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Finitude et destinée humaines chez Maurice Blondel

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par Christophe MABOUNGOU
Université Pierre Mendès-France - Master II 2011
  

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1.3. Dialogue avec la tradition philosophique

Nous avons noté que la thèse de Blondel n'a pas seulement suscité de l'admiration à la soutenance, mais que des controverses ou critiques surviendront plus tard. Ces controverses amèneront l'auteur à écrire la Lettre37(*) d'une part et d'autre part à repréciser autant que possible son orientation propre. Une orientation motivée par l'exigence de corriger « un milieu où l'on oscillait du dilettantisme au scientisme ; où le néo-christianisme à la Russe se heurtait à la dure virtuosité de l'idéalisme radical à l'Allemande ; où, dans l'art et la littérature comme dans la philosophie...me semblaient triompher le notionnel, le formel, voire l'irréel [...] Or l'Action me paraissait être ce "lien substantiel" qui constitue l'unité concrète de chaque être en assurant sa communion avec tous »38(*).

Aussi s'impose-t- il à nous, l'impérieuse tâche de discuter la filiation ou les rapprochements possibles entre Blondel et certains philosophes dont les allusions sont, on ne peut hévidentes, dans l'Action de 1893. Nous pensons évidemment à Aristote, par ce qu'il est comme pour ainsi dire la source germinale de l'Action ; Leibniz, en tant qu'il lui a consacré sa thèse latine ; Kant, parce que la plupart des controverses, mieux des critiques (autant des philosophes que des théologiens) se fondent sur une méprise consistant à taxer Blondel de kantisme39(*) ; Schopenhauer, en tant qu'il est cité nommément dans l'Action et que l'axe de la volonté, tel que Blondel le développe constitue une réfutation du pessimisme et du nihilisme schopenhaueriens. Alors y' a-t-il eu entre Blondel et ces philosophes une dette, une filiation , une reconnaissance ou une source d' inspiration ?

1.3.1. La source aristotélicienne

Il ne fait l'ombre d'aucun doute que c'est d'abord dans le cadre d'une éthique que, pour la première fois, Aristote a conçu une analyse (subordonnée mais distincte) du volontaire et de l'involontaire. Cette analyse, recueillie dans le Livre III de l'Éthique à Nicomaque40(*), contient en germe, outre les développements que lui donneront la psychologie médiévale et celle du XVIIe siècle cartésien, l'annonce d'une conjonction possible entre analyse phénoménologique et analyse linguistique. La description du noyau volontaire de l'action humaine supposait, en effet, des choix. Aussi Aristote commence-t-il par délimiter la sphère des actes que nous faisons de plein gré, pour les distinguer de ceux qui sont contre le gré de l'agent.

Dès lors, il faut partir du volontaire pour définir la volonté. Car, chez Aristote, la volonté est acte, et plus précisément acte volontaire. De la sorte, le volontaire se définit par l'union de deux facultés : le désir (c'est -à-dire agir par soi-même et dont le contraire est être craint) ; la seconde faculté est l'intentionnalité de la connaissance, c'est-à-dire agir en connaissance de cause et dont le contraire est d'agir par ignorance. Ce qui implique sinon fait intervenir la dimension de la responsabilité de l' agent. Dans cette perspective, la volonté devient donc la manifestation du volontaire dans l'union de ces deux facultés. Autrement dit, la volonté ne peut se définir que dans cette double détermination qui donnera l'acte volontaire. Ainsi peut on voir dans la philosophie de la volonté chez Aristote l'ancêtre à la fois d'un "volontarisme", qui met l'accent sur la force d'agir et sur l'initiative du choix, et d'un "intellectualisme", pour lequel seule une volonté éclairée par des motifs rationnels est proprement humaine. Ainsi le bon usage de la volonté, c'est finalement la sagesse pratique, que les latins ont appelée prudentia. Et ainsi, la médiation sur l'agir humain pointe, en effet, vers ce qu'Aristote appelle l'oeuvre ou la tâche de l'homme, ce qui se dit en grec ergon ; Or cet ergon désigne l'affleurement, au niveau humain, d'un fond d'activité, d'une energeia, qui est le sens même de l'être, en tant du moins que nous l'appréhendons sous cet aspect de la "puissance" et de l'acte".41(*)

Plus fondamentalement donc, il est attesté que Blondel a, non seulement lu Aristote, mais l'a largement exploré et exploité. En effet, qu'on se rappelle bien, souligne Claude TROISFONTAINES42(*), que le mot "action" ne figurait pas dans le vocabulaire philosophique43(*) de l'époque et que le thème lui-même ne paraissait pas digne d'une étude philosophique. Pourtant il y avait bien un penseur célèbre qui s'était occupé de l'action, et c'était Aristote. Il ne faut donc pas s'étonner de voir Blondel, dans la toute première note de 1882 concernant sa thèse, recopier une série de citations de la Métaphysique et de diverses Éthiques. Ce qui le frappe, c'est que le disciple de Platon, contrairement à son maître, accorde à la ðñáîßò et au ðïéåÀí une originalité par rapport au èåùñåÀí, du moins dans certains de ses écrits. il déclare notamment : «C'est dans l'oeuvre que semble résider le bon et l'un44(*) ». «C'est en agissant, qu'ils connaissent »45(*). «Le bien est toujours dans l'action »46(*). «L'oeuvre est en un sens son producteur en acte. »47(*)

Ainsi, pour Blondel, faire et se faire correspondent aux deux premiers niveaux de l'action que distingue Aristote entre poiein et prattein. Le verbe "poiein", dit Blondel, «s'applique à toute sortes d'opérations, depuis celles qui modèlent de la glaise jusqu'aux réalisations les plus hautes de l'artiste ou du poète. Mettre les mains à la pâte, sculpter une minerve, incarner la pure poésie dans la précieuse matière des mots évocateurs et des sons cadencés, c'est toujours exercer ce métier de fabrication idéaliste qui a fait définir l'homme : homo faber. Le premier jeu de l'enfant, c'est de manier les choses pour construire l'appui ou l'appartement de ses rêves. Et à partir des outils les plus rudimentaires du langage et de l'industrie jusqu'aux créations les plus libres du génie, partout se retrouve une matière animale, transfigurée, sublimée par l'ouvrier humain, mais dominé qu'il est par le besoin de refaire le monde à son service et de réaliser un ordre répondant mieux à ses aspirations »48(*). C'est ce faire humain qui distingue l'homme de l'animal. De plus, ajoute-t-il, dans tout poiein, il y a des degrés, une volonté de se faire, un prattein ; « agir en ce sens s'applique moins aux actions transitives qu'à l'oeuvre intime de notre propre genèse, comme si par nos actions, nous avions, selon la parole d'un ancien, à nous façonner d'abord nous-même, à constituer notre personnalité, à sculpter visiblement ou invisiblement notre beauté ou notre laideur, à devenir ce vivant poema pulchritudinis et virtutis dont parle Cicéron. Donc à la différence des industries qui fabriquent des objets, l'action immanente à l'homme informe le sujet lui-même, sans doute par des concours et des retouches multiples, miris et occultis modis, mais enfin, selon une norme intimement présente qui soutient et juge l'effort continu de l'être raisonnable et volontaire »49(*). Enfin, le prattein s'ouvre sur un troisième niveau d'action qu'Aristote appelle le théorein, l'action contemplative qui manifeste à l'homme un acte pur dont toute passivité est exclue.50(*)

Cette analyse montre que Blondel était cependant conscient de certaines apories dans la philosophie d'Aristote. Ce dernier, tout en présentant l'originalité de l'action, maintient le primat de la pensée : « C'est le theôrein qui porte sur la substance ». En effet, «on ne peut trouver les éléments du poiein »51(*) qui sont innombrables tandis qu'« on peut déterminer les éléments des substances »52(*). Or toute la pensée grecque est tendue vers le déterminé, l'achevé. C'est la raison qui permet à l'homme d'entrer en contact, à certains moments privilégiés, avec l'Acte pur qui est Pensée de la pensée. D'où la supériorité de la théorie sur la pratique. Blondel se demande toutefois si c'est bien la conclusion à laquelle devrait aboutir l'aristotélisme. En effet, si l'on admet que l'être achevé est l'être en acte, celui qui rejoint sa perfection (entelechia) alors pourquoi ne pas admettre aussi que c'est la pratique, et non la théorie, qui porte sur la substance ? Blondel décide en conséquence de renverser l'ordre d'Aristote. Ainsi, dans l'Action, c'est cette décision qui conduira Blondel à esquisser une logique de l'action qui dépasse, tout en l'englobant, la simple logique de l'entendement. C'est en cela même que le thème de la destinée qui est le problème le plus sérieux soulevé par l'Action de 1893 est présentée sous toutes ses dimensions à partir de la distinction aristotélicienne du Ðïßéí et du Ðñáôåßí. La transformation du monde et de soi-même par la coopération avec les autres êtres. Car c'est en faisant que l'homme se fait.

* 37 De janvier à juillet 1896, Blondel publia une série de six articles dans les Annales de la Philosophie chrétienne. Ceux-ci furent rassemblés sous le le long titre de : Lettre sur les exigences de la pensée contemporaine en matière d'apologétique et sur la méthode de la philosophie dans l'étude du problème religieux. Pour de plus amples détails, voir Maurice BLONDEL, OEuvres complètes, t.II. 1888-1913. La philosophie de l'action et la crise moderniste, Paris, PUF, 1997.

* 38 Maurice Blondel, L' itinéraire philosophique, p. 35-36.

* 39 On lira avec intérêt les grands développements que Michel Jouhaud y a consacrés. Michel JOUHAUD, Le problème de l'être et l'expérience morale chez Maurice Blondel. (Thèse pour le doctorat ès lettres, facultés des Lettres et Sciences Humaines de l'Université de Paris), Paris- Louvain, Ed. Nauwelaerts, 1970, p.193-293.Voir aussi, Henri BOUILLARD, Blondel et le christianisme, Paris, Seuil, 1961.

* 40 À ce propos, René LEFEBVRE peut écrire : « À bien des égards, c'est à l'auteur de l'Ethique à Nicomaque, III,1-8, que pourrait revenir le titre de premier théoricien de la volonté». R. LEFEBVRE, «Volonté de mal faire et faiblesse de la volonté : aux origines grecques de la pensée philosophique de la volonté», in P. SALTEL (dir.), La volonté, Paris, Ellipses, 2002, p. 21.

* 41 Paul RICOEUR, art " Volonté" dans Encyclopoedia Universalis, 1993,Corpus 18, p.1033.

* 42 Claude TROISFONTAINES, « Entre la force et la forme, l'action. Le parcours blondélien», in Pierre MAGNARD (Dir.), Métaphysique de l'esprit. De la forme à la force. Actes du colloque tenu en Sorbonne les 17 -18- 19 novembre 1995, Paris, Vrin, p.240.

* 43 Voir aussi Henry DUMÉRY, La philosophie de l'Action. Essai sur l'intellectualisme blondélien (avec une préface de Maurice Blondel), Paris, Aubier, 1948.

* 44 Citation tirée en fait de l'Ethique à Nicomaque, A, 6, 1097b, 26-27.

* 45 Métaphysique, XI, 9, 1051,a 29-32.

* 46 Id., XIII, 3, 1078 a 31-32.

* 47 Ethique à Nicomaque, IX, 7, 1168 a 5-9. Le feuillet où Blondel a recopié ces citations a été publié par A. Hayen, « Le testament d'un maître », Études philosophiques, t. 7, oct-déc. 1952, p.324-325 . (Nous devons cette exégèse à C. TROISFONTAINES, ibid). Voir aussi, Maurice Blondel. Notes philosophiques 1880-1890. texte établi et annoté par Peter Henrici (version électronique par Albert Raflet) ; Raymond Saint-Jean, Genèse de l'Action, Bruges, Desclée, 1965.

* 48 Maurice BLONDEL, L'Action. t. I. Le problème des causes seconde et le pur agir, Paris, Félix Alcan, 1936, p.79-80.

* 49 Ibid., p.84-85.

* 50 Ibid. ,p. 91.

* 51 Aristote, Métaphysique, XII, I, 1069 a 15.

* 52 Id., I, 9, 992b 18-24.

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