession », c'est-à-dire un territoire où « un ensemble d'objets identifiables au moi [sont] disposés autour du corps où qu'il soit » (Goffman 1973b : 50-53). Ainsi, si l'espace du couloirs « s'hospitalise », l'espace des chambres « se domicilise ».

Néanmoins, si certaines fournitures se voient acceptées, d'autres le sont plus difficilement, et ceci dans un but sécuritaire. C'est le cas d'appareils chauffants tels que fers à repasser, taques électriques, chauffage d'appoint qui ne sont acceptés qu'à titre exceptionnel et

De manière générale, il y a une plainte des résidents d'être considérés comme « à disposition » du personnel, s'illustrant tant dans cette situation d'intrusion dans l'espace

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sous l'accord de la direction (éviter les incendies ou les brûlures). Cependant, Mme Va. se fait cuire des oeufs au micro-onde lorsque le repas ne lui plait guère ; Mr K. boit son propre café préparé par ses soins dans sa chambre ; Mr De. lui, se contente de thé tout au long de la journée grâce à son chauffe-eau personnel. En réalité le personnel « sait» qui a les capacités de gérer du matériel « dangereux » et qui ne les a pas. Le directeur permet ainsi à certains de posséder ces appareils. Je montrerai par la suite, à l'instar d'Isabelle Mallon (2005) et d'Erving Goffman (1968), qu'il existe de nombreuses « adaptations secondaires » permettant aux résidents de « continuer leur vie » malgré les contraintes de l'établissement.

L'intimité et l'intrusion

La chambre forme ainsi le « territoire », entendu comme l'« espace géographique propre à une personne ou à un groupe, caractérisé par des limites, plus ou moins fixes, et par la qualité d'intrus appliquée à celui qui les franchit » (Kattan-Farhat 1993 : 179), l'espace privé opposé au couloir qui illustre le « lieu public par excellence » (idem : 188). Une remarque intéressante ici : le personnel soignant se permet l'entrée sur le territoire des résidents (parfois sans frapper), ils ne répondent pas de la catégorie d'« intrus ». Moi même n'y répondait pas

plus, j'ai été étonnée d'ailleurs de la facilité à m'introduire dans les chambres, en tant que
personne extérieure et inconnue des résidents. Voulant d'ailleurs frapper aux portes et attendre l'autorisation du résident, je reçus du personnel ce genre de remarque : « Oh mais tu peux entrer comme ça hein !! », dans le sens : pas besoin d'attendre qu'ils te répondent, entre directement. Pourtant il est stipulé dans le règlement que « chaque membre du personnel de l'établissement doit veiller à respecter la vie privée du résident, notamment en s'annonçant avant d'entrer dans la chambre » (art. 3).

Cette situation de non-respect de leur intimité énerve d'ailleurs certains résidents : Mme Va. m'explique qu'elle était à la toilette, en train de s'essuyer les fesses et quelqu'un est entré directement dans sa salle de bain pour lui tendre un nouveau rouleau de papier toilette, « y a quand même de quoi attraper une crise hein !? On rentre pas dans une toilette !! mais c'est comme ça ici... » ; Mme W. « je vais pas parler du petit personnel, c'est pas bien, mais bon, le directeur ne le fait pas [entrer sans "frapper], l'assistance sociale non plus,... par contre les aides logistiques, les aides ménagères,... les... les aides-soignantes, eux bien! ». Les résidents ont appris à ne pas les considérer comme intrus.

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personnel que lors des situations de rendez-vous médicaux : « on nous prévient jamais quand on a rendez-vous, on l'apprend le matin même ! Ou alors même pas, ils viennent nous chercher et ils nous disent, allez ! Vous êtes pas prêts ? Mais vous avez rendez-vous dans 20minutes à l'hôpital ! » (Mr W.) ou encore lors d'activités : Mr Boe. m'explique que le jour de sa fête d'anniversaire74, on est venu le chercher 5 minutes avant en lui disant « allez ! c'est votre fête aujourd'hui ! ». N'étant pas au courant, il avait sur lui une chemise sale. Amené ainsi dans la cafeteria, il s'est senti mal à l'aise tout l'après-midi devant les familles présentes...

Revenons à cette idée de chambre comme « territoire », interdite aux « intrus ». Si le personnel y est « accepté » ainsi que je le fus, cela est différent pour les autres résidents : la présence de l'un d'entre eux dans leur espace privé est vue comme intolérable. Ainsi, Mme S o., démente, passe son temps à se promener dans les couloirs, elle entre alors dans les chambres, s'endort parfois sur les lits des autres résidents, provoquant un tollé général !

Cette permission sélective d'intrusion dans l'espace intime illustre selon moi une facette de la tension entre les pôles hôpital et domicile. D'un côté le résident est vu comme passif, à disposition du personnel (logique hospitalière : le Breton 2008 ; Byron Good 1998 ; Strauss 1992b) et de l'autre, on lui demande de créer un espace privé, intime, un espace propre et personnel, inaccessible aux autres résidents (logique du domicile).

La vie privée

Se situant à égale distance entre le pôle hospitalier et le domicile (en tant qu'informations privées de la personne), le secret médical se doit d'être respecté (art. 15/f ROI). Pourtant, à mon arrivée, je reçus la structure des chambres, avec les noms des personnes et le grade obtenu sur l'échelle de Katz. Avant même d'entrer en contact avec les résidents, je connaissais leur état de dépendance. Même constat lors de ma tournée avec l'assistante sociale, le premier jour d'observation : nous avons fait le tour des chambres et j'ai appris qui était incontinent, alcoolique, SDF, etc. Ces dernières informations relèvent selon moi, du domaine du privé (d'ailleurs l'assistante sociale parlait à voix basse pour ne pas nous faire entendre des résidents, confirmant mon impression). Si à l'hôpital, comme je le mentionnais ci-dessus, l'histoire, la vie personnelle de la personne, est passée sous silence, dans une maison de repos et de soins, où prônant une approche plus holiste de la personne, il n'est pas étonnant que de telles informations circulent, et ce, dans le but d'apporter une meilleure prise en charge au

74 Chaque mois, une fête d'anniversaire commune est organisée pour tous les résidents à fêter ce mois-là. Ils sont rassemblés dans la cafeteria, les familles invitées, les gâteux sortis. Les résidents reçoivent aussi de petits cadeaux. Mr Boe. m'avoue avoir été déçu du cadeau de cette année : un paquet de Cent Wafers .

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résident. De nouveau ici, on voit la tension entre le respect de la vie privée et le besoin de la faire connaître au personnel afin d'assurer l'accompagnement de la personne. La connaissance des informations privées participe au dispositif panoptique (cf. chapitre 7).

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault