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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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CHAPITRE 10 :

MÉTHODOLOGIE SUIVIE

Je m'attache en cette fin de mémoire100 à décrire quelques traits importants du terrain permettant la contextualisation des données récoltées. « Dans une démarche réflexive, [les travaux] pourront analyser le contexte de la recherche ; la façon de négocier son accès au terrain ; les difficultés d'accès à l'information ou les stratégies d'encliquage ou d'instrumentalisation ; les risques que prend parfois le chercheur et ceux qu'il peut faire prendre à ses différents interlocuteurs ; les questions de protection des informations et des informateurs et de propriété des données ; la confrontation des discours et des savoirs sur l'objet ; la façon dont l'anthropologue influe sur son objet et dont, en retour, il est lui-même influencé par son positionnement particulier ; la manière dont ces relations d'enquête influent sur les stratégies d'écriture et de publication, en termes de confidentialité, protection des sources, etc. » (APAD 2013). Voici mon « récit des conditions d'enquête » (Bizeul 1998) !

10.1 Une entrée négociée et « enc~iguée »

Tout d'abord, quelle technique d'approche ? J'ai contacté la maison par e-mail fin juillet, ayant au préalable passé en revue toutes les maisons de repos et de soins de la ville de Bruxelles (inforhomes-asbl.be), sélectionné les maisons ayant un assez grand nombre de résidents (au moins 50 résidents) et se trouvant dans un endroit accessible de mon domicile. Je regardais également les infrastructures proposées et éliminais les maisons sans activité organisée. Je me suis directement présentée comme étudiante en anthropologie, attirée par les questions sur la vieillesse et ayant besoin d'un terrain d'investigation pour mon mémoire.

J'ai été agréablement surprise de la facilité avec laquelle je suis entrée sur ce terrain : dès le départ, le directeur était enclin à me laisser observer l'organisation de « sa » maison. Il m'a toutefois interdit d'aborder le sujet de la mort (touchant à l'euthanasie), sujet politique et trop sensible selon lui. Cela a d'ailleurs amené une discussion tendue : le mot « fin de vie »,

100Certains me reprocheront ce choix et me diront qu'une méthodologie se place en début de travail afin de permettre au lecteur de contextualiser les données dès le départ. Cela se défend. Dans ce travail toutefois, j'ai préféré annoncer dans les grandes lignes ma position sur le terrain dans l'introduction et placer cette méthodologie détaillée en fin de travail, afin de faire plonger le lecteur directement après l'introduction au coeur du sujet de mémoire. De plus, un tel chapitre en fin de travail permet, me semble-t-il, la sensibilisation du lecteur au terrain étant effectuée, de mieux comprendre les choix méthodologiques effectués.

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utilisé dans mon projet de mémoire pour parler de « vieillesse », signifiait pour lui « patients palliatifs » alors qu'il signifiait « vieillesse » pour moi. Ce malentendu réglé, la maison m'était ouverte, tous les jours de la semaine, à toute heure. Je m'y suis rendue les mois d'octobre et novembre 2012 puis, ayant demandé de prolonger mon observation, les mois de février et mars 2013, à raison d'en moyenne 2 visites par semaine.

Sophie Caratini montre bien que la présence du chercheur sur le terrain est le fruit de négociations. Les armes pour se faire accepter selon elle, sont : la séduction ; la nécessité de prouver le but scientifique de la recherche aux autorités locales ; et celle de tenir ces autorités au courant des actions de l'anthropologue (2004 : 41-44). Dans mon cas, les trois techniques ont été utilisées : je suis une fille cherchant à être acceptée, à bien me faire voir, face à Mr Marc, homme, 37 ans. La séduction a joué. J'ai fourni une lettre de recommandation de mon promoteur et j'informais de temps à autre ce directeur de mes avancées (j'y reviens ci-après).

Mes observations n'ont cependant pas été « gratuites », Mr Marc (c'est-à-dire le CPAS, cf. chapitre 3) a de mes contacts avec les résidents pour connaître l'avis de ces derniers sur la maison, touchant ici à la question plus large de l'instrumentalisation du chercheur et du «prix» des données101. Ceci a permis d'introduire un rapport de réciprocité que je trouvais d'abord juste mais par la suite encombrant. Juste d'abord. Sophie Caratini note que « parfois pour se libérer de cette sensation de dette, [le chercheur ...] rend de multiples services » (2004 : 23) et se détache alors de la « position de débiteur ». De plus, ces questions, « faciles » à poser (demandant des réponses claires et précises des résidents), m'ont permis parfois d'instaurer un rapport de confidence avec le résident. Encombrant ensuite. Ceci m'a demandé un travail supplémentaire de tri des données, qui, au final, n'a pas eu l'impact attendu (le directeur n'a pas semblé y porter beaucoup d'importance lors de ma présentation).

Cette entrée « par la grande porte » (avec l'accord du directeur) me coûta également cher sur le terrain, et ce, auprès du personnel de soins. Daniel Bizeul (1998) parle des difficultés d'investiguer un terrain « en conflit », bien que dans mon cas, le conflit ne soit ni violent ni fort apparent, certaines tensions existent entre différents groupes, dont entre le directeur et le personnel. Lors de mes premières observations au sein du personnel, aux questionnements sur ma présence dans l'établissement, je répondais que oui oui, le directeur est au courant, il m'a donné son accord. Ainsi, mon entrée fit écho à la situation d' « encliquage » décrite par Olivier de Sardan :

101Que le prix soit matériel (monétaire) ou immatériel (informations en échange).

De ce « danger », le directeur en était conscient. Il désirait me remettre « sur la bonne

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«L'insertion du chercheur dans une société ne se fait jamais avec la société dans son ensemble, mais à travers des groupes particuliers. Il s'insère dans certains réseaux et pas d'autres. C'est ce que nous appellerons « encliquage » (...). Le chercheur peut toujours être assimilé, souvent malgré lui, mais parfois avec sa complicité, à une « clique » ou une « faction » locale, ce qui lui offre un double inconvénient. D'un côté, il risque de se faire trop l'écho de sa « clique » adoptive et d'en reprendre les points de vue. De l'autre, il risque de se voir fermer les portes des autres « cliques » locales. » (2003 : 93 -- 94)

Et de fait, par la suite, j'ai senti la réticence du personnel à me parler, le recours aux discours « tout faits », l'utilisation de termes officiels, etc. Je n'avais alors pas accès aux réelles pratiques, peut-être moins avouables. Dans ces moments, je me voyais appliquée un rôle de « délatrice », un rôle d'espionne accédant « aux coulisses », susceptible de divulguer des « informations destructrices en public », ici la direction (Goffman 1973a). Une aide-soignante, Catherine, me fit particulièrement sentir que ma présence la gênait : elle ne m'adressa la parole qu'après un mois de participation aux pauses d'équipe, et ce après m'avoir demandé : « Tu t'entends bien avec le directeur toi ? » Non non, je le connais pas hein ! « ah d'accord... parce que lui et moi, on n'est pas copains hein (les autres rigolent et confirment) ! Il faudrait pas que t'aille lui raconter c'que j'dis ! ». Ce n'est qu'au fil du temps et ce, au sein d'une même équipe (du second), que ma présence a été acceptée et que les personnes ont osé « se lâcher » un peu, me racontant des anecdotes, des histoires cachées, etc. Ceci confirme la théorie de Goffman (1973a) sur la « loyauté dramaturgique ». Selon celle-ci, les individus renforcent leur rôle officiel devant des personnes inconnues, et laissent tomber leur masque devant des personnes connues. La légitimation officielle de ma présence (l'accord du directeur) a donc été ce que je nomme, une « délégitimati on pratique » (ma présence, au début, n'était pas la bienvenue au sein de l'équipe. Par la suite, nous nous entendions bien!).

Dès le départ, le directeur me demande de lui faire part de mes observations, et ce, après chaque venue dans l'établissement. Je représentais sûrement pour lui, un « danger » :

« Le chercheur, tout comme il en serait d'un journaliste ou d'un contrôleur de l'État, représente un danger. D'abord, il constitue «un élément relativement incontrôlable au sein d'un système par ailleurs extrêmement contrôlé», ainsi que le remarque Spencer (1973, p. 93) [...]. Ensuite, il va s'intéresser à des aspects qui contredisent l'image officielle, il va être témoin ou être mis au courant d'actes illégaux, de pratiques condamnables, de conflits de diverses sortes, il va entendre des propos susceptibles de provoquer des remous à l'intérieur et de susciter l'indignation à l'extérieur. »

(Bizeul 1998 : 758).

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voie », m'expliquer le pourquoi de tel choix, de telle situation, ayant peur que, sans c onnaitre les impératifs et les contraintes institutionnels, je ne comprenne pas ou que j'interprète mal les situations observées et ne présente une mauvaise image de la maison. Comment gérer cette situation où l'un des camps cherche à « encliquer », à imposer sa vision de la situation au chercheur ? Ma solution fut de ne pas raconter tout au directeur, d'éviter les rencontres et surtout de plutôt poser des questions au lieu d'y répondre. Néanmoins, j'ai senti qu'il me trouvait cachotière, qu'il se méfiait de moi sur la fin... Ceci, je pense, a été la cause de la détérioration de nos relations en fin de terrain, alors que je m'éloignais de son emprise.

De manière générale, face aux différentes personnes, je me présentais toujours comme étudiante. Devant les externes, je n'ai rencontré aucune difficulté à parler de sciences sociales. Cependant, devant une personne âgée, ne comprenant pas le sens du mot « anthropologie », je disais faire un « stage » dans la maison, où je me chargeais de comprendre le fonctionnement de la maison de repos et de c onnaitre leur avis sur cela. Selon le degré de compréhension de la personne, j'ajoutais parfois des explications sur ma thématique de recherche. Face à certains membres du personnel, les mêmes difficultés de non-compréhension sont apparues. J'expliquais alors que j'étudiais les relations sociales et la coordination des personnes dans un milieu fermé (ici l'établissement). Bref, j'adaptais mon discours en fonction de la personne qui me faisait face.

Si au départ le directeur me chargea, à ma demande, de distribuer aux résidents de petites cartes (concernant la journée internationale des personnes âgées -- 1er octobre), je n'ai par la suite, plus pris aucun rôle « officiel ». Je suis toujours restée volante, à part, extérieure à chaque groupe, position offrant ses avantages et ses inconvénients : avantages car je n'avais de ce fait, aucune obligation d'heure, de jour, de tâche et je voyageais entre les groupes en réduisant les risques d' « encliquage ». Inconvénients car je n'ai alors jamais réellement ressenti, vécu, la vie d'un groupe. Néanmoins, mon sujet de mémoire étant la négociation de la prise en charge, impliquant par définition plusieurs acteurs, cette position m'a permis d'entendre « les différents sons de cloche », comme le prône Anselm Strauss : « la vision du monde interacti onniste, sa définition de la vie sociale comme action collective engagent le chercheur à prendre en compte le point de vue et les actions de tous les acteurs » (1992b : 58). J'ai ainsi pu participer à différentes tâches : une journée passée avec Joëlle, aide-logistique ; quelques après-midi avec Christelle ou Jeanne, aides-ménagères ; aide à la distribution des repas dans le secteur 2 ; alimenter des résidents dépendants toujours dans ce secteur deux et ce, à plusieurs reprises ; participation et aide à l'ergothérapeute dans les activités ; etc.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle