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Répercussions qualitatives et quantitatives des mutations agricoles récentes sur les systèmes d'irrigation traditionnels dans le bassin versant de la Vaigai- Periyar, Inde du sud

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par François Mialhe
Université Paris 7 Diderot - Master 2 environnement, milieux, techniques, sociétés 2006
  

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Les statuts fonciers

Selon la taille des propriétés et le mode de mise en valeur, on distingue généralement cinq statuts. (i) Le premier correspond aux gros propriétaires (major landlords) qui possèdent au minimum 10 ha de terres1. Dans un village de la vallée, Gokilapuram*, seules les castes dominantes ont certains de leurs membres dans cette catégorie : les Maravars, caste de commerçants originaires du Rajasthan, et les Chettiars, haute caste de marchands et de prêteurs d'argents tamouls, qui possèdent aussi de nombreux commerces en tous genres (Racine, 1995). La plupart ont hérité de ce que leurs aïeux ont accumulé à la suite de comportements opportunistes. (ii) Les propriétaires moyens (medium landlords) possèdent entre 4 et 10 ha. Là encore, les membres de castes dominantes représentent la majorité de cette catégorie, voire la totalité comme à Gokilapuram (Ramachandran, 1983). (iii) Les petits propriétaires qui possèdent de 1 à 4 ha fonctionnent sur le même principe. On peut relever deux éléments concernant ces trois catégories. Le premier est qu'ils ne travaillent pas la terre directement, et emploient des ouvriers agricoles saisonniers ou utilisent des modes de faire-valoir indirect. Le deuxième est que la plupart des propriétaires ont obtenu leur terre par le principe de subdivision suite à l'héritage. Lorsque le chef de famille vient à mourir, ses terres sont en effet divisées en parts égales à ses fils. Il est fréquent, de ce fait, de voir émerger des conflits entre frères. Les situations où les fils collaborent sont en tout cas rares, et la sectorisation des terres n'est pas favorable à l'optimisation du parcellaire. On peut aussi noter que ce sont les gros et moyens propriétaires qui ont tendance à agrandir leurs propriétés et sont engagés dans le processus de diversification (Ramachandran, 1983). (iv) Le quatrième groupe correspond aux paysans/marginaux (peasantry) qui possèdent moins d'un hectare. Ce groupe se distingue par le fait que ses membres travaillent la terre. On trouve dans cette catégorie des membres des castes dominantes, s'expliquant par leur démographie, ainsi que des castes inférieures et des intouchables. Le groupe est donc hétérogène et présente une certaine stratification. (v) Enfin, le dernier groupe est composé des sans-terres, dont principalement des intouchables qui sont, pour nombre d'entre eux, ouvriers agricoles. Certains sont tenanciers, bien que la réforme agraire ait interdit le faire-valoir indirect depuis 1974, afin de lutter contre l'absentéisme des grands propriétaires et pour favoriser les tenanciers en leur accordant les terres qu'ils mettent en valeur (Landy, 1994). Cette mesure s'est avérée peu efficace, dans un sens comme dans l'autre : les propriétaires pouvant confisquer les terres à n'importe quel moment, et la terre confiée en faire-valoir indirect pouvant être réclamée pour sienne par le tenancier. Ce principe s'est donc marginalisé. On peut toutefois préciser qu'il existe trois types de faire-valoir indirect : la mise en gage, le fermage et le métayage. La mise en gage est souvent la conséquence d'un besoin urgent d'argent (pour la dot par exemple).

1 Dans la nomenclature officielle, un hectare irrigué correspond à un demi hectare non-irrigué (Landy, 1994). Ce qui ne correspond pas vraiment au prorata de la valeur des produits dégagés.

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Les changements agricoles

Ils se sont opérés sous la volonté modernisatrice et intensificatrice de l'état, qui a profondément modifié les pratiques, les systèmes culturaux et les opportunités de travail. Les innovations techniques prônées durant la Révolution verte l'ont été dans l'objectif d'accroître la productivité. On peut dégager deux domaines dans lesquels leurs impacts se sont fait le plus ressentir. Le premier concerne les variétés culturales employées, et principalement les variétés de paddy : l'introduction de variétés hybrides de paddy à hauts rendements, et à cycles culturaux plus courts que dans le cas des variétés traditionnelles (environ 4 mois contre 6 mois pour les variétés traditionnelles). On estime que ces variétés offrent un gain de rendements de l'ordre de 15 à 20% (Trébuil et al., 2004). Elles requièrent en contrepartie une plus grande quantité d'intrants, en particulier des engrais et des produits phytosanitaires, ainsi qu'une fourniture d'eau plus importante et plus régulière, ce qui implique des changements dans la gestion de l'exploitation. La diffusion et l'expansion des cultures de rente ont, elles aussi, modifié les besoins en main d'oeuvre. La culture de cocotiers exige par exemple relativement peu d'heures de travail, réduisant de ce fait les coûts d'exploitation. On peut aussi relever que les cultures de terres punjai ne sont pas de grandes consommatrices de main d'oeuvre. Le second domaine, corrélé au premier, est relatif à l'introduction des biens de production modernes tel que le tracteur agricole, ou encore l'électrification des systèmes d'exhaure des eaux souterraines. Ces biens ont modifié le paysage rural traditionnel à travers les transmutations des stratégies paysannes engendrées.

Les opportunités de travail

La permutation d'une agriculture traditionnelle vers une agriculture productiviste n'a pas été sans effet sur le travail agricole. Elle a stimulé certains secteurs alors que dans le même temps, d'autres secteurs ont vu les opportunités se contracter. En premier lieu, certains acteurs du monde rural ont vu leur position sinon s'améliorer, au moins se maintenir. C'est particulièrement le cas des neerkatties auxquels reviennent les rôles d'irriguer les champs des ayacutdars et de garder, surveiller ces mêmes champs à l'encontre d'éventuels contrevenants. Leur position a été renforcée par l'introduction des HYV's (High Yielding Varieties) qui nécessitent une attention plus grande. Ils sont désignés annuellement et rémunérés en nature par les ayacutdars. La plupart des propriétaires, ainsi que certains paysans, utilisent le contrat dit kothu (Ramachandran, 1983). Le kothukarar, chargé d'établir les contrats pour les propriétaires (on fait souvent appel à un paysan), doit réunir des groupes suffisant grands pour la réalisation les travaux durant la saison culturale. Ce type de contrat intéresse majoritairement les femmes, dont les travaux principaux sont le sarclage manuel des champs, le dépiquage de pépinières, et le repiquage des plantules. Quelques hommes font partie du groupe afin de porter les bottillons de plantules de la pépinière vers le champ principal. Les ouvriers sont payés en cash lors de la première culture et en paddy lors de la seconde. On peut noter que les gains sont équitablement partagés entre les ouvriers et le kothukarar. En riziculture, plusieurs tâches sont effectuées par les hommes : le labour, le hersage, l'épandage d'intrants, la récolte et les deux battages successifs, le premier, manuel, en compagnie des femmes et le second avec les buffles (toutefois, la multiplication des tracteurs tend à réduire les opportunités de cette opération). Symboliquement, comme dans de nombreuses sociétés agraires, les femmes sont chargées de l'ensemencement, du repiquage, des épandages, de la moisson, mais aussi du premier battage (qui requiert un effort intense), et du vannage. L'épandage d'engrais pourvoit de nouveaux emplois mais les conditions d'utilisations des produits représentent un problème sanitaire. Sur les terres irriguées par puits, les types et l'intensité des travaux dépendent des systèmes mis en place. Pour les hommes, les travaux

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peuvent consister à la préparation des terrains, à l'épandage, encore une fois, d'intrants, au creusement à la houe des rigoles d'irrigation et au nettoyage des champs après la récolte (en particulier les champs de bananiers).

Les femmes sont les principales victimes de l'extension des cultures de rentes qui leur réduit le nombre de jours de travaux. L'épandage est une des seules activités qui leur soit accessible. En conséquence de la réduction des opportunités de travail, le sous-emploi chronique et l'insécurité caractérisent la condition sociale de ces femmes (Ramachandran et al., 2001). Ce phénomène succède à celui qui a vu la féminisation de la force de travail agricole dans les années 1960 et 1970, durant la phase initiale de la Révolution verte. Une majorité d'entre elles aujourd'hui travaillent moins de six mois par an, ce qui les pousse à chercher du travail dans des secteurs non agricoles et moins bien payés, comme les travaux publics ou les briqueteries. De plus, et malgré une certaine division de travail, on estime qu'il y a, dans la vallée des inégalités de salaires entres les hommes et les femmes. Pour certaines opérations similaires, les femmes gagnent 42% de ce que gagnent les hommes. C'est le cas pour les travaux agricoles journaliers : 25 roupies par jour pour les femmes contre 60 pour les hommes (Ramachandran et al., 2001). Ceci ne va pas dans le sens d'une plus grande autonomie financière pour ces femmes, alors que c'est pourtant considéré comme un élément clef du développement.

On peut noter, enfin, l'augmentation des flux saisonniers durant de courtes périodes. Les récoltes doivent être effectuées le plus rapidement possible, ce qui nécessite une force de travail qui n'est pas toujours disponible sur place. D'autres flux migratoires sont dirigés des campagnes vers les villes, où les emplois industriels sont bien mieux payés mais où d'autres difficultés apparaissent. Au final, il apparaît que la Révolution verte a engendrée des opportunités de travail agricole, en particulier pour les femmes, qui se réduisent aujourd'hui, en raison de la modernisation et de la financiarisation qui affectent certains secteurs agricoles et qui tendent à les rendre plus performants et plus rentables. Cette vallée est donc un exemple représentatif des évolutions agricoles qui se profilent pour le monde rural indien.

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3.2 Le sous-bassin de Sarugani

Le cas de Sarugani concerne deux espaces contigus au sein desquels différentes méthodes d'action collectives en faveur de la gestion de l'eau ont été mises en place. Ces zones se distinguent l'une de l'autre par les types de sols, les surfaces de ruissellement, les systèmes culturaux, les pratiques, les statuts fonciers, et la structure par caste (Mosse, 1997). Toutes ces disparités définissent deux régions spécifiques sur les plans écologique et agronomique révélant des identités et des comportements distincts.

 

Les travaux de l'anthropologue David Mosse (1997, Figure 28 - Carte des altitudes du sous-2000), ont justifié le choix de cette zone d'étude, bassin de Sarugani (source : SRTM)

compte tenu des données disponibles, d'ordres anthropologique et naturaliste.

3.2.1 La zone mankalanatu1 Analyse des images

Comme on peut le voir sur la figure 28, la topographie est plus accentuée en mankalanatu qu'en karicalkatu2. Ces reliefs correspondent à des buttes latéritiques résiduelles, témoins d'un paléoclimat bien plus arrosé. Concernant les espaces de végétation à forte activité chlorophyllienne, les changements constatés entre 1990 et 2001 se situent essentiellement dans la partie supérieure de la zone (cf. figure 30). Compte tenu de la date, on peut assimiler ces végétaux à des cultures irriguées, ou bien à une strate herbacée à fort taux de recouvrement. Celles-ci s'étendent principalement sur les versants de substrat latéritique. En raison de cette localisation et de l'agencement des surfaces, il est probable que l'irrigation se fasse majoritairement par puits. En effet, les latérites sont connues pour être des substrats favorables à la constitution de nappes phréatiques ; de plus, la texture relativement dispersée des terres irriguées correspond à la signature des thottam. Celles-ci ne présentent généralement pas une continuité et une homogénéité spatiale aussi forte que les nanjai. Ces dernières, au regard de leur forme et de leur localisation, ne sont toutefois pas complètement absentes, ce qui peut laisser supposer dans quelques endroits une utilisation conjointe des tanks et des puits. En ce qui concerne les zones de végétation à activité chlorophyllienne moyenne, on note aussi une augmentation des superficies, cependant moins forte, passant de 8090 à 10350 ha. Ce type de végétation a tout de même observé une diminution dans la partie méridionale. Il est probable qu'une partie de cette végétation corresponde à des Prosopis juliflora, dans le cadre de la foresterie sociale. Fournissant du bois de combustion et du charbon de bois, ces arbres sont mis aux enchères, et les fonds dégagés sont en partie récupérés par les organisations villageoises, environ tous les trois à cinq ans, dates auxquelles ils sont coupés (Mosse, 1997). Ils permettent aussi de lutter contre la désertification et de limiter l'érosion. On les retrouve en amont des lits alors que sur les digues, on retrouve des essences différentes, tel que le Ficus benghalensis ou le Ficus religosa, dont les habitants pensent qu'ils sont habités par des divinités et dont l'espace occupé est sanctuarisé (Panday, 2000). Plus prosaïquement, ils servent aussi à renforcer la structure. On trouve aussi, dans

1 Etymologiquement, mankalanatu dérive de manal man, signifiant sableux et de natu, pays ou région, et par extension irrigué.

2 Etymologiquement, karicalkatu dérive de karisa man, signifiant des sols à forte rétention en eau et de katu, terres sèches (cultures pluviales)

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cette région, de nombreux vergers d'anacardiers qui s'accommodent plutôt bien des sols latéritiques (Gunnell, communication personnelle). Les augmentations de surface de cette classe de végétation sont localisées préférentiellement dans les bas-fonds et sur les plateaux latéritiques. Une partie correspond donc probablement à des cultures pluviales tandis qu'une autre peut être assimilée à une strate arbustive. On retrouve, sur les deux images, des tanks inondés en fond de vallée, le long du cours d'eau de la Sarugani, dans la partie nord-est. L'approvisionnement en eau de ces tanks, de tailles limitées, dépend des apports de l'aire contributive et du cours d'eau. Cette double alimentation leur permet donc, malgré la saison sèche, de récolter et de stocker les quelques précipitations d'été. En raison d'une année 2001 plus favorable sur le plan climatique, le stock est sensiblement supérieur à celui de 1990, de même que la surface de cultures sous le commandement de ces tanks. La différence n'est toutefois pas significative et donc insuffisante pour en tirer des enseignements. La grande différence est due à l'emprise spatiale dans la partie méridionale. C'est en effet là que l'on trouve la plus nette augmentation de surface, et plus singulièrement encore, dans le sud-ouest avec des tanks en cascade bien fourni. Il n'y a là, a priori, aucune source d'alimentation autre que le ruissellement superficiel. Le district de Sivaganga, dans lequel se situe la zone étudiée, observe en moyenne des précipitations de l'ordre de 120 à 150 mm, de janvier à la mi-mai, alors que compte tenu des fortes températures, l'évapotranspiration est très forte (Sivaganga Website). Ceci laisse supposer que le stock d'eau disponible est directement lié à une gestion efficace de l'eau de la part des populations, en optimisant la récolte et l'utilisation des ressources disponibles. Cette augmentation des surfaces en eau peut s'expliquer en partie par des facteurs climatiques mais elle est aussi le signe d'une utilisation intensive des tanks. On en a d'ailleurs une preuve supplémentaire par les surfaces détectées comme des terres agricoles nanjai (teinte jaune sur la figure 30).

Figure 29 - Réponses spectrales des sols (Landsat TM - 23/04/1990)

Celles-ci possèdent en effet une réponse

spectrale spécifique,
comparativement aux autres sols, non seulement dans le visible mais aussi dans le proche et moyen infrarouge (cf. figure 29). Cette réponse spectrale est relativement élevée dans le visible, bien qu'inférieure à celle des sols soumis à une forte érosion. Elle se situe, dans le proche infrarouge et l'infrarouge moyen, autour de valeurs intermédiaires, entre les sols nus et érodés d'un côté, et les latérites et sols incultivables de l'autre. En croisant les résultats obtenus avec la carte des altitudes, on s'aperçoit que ces terres se localisent dans les bas-fonds des vallées et vallons, ainsi que sur le talus à pente faible du sud-est, raccordant les buttes latéritiques au paléo-delta de la Vaigai. La densité est assez forte et la forme est symptomatique de terres nanjai.

L'agencement de ces terres en fonction du sens de la pente, laisse en effet supposer, une maximisation de la récolte des eaux de ruissellement. Ces terres nanjai laissées en jachère, en raison de la saison sèche, reflètent l'intensité culturale de la saison précédente. Il y aurait donc eu, compte tenu de l'augmentation de surface, qui est passée de 115 km2 à 168 km2, un accroissement de cette intensité entre 1990 et 2001. Néanmoins, la péjoration climatique de la

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fin des années 1980 au début des années 1990 est sans doute responsable de cet affaiblissement. Au final, et à l'encontre des discours alarmants sur l'état dégradé des tanks, cette zone semble donc offrir des conditions qui permettent ou bien qui forcent les populations à une utilisation pérenne et intensive des eaux du tank. Les facteurs déterminants de tels comportements doivent maintenant être analysés.

L'organisation agricole

On peut remarquer d'entrée, que l'agencement particulier de ces tanks reflète une organisation spatiale, élaborée sur des bases empiriques, et de ce fait respectant le fonctionnement hydrologique naturel. En ce sens, on peut dire qu'ils relèvent d'une approche environnementale intégrée (Mosse, 1997). La part des terres irriguées est ici très forte (plus de 80% des terres cultivables) ; le riz transplanté est largement majoritaire, bien que la méthode par semis direct connaisse une augmentation et une plus large diffusion ces dernières années. Les variétés employées sont, quant à elles, exclusivement issues de la Révolution verte. En raison des faibles opportunités qu'offrent les terres non irriguées, une très grande majorité de paysans possèdent des terres irriguées alors que, dans le même temps, le mode de faire-valoir indirect est peu utilisé malgré le nombre élevé de sans-terres. L'ensemble du territoire est dominé par la caste guerrière des Maravars, qui a assis localement son pouvoir autour des 14ème et 16ème siècles. Cette domination s'exprime de nos jours par la réclamation de droits et de privilèges lors des litiges, en particulier ceux liés à la répartition des eaux de tanks. L'organisation, de ces derniers en cascade impose une réponse sociale spécifique. Ces cascade tanks sont reliés entre eux par un réseau complexe de chenaux dont certains nécessitent de construire des barrages temporaires (munkuntan) pour divertir les eaux écoulées. Bien que les droits royaux historiques ne soient plus en vigueur aujourd'hui, certains, régissant une répartition spécifique des eaux, sont encore utilisés, débouchant sur de nombreux conflits lors des périodes de sécheresse, et dans lesquels les Maravars sont les principaux acteurs. La raison tient à l'opposition et aux revendications de certaines castes envers les privilèges dont jouissent les Maravars. Les conflits naissent donc du fort degré de connexion hydrologique des tanks, autant que de la position et l'histoire des castes (Mosse, 1997). Toutefois, les situations de coopérations sont bien plus nombreuses. Les ventes d'eau de tanks sont ainsi fréquentes et facilitées par le réseau de chenaux. Il est néanmoins entendu que les villages en aval sont plus souvent acheteurs que vendeurs. Une certaine complexité entoure ces transactions qui peuvent par exemple se réaliser par des mises en gages mais qui font souvent intervenir les membres d'une même caste. Quelques ventes peuvent se réaliser, malgré des stocks assez faibles, en raison de brèches apparues dans les digues et qui peuvent menacer les cultures et les villages en aval. Ces pertes brutes sont très dommageables pour les paysans qui ne peuvent, en outre, disposer d'eaux souterraines, compte tenu de la salinité des nappes dans toute la partie méridionale de la zone. Le maintien des tanks dans un bon état est donc fondamentalement une nécessité pour eux. Voyons les règles qui régissent la gestion de ces derniers et des eaux ainsi stockées.

La gestion des tanks et de ses ressources

Deux éléments caractérisent la distribution des eaux en mankalanatu. Le premier tient à la présence des neerkatties, qui appartiennent le plus souvent à la caste intouchable des Pallars. Proportionnellement à la taille des tanks, ils sont très nombreux, fréquemment plus de deux par tank. Leurs champs d'actions sont très variés, comparativement aux neerkatties qui gèrent la distribution des eaux dans les tanks gérés par le PWD (partie 2). La présence de ces neerkatties rentre dans le cadre du système jajmani, qui lie, au sein du village, certaines castes

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d'artisans ou de services, à des familles ou des groupes d'acteurs qui en sont héréditairement les clientes du point de vue commercial, mais qui représentent des patrons dans le cadre du clientélisme (Landy, 1994). Il y a toutefois des disparités dans le fonctionnement de ce système, d'un village à l'autre, en raison de la condescendance plus ou moins marquée des castes dominantes à l'égard des castes subordonnées, et pouvant se solder, dans certains cas, à des insoumissions. En règle générale, leurs actions sont donc très variées, et vont de pair avec des connaissances agronomiques très développées. La diversion des eaux dans l'ayacut est ainsi réalisée après une estimation empirique des besoins de chaque parcelle selon plusieurs paramètres (humidité, sol, croissance du végétal, etc.). Le deuxième élément caractéristique de la gestion de l'eau en mankalanatu est relatif au rationnement en période de déficit pluviométrique. Ce rationnement se fait ici sur la base de la superficie des parcelles. Les paysans doivent donc mettre en valeur une proportion fixée de l'ensemble de leurs terres. Quand le déficit est très marqué, le rationnement se fait en rapport à la taille du foyer, de la maisonnée. Le système en place est donc relativement efficace même si son contrôle, par les castes dominantes, maintien le système social hiérarchique et pyramidal. Ceci ne se vérifie toutefois que dans le cas des villages multi-castes. La surveillance des chenaux est, quant à elle, confiée à des membres de la caste intouchable des Paraiyars, tandis que la participation de la caste bergère des Konars s'effectue par le don d'une chèvre, pour répondre au rite du sacrifice, avant que l'eau du tank ne commence à être relâchée (Mosse, 1997). La diversité des acteurs exprime le besoin des populations d'attribuer un rôle à chaque fonction considérée comme primordiale, ce qui reflète parfaitement l'intérêt qu'elles portent à l'égard du tank. La maximisation des potentialités du tank est, elle aussi, un aspect spécifique à cette zone. On a déjà dit que les plans de reforestation, dans le cadre de la foresterie sociale, représentaient une source importante de fonds. La pêche, elle aussi régie par des enchères, s'accorde sur les même objectifs, mais nécessite en plus la participation des kutumpan (caste Pallar) pour effectuer diverses opérations relatives à l'activité et aux partages des poissons récoltés.

Le système de gestion s'avère ainsi relativement sophistiqué. Ceci peut s'expliquer non seulement par des facteurs environnementaux (relation amont-aval, hydrologie, facteurs édaphiques) mais aussi sociaux, en raison de la forte domination des Maravars qui tiennent à maintenir leur position historique dominante par la continuité des modes de gestion traditionnels.

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Figure 30 - Cartes de l'occupation du sol de la zone mankalanatu

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3.2.2 La zone karicalkatu Analyse des images

Compte tenu de la couverture nuageuse, sur l'image de 1973, plus restreinte que sur la zone étudiée précédemment, il a ici été possible d'analyser les dynamiques de certains états de

 

Surface (hectares)

Etats de surface

MSS

TM

ETM+

Végétation

activité moyenne

 

6721 (27%)

14786 (56%)

forte activité

10269 (49%)

2386 (9%)

3588 (14%)

Sol

humide

 

7012 (28%)

2955 (11%)

érodé

 

9170 (36%)

5134 (19%)

Eau

10576 (51%)

nul

nul

Total

20845

25289

26463

Tableau 4 - Etats de surface de la zone karicalkatu

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surface sur une période de 28 ans. Cela dit, pour des raisons techniques, seuls deux états de surface ont été analysés pour ce qui concerne les images MSS. A la date d'acquisition de cette image, la saison culturale correspond à la saison samba. Les surfaces de végétation à forte activité chlorophyllienne sont relativement élevées (cf. tableau 4). Elles se localisent pour bon nombre d'entre elles en aval des tanks, ce qui est le signe d'une alimentation en eau par ces derniers (cf. figure 31). Concernant les tanks, ils sont remplis de manière très disparate.

Il est tout d'abord nécessaire de préciser que la grande majorité des tanks représentés sont des non-system tanks. Il existe deux gradients positifs de remplissage. Le premier ouest-est et le second nord-sud. On a vu dans la partie précédente que le remplissage élevé des tanks à l'ouest pouvait s'expliquer, en partie, par une rupture de pente. Cet élément implique effectivement une taille plus réduite des tanks en raison du ruissellement plus intense. A cela, il faut rajouter le fait qu'ils se situent non seulement en queue de bassin, mais qu'ils sont aussi intégrés dans un réseau complexe de chenaux, reliant les tanks les uns aux autres. Compte tenu de la surface considérée, les apports d'eau doivent donc être très importants. On peut enfin compléter la démonstration par le fait que la situation littorale influence certainement la salinité des nappes phréatiques, limitant ainsi la disponibilité des eaux souterraines pour une utilisation agricole Le second gradient nord-sud s'explique, quant à lui, par la présence de la Vaigai, au sud, qui alimente de manière discontinue certains tanks proches. En raison des dates d'acquisition, l'analyse des deux autres images va suivre une méthode comparative. Une première observation relève l'absence complète d'eau, à l'inverse de la zone mankalanatu, ce qui est un signal fort d'une gestion sociale des ressources différente, ceci en dépit des caractères physiques qui ne peuvent expliquer de telles différences. En terme de surface, les deux types de végétation, à moyenne et forte activité chlorophyllienne, ont crû de 1990 à 2001, tandis que durant la même période, les surfaces en sols humides et érodés ont diminué. L'augmentation du couvert végétal concerne l'ensemble de l'espace, avec toutefois une concentration dans les parties occidentale et centrale. Certaines des parties nouvellement végétalisées occupent les sols humides de 1990, qui sont considérés comme les lits des tanks, ce qui signifie une dégradation structurelle de ces mêmes tanks. Sur l'image de 1990, les sols érodés semblent s'inscrire spatialement en un réseau dendritique qui relie les tanks entre eux. Cette organisation laisse à penser que cette catégorie de sols puisse correspondre au réseau des chenaux d'alimentation en eau des tanks. Celui-ci s'est détérioré en 2001, ce qui peut être le signe d'un réseau mal entretenu. Enumérons à présent quelques éléments caractéristiques de l'espace karicalkatu avant d'interpréter plus précisément les résultats de l'analyse.

Traits caractéristiques des systèmes agricoles et de la gestion des tanks

Des différences profondes existent entre cette zone et la zone mankalanatu. La première d'entres elles concerne la part des cultures irriguées, qui est ici très faible, de l'ordre de 18% (Mosse, 1997). Le paddy (dont de nombreuses variétés traditionnelles) et, dans une moindre mesure, le piment, sont de loin les deux principales cultures irriguées. La part, importante, des

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cultures pluviales s'explique par les bonnes potentialités agricoles, déjà énoncées, des sols noirs. On retrouve en pluvial, du paddy, du coton, du piment ainsi que de nombreuses légumineuses. La diversification est donc plus forte qu'en mankalantu, alors que dans le même temps, les opportunités de travail non agricole sont plus élevées et ceci en dépit d'une majorité de foyers engagés dans l'agriculture. Concernant la gestion à proprement parler des tanks, des règles régissent la répartition des eaux, mais elles sont régulièrement outrepassées par les paysans qui utilisent exagérément l'eau du tank, limitant ainsi la disponibilité temporelle des stocks. Ceci peut en partie s'expliquer par l'absence quasi-totale de neerkatties ou de tout autre acteur de l'eau. Les opérations de nettoyage des chenaux ou des vannes incombent aux paysans qui s'octroient, dès lors, la primauté d'utilisation des eaux du tank. L'entreprise de telles opérations nécessite toutefois la mobilisation d'une importante force de travail, ainsi que des capitaux, que seuls les hautes castes, ou les castes dominantes, peuvent réunir. L'absence, non seulement d'actions collectives en faveur de la maintenance des tanks, mais aussi de méthodes de rationnement, augmente le désarroi des petits paysans, et augmente le risque des pertes. A cela s'ajoute la manipulation des règles et leur détournement plus ou moins légal, par les castes dominantes, au détriment des plus faibles, parmi lesquels les femmes sont les plus vulnérables. Lors des conflits, ces règles sont rappelées et endossées publiquement dans une stratégie de manipulation. La domination s'exprime donc ici par l'habileté à dissimuler l'intérêt personnel dans le langage d'un consensus communautaire (Mosse, 1997). L'élément historique fondamental qui a fait basculer les modes de gestion dans cette région est la contestation du pouvoir des Maravars par la caste paysanne des Udaiyars à la fin du 18ème siècle. Ayant remis en cause l'autorité des Maravars, ces derniers ont fait évoluer le système traditionnel de gestion de l'eau, qui était alors similaire à celui qu'on peut trouver en mankalanatu, substituant la gestion privée à la gestion collective. Tous les rouages du système ont, à partir de là, évolué vers une individualisation des stratégies paysannes, avec pour résultat une érosion de la performance des tanks. L'émergence de cette caste a entraîné d'autres castes dans son sillage, à la faveur de comportements opportunistes. Cette dynamique historique n'a été possible et ne peut se comprendre que par la présence d'un environnement naturel favorable, ou du moins non contraignant.

Interprétation des dynamiques observées

Au regard des informations précédentes, il apparaît clairement que la gestion des tanks n'est pas organisée de manière structurée sur l'ensemble du territoire. Les tanks sont pourtant reliés entre eux par un réseau de chenaux, qui fonctionne sur le même principe qu'en mankalanatu. Les actes de coopération et de ventes d'eau, entre les villages, sont rares voire inexistants. Les transactions de stocks d'eau seraient de toute manière difficile à mettre en oeuvre, compte tenu de l'état des chenaux. Ainsi, entre 1990 et 2001, les surfaces érodées ont diminué presque de moitié, ce qui relève d'un mauvais entretien de la part de la collectivité. Le même constat s'applique aux lits des tanks dans lesquels les exemples de colonisation par de la végétation, mais aussi par des activités anthropiques (plantations illégales d'arbres fourragers) et des établissement humains sont nombreux, ce qui s'explique en partie, par la pression démographique (la densité de population en 2002 était d'environ de 300 hab./km2) (Mosse, 1997 ; Sivaganga Website). L'augmentation des surfaces végétales peut s'expliquer, quant à elle, par une intensification de systèmes culturaux en pluvial (avec une utilisation plus importante d'intrants par exemple). Celles qui présentent une forte activité chlorophyllienne peuvent être assimilées, compte tenu de leur localisation, à des végétaux poussant sur des sols très humides, susceptibles de correspondre non seulement à des cultures empiétant sur les lits de tanks, mais aussi et surtout à de la végétation spontanée herbeuse (pelouses). Il y eut donc une dynamique de dégradation des tanks et de ses éléments structurels entre 1990 et 2001.

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Figure 31 - Cartes de l'occupation du sol de la zone karicalkatu

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera