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Finitude et destinée humaines chez Maurice Blondel

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par Christophe MABOUNGOU
Université Pierre Mendès-France - Master II 2011
  

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1.3.2. La mise en cause du formalisme kantien

La philosophie kantienne fut introduite en France, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle par Charles Renouvier et Jules Lachelier. Et, elle y exerça une telle influence que même si un penseur , vivant à cette époque, lui refusait les conclusions essentielles, ne pouvait pas se soustraire à l'atmosphère créée par elle. Ainsi fit Blondel. Mais conscient du fait que le formalisme du devoir selon Kant53(*) et toute sa philosophie étaient admis d'évidence dans les les milieux universitaires du XIXe siècle, il avait bien pris soin de préciser son orientation afin d'éviter toute dette de pensée :

« ...Qu'on ne fasse pas, après Kant, surgir je ne sais de quelle nuit je ne sais quel impératif catégorique ; car je le traiterais en suspect et en intrus... ainsi pour que le problème de l'action soit posé scientifiquement, il faut qu'on n'ait ni postulat moral, ni donnée intellectuelle à accepter. »54(*)

Le motif évoqué dans ce sens est qu'« abordant la science de l'action »55(*) de manière qu'elle soit vraiment scientifique, c'est-à-dire exhaustive, il est nécessaire d'explorer toutes les attitudes possibles et n'accepter d'avance aucun présupposé intangible, « ni postulat moral, ni donnée intellectuelle »56(*).

Or, après la soutenance et la publication de l'Action de 1893 et de la Lettre, les controverses ne s'atténuèrent pas. Bien au contraire. Les uns dirent : ce n'est pas là de la philosophie mais de l'apologétique ; les autres dirent : en devenant philosophie, le christianisme de l'auteur s'écarte de la doctrine sacrée reconnue par les théologiens catholiques.57(*)

De fait, les multiples reproches faits à Blondel concernaient la valeur de la connaissance et la gratuité du surnaturel. Mais dans son rapport avec Kant nous nous attarderons sur le premier ; car le second trouvera sa justification dans la dernière partie de notre travail lorsqu'il s'agira de traiter de la question du surnaturel. Donc sur le premier point, il lui est reproché d'être justement kantien. On entendait par là : idéaliste, subjectiviste, fidéiste. C'est ce qui d'ailleurs amène le P. Schwalm à écrire :

« M. Blondel est néo-kantien. La méthode de la philosophie, pour lui, c'est la méthode kantienne poussée à ses dernières conséquences phénoménistes : la raison spéculative sait que nous avons des idées, elle ne sait pas si ces idées correspondent à quoi que ce soit en dehors de nous. C'est la pratique, l'action qui lui apprend la vérité objective de ce qu'elle pense »58(*).

Cependant, souligne Henri Bouillard, ce grief souvent repris et développé, manifestait chez ses auteurs, avec une notion trop sommaire du kantisme, une méprise sur la phénoménologie blondélienne de l'action59(*). Quel est donc le rapport du blondélisme au kantisme s'il n'est ni d'inspiration, ni d'opposition point par point ? Il faut répondre que c'est un rapport dialectique, au sens ou ce terme évoque à la fois contradiction et passage à un niveau supérieur60(*). Sans prétendre, pour autant revenir sur ce débat61(*), nous retiendrons exclusivement trois moments importants :

D'abord, on sait que du point de vue de sa théorie de la connaissance, Kant a posé le problème du phénomène et du noumène. Il est clair que le phénomène, au sens kantien est l'objet indéterminé d'une intuition empirique qui se rapporte à cet objet par l'intermédiaire d'une sensation, qui est elle-même le résultat d'une affection de ce même objet. l'objet phénoménal est donc donné. Or de ce que l'esprit reçoit des représentations dont il n'est l'auteur, Kant conclut qu'il ne peut pas non plus connaître ces objets tels qu'ils sont en eux-mêmes, mais seulement tels qu'ils nous affectent.

Ainsi, dans les Fondements de la Métaphysique des moeurs62(*), Kant montre que toutes ces représentations de notre arbitre (Willkir), comme celle des sens, ne nous font connaître les objets que comme ils nous affectent de telle sorte que ce que ces objets peuvent être en soi nous reste inconnu. En conséquence, en dépit des plus grands efforts d'attention et de toute clarté que peut ajouter l'entendement, nous ne pouvons arriver qu'à la connaissance des phénomènes jamais à celle des choses en soi. Et si, par là même, il est nécessaire de distinguer les choses connaissables ou phénomènes des choses inconnaissables ou noumènes, c'est parce que l'esprit accède seulement aux objets s'il est affecté par eux. Aussi, pour distinguer le phénomène du noumène, il suffit d'être attentif, selon Kant, à cette différence entre la passivité et l'activité de l'esprit.

Cette distinction amène plutôt Blondel à poser que c'est justement par l'action qu'il est possible de percer les choses, de se les apprivoiser en quelque sorte. L'Action est ce principe d'unité et de synthèse, du vouloir, de l'être et de la connaissance. Il faut sans doute préciser ici ce que Blondel entend par volonté voulante : Il s'agit de la volonté63(*) qui se contredit elle-même dans ses actions. Il parle également de la structure métaphysique de l'acte volontaire comme étant composée d'une infinie relation déterminée qui s'actualise dans chaque opération. Aussi lorsque Blondel parle de deux volontés, la volonté voulante et la volonté voulue, il ne s'agit pas en réalité de deux volontés distinctes, mais de deux sortes d'opérations différentes de la même volonté. Ce qui le rapproche justement du double usage kantien de l'unique raison, à la fois spéculative et pratique.

Par ailleurs, la possibilité d'un impératif est une question que pose la philosophie transcendantale. Ici l'impératif ne peut être conditionné par aucune fin et on ne peut se demander d'où il surgit. Car pour Kant, la liberté est une condition nécessaire pour l'existence de l'obligation. De la sorte, l'obligation constitue un élément à priori fondant la moralité. C'est d'ailleurs ce concept du devoir ou d'obligation que Kant formule dans l'impératif catégorique: «agis toujours d'après une maxime telle que tu puisses vouloir qu'elle soit une loi universelle ».

Or Blondel trouve cet idéal dans la structure même de la volonté :

« Si donc on semble lui imposer comme loi, l'obligation de s'ériger elle-même en maxime universelle, si l'on commande à chacun d'agir avec l'intention de faire ce que tous doivent faire: s'il faut avoir le sentiment de porter, en son action particulière, la volonté et l'action des autres, ce n'est là que la traduction , non pas seulement de ce qui doit être pour la volonté délibérée et voulue, mais de ce qui est déjà pour la volonté voulante et opérante »64(*).

Enfin, Blondel recherche l'origine du pessimisme dans le criticisme kantien qu'il soumet à une critique aussi concise que pénétrante. Son erreur, selon lui a été de dissocier et d'opposer la métaphysique, la morale et la science, la raison pure et la raison pratique, le monde intelligible et le monde sensible, donnant ainsi lieu à un formalisme moral où l'intention n'a pas prise sur l'exécution :

« Si donc, il y a antinomie entre le déterminisme des mouvements et la liberté des intentions ; si le formalisme moral est sans relation avec les lois de la sensibilité et de l'entendement ; si toute union est rompue entre la pensée, les sens et l'activité volontaire; si le corps des actes est séparé de l'esprit qui les inspire, et si dans ce monde qu'on représente comme le théâtre de la moralité, l'homme dépossédé de toute puissance métaphysique exclu de l'être et comme écartelé, se sent entouré d'impénétrables réalités où peut régner l'illogisme le plus absurde, alors la force de vivre est brisée avec l'audace de penser »65(*).

En conséquence les antinomies kantiennes permettent à Blondel de démontrer que l'unité de l'action réside justement dans cette synthèse du vouloir, du connaître et de l'être. Ce lien du composé humain qu'on ne peut scinder sans détruire tout ce qu'on a désuni. L'action est le point précis où convergent le monde de la pensée, de la morale et le monde de la science; et s'ils s'y unissent pas, c'en est fait de tout66(*). Et comme le note si bien Michel Jouhaud : « Mis entre parenthèse comme position initiale, le formalisme sera aussi rejeté par Blondel comme position définitive, en vertu de ce que révèle la phénoménologie de l'action »67(*).

* 53 De larges détails du débat et ses conséquences se trouvent dans la thèse doctorale de Michel Jouhaud, Le problème de l'être et l'expérience morale chez Maurice Blondel, Paris-Louvain, Nauwelaerts, 1970, p.183-320. l'auteur renvoie d'ailleurs, pour compléments, à la correspondance de Blondel et A. Valensin, à l'excellent ouvrage de Henri Gouhier, Blondel et le Christianisme. Voir aussi Maurice Blondel, Le problème de la philosophie catholique ; P. Archambault,Vers un réalisme intégral. L'Oeuvre philosophique de Maurice Blondel, Paris, 1928.

* 54 Maurice BLONDEL, l'Action (1893), p. XXI.

* 55 Ibidem

* 56 Ibid.

* 57 Henri Gouhier, « Allocution», in Le Centenaire de Maurice Blondel 1861-1961 en sa Faculté des Lettres d' Aix-Marseille, 1963, p. 26.

* 58 Rapporté par Henri Bouillard, Blondel et le christianisme, Paris, Seuil, 1961, p.34

* 59 Ibidem

* 60 Cette vision est suggérée par A. Letourneau. En effet, s'appuyant sur les travaux de M. Jouhaud, il soutient que Blondel a un rapport dialectique à Kant, fait de négation/intégration et de passage à niveau supérieur. Blondel critique le formalisme kantien de la raison pratique, mais du même coup, il "phénoménalise"(l'expression est de M. Jouhaud) la raison pratique en faisant d'elle un moment du développement de l'action. Cf. Jean Lacroix, Maurice Blondel, Paris, PUF, 1963, p. 7

* 61 Pour de plus amples détails sur ce débat, voir la thèse de Michel JOUHAUD, Le problème de l'être et l'expérience morale chez Maurice Blondel, Paris-Louvain, éd. Nauwelaerts, 1970 ; Alain LETOURNEAU, L'Herméneutique de Blondel. Son émergence pendant la crise moderniste, Montréal, Bellarmin, 1999 ; Diogène BIDERI, Lecture blondélienne de Kant dans les principaux écrits de 1893-1930. Vers un dépassement de l'idéalisme transcendantal dans le réalisme intégral, Editrice Pontficia Università Gregoriana, 1999 ; Claude TROISFONTAINES, art. cit., p.236-240.

* 62 . Immanuel KANT, Fondements de la métaphysique des moeurs, tr. de l'allemand par Victor Delbos, Paris, Delagrave, p. 7

* 63 À ce propos, Maurice Blondel utilise même un néologisme : la nolonté. «En vérité, écrit-il, sans même que la réflexion éclaire ce mécanisme subtil, sans qu'on ait besoin d'en connaître la théorie, la nolonté ne saurait subsister si elle n'est composée d'un double vouloir ; et en la convainquant de duplicité, on ne fait que révéler ce qu'elle est, à son insu peut être, mais sans que cette ignorance supprime le caractère volontaire du double mouvement qui la forme. », l'Action, p. 19.

* 64 Maurice BLONDEL, l'Action, p. 277.

* 65 Ibid., p. 28.

* 66 Ibid. p. 28

* 67 Michel Jouhaud, op. cit., p. 210.

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