WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Justice constitutionnelle en France et démocratie

( Télécharger le fichier original )
par Jean- Baptiste KLEBERSON
Université de Bretagne occidentale de France - Master 2 en droit public 2011
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Chapitre I. L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

Les hommes de 1789 ayant laissé à la postérité l'idée d'impossibilité de coexistence de la démocratie et de la justice constitutionnelle ont expliqué cette thèse en fonction de leur conception de la notion de démocratie. En effet, sous l'influence de ces derniers, cette dite notion a subi un glissement sémantique. Définie originellement en Grèce comme gouvernement du peuple par le peuple, la démocratie est devenue gouvernement du peuple en la personne de ses représentants. D'où vient la création du concept « démocratie parlementaire » par les théoriciens et les analystes politiques. Cette variation définitionnelle a impliqué l'adjonction de nouveaux principes dans une société qui se voulait démocratique. Plus d'un adhérent à l'idée disant que ces nouveaux principes démocratiques sont inconciliables à tout contrôle juridictionnel de constitutionnalité encore appelé justice constitutionnelle. Alors que, d'autres estiment que tout raisonnement concluant à la contradiction des postulats démocratiques et ceux de la justice constitutionnelle est superficiel et dénué de lucidité. Afin de découvrir les tenants et aboutissements de cette divergence de vue, nous étudierons respectivement les implications de la démocratie parlementaire (Section I) et les fondements de la justice constitutionnelle (Section II).

Kléberson JEAN BAPTISTE 14

L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

Section I. les principes fondateurs de la démocratie parlementaire

La démocratie telle que conçue par les révolutionnaires de 1789 est, par définition, représentative. On pourrait objecter à nos développements précédents que ceci n'est pas particulier puisque quasiment toutes les nations connaissent ce régime à notre époque. Mais la démocratie représentative contemporaine implique l'existence d'institutions représentatives à tous les niveaux. Celle conçue par les révolutionnaires de 1789 pare exclusivement le parlement de toute la représentativité nationale et reléguait tous les autres au rang d'autorités ou « de pouvoirs commis.» Contrairement à la théorie dénommée « check and balances » par les anglo-saxons, le pouvoir législatif qui prédominait ne pouvait être contré par nul autre. L'aboutissement logique est l'immunité la plus absolue pour tout ce qui émanait du parlement d'où la sacralisation de la loi (§ 1). Si la monarchie a eu recours à la divinité pour asseoir sa légitimité, la démocratie parlementaire instaurée au 18ème siècle a justifié la sienne par le suffrage électoral (§ 2) et l'identification des représentants élus au peuple souverain.

§ 1. La sacralisation ou le culte de la loi

L'appartenance française à la famille de droit romano-germanique est pour quelque chose évidemment dans la place de choix que le droit écrit et particulièrement la loi occupe dans l'imaginaire collectif et dans l'ordre juridique parmi les autres sources de droit. En effet, cette position est sans commune mesure avec la modeste situation que l'oeuvre législative connait dans les pays de droit anglo-saxon ou de Common Law. Cette thèse est corroborée par la longévité à nulle autre pareille du code civil malgré les réformes qu'il a subies depuis son élaboration par l'équipe dirigée par Portalis. Cependant, ces paramètres socio-historiques ne doivent aucunement masquer les raisons politiques qui ont rendu la loi intouchable jusque très récemment à un point tel qu'il était courant de parler de « culte de la loi ». Répétons avec Mr. Theodore Zeldin, professeur à l'université d'Oxford, « D'où vient la majuscule dont est affublée le terme de Loi en France ? ». Qui veut apporter des éléments de réponse à cette interrogation doit entreprendre une recherche le conduisant à la source du long légicentrisme français (A). Une fois cette quête arrivée à terme, il sera loisible de soulever et de pénétrer les vertus intrinsèques de la loi (B).

A. La source du légicentrisme français

Le légicentrisme est une doctrine préconisant que la loi constitue l'exclusive expression de la souveraineté de la nation. Là où règne cette théorie s'institue l'état légal. Jusqu'à la fin de la

Kléberson JEAN BAPTISTE 15

L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

très meurtrière seconde guerre mondiale, il fut prépondérant sous le continent européen en général et en France de manière particulière. En effet, la France fut le théâtre de la domination la plus prononcée de cette théorie jusqu'à l'avènement de la 5ème république si l'on excepte la tentative infructueuse de du Comité Constitutionnel de 1946. L'adage, pour ainsi dire, (la loi est l'expression de la volonté générale), hérité de Rousseau et incorporé dans la mémorable déclaration des droits de l'homme et du citoyen en son article 6 est le tremplin de cette longue suprématie. (1) Les acteurs politiques de la révolution de 1789 l'ont récupéré et l'ont instrumentalisé à des fins hautement politiciennes (2).

1. La loi l'expression de la volonté générale : tremplin du légicentrisme

La formule est, comme dit plus haut, du philosophe « contractualiste », Jean Jacques Rousseau, figure de proue des Lumières. Guillaume Drago27 relève trois (3) textes de l'époque révolutionnaire qui prolongent l'article 6 de la DDHC précité en prohibant sans réserve tout contrôle judiciaire de constitutionnalité. Il cite d'abord les très connues lois des 16 et 24 aout 1790 prescrivant formellement :

« Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l'exercice du pouvoir législatif, ni empêcher, ou suspendre l'exécution des décrets du Corps législatif sanctionnés par le roi, à peine de forfaiture »

Dans le même ordre d'idées, la Constitution de 1791, prend le relai de l'article 6 de la déclaration révolutionnaire d'inspiration rousseauiste en son titre 3 chapitre 5 art.3 en réitérant :

« Les tribunaux ne peuvent s'immiscer dans l'exercice du pouvoir législatif ou suspendre l'exécution des lois »

De surcroît, le législateur pénal, pour amplifier la force dissuasive de cette prohibition, menaçait tout membre du pouvoir judiciaire de « condamnation pour forfaiture et punition de dégradation civique » en les citant nommément (Procureurs Généraux ou substituts, officiers de police judiciaire, juges) au cas où ils se seraient immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif sous une forme ou sous une autre.

Nous sommes en présence d'un arsenal ou d'un bouclier législatif servant à nulle autre chose que de tuer dans l'oeuf toute velléité d'installation d'une justice constitutionnelle ou toute volonté de contrôler judiciairement « l'expression de la volonté générale ».

Cette petite « inflation normative » à l'encontre de la justice constitutionnelle débutée par l'article 6 de la DDHC (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen) ne va pas

27 G.DRAGO, « Contentieux constitutionnel français », 3ème édition, Paris, PUF, 2011, p.48

Kléberson JEAN BAPTISTE 16

L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

s'estomper sous le poids du temps. Près d'un siècle après, soit en 1875, le juriste Carré de Malberg, après avoir passé en revue l'esprit et la lettre de la Constitution d'alors, conclut magistralement comme suit :

« Une fois écartée l'identification de la loi avec la volonté générale, il n'existe plus de raison qui mette obstacle à l'établissement d'un contrôle juridictionnel s'exerçant sur les lois en vue de vérifier leur conformité à la Constitution »28

Ce survol historique de la législation ordinaire et constitutionnelle de la France nous délivre sans réserve la conviction transformée en obsession de ne pas conférer à un organe extérieur à l'assemblée législative surtout s'il s'agit d'une instance judiciaire le pouvoir d'examiner la constitutionnalité des lois dûment votées par le législateur. Cet état de fait a perduré jusqu'en 1958 comme nous l'avons rappelé à maintes fois en dépit de l'audace du constituant de 1946 qui n'a été guère payant. En revanche depuis l'abrogation du système de garantie des fonctionnaires par une loi de 1870, les agents administratifs et les actes administratifs ne jouissent d'aucune immunité judiciaire. Certains historiens du droit affirment même les tentatives et « la prétention des juges judiciaires à s'ériger en juge universel de la responsabilité civile et administrative » depuis le règne de Charles 10 (1824-1830) sur le fondement des articles 1382 et suivants du code civil.29

Il convient de vérifier d'où est ce que la loi a-t-elle tiré cette supériorité qui l'a mise à l'abri de toutes sanctions judiciaires pendant si longtemps en France tandis qu'elle est susceptible d'être laissée inappliquée par le juge le plus ordinaire qui soit Outre Atlantique. Nul ne doute que l'article 6 de la DDHC pourrait être d'une vertu protectrice à l'égard de loi car il l'a érigée en « expression de la volonté générale ». Cependant seule une habile manipulation ou une instrumentalisation de ce dit article pouvait ancrer une tradition aussi solide de révérence envers l'oeuvre du législateur ordinaire.

2- L'instrumentalisation politicienne de l'article 6 de la DDH

Le théoricien Jean Jacques Rousseau est d'une opposition farouche à l'égard de la démocratie représentative encore appelée démocratie indirecte. Pour celui-ci, la seule vraie démocratie est la démocratie directe. Il réfute toutes les qualités que la révolution française a attribuées à la démocratie représentative. Même l'argument le plus plausible en faveur du système représentatif relatif à des contraintes d'ordre numérique ou démographique n'est pas parvenu

28 CARRE DE MALBERG, op.cit., p.221

29 Voir, Cours de Mme V.LABROT, Responsabilité administrative, thème 1, p.5, 2011-2012, CDP

Kléberson JEAN BAPTISTE 17

L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

à convaincre l'auteur du Contrat Social.30 Dans cette publication, il manifeste de manière incisive son désaccord ou même son aversion à l'égard de cette dite doctrine en ces termes :

« Il n'a jamais existé et il ne pourrait d'ailleurs pas exister de démocratie au vrai sens du mot, parce qu'il va contre l'ordre des choses que le plus grand nombre gouverne et que le plus petit soit gouverné ».

Cette remontrance à l'égard de la théorie représentative et de ses promoteurs nous permet d'extraire le sens que Rousseau avait accordé à la phrase « la loi est l'expression de la volonté générale » dans son oeuvre. Pour Rousseau, légiférer, comme tous les autres attributs de la souveraineté, ne devait être exercé que par le peuple souverain. Il est donc hors question qu'une infime partie de la nation appelée députés ait le pouvoir d'exprimer la volonté du peuple à sa place. Chez Rousseau, la loi doit son infaillibilité et sa rationalité au fait qu'il exprime la « volonté générale ». Mais le concept « volonté générale », sous la plume de Rousseau, est totalement incompatible à la délégation ou à la représentation. Pour le fils de Genève, si la volonté générale « ne peut errer », c'est à condition de ne pas l'assimiler à la volonté parlementaire qu'elle soit majoritaire ou non. La délibération de la totalité des citoyens sans intermédiaire, non soumise au filtre représentatif est l'unique façon « d'exprimer la volonté générale » telle qu'enseignée par Rousseau. C'est à cette unique condition que le texte voté acquiert force de loi et mérite par conséquent l'inclination de tous et de toutes.

Prenant acte de l'inaliénabilité de la volonté générale, les porte-étendards de la révolution de 1789 s'approprièrent du discours rousseauiste afin de justifier la place qu'ils comptaient occuper au sommet du nouvel ordre socio-politique. Ces derniers ont reporté les qualités attribuées par Rousseau au seul peuple et à ses oeuvres sur les députés et leur travail législatif. Ceci veut dire que le peuple détient toujours le pouvoir mais qu'il le projette momentanément sur ses délégués ou qu'il l'exerce à travers eux. De prime abord, il faut affirmer que cette théorie dont plus d'un qualifient de « mythe », de « leurre », « d'affabulation » a eu comme premier mérite de berner la masse populaire. C'était au même titre que la religion « un opium » pour le peuple. Dépossédant la masse populaire de son pouvoir fraîchement reconquis, l'ingénierie politique révolutionnaire a instrumentalisé l'article 6 de la DDHC et le discours de Rousseau pour conforter sa position. Analysant l'histoire politique française à partir de la période post révolutionnaire française, un auteur eut à écrire de façon très imagée à propos de la classe politique :

« S'ils refusent que l'agora soit le siège du pouvoir, c'est aussi, et surtout, qu'ils veulent le pouvoir pour eux-mêmes »31

A la faveur de la magie représentative, l'oeuvre des détenteurs « effectifs de la souveraineté », en l'occurrence la loi, était couverte du sceau hautement et durablement protecteur « de la

30 ROUSSEAU, op.cit., Livre 3, chapitre 12

31 DUPUIS-DERIS, op.cit., p.10

Kléberson JEAN BAPTISTE 18

L'apparente antinomie entre la justice constitutionnelle et la démocratie

volonté générale ». Edouard Laferrière, l'un des fondateurs du droit administratif moderne, nous a appris que « le propre du souverain c'est de s'imposer sans compensation ». On peut déduire sans risque de se tromper l'étendue du prestige qu'a conféré à loi et à ses concepteurs (Assemblé parlementaire) son origine fictive « dans la volonté populaire souveraine ». Ainsi la loi, émanation du « souverain-représentant » français, s'est imposée jusqu'à la deuxième moitié du vingtième siècle aux dépens de toutes les composantes de l'appareil normatif y compris la Constitution sans ménagement.

La transposition de l'idée de Rousseau sur le terrain de la démocratie représentative constitue « le coup de maitre » réalisé par les acteurs et théoriciens politiques du 18ème siècle français. Cette déviation sémantique a pleinement servi à l'assouvissement des desseins politiciens de plusieurs générations lesquels une fois matérialisés sous la forme d'une loi étaient insusceptibles de questionnement judiciaire jusque fort récemment.

La loi, au sens restrictif du terme, a été ainsi sanctifiée au détriment de toutes autres considérations. Jusqu'ici nous nous sommes attardés sur ce concept que du point de vue formel c'est-à-dire en prenant comme seul paramètre d'étude l'institution étatique chargée de la produire. L'enceinte parlementaire, par définition, est le lieu de la lutte politique. Conséquemment, la loi qui en est le produit subit toujours l'influence des tractations et négociations politiques à sa phase d'élaboration. Cependant, l'oeuvre législative n'en sort pas toujours diminuée et altérée en raison de ses qualités naturelles et inhérentes.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore