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L'anglais en cours de FLE: étude de cas du contexte norvégien

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par Camille Bardyn
Université d'Angers - Master FLE 2016
  

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Partie 4 : Apprenants, langues et affect

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4.1. Images et messages

« Le fondement de l'apprentissage/acquisition d'une langue se situe au niveau relationnel et au niveau du rapport à la réalité, non seulement par les affects mis en mouvement par les signifiants de cette langue, mais aussi par les affects que l'on peut ressentir pour les personnes qui la parlent et la représentent : affects pour la langue, affects pour les êtres. La langue fait donc corps avec les êtres qui la parlent et la voix, d'essence corporelle, et le phénomène qui lui donne vie.

Cependant, la chose se complique d'autant plus que le rapport à une langue étrangère et aux êtres qui l'incarnent passe par la langue/culture d'origine. Que se passe-t-il dans ce rapport qui met en présence, en contact, deux langues, l'une qui habite un être, l'autre qui frappe à sa porte et cet être s'en trouve attiré, interrogé, agressé ? C'est là que se joue entre un domicilié et un envahisseur, entre un occupant et un libérateur, un désir, un rejet, une substitution ou une négociation future. »

(Allouche, 2012 :27)

4.1.1. Biographie langagière : aspects méthodologiques

a) Contextualisation de la recherche

Après avoir étudié les pratiques enseignantes face à l'utilisation ou non de la langue anglais en classe de français langue étrangère, nous avons voulu nous intéresser à ce que ces pratiques peuvent représenter pour les élèves. Cette quatrième partie est donc construite autour d'un recueil de données secondaire, les biographies langagières dessinées d'élèves norvégiens, et s'intéresse à la question des représentations langagières. Nous espérons ainsi proposer une réflexion sur le lien entre utilisation du répertoire langagier en classe de langue (au-delà de la langue maternelle et de la langue cible) et l'influence que de telles pratiques peuvent avoir sur les représentations des apprenants.

Nous avons effectué le recueil de données suivant antérieurement à l'administration des questionnaires. En effet, nous avons eu l'opportunité d'intervenir par deux fois dans les classes de français langue étrangère du lycée Blindern17 à Oslo les 6 et 7 janvier 2016. Cette rencontre a été rendue possible grâce à Mme Ingvild Nielsen, Présidente de l'Association norvégienne des professeurs de français, et Mme Anne-Mona Kambestad, membre de l'Association ; et toutes deux enseignants de français au lycée Blindern. Nous avions pu les rencontrer une première fois lors d'un voyage

17 Blindern Videregående skole, disponible à l'adresse https://www.blindern.vgs.no/

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scolaire effectué avec leurs élèves à Angers, et nous avions ainsi pu leur faire part de notre projet de recherche et discuter de notre problématique.

Suite à cette première rencontre, les deux enseignantes ont accepté qu'un recueil de données soit effectué dans leur établissement - sous réserve que les interactions avec les apprenants aient lieu en français, tout comme la rédaction du questionnaire. Les cours de français se déroulant chaque semaine à des heures similaires pour les deux enseignantes, elles ont pu organiser deux séances de cours où les apprenants de français, des élèves de VG1 et VG218, étaient regroupés afin de pouvoir leur proposer le questionnaire et l'activité que j'avais prévus.

Notre problématique originelle questionnait l'usage des langues présentes dans leur répertoire langagier comme stratégie d'apprentissage, chez les apprenants norvégiens dans le cadre du cours de français. Ainsi, nous avions élaboré un recueil de données ayant pour objectif d'amener les élèves à construire leur biographie langagière, par deux moyens : un questionnaire, suivi d'un dessin. Le choix de la biographie langagière comme donnée alors principale nous semblait le plus à même de répondre à nos questionnements. En effet, elle représente :

« Un récit plus ou moins long, plus ou moins complet où une personne se raconte autour d'une thématique particulière, celle de son rapport aux langues, où elle fait état d'un vécu particulier, d'un moment mémorable. Elle va, à travers cette démarche, se réapproprier sa propre histoire langagière telle qu'elle a pu se constituer au cours du temps. »

(Perregaux, 2002 :83, cité par Rispail, 2012 :103)

Nous espérions étudier le « capital langagier19 » de ces élèves, et les usages et représentations de leurs langues. Nous leur avons donc demandé de dessiner leur biographie langagière, et avons reformulé cette demande en une question plus simple, pour qu'ils la comprennent : « Dessinez votre relation avec les langues que vous connaissez ».

b) Outils d'analyse

Cette analyse s'apparente à une étude de documents - ici des dessins, soit des documents scripturo-visuels. Nous avons effectué une sélection de dessins sur plusieurs critères. Lorsque des thèmes ou des représentations étaient récurrentes, nous avons voulu choisir au moins un dessin représentatif ; ce choix s'adressant tout

18 Pour rappel, le niveau VG1 correspond à la première année du lycée, et VG2 à la deuxième.

19 Voir Cuq, 2003 :36.

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particulièrement au lecteur pour lui offrir un point de repère, un exemple, au cours de l'analyse d'un phénomène. Nous avons également retenu des dessins qui nous paraissaient porteurs de sens quant à notre problématique, apportant une vision différente ou imprévue.

4.1.2. Le dessin : fonction et identité

Les fonctions d'une image sont multiples, mais il en est une qui nous intéresse particulièrement dans ce travail, et c'est celle de la représentation. L'image permet à des individus de transmettre un message - mais sans devoir passer par les mots. L'intérêt est alors double : premièrement, on donne dans le cadre de notre travail à tous les élèves possibilité de s'exprimer, de nous faire passer un message, malgré les contraintes possibles que pose la méconnaissance de la langue de l'autre. Deuxièmement, le dessin permet de se libérer des mots et d'entrer dans des représentations plus sensibles et parfois plus brutes, où l'émotion guide et l'on s'émancipe de la recherche du « bon » mot.

Le dessin est une image de type graphique. Il peut représenter - notamment dans le cas de cette recherche, d'autres images qui sont, elles, présentes dans « l'univers cognitif » de son auteur et peuvent être de type verbal (métaphores, descriptions), mentales (rêves, souvenir) ou perceptuelles (données sensorielles) (Moliner, 2016 :12, d'après Mitchell, 1986).

Le dessin peut également avoir une fonction herméneutique : l'acte de dessiner sa biographie langagière peut engager chez l'apprenant un processus de conscientisation et de mise en relation des langues, s'il n'existait pas déjà (Molinié, 2009 :12). De plus, « le travail sur l'expression graphique et verbale des représentations contribue à développer de nouvelles capacités d'imagination et d'action d'un sujet du langage devenant producteur d'un rapport plus singulier à la diversité et à la différence : la sienne et celle de ses environnements sociaux et linguistiques » (Molinié, 2009 :21).

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4.2. Parole aux apprenants

4.2.1. Langues et émotions

Nous avons évoqué ci-avant la typologie des images de Mitchell. Les émotions s'ancrent dans la perception et le mental, et sont donc des créations du sujet (Mitchell, 1986, cité par Moliner, 2016 :12). Ainsi, les situations relevant de la part affective sont, contrairement aux représentations culturelles (que nous étudierons dans le point suivant), le fait de la perception des apprenants. Molinié fait d'ailleurs également état d'une double dimension, « objective (sociale, contextuelle) et subjective (psycho-affective et imaginaire) » (Molinié, 2009 :11). Plusieurs facteurs peuvent influencer cette perception :

« L'expression de sentiments positifs ou négatifs concernant une langue peut être le reflet d'impressions sur la difficulté ou la simplicité linguistique, la facilité ou difficulté de l'apprentissage, le degré d'importance, l'élégance, le statut social, etc. Les attitudes à l'égard d'une langue peuvent aussi refléter ce que les gens pensent des locuteurs de cette langue. »

(Richards, Platt et Platt, 1997 :6 cités par Lasagabaster, 2006 :394)

Si nous pouvons relever des tendances lors de l'analyse, ces émotions ne sont pour autant pas généralisables et représentent le parcours langagier personnel des locuteurs.

Les émotions des apprenants sont parfois au coeur de leur dessin. Elles sont souvent accompagnées de la représentation physique de l'apprenant, réaliste ou non : mais toujours, il existe dans sa propre création. Mattis, 16 ans, se dessine dans trois situations : bébé en interaction avec sa mère (« Si mama »), il montre ainsi ce que représente le norvégien pour lui. C'est la première langue apprise, une langue de communication avec sa famille, comme le montre le choix de la scène qui reproduit une scène (réelle ou imagée) de sa mère en train de lui apprendre, de lui transmettre sa langue. L'anglais, c'est l'ouverture sur le monde - un thème qui reviendra beaucoup. Assis devant l'ordinateur, Mattis fait un « thumbs-up » (il lève le pouce) alors qu'il se connecte sur Google. Pour le français, c'est un paysage complètement différent, et ce au sens propre : il nous invite dans son moi intérieur, qu'il nomme avec justesse « Mattis-City ». Dans cette petite ville aux hauts immeubles qui le représente, le français est un gros nuage noir qui couvre le soleil et apporte la pluie. Cette image est très parlante, et témoigne d'une relation très conflictuelle avec le français (que cela soit son apprentissage, ou la langue elle-même).

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Pour Betina, le français semble également être source de douleur. Elle se dessine simplement, de face, et transmet toutes ses émotions par les expressions de son visage : sourire et « thumbs-up » pour le norvégien, petite grimace pour l'anglais, et larmes pour le français.

Amalie, elle, a choisi de ne pas se dessiner, mais de représenter ses émotions par le médian de celles de son coeur. Là, le français est représenté par un coeur brisé. Il est recouvert d'un pansement (et Amalie l'accentue en le nommant), ce qui peut indiquer une relation conflictuelle avec la langue ou le cours de français, mais qui cependant continue d'évoluer, voire guérit peu à peu. Le norvégien est lui représenté par un coeur portant une couronne.

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Parfois, l'apprenant se dessine dans la situation spécifique pendant laquelle il a ressenti ces émotions. Beaucoup d'élèves se sont représentés assis sur leur table, en cours de français. Leur mal-être peut se montrer au travers de leurs positions : assis à leur chaise, le dos droit, lors des cours de norvégien et d'anglais ; puis affalés sur la table lors du cours de français, comme pour le dessin d'Anton. Dans ce cas, il est possible que la source du mal-être soit l'apprentissage de la langue, ou une expérience négative avec l'un de leurs enseignants de langue (Auger, et al., 2009 :64).

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4.2.2. Représentations culturelles du français

La langue et la culture sont deux entités liées, et qui, en didactique des langues notamment, sont indivisibles. Aujourd'hui, on insiste sur l'apprentissage non seulement d'une compétence plurilingue, mais aussi pluriculturelle. Pourtant, aujourd'hui encore, langue et culture sont souvent abordées comme deux pôles distincts d'une même composante, notamment dans le cadre de l'enseignement scolaire. Ces pratiques peuvent s'expliquer par la tendance, dans les programmes, de segmenter les différentes compétences, mais également par la formation des enseignants qui passe souvent par des modules spécialisés (Andersen, 2009 :83).

Contrairement aux représentations des émotions, les images verbales (métaphores et descriptions, et par extension, représentations culturelles) s'inscrivent dans une perspective de communication (Moliner, 2016 :12). Leur création découle du contexte dans lequel évolue leur auteur (contexte social, contexte culturel mais aussi de l'expérience personnelle), ce qui influence la perception et la compréhension de l'autre. Barthes postule que l'interprétation de ces représentations, sous forme de signes et d'images, « nécessite la mobilisation de savoirs « culturels » » (Barthes, 1964, cité par Moliner, 2016 :15) ; Eco, lui, « suppose l'existence d'une connaissance préalable à la rencontre du spectateur et de l'image » (Eco, 1970, cité par Moliner, 2016 :15). Il est important de prendre cet aspect en compte, puisque dans le cas de cette recherche, les dessins des apprenants ont été créés au sein d'une relation particulière : celle d'un émetteur, l'apprenant, qui soumet sa production et transmet sa vision d'un objet donné à un récepteur, le chercheur. L'émetteur fait le choix des messages en s'ancrant dans cette même perspective, et en utilisant des codes qu'il partage (ou croit partager) avec le récepteur.

a) Les représentations stéréotypées

Ces représentations nées d'un univers social et culturel propre à chacun peuvent se traduire par des stéréotypes, ou clichés.

« Le stéréotype peut se définir comme un ensemble de croyances relatives aux caractéristiques des membres d'un groupe. [...] Par ailleurs, les croyances stéréotypiques font l'objet de consensus importants au sein des groupes. »

(Moliner, 2016 :41)

Apparait ici la notion de groupe, qui d'une certaine façon s'oppose à un autre par le biais de ses caractéristiques, ce qui contribue à créer leur identité ; au travers de

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l'action de différenciation de l'autre, et d'identification aux membres du même groupe. On retrouve ces rapports tout particulièrement dans certaines productions des élèves. Plusieurs d'entre eux nomment les langues qu'ils dessinent (surtout lorsqu'ils les séparent dans des cases, pour bien les différencier), mais certains utilisent le nom d'un pays plutôt que d'en nommer la langue (comme Mattis et « Angleterre »), montrant que les frontières sont parfois floues entre langue et culture.

Il y a également des dessins ou les langues ne sont représentées que par des éléments stéréotypés. Dans le dessin de Stian, on retrouve une baguette, une tasse de thé et une râpe à fromage norvégienne (dite ostehøvel). Ces trois éléments sont culturellement fortement associés pour l'un à la France, pour le second à l'Angleterre, et pour le troisième à la Norvège. Ce dessin nous a interpellé puisqu'il est le seul, parmi tous les dessins rassemblés, à représenter les langues comme un tout : la représentation de l'apprenant s'apparente à un petit déjeuner où chaque langue a quelque chose à apporter. C'est un choix qui nous parait très intéressant, et unique.

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b) Les symboles culturels nationaux

Dans d'autres dessins, les élèves ont représenté les langues là encore en passant par des stratégies d'identification, mais en privilégiant des symboles nationaux plus objectifs que les stéréotypes, comme par exemple des drapeaux ou des monuments célèbres. C'est l'un des critères que remarque d'ailleurs Muriel Molinié dans son ouvrage sur le dessin réflexif (Molinié, 2009 :15), et qui semble donc une manière fréquente de représenter les langues chez des sujets plurilingues.

Ainsi, on retrouve dans le dessin de Leander la Tour Eiffel, le Tour de France ou encore des aliments associés à la culture gastronomique française (le vin, le pain) ; et un viking devant sa maison typiquement norvégienne, ainsi qu'une personne faisant du ski. Pour l'anglais, cependant, pas de clichés à proprement parler : on ne sait s'il se représente lui-même ou personnifie la langue anglaise, toujours est-il qu'on comprend qu'il voit le poids international de l'anglais et les possibilités qu'il offre.

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Pour Mille, on retrouve aussi la Tour Eiffel, mais cette fois-ci l'anglais est représenté par des symboles culturels également, le fameux Big Ben et le London Eye.

4.2.3. Éléments de conclusion

Nous avons parlé des représentations langagières. Pour Castellotti, les représentations sont « élaborées à partir d'un processus où le déjà connu, le familier, le rassurant, sert de point d'évaluation et de comparaison » (Castellotti, 2001 :32). Dans le contexte de notre recherche, et au vu de l'étude des dessins créés par les apprenants, il est clair que pour beaucoup l'anglais est une langue qui est associée à des émotions positives, et à l'ouverture sur le monde - au contraire du français. L'anglais est donc, au même titre que le norvégien, ce point d'ancrage familier et outil comparatif. Le français comme l'anglais sont des langues apprises à l'école comme langues étrangères et partagent donc ce statut.

Pour remédier aux problèmes que rencontre aujourd'hui l'enseignement du français en Norvège (mais aussi, en général, l'enseignement des langues étrangères en Europe), il nous parait alors, après ce travail, pertinent de travailler à des moyens concrets et précis d'introduire l'anglais en classe de FLE. D'après Dörnyei, l'école et les professeurs sont deux de quatre facteurs dont l'influence est majeure quant aux conceptions et attitudes des apprenants (aux côtés de la famille et des camarades

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de classe) (Dörnyei, 2000, cité par Lasagabaster, 2006 :395). C'est donc aux enseignants de prendre des décisions, de chercher sans cesse à se former aux nouvelles approches et notamment aux approches plurilingues.

Si l'on entreprend une telle démarche, que peut-on alors espérer ? Il nous semble que, comme dit ci-dessus, la majorité des élèves associent l'anglais à des émotions positives et le français a des émotions négatives. Parmi les dessins, on retrouve deux grandes catégories (parfois perméables) : les élèves ayant représenté le français par des éléments culturels, et les élèves ayant représentés leurs émotions (notamment en classe de langue). Nous pensons donc qu'utiliser l'anglais en classe de français langue étrangère peut permettre de réduire un écart qui peut exister, une barrière. Travailler sur les similarités linguistiques et le développement des stratégies d'apprentissage peut rassurer les élèves, parfois dépassés par le niveau de difficulté d'une langue qui leur parait éloignée. Les dessins nous montrent que le français n'est parfois considéré que comme une langue de l'école, et qui se réduit à cet espace. Il est important de prendre cet aspect en compte, puisque « le rapport à une langue étrangère et aux êtres qui l'incarnent passe par la langue/culture d'origine » (Allouche, 2012 :27). Ainsi, il est également possible que l'image du français chez les apprenants norvégiens devienne plus positive en travaillant dans une perspective interculturelle et en introduisant, là encore, les représentations d'autres langues pour ouvrir le dialogue (langue maternelle, langue anglaise, etc.).

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery