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Les types de médiations de l'œuvre révélés par la gestualisation du corps-signifiant du visiteur. Pour une ethnographie de l'expérience de visite

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par Audrey PEREZ
Université Pierre Mendès France, Grenoble II  - Master 2 recherche en médiation, art et culture 2012
  

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II. Ethnographie des parcours

En retranscrivant ces entretiens et le tracé des différents parcours de visite, je me suis rendu compte d'une similitude entre, d'une part les stratégies d'appropriation gestuelles, décrites par Eliseo Veron et Martine Levasseur dans leur ethnographie des parcours93 (issue d'une exposition sur le thème Vacances en France94 à la Bibliothèque Publique d'Information du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou);

et d'autres part, les stratégies gestualisées par les 8 visiteurs au cours de leur propre expériences de visite dans le cadre de l'exposition Nuages de poussière95 de Lina Jabbour au Centre d'art contemporain VOG.

91 Albert Piette, Ethnographie de l'action, L'observation des détails, Editions Métaillé, Paris, 1996, p. 88.

92 Michel de Certeau, La culture au pluriel, Christian Bourgois Editeur, Collection Point essais, Paris, 1993, p. 193.

93 Eliseo Veron, Martine Levasseur, Ethnographie de l'exposition: l'espace, le corps et le sens, BIP, 1989, p. 71.

94 Vacances en France: 1860--1982, Bibliothèque Publique d'information (BIP), Centre Georges Pompidou, 1984.

95 Lina Jabbour, Nuages de poussière, du 24 janvier au 23 février 2013, VOG, Centre d'art contemporain.

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Il semblerait que la modélisation du Bestiaire illustré (typologie) produit par ces chercheurs soit un outil méthodologique d'une grande richesse, permettant de dégager certaines relations tendancielles96 liées à la gestualisation du corps-signifiant97 du visiteur dans l'espace. Durant la retranscription des entretiens, j'ai donc pu observer l'existence d'une proximité entre les différents types d'appropriation gestuelle déployés par les visiteurs dans l'exposition de Lina Jabbour et ceux décrits par Eliseo Veron et Martine Levasseur dans leur étude, catégorisés en : Fourmi, Papillon, Sauterelle et Poisson.

Concernant l'échantillonnage de 8 visiteurs, j'ai pu analyser une proximité gestuelle avec la présence:

-- d'1 Fourmi : visiteur n°1 - Fatma.

-- de 2 Papillons : visiteur n° 2 - Laurence et visiteur n° 6 - Kévin.

-- de 2 Sauterelles : visiteur n° 3 - Isabelle et visiteur n° 7 - Gabrielle.

-- de 3 Poissons : visiteur n° 3 - Gilles, visiteur n° 5--Hédia et visiteur n° 8 -Marjorie.

Pour autant, je n'ai pas envisagé cette sociologie du geste comme la production scientifique d'une typologie fermée, mais bien comme une façon d'analyser la relation du corps signifiant du visiteur avec l'espace. Une sociologie de la relation du geste à l'espace et du récit à la déambulation: « C'est la géographie des représentations, parfois qualifiée de géographie cognitive ou phénoménologique, portant son attention sur les attitudes et les comportements des groupes humains dans l'espace, une géographie des espaces vécus (Frémont, 1976) qui fait le plus référence à ce que Moles qualifie de psycho-géographie (...) Un double mouvement, qui porte la psychologie vers la géographie et la géographie vers la psychologie, pour saisir comment l'espace devient lieu de vie des hommes (Bailly).98 »

Je me propose d'utiliser comme outil d'analyse certains fragments de mon compte rendu d'entretien: observations et ethnographies des parcours in vivo durant la visite, et visionnements a posteriori des vidéos et du récit, dans le but de mettre en évidence certaines caractéristiques liées à la gestalt de visite:

96 Jean--Claude Passeron et Emmanuel Pelder, « Le temps donné au regard. Enquête sur la réception de la peinture », Protée, vol n°2, 1999, p. 95.

97 Eliseo Veron, Martine Levasseur. op. cit, p. 51.

98 Abraham Moles et Elisabeth Rohmer, Psychosociologie de l'espace, L'Harmattan, Villes et Entreprises, 1998, Paris, p. 22.

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« Il s'agit d'un ensemble de processus qui ne se maintiennent qu'à travers leurs interactions. L'organisme est avant tout une structure dynamique, qui remplace ses propres matériaux et se reconstruit en permanence.99»

A) VISITE PROXIMALE - La fourmi ou le corps du spectateur

Cas de la stratégie de type Fourmi déployée par le visiteur n° 1 - Fatma.

Il semble, d'après Eliseo Veron que cette stratégie de visite soit intimement liée à une appropriation de type linéaire et chronologique (Annexe 80 p. 52).

En effet à l'issue de sa visite, Fatma m'a dit que la principale trace laissée par cette expérience se traduisait par l'omniprésence du rythme et par la métaphore des différentes étapes de la vie. J'envisage cette trace comme l'expression implicite d'une structuration chronologique de l'évolution de ce visiteur, face à sa propre condition humaine au coeur de la thématique existentialiste des oeuvres présentées dans cette exposition; mais aussi comme le principe constitutif d'appropriation de Fatma durant le processus de production du sens au cours de sa visite.

J'ai pu aussi noter une démarche de visite « assez méticuleuse », et avec de longs temps d'arrêt devant les oeuvres et entre chacun des espaces d'exposition. C'est le cas par exemple, de sa déambulation linéaire et chronologique auprès de la série Tempête orange.

Visiteur n° 1 - Fatma :

« Elle s'est directement avancée vers la série Tempête orange. Et a jeté un premier coup d'oeil sur le premier dessin de droite (Les palmiers), (...) A nouveau elle a fait un pas de côté rapide pour avancer vers le second dessin (Le monochrome). Elle a continué son cheminement en s'avançant vers le troisième (La voiture). »

On comprend, à travers le récit de sa déambulation, qu'elle a effectué son parcours en visionnant la succession chronologique des dessins, un à un. En outre, la Fourmi serait une figure qui se situe à une distance très réduite de l'oeuvre (par comparaison avec les autres types).

99 Victor Rosenthal et Yves Marie Viselli, « Sens et temps de la gestalt, Une théorie générale des formes », Intellectica, n° 128, p.168.

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C'est pourquoi Eliseo Veron et Martine Levasseur auraient décidé de considérer cette gestuelle de visite comme une stratégie d'appropriation de type proximale100. C'est ce que j'ai analysé à travers la restitution de la déambulation de ce visiteur.

Visiteur n° 1 - Fatma :

« ... puis elle s'est avancée d'un pas pour se retrouver nez à nez avec ce dessin » « nez à nez avec le motif de la trame »

Dans un souci d'exigence méthodique: « cette attitude pédagogique qui est, en soi, réceptive, peut prendre parfois la forme d'une inquiétude de ne pas profiter d'une exposition autant qu'on devrait le faire. 101 »

C'est ce que j'ai constaté dans le fragment de récit ci--dessous:

Visiteur n° 1 - Fatma :

« C'est aussi le fait que l'on doive toujours courir, que c'est une course contre la montre ! Je sais qu'il y a trop de choses à faire dans cette vie, qu'on n'arrivera jamais à tout faire, c'est ça ce qu'elle (l'oeuvre) m'évoque le plus. »

« Y a tellement de rythme... plus que de stabilité, je trouve! »

De plus, la Fourmi effectuerait les visites les plus longues avec un maximum d'arrêts : Fatma a effectué sa visite en 30 minutes (Annexe 81 et 82 p. 53 et 54) comportant 19 noeuds décisionnels: « Elle évite, dans la mesure du possible, de traverser des espaces vides, mêmes réduits: elle progresse autant que possible, le long d'un même mur102. »

Visiteur n° 1 - Fatma :

Elle s'est arrêtée au niveau du 2ème dessin dans le sens de la marche, puis elle a fait un autre pas pour regarder le 3ème en balayant ensuite du regard les trois premiers dessins déjà regardés. Elle a fait un autre pas pour regarder le 4ème et a marché jusqu'au 9ème et dernier dessin de la série, en les regardant défiler au fur et à mesure de sa progression.

Dans ce passage, j'ai pu analyser la proximité régulière de ce visiteur avec le mur droit sur lequel était disposée la série Castle Bravo.

100 Eliseo Veron, Martine Levasseur, op.cit., p. 63.

101 Ibid., p. 71.

102 Ibid., p. 63.

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En effet, son expérience de visite serait marquée par un étalement clair des éléments permettant de suivre la logique proposée: « de se repérer à tout moment, de suffisamment dégager pour bien voir sans se fatiguer, tout en s'assurant qu'on n'a rien raté103Sa stratégie de visite serait basée dès lors sur une attitude cohérente avec l'attitude réceptrice de la Fourmi, définie par la prédominance d'une logique forte:

Visiteur n° 1 - Fatma :

Elle s'est demandé entre autres, pourquoi l'artiste avait choisi de ne pas relier les trois plans de lignes entre les trois murs de l'espace. Plus précisément, pourquoi l'artiste avait laissé des espacements blancs entre les trois pans. Elle l'a perçu (tout d'abord) comme une sorte de rupture, et m'a dit qu'ils n'avaient pas réellement lieu d'être ainsi.

En outre, nous comprenons que l'articulation de la forme de l'oeuvre et du contenu se situe dans un processus de rationalisation de la signification. Dans ce cas précis, Fatma se questionne sur la cohérence des espacements blancs présents dans les angles de l'environnement Trame.

« Peut--être que c'étaient (finalement) trois vies différentes, de trois personnes différentes... mais qu'elles se ressemblent beaucoup I (...) En fait, même si on fait des choix différents, qu'on a vécu des expériences différentes, en fin de compte on se ressemble tous I Parce que... regarde au niveau des traits, ce ne sont pas les mêmes mais ils se ressemblent et ça finit toujours par un grand trait noir, et là (en me montrant du doigt) avec un grand trait blanc I Comme si c'était le début de la vie (en pointant le haut de l'oeuvre) et la fin de la vie (vers le bas de l'oeuvre).

»

D'après Eliseo Veron et Martine Levasseur, l'imaginaire de ce type de visiteur serait marqué par la figure classique et quelque peu sacrée du « musée ».

La Fourmi serait animée par l'archétype de la visite muséale : «...l'attitude pédagogique et réceptive à l'égard du fantasme de l'oeuvre plutôt qu'à l'égard du savoir en général, autrement dit, il s'agit d'une attente de didactisme à propos de l'art104 »

La négociation de la Fourmi peut--être alors qualifiée de culturelle : dans le sens où elle est déterminée par un lien particulier, sinon au thème de l'exposition, du moins à la représentation du Centre d'art comme institution de Culture. Mais sa stratégie serait relativement passive et quelque peu scolaire: elle exprimerait une forme de docilité.

103 Ibid., p. 74.

104 Ibid., p. 75.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand