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Finitude et destinée humaines chez Maurice Blondel

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par Christophe MABOUNGOU
Université Pierre Mendès-France - Master II 2011
  

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1.2. L'élaboration de l'Action de 189332(*)

Maurice Blondel avait entrepris de rédiger une thèse sur un sujet assez insolite : l'Action33(*). De fait, il entreprit un travail de réflexion sur le sens de l'existence humaine qui définit une attitude d'ouverture vis-à-vis de l'Absolu. Pour y arriver, il fallait cependant mettre entre parenthèses toute conviction personnelle pour examiner, d'un point de vue rationnel, la cohérence des différentes attitudes prises vis-à-vis de l'existence. Or, il se trouve que dès le départ, ce sujet suscite suspicion et interrogation. En effet, dans son Itinéraire philosophique, Blondel évoque cet épisode, à l'intention de son interlocuteur Frédéric Lefèvre, de l'accueil mitigé réservé au thème de l'action :

« Il me semble donc que c'est hier que, le 5 novembre 1882, tout au début de ma seconde année d'école Normale, je fixais le titre sur lequel vous voulez être renseigné. Je vois encore la place en la salle d'études, j'ai encore le feuillet où j'exposais pour moi-même mon projet. Mon cher voisin, Gabriel Audiat, au regard perçant, lut par dessus mon épaule et vendit mon secret. "une thèse sur l'Action, grand Dieu ! qu'est-ce que cela peut-être ? Le mot action ne figure même pas au Dictionnaire des sciences philosophiques d'Adolphe Franck", le seul que nous avions alors. En effet, quand je demandais en Sorbonne l'inscription de mon sujet qui me paraissait d'autant plus justifié qu'il provoquait une sorte d'étonnement, l'aimable secrétaire me répondit d'abord, après avis compétents, qu'on ne voyait point là qu'il y eût matière à thèse philosophique [...]. Un peu plus tard, Lucien Herr, qui s'y intéressait plus sérieusement à travers son ton goguenard de bon géant protecteur, me conseillait, lui pourtant déjà si érudit bibliographe : «mon petit Blondel, tu devrais ne point faire figurer un seul nom propre dans cette thèse-là qui mérite d'être taillée en plein drap ; c'est du neuf» ! Telle était bien ma résolution. »34(*)

En outre la justification de ce choix semble être déterminée par cette évidence, à partir de ce que Blondel lui-même écrira environ 45 ans plus tard, c'est-à-dire après la publication de la première Action. En effet, il nous le précise, clairement, en écrivant ceci :

« Si en 1888, on avait opposé à un projet de thèse sur "l'Action" une fin de non recevoir, en faisant remarquer que ce mot ne figure même pas dans le dictionnaire philosophique d'Adolphe Franck (le seul qui fût alors usité en France), et si en effet Descartes avait déclaré qu'il ne mettait point de différence entre l'action et l'idée de l'action afin de ramener la philosophie de l'agir à celle de la pensée et de la connaissance, d'où venait cette réduction dont s'autorisait la spéculation pour escamoter, si l'on ose dire, ce qui semblerait d'abord le plus ample, le plus vital, le plus émouvant des problèmes ? Agir ne serait-ce donc point un objet de science qui prétend à connaître, à embrasser, dominer toute la réalité ? Agir, pour le philosophe, devrait-il se borner à projeter, à construire des plans, des rêves,à former des systèmes de concepts, sans même aller jusqu'à des velléités ou à des ébauches d'exécution ? [...] Comment néanmoins a-t-on pu soutenir qu'il n'y a point de différence entre "l'action" et "l'idée de l'action" ? ».35(*)

Le travail que va entreprendre Blondel est vraisemblablement un défi, une gageure. Car le mot action n'appartiendra à la langue philosophique que depuis la thèse de 1893. De fait, en 1882, lorsque Blondel se mit à réfléchir sur quelques textes de la Métaphysique et de l'Éthique d'Aristote traitant de la praxis et de l'energeia, le terme ne figure pas encore dans le Dictionnaire des Sciences philosophiques d'Adolphe Franck. Qui plus est, la signification ne semble être attestée par aucune tradition philosophique certaine. Néanmoins, l'absence même d'une détermination communément admise autorisait, mieux stimulait Maurice Blondel à charger le mot, encore impropre, d'un sens technique expliquant que son but est de surmonter le conflit entre la "science" et la "croyance". Il signale deux positions antithétiques : celle d'Aristote qui considère que la pratique engagée dans le contingent reste inférieure à la théorie portant sur l'être immuable et, en sens inverse, celle de Kant qui établit le primat de la raison pratique sur la raison théorique en opposant la certitude morale à toute considération d'ordre métaphysique. Néanmoins, les deux doctrines ont vraisemblablement un point commun : c'est qu'elles situent l'agir suprême de l'homme dans une activité pure, dégagée de toutes ses conditions matérielles, à savoir la pensée pour Aristote, l'obéissance à l'impératif moral pour Kant . Dès lors, Blondel peut s'autoriser à définir son projet en ces termes :

« Entre la doctrine ancienne, selon laquelle la volonté agit conformément à un objet au point de ne plus faire qu'un avec lui, et le kantisme qui place la volonté en dehors et au dessus de la raison, il y a sans doute quelque chose à définir : il demeure vrai que pour bien agir, il faut bien penser ; il est plus vrai peut être de dire que pour bien penser, il faut bien agir. »36(*)

* 32 Nous sommes bien redevable à la notice sur l'Action de 1893 établie par Claude Troisfontaines dans Maurice Blondel. OEuvres Complètes, t.I,. Les deux thèses, Paris, PUF, 995, p.4-14.

* 33 Le caractère insolite et certainement obscure est déjà souligné par Blondel lui-même, en note, en ces termes : « On connait les différences très précises que marquent les scolastiques entre acte de l'homme et l'acte humain et aussi entre le volontaire et le libre. De même une nuance assez tranchée sépare acte et action. L'acte , c'est plutôt (et sauf emplois particuliers) l'initiative de l'effort interne, soit que par nature tout doive se borner à cette opération spirituelle, soit que l'on envisage, dans l'oeuvre même, la part toute subjective de l'agent. Le mot action indique plutôt le passage de l'intention à l'exécution qui l'incarne, et souvent, par suite, le résultat ou l'oeuvre même de cette opération transitive. Entre acte et action il subsiste donc une différence analogue, mais contraire à celle qu'il y a entre oeuvre et opération. » Maurice Blondel, l'Action (1893). Essai d'une critique de la vie et d'une science de la pratique. Paris, PUF, 1950, p. 116.

* 34 Maurice BLONDEL, Itinéraire philosophique. Propos recueillis par Frédéric Lefèvre, Paris, Aubier-Montainge, 1928, p.34-35.

* 35 Maurice BLONDEL, L'Action. t.II. Le problème des causes secondes et le pur agir, Paris, Alcan, 1936, p. 13-14.

* 36 Lettre au Doyen de la Sorbonne, Lettres philosophiques, p. 12-13. Cf. Oeuvres complètes, p. 5.

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