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L'anglais en cours de FLE: étude de cas du contexte norvégien

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par Camille Bardyn
Université d'Angers - Master FLE 2016
  

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Partie 3 : Analyse

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3.1. Les interférences relevées par les enseignants

Interférence

Ling. - Les changements ou les identifications résultant dans une langue des contacts avec une autre langue, du fait du bilinguisme ou du plurilinguisme des locuteurs, constituent le phénomène d'interférence linguistique.

(Mounin, 2004 :181)

Les élèves norvégiens de second cycle apprenant l'anglais dès leur plus jeune âge, il nous a paru opportun d'amorcer ce travail avec le repérage d'erreurs (ici comme productions fautives systématiques, en opposition à la faute7), qu'elles soient communes à tout le groupe d'apprenants ou non, afin d'établir une sorte de diagnostic de l'influence que l'anglais peut avoir sur l'apprentissage du français. Le linguiste Francis Debyser parle du phénomène de l'interférence comme d'un « accident de bilinguisme entrainé par un contact entre les langues » (Debyser, 1970 :34). Or, notre seconde hypothèse était que l'anglais puisse servir de socle à l'apprentissage du français, de par les nombreuses similarités entre les langues. Cette première partie du travail d'analyse nous permettra donc d'établir un corpus, qui nous aidera à renforcer (ou non) la pertinence du choix de notre sujet.

Pour l'analyse de ces phénomènes grammaticaux, nous nous sommes appuyées sur deux grammaires : la Grammaire pratique de l'anglais de Serge Berland-Delépine (2015), et la Grammaire expliquée du français de Poisson-Quinton, Mimran et Mahéo-Le Coadic (2002).

3.1.1. Morphosyntaxe

Le contexte de l'observation des interférences de l'anglais est important : ces énoncés fautifs ont été produits au sein de la classe de langue. La situation de communication, d'élève à enseignant ou d'élève à élève, comporte des similarités : l'élève en question connait le répertoire langagier de son professeur et de ses camarades. Au sein de la syntaxe fonctionnelle d'André Martinet, la situation de communication et la caractérisation du locuteur sont des éléments essentiels, détermine les choix d'énonciation de celui-ci (Baylon et Fabre, 2003 :109). Dans notre situation, les élèves comme les enseignants possèdent tous en commun le

7 Voir Þavlý, 2009 :181.

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norvégien (langue première pour la plupart d'entre eux), un certain niveau de compétences en anglais, et en français.

La première catégorie regroupe les interférences au niveau de la morphosyntaxe. Elle comprend donc des erreurs à caractéristiques morphologiques (les parties du discours et les variations des mots) et syntaxiques (l'ordre des mots, leurs fonctions, et les accords) (Baylon et Fabre, 2003 :105).

 

Inventaire des interférences relevées : morphosyntaxe

Informateur n°13

Il regardes (le s à la troisième personne, singulier, du présent)

Informateur n°50

L'ordre des mots

En anglais, on ajoute la désinence -s (parfois -es) à la troisième personne du singulier du présent. En français, les terminaisons possibles pour cette même personne au présent de l'indicatif n'incluent pas le -s.

Il existe d'autres différences relevant de la morphosyntaxe et de l'ordre des mots : par exemple, en anglais, l'adjectif qualificatif épithète est placé avant le nom ; les pronoms personnels compléments sont eux placés après le verbe.

3.1.2. Le lexique

a) Les interférences lexicales

Beaucoup d'enseignants ont donné dans leurs réponses des exemples d'interférences lexicales de l'anglais dans les productions des élèves en classe de français.

 

Commentaires

Informateur n°11

Similaritude du vocabulaire

Informateur n°14

Oui pour tous les mots transparents anglais/français

Informateur n°18

Les élèves utilisent les mots anglais, et ils traduisent par exemple « travailler » comme « travel »

Nous avons pu relever grâce aux témoignages de ces enseignants des interférences lexicales diverses.

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Commentaires

Informateur n°1

Je suis norwegian, j'ai un job

Informateur n°13

Les expressions de géographie sont influencées par l'anglais : Norwegian au lieu de norvégien, Germany au lieu de Allemagne ...

Informateur n°51

Quelquefois ils écrivent des mots anglais.

On retrouve dans les réponses plusieurs types d'interférences lexicales. Tout d'abord, les mots anglais calqués tels quels, utilisés comme stratégie de communication lorsque l'apprenant ne connait pas l'équivalent français - comme le dit l'informateur n°8. Ainsi, on retrouve dans des productions (écrites aussi bien qu'orales) des mots comme « Norwegian », « job » ou « Germany ». Les élèves ont alors recours à des mots anglais afin de persévérer dans l'acte de communication malgré leurs lacunes en français, comme dans les exemples relevés ci-dessus.

 

Commentaires

Informateur n°8

Si les élèves ne connaissent pas le mot en français ils essayent d'utiliser un mot anglais

Informateur n°33

S'ils ne connaissent pas le mot français, ils essayent parfois de « francophoniser » un mot anglais.

Informateur n°41

Utilisation occasionnelle de mots anglais avec accent français quand ils ne trouvent pas le mot en français

Informateur n°43

Si les élèves ne connaissent pas le mot en français ils trouvent toujours le mot en question en anglais et essayent de le rendre français.

Lorsque les élèves ne connaissent pas le mot français, une autre stratégie (une alternative au simple copié-collé du mot anglais) est la francisation de mots anglais.

D'après les remarques des enseignants, nous en déduisons que les élèves sont bien conscients des similitudes lexicales qui existent entre les deux langues. Grâce à la multitude de mots transparents anglais-français, ils ont accès à une base de données assez importante qu'ils semblent utiliser. Parfois, la frontière est difficile à faire entre des mots qui sont indéniablement transparents (orange, important,

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adorable, etc.) et les faux-amis. Ainsi, un enseignant nous donne l'exemple du verbe « travailler », qui est compris comme signifiant voyager, les élèves faisant le lien avec le verbe anglais « to travel ».

b) Les calques

Le calque est défini dans le Dictionnaire de la linguistique comme « une forme d'emprunt d'une langue à l'autre qui consiste à utiliser, non une unité lexicale de cette autre langue, mais un arrangement structural, les unités lexicales étant indigènes » (Mounin, 2004 :58). Il en existe trois types : le calque lexical, le calque sémantique et le calque grammatical. Les deux exemples relevés ci-dessous sont des calques grammaticaux.

 

Commentaire

Informateur n°29

Ils peuvent écrire : je suis attendre (I am waiting)

L'exemple de l'Informateur n°29 montre que les étudiants norvégiens calquent la construction du présent sur l'anglais : ils se servent du modèle du présent progressif (ici, I am waiting) plutôt que du présent simple (qui serait alors, en anglais, I wait). En français, il existe bien un présent d'aspect duratif qui correspond au présent progressif anglais : par exemple, je suis en train d'attendre, qui exprime une action qui dure. Cependant, ce présent ne semble pas être connu des élèves puisqu'il nécessite un niveau de français un peu plus élevé. Ils font donc un transfert avec la construction anglaise, qui est, elle, bien connue ; le présent progressif est très utilisé en anglais dans le parler de tous les jours. Il est « le vrai présent anglais, celui que l'on emploie pour les actions qui sont en progrès, qui sont commencées mais pas encore terminées » (Berland-Delépine, 2015 :105). Un anglophone aura par exemple plutôt tendance à dire (a) « I'm waiting for the bus » que (b) « I wait for the bus ». Un francophone, lui, privilégiera « j'attends le bus » (équivalent de la construction b) plutôt que de dire « je suis en train d'attendre le bus » (construction a).

 

Commentaire

Informateur n°53

Ils écrivent souvent par exemple Mathilde's vélo au lieu de le vélo de Mathilde.

Un autre problème est la formation du possessif. En anglais, on utilisera effectivement le -s précédé d'une apostrophe (ou, au pluriel, le cas contraire). Cette

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indication de la relation de possessivité suit le possesseur, comme dans l'exemple Mathilde's vélo. Le nom Mathilde est le possesseur, suivi du -s du cas possessif, puis de l'objet. En français, on pourra utiliser la préposition de, comme dans l'exemple proposé. Dans ce cas, la phrase sera construite sous la forme nom + de + nom (Poisson-Quinton, Mimran et Mahéo-Le Coadic, 2002 :64).

3.1.3. Phonèmes

 

Inventaire des interférences relevées : phonèmes

Informateur n°17

Station, manifestation, certains mots et noms prononcé à la façon anglaise

Informateur n°20

Orales, la prononciation

Informateur n°24

Les élèves utilisent des mots anglais, prononcés à la française.

Prononciation surtout « in- » (information -> /inf.../ au lieu de
nasaliser)

Informateur n°30

Oui, à l'oral. Ils mélangent parfois les deux langues s'ils doivent s'exprimer spontanément, surtout au collège.

Informateur n°36

Oui, la prononciation des mots terminés par -tion, ment, et d'autres sons.

Informateur n°49

Oui, dans la prononciation des mots similaires, comme par

exemple « communication ».

Ce type d'interférences nous étonne parfois lorsque nous nous positionnons comme locutrice du français et de l'anglais, et apprenante du norvégien. En effet, parmi les interférences relevées on retrouve notamment l'absence de nasalisation du son [?Þ], notamment en fin de phrase, comme dans communication, information, etc. Selon les enseignants, les élèves ont tendance à ne pas nasaliser le [?Þ] et à prononcer ces mots en suivant les règles de l'anglais. Il est vrai que la nasalisation n'existe pas plus en norvégien qu'en anglais. Cependant, bien des mots similaires existent en norvégien : en nasjon (une nation), en føderasjon (une fédération), en opposisjon (une opposition), etc. Ces mots suivent les règles de prononciation de la langue norvégienne, où les voyelles sont émises de manière plus similaire au français qu'à l'anglais (Renaud et Buscall, 1996 :8).

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3.1.4. Interférences graphiques

On retrouve également des interférences de type graphique, soit la capitalisation des adjectifs, qui n'existe pas en français.

 

Inventaire des interférences relevées : capitalisation

Informateur n°13

Les élèves écrivent souvent l'adjectif national avec une lettre majuscule.

3.1.5. Perspectives

Le constat de cette première analyse est que les interférences de l'anglais existent, et influencent donc l'apprentissage du français. Les élèves norvégiens font des liens, conscients ou non, entre les langues qu'ils connaissent et la langue qu'ils apprennent. La classe de français n'est pas une entité hermétique où seule la langue cible et la langue maternelle s'invitent : l'anglais, comme une seconde langue première, est présent dans les productions des élèves. De nombreuses recherches dans le domaine de l'intercompréhension le démontrent également, notamment en relation avec le concept de l'interlangue8.

Nous avions formulé la question concernant les interférences de la manière suivante : « Avez-vous déjà remarqué l'influence de l'anglais dans les productions (orales ou écrites) de vos élèves ? Si oui, pouvez-vous donner des exemples ? ». La formulation était voulue comme objective, ne présentant pas l'influence de l'anglais comme un élément négatif ni positif. Pourtant, nous avons constaté que dans leurs réponses, les enseignants se sont principalement focalisés sur les transferts négatifs (et donc, comme nous venons de le voir, les interférences). Quant aux transferts positifs, qui surviennent lorsque l'élève « créé des formes correctes en s'inspirant de sa langue maternelle ou d'une autre langue étrangère » (Þavlý, 2009 :181), ils n'ont pas été pris en compte. Certains enseignants soulignent dans quelles situations ces transferts ont lieu, sans pour autant donner leur avis quant à l'utilité de ces transferts pour l'apprentissage. Pourtant, de nombreux chercheurs et notamment Capucho considèrent que tous les transferts se produisant lors de l'apprentissage d'une

8 Voir Meissner et al., 2004 : 20-23.

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langue sont positifs et contribuent à l'apprentissage, même s'ils impliquent une erreur9. C'est un processus de développement de compétences.

Cette première réponse nous montre donc que les langues sont déjà en contact, et que ce contact influence les productions. En effet, les erreurs relevées ci-dessus sont majoritairement de type interlingual - provenant du contact avec l'anglais ; seules les erreurs d'ordre des mots (voir 2.1.) sont assimilées à un manque de connaissances des règles du français (Þavlý, 2009 :182). Ces phénomènes, quantifiables et systématiques témoignent de la formation d'une interlangue - un système temporaire de compétences en langue cible portant néanmoins la trace de la langue première ou seconde de l'apprenant.

Il devient alors pertinent dans ce contexte précis de se servir de ces interférences, de ce corpus, comme l'un des piliers de l'apprentissage, permettant aux enseignants d'aborder des points difficiles là où le norvégien ne le permet pas (comme pour le parallèle « there is / it is » et « il y a / c'est », que nous allons étudier ci-après). Leur étude peut nous permettre de mettre en place des procédés à titre préventif, adaptés aux apprenants. Nous confirmons ainsi notre première hypothèse, soit que l'anglais, dans un cadre précis, puisse servir de tremplin à l'apprentissage du français. Ces premiers résultats nous confortent également dans l'intérêt de notre recherche.

9 Voir Capucho, 2002 :57-70.

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3.2. L'anglais en classe de FLE : pratiques d'enseignants

3.2.1. Langues d'interaction

Dans la première partie de cette analyse des pratiques des enseignants, nous nous intéressons à ce que signifie être, dans ce contexte, francophone natif ou non-natif, puisque chaque pays d'origine a sa propre histoire, qui influence les sentiments des peuples envers certaines langues. Il est important d'étudier le niveau des enseignants en anglais pour analyser son usage. D'après Causa, « la formation et la compétence que les enseignants ont dans la langue étrangère » est un facteur qui entre en jeu dans le choix d'utiliser ou non la langue première (ou, dans ce cas, « L1-like ») (Causa, 2002 :50). Notre objectif ici est donc de déterminer si l'identité de l'enseignant est une variable dans le choix du contrat didactique.

Il nous parait important de parler ici des modalités de l'analyse des réponses concernant notre troisième question, qui demandait aux enseignants d'autoévaluer leur niveau d'anglais. C'est une donnée qu'il nous a semblé nécessaire d'introduire dans cette recherche. Nous avons opté pour les niveaux de compétences du CECRL (A1 à ), afin d'utiliser une échelle objective et reconnue dans l'enseignement des langues en Europe. Cependant, nous tenons à aborder deux paramètres pouvant influencer les réponses des enseignants. Tout d'abord, si ces niveaux de compétences sont utilisés dans la plupart des pays de l'Union Européenne, nous n'avons pas la certitude que tous les enseignants norvégiens aient été formés à les utiliser. En effet, la Norvège ne fait pas partie de l'Union Européenne, et quelques enseignants norvégiens avaient affirmé au cours de discussions informelles (précédent le recueil de données) ne pas utiliser ces niveaux de compétences précis avec leurs classes, ni les connaitre en détail. C'est l'une des raisons qui nous a amené à préciser « Débutant », « Intermédiaire », etc. pour que tous les enseignants puissent répondre, mais il est toutefois possible que certains n'aient pas estimé leur niveau par rapport aux critères du CECRL ; ce qui nous amène au second paramètre.

L'acte d'autoévaluation, même lorsqu'il s'appuie sur des critères définis, peut difficilement être complètement objectif, et ce tout particulièrement lorsque l'on s'intéresse à la question des compétences langagières d'un individu. Les

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enseignants de langues ne sont pas exempts de cette subjectivité, et c'est un facteur que nous devons prendre en compte au cours de l'analyse des questionnaires.

a) Les enseignants de nationalité norvégienne

Parmi les réponses, nous avons donc recensé trente-cinq enseignants de nationalité norvégienne. Vingt-deux d'entre eux s'auto-positionnent à un niveau C1 ou en anglais. Nous avons décidé de les regrouper dans une même catégorie, en tant que locuteurs bilingues avancés, pour étudier leurs comportements face à l'anglais.

Douze de ces enseignants disent ne jamais utiliser l'anglais comme moyen de communication (Questions n°4 et n°7) ; cependant, seulement sept de ces mêmes enseignants n'utilisent pas l'anglais non plus pour enseigner des phénomènes grammaticaux (Question n°8). De plus, ces enseignants ayant répondu négativement aux deux interrogations précédentes disent tout de même faire référence à la langue anglaise en classe, à des degrés divers. La majorité des enseignants ayant un niveau avancé en anglais l'introduisent donc dans leurs enseignements. Pour les enseignants ayant un niveau B2 en anglais, les résultats sont similaires. Ces résultats ne contredisent pas Causa, qui affirme que chez les enseignants non-natifs, « la langue de base de l'interaction pédagogique reste majoritairement leur langue maternelle » (Causa, 2002 :50) mais ils montrent que les interactions ne se limitent pas à un échange binaire entre le norvégien et le français.

Il est étonnant de remarquer que les deux enseignants de nationalité norvégienne disant avoir un niveau A1-A2 en anglais, ont effectivement recours à l'anglais ; non pas pour les interactions en classe (qui s'effectuent en français et en norvégien), mais pour l'enseignement du lexique (Informateurs n°31 et n°42), de la syntaxe et de la grammaire (Informateur n°42). Comme l'affirme Causa, « l'emploi de la langue maternelle des apprenants, ou d'une langue véhiculaire, implique par ailleurs la représentation que l'enseignant se fait de la compétence qu'il a dans cette langue et de la "rentabilité" pédagogique de cet usage d'autre part » (Causa, 2002 :63). Nous comprenons donc le cas de ces enseignants comme ayant des compétences communicatives limités en anglais, mais disposant d'un savoir suffisant en termes de structure et d'histoire de la langue pour pouvoir l'introduire comme élément comparatif.

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b) Les enseignants de nationalité

française

Onze des enquêtés sont de nationalité française, dont huit atteignent le niveau C1- et un le niveau B2, en anglais. Seuls trois de ces enquêtés utilisent l'anglais comme langue de transmission, pour expliquer un mot de vocabulaire ou une expression (Informateurs n°14, n°18 et n°35). Un enquêté dit utiliser l'anglais pour enseigner la syntaxe, la grammaire et le lexique (Informateur n°14). Celui-ci élabore ensuite, affirmant ne jamais parler anglais en classe, sauf si l'anglais est déjà présent dans le matériel pédagogique (citant comme exemple les textes de chansons).

Les autres enseignants n'utilisent l'anglais que dans une situation, celle de la comparaison : similitudes lexicales, explication de « il y a » et « c'est » (Informateur n°18), et même du « vous » français au « you » anglais (Informateur n°50). Un enseignant précise que « l'anglais est utilisé pour faire des liens, afin qu'ils se rappellent plus facilement un mot/une règle » (Informateur n°12).

c) Les enseignants d'autres nationalités

Nous avions fait le choix de demander la nationalité des enquêtés plutôt que leur origine, partant du postulat que les enseignants seraient de nationalité française ou norvégienne, ce qui nous permettrait ainsi de créer deux catégories, et d'étudier l'influence d'être enseignant natif ou non-natif sur le choix des langues de la classe. Cependant, nous n'avions pas prévu de recevoir des réponses d'enseignants ayant des origines différentes : nous avions sous-estimé la diversité des profils d'enseignants. Cependant, parmi les différentes réponses, certains cas nous ont paru intéressants à analyser, de par l'histoire (parfois conflictuelle, toujours complexe) de leur pays avec les langues anglaise et française. Malheureusement, les pays d'origine et leur histoire sont les seules données à notre disposition, et nous ne pouvons ainsi qu'émettre des constats sans pour autant prendre en compte le parcours personnel de chaque enquêté. Nous avons ainsi choisi de nous attarder sur le cas des enseignants originaires du Rwanda (Informateurs n°34 et n°36) et du Canada (Informateur n°6).

Deux enquêtés sont originaires du Rwanda : l'un se définit comme de nationalité rwandaise, le second comme rwando-norvégienne. Ancienne colonie belge, le pays a pour langues officielles le kinyarwanda, le français et l'anglais ; les chiffres de 1996

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nous indiquent cependant qu'environ 20% de la population de la capitale rwandaise, Kigali, parlent français (Calvet, 2010 :188-189). Selon Calvet, le français a largement perdu son influence de par le rôle de la France dans le génocide de 1994 - ce qui aura pour conséquence d'introduire l'anglais comme troisième langue officielle du pays. Nous nous attendrions donc à ce que ces deux enseignants - et par extension, des enseignants ayant grandi dans un pays où l'anglais et le français sont des langues officielles - auraient justement tendance à comparer les langues. Cependant, les deux profils des enquêtés sont très différents : l'un (Informateur n°34) n'accorde pas de place à l'anglais en classe, déclarant « je préfère parler en français aux élèves » - et ce malgré un niveau C1 en anglais. Le second (Informateur n°36) affirme au contraire posséder le niveau B2 en anglais, et l'utiliser lors des interactions en classe, ainsi que pour enseigner grammaire, syntaxe et lexique. Là encore, on se rapproche des théories relatives à l'intercompréhension. En effet, dans ce cadre, « nos connaissances, qu'elles viennent de notre langue maternelle ou de langues étrangères que nous avons apprises, sont précieuses pour faire des transferts et comprendre des langues que l'on n'a jamais apprises formellement. Il suffit de savoir mobiliser nos connaissances » (Moustaki, 2010 :175).

L'enseignant de nationalité canadienne (Informateur n°6), qui s'auto-positionne à un niveau en anglais, fait référence à la langue anglaise et l'utilise pour expliquer les règles de grammaire française, ainsi que pour expliquer le vocabulaire. Le Canada étant un pays où la plupart des habitants sont en contact avec à la fois l'anglais et le français (et ce à des degrés différents selon la province dont ils sont originaires), il semble naturel qu'un Canadien connaisse bien les deux systèmes grammaticaux et puisse donc s'appuyer sur l'un ou l'autre pour donner des explications. Cependant, cet enseignant ne compte que le norvégien comme langue d'interaction.

d) Interactions langagières en classe de français langue

étrangère

L'étude de la place de l'anglais dans l'enseignement du français s'inscrit dans l'étude des interactions langagières en classe de FLE, que l'on peut considérer selon Pochard comme une véritable communauté linguistique : soit « un groupe de sujets parlants qui possèdent en commun des ressources verbales et des règles de communication » (Gumperz et Hymes, N/A ; cités par Pochard, 1997 :411). Par

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communauté linguistique, nous considérerons l'ensemble composé du groupe d'apprenants ainsi que de l'enseignant.

Puisque ce travail analyse les interactions langagières, il est lié au concept d'alternance codique, ainsi défini par Cuq :

« L'alternance codique est le changement, par un locuteur bilingue, de langue ou de variété linguistique à l'intérieur d'un énoncé-phrase ou d'un échange, ou entre deux situations de communication »

(Cuq, 2003 :17)

Dans le cas auquel nous nous intéressons, les interactions langagières au sein de la classe et au cours de l'apprentissage sont bien des échanges et des situations de communication. De plus, les apprenants norvégiens et leurs enseignants de français sont des individus bilingues. Nous l'avons montré grâce aux chiffres du Ministère de l'éducation sur les langues apprises à l'école (voir 1.1.), ainsi que l'analyse des profils des enseignants (voir 2.1.1.) - qui, même s'ils ne posaient pas la question du répertoire langagier, présentaient des profils bilingues (français, norvégien, anglais).

Pour appuyer cette idée, nous nous intéressons aux conceptions de certains chercheurs qui définissent la classe de langue comme un « espace d'interlocution potentiellement bilingue » (Giacobbe, 1992 :13 ; Lüdi, 1991, 1993 ; cités par Causa, 2002 :40), supportant donc le choix d'étude de la classe comme un espace où les langues ne sont pas des composantes hermétiques mais forment chez l'individu une compétence plurilingue, comme dans la vie réelle. Lüdi guide notre perspective d'analyse :

« Tant [les marques transcodiques des apprenants] qui sont analysées comme des traces d'un manque de maîtrise dans la langue cible que celles qui, au contraire, témoignent d'une compétence de locuteur bilingue en construction, doivent être interprétées comme des phénomènes caractérisant une situation de communication de contact entre deux (ou plusieurs) langues et nullement comme des manifestations qualitativement autonomes par rapport à la compétence du locuteur-apprenant. »

(Lüdi, N/A ; cité par Causa, 2002 :40)

Il nous importe de bien recontextualiser cette assertion : ainsi, les marques transcodiques témoignant d'un manque de maitrise dans la langue cible sont par exemple les calques et les emprunts (voir 1.1.) que l'on peut retrouver dans les interactions orales lorsque les apprenants ne connaissent pas l'équivalent en français. Les autres interférences que nous avons classifiées ci-avant témoignent, elles, de cette compétence bilingue en construction dont parle Lüdi.

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Les enseignants ayant participé à notre recherche indiquent pour la majorité (62.2%) introduire deux langues d'interaction : le français ou la langue cible, et le norvégien ou la langue maternelle. Ces enseignants ne ressentent donc pas le besoin d'avoir recours à l'anglais, contrairement aux neuf enquêtés (représentant 16.9% du total des réponses) qui, eux, introduisent l'anglais aux côtés des deux autres langues. Cette prise de position est le contrat didactique. C'est l'enseignant qui régit principalement la situation de communication, en tant qu'élément médiateur.

Sur ce point, il est également important de noter que de par sa nature le contrat didactique implique un manque (relatif) de spontanéité dans les échanges, en opposition aux situations de communication entre individus bilingues hors de l'espace classe (Causa, 2002 :53). Cependant l'élève, lui aussi, peut prendre l'initiative d'introduire d'autres langues et de modifier ce contrat didactique. Ce type d'initiative peut se traduire, là encore, par les calques et les emprunts dans une autre langue que la LC et la LM. Face à cette situation, il y a deux possibilités pour l'enseignant : celle d'accepter cette « intrusion » et de renégocier le contrat didactique, ou de la rejeter (Moore, 1996 ; cité par Causa, 2002 :51-52).

3.2.2. Un outil comparatif

Le travail de comparaison permet d'atteindre plusieurs objectifs :

- « Eveiller la conscience métalinguistique de [l'apprenant] par des activités portant à la fois sur la langue maternelle et sur diverses langues étrangères mises en confrontation ;

- L'entrainer à jeter un regard distancié sur sa propre langue et à la relativiser ; - L'amener à la découverte d'autres modes d'expression, d'autres moyens de

rendre compte de la réalité, qui ne constituent pas de simples calques de la

langue maternelle ;

- Lui faire prendre, plus généralement, conscience du caractère à la fois arbitraire et systématique des faits de langue ;

- Prolonger dans le domaine culturel cette attitude d'ouverture linguistique
pour développer un esprit de tolérance et d'accueil de l'autre. » (Ric, Sanz-Lecina et Garcia Debanc, 2014 :210, d'après Dabène, 1992).

L'un des phénomènes grammaticaux qui semble le plus étranger aux élèves norvégiens est la différenciation entre « il y a » et « c'est ». La différentiation entre ces deux formules n'existe pas en norvégien, où l'on se contente du « det er » (pour

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parler d'un sujet) et « den er » (pour parler d'un objet). En anglais, des structures similaires existent : « il y a » peut se traduire par « there is » ou « there are ». Les apprenants connaissant déjà les usages des équivalents anglais, beaucoup d'enseignants semblent alors se servir de leurs connaissances pour leur faire comprendre ce phénomène en français. Le « it is » anglais peut également être traduit par le « c'est » français.

3.2.3. Une langue passerelle

Une fois n'est pas coutume, nous ne faisons pas ici référence à la définition didactique d'une langue passerelle, mais utilisons ce terme pour définir l'anglais comme langue de passation de messages (versus des savoirs). C'est étudier les alternances « relais », dont le but est communicatif (en opposition aux alternances « tremplins », qui agissent plutôt comme stratégies d'apprentissage) (Moore, 1998 ; cité par Maarfia, 2008 :197).

a) L'anglais comme outil d'analyse

« méta »

Le choix des propositions de réponses de la Question n°7 n'est pas fait au hasard. Selon Kramsch, l'une des fonctions de l'alternance codique est de transmettre des « messages importants sur la langue à apprendre (explications, règles, consignes, etc.) » (Kramsch,1991 ; cité par Causa, 2002 :21). La fonction d'explication semble effectivement être une raison de l'utilisation de l'anglais pour 49.1% des enseignants.

Peu d'enseignants utilisent l'anglais pour transmettre des messages relatifs aux règles de classe et aux consignes (3.8%), ou pour reformuler et réexpliquer (5.7%). Au contraire, la moitié des enseignants (49.1%) affirment ne jamais utiliser l'anglais comme langue de transmission.

b) Matériel pédagogique

L'anglais peut aussi s'immiscer dans la classe de manière non-volontaire : lorsque les enseignants utilisent du matériel pédagogique dont la langue source est l'anglais. Ainsi, deux enseignants utilisent l'application Duolingo10, une application

10 Duolingo, disponible à l'adresse https://www.duolingo.com/

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d'apprentissage des langues, en complément de leurs cours. Cette application est plutôt ludique, fonctionnant sur système de points et de paliers. Elle s'appuie en grande partie sur l'apprentissage de mots de vocabulaire ou de groupes de phrases catégorisés. Les élèves sont amenés à traduire mots, phrases et expressions à partir de l'anglais, qui est la langue d'interface de l'application. D'autres enseignants utilisent également des vidéos de la plateforme YouTube, citant les vidéos du blog Comme une française11.

Le recours à du matériel pédagogique en anglais est parfois une nécessité. Il existe certainement moins de ressources pédagogiques à destination de locuteurs norvégiens, de par leur nombre réduit ainsi que par la position du français comme troisième langue étrangère, après l'espagnol et l'allemand, que de ressources pédagogiques pour les hispanophones.

3.2.4. Et les programmes éducatifs ?

Les approches plurielles sont au sein des programmes éducatifs norvégiens depuis la Réforme de 2006 :

« Learning a new foreign language builds on experience from previous language learning both in and outside school. When we are aware of the strategies we use to learn a foreign language, and the strategies that help us understand and be understood, the acquisition of knowledge and skills will be easier and more meaningful.

(...) Competence in foreign languages shall promote motivation for learning, and insight into several languages and cultures, contribute to multilingual skills and provide an important basis for lifelong learning. »

(UDIR, 2006 :2)

L'enseignement du français est divisé en deux niveaux : le premier s'adresse aux élèves de primaire, collège et lycée, tandis que le second (ou niveau avancé) ne s'adresse qu'aux élèves de lycée, dans la continuité du premier niveau. On retrouve clairement énoncées les compétences suivantes dans les curriculums du niveau I et II :

- « Exploiter son expérience d'apprentissage des langues dans l'apprentissage de la langue étrangère12.

11 Comme une française, disponible à l'adresse http://www.commeunefrancaise.com/

12 Traduction personnelle. « Exploit his or her own experience of language learning in learning the new language. »

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- Examiner les similarités et les différences entre la langue maternelle et la langue étrangère, et exploiter ces savoirs dans le processus d'apprentissage13. » (UDIR, 2006 :4)

Si 46 enseignants (sur les 53 interrogés) affirment faire référence à la langue anglaise, seulement un mentionne les programmes, lorsqu'il explique faire référence à la langue anglaise. « Oui, pour aider les élèves devinent des mots dans un texte ou comprendre mieux des points grammaticaux. C'est fait partie du programme scolaire norvégien, c'est-à-dire faire des comparaisons entre la langue maternelle et toutes les langues étrangères que les élèves savent » (Informateur n°23).

3.3. L'anglais en classe de FLE : une incompatibilité idéologique ?

3.3.1. Le rejet de l'anglais hégémonique et la construction de

l'identité norvégienne

Dans le domaine des recherches sur les pratiques des enseignants, on retrouve les modèles dits écologiques, qui ancrent notamment ces études dans la situation et le contexte de l'enseignement (Altet, 2002 :85). C'est donc une perspective que nous avons introduite dans notre analyse.

Quelques-unes des réponses qui nous ont beaucoup marquée sont les suivantes :

« Ce n'est pas du tout naturel d'utiliser l'anglais. Notre langue est le norvégien. » (Informateur n°8)

« Sinon on utilise notre propre langue... pour mieux communiquer. » (Informateur n°25)

Dans ces affirmations, c'est le « notre langue » qui nous a tout de suite interpellé. L'indépendance de la Norvège est relativement récente, datant de 1905 et son ultime séparation du Royaume de Suède. Les 19e et 20e siècle ont été le théâtre de revendications nationalistes, où la question de la langue du peuple était un élément central :

« La langue était la clé servant à comprendre et définir la nationalité. Elle jetait une lumière sur la nature, le caractère et la culture d'un peuple et révélait ses origines. »

(Seip, 2003 :269)

13 Idem. « Examine similarities and differences between the native language and the new language and exploit this in his or her language learning. »

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Le retour à une langue nationale comme le socle de l'identité norvégienne, héritée et recréée du vieux norrois, permet une césure avec les siècles de domination suédo-danoise qu'a subi le pays depuis le 14ème siècle. La « norvégianisation » de la langue de l'oppresseur - le danois - et le désir du retour à une langue pure, réminiscence d'une époque prospère et de liberté, étaient donc au coeur des débats intellectuels. Ce mouvement de renouveau culturel et identitaire s'est accompagné d'une certaine méfiance à l'égard de l'autre (notamment des peuples germaniques). Guri Jørstad Wingård appuie ce constat : « « L'autre » a toujours fait partie de toute société. L'idée d'un passé homogène est créée en écartant « les autres » du passé, et faire de la majorité les « vrais » (et seuls vrais) citoyens, déterminant encore qui « nous » pouvons être dans le présent14 » (Wingård, 2013 :161). Au sein même du Royaume, deux langues s'opposent depuis son indépendance : le nynorsk, langue recréée par le poète et linguiste Ivan Aasen depuis le vieux norrois et les dialectes ruraux ; et le bokmål, langue de l'élite et des villes, héritée du danois et dont la graphie a été norvégianisée. Cette dernière est associée pour une partie de la population, là encore, à cet autre, colonisateur - le Danemark. En Norvège, la langue a donc été depuis plusieurs siècles à la fois facteur d'union et de rupture, tentative de rassemblement d'un même peuple mais pourtant elle-même source de conflits régionaux (Calvet, 1999 :184-188 ; Seip, 2003 :267-279). Ainsi, encore aujourd'hui on peut retrouver dans le contexte social norvégien et par conséquent le contexte scolaire l'idée d'une langue légitime.

Depuis l'essor économique des années 1970, dû en partie à la découverte de puits de pétrole, le pays a entamé un processus de modernisation et d'ouverture sur le monde. En parallèle, l'anglais a continué de se développer et de s'implanter comme langue de commerce, langue scientifique, médiatique, et première langue étrangère dans de nombreux pays européens. Ce phénomène a bien entendu touché la Norvège. Depuis quelques décennies, les parlers évoluent - notamment chez les jeunes - et les anglicismes s'installent peu à peu dans le vocabulaire des Norvégiens. C'est un sujet qui divise en Norvège - et un débat qui ne nous est pas inconnu en France15. Certains prônent l'usage de l'anglais comme ouverture au monde et à la culture, et considérant le norvégien, ne comptant que quelques quatre millions de locuteurs, comme une langue du passé. D'autres se battent pour la survie

14 Traduction personnelle. « «The other» has always been a part of any society. The idea of a homogenous past is created by leaving out «the others» of the past, and making the majority be counted as the «real» (and even the only real) citizens, still determining who «we» can be in the present. »

15 Voir Forlot, 2014 :262-262.

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de cette langue nationale, synonyme d'identité et d'héritage. La journaliste norvégienne Jessica Furseth expose ses sentiments contrastés sur le sujet :

« As I've grown more English, so has Norwegian. New words keep appearing in speech, but they don't sound like they belong. Most of the new words are English ones. I understand what they mean, of course, but the first time you hear «fancy» [stilig] or «touch» [berøre] randomly dropped into a sentence in a different language, it sounds so alien. I catch myself wondering, who decides which English words the people of Norway will adopt this year? Where does this come from? »

(Furseth, 2016)

Si cet article n'est pas le fait d'une recherche scientifique, il met des mots sur le malaise que ressentent certains Norvégiens face à l'hégémonie anglaise. Pour appuyer ce constat, le commentaire d'un des enquêtés qui énonce clairement un rejet de l'anglais, se positionnant dans une situation presque confrontationnelle. L'anglais est un envahisseur qu'il faut à tout prix écarter de l'espace classe :

« Pour moi, l'anglais n'est pas une langue très belle et en plus je crois qu'il faut éviter l'influence anglais autant que possible, et surtout dans les cours de français il ne faut pas en avoir »

(Informateur n°45)

Ces enseignants, locuteurs, se trouvent dans une perspective diglossique, ou les langues entretiennent une relation dominant-dominé. C'est un modèle « [qui émerge] dans des contextes de « concurrence déloyale » (Boyer, 1991 :92) entre langues et se [caractérisant] par une vision dynamique, diachronique, et conflictuelle des contacts de langues » (Matthey et De Pietro, 1997 :134). Là encore, les sentiments de ces enseignants nous semblent ancrés dans le contexte linguistique norvégien, entre désir de modernité et peur de la perte de leur identité (UDIR, 2004, 17).

3.3.2. Programmes éducatifs et formation des enseignants :

paradoxes

Comme vu dans la partie ci-avant, les programmes éducatifs postérieurs à la Réforme de 2006 pensent l'apprentissage des langues étrangères dans une perspective plurilingue. Pourtant, il semble y avoir un décalage avec la formation des enseignants, qui n'est pas, elle, axée sur le plurilinguisme et a connu peu de changements malgré les réformes récentes. Dans un rapport pour l'année 20032004, déjà, un rapport du Ministère de l'Education norvégien relevait une situation problématique et récurrente :

« That many teachers of the second foreign language are very much bound to their textbooks and are traditional in their methods, and there is little contact

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or continuity between lower secondary and upper secondary teachers and teaching. »

(UDIR, 2004 :14)

Quelles sont alors les raisons de ce décalage ? « L'éducation au plurilinguisme doit être travaillée en priorité en formation initiale : il s'agit plus particulièrement de former à la multiplicité des choix linguistiques et communicatifs auxquels les sujets sont confrontés et peuvent avoir recours » (Andrade, et al., 2012 :282) mais « paradoxalement, [...] [la dimension plurilingue] ne laisse que peu de traces dans le domaine de la formation des enseignants de langues » (Castellotti, 2014 :136-137). Malgré les préconisations du Conseil de l'Europe et les objectifs similaires publiés par le Ministère de l'Education Nationale norvégien, il manque encore des directives claires. On demande aux enseignants d'intégrer le répertoire langagier de leurs apprenants dans l'apprentissage, sans pour autant ni proposer un matériel didactique adapté, ni engager de réel débat sur la mise en pratique des théories plurilingues. En effet, il semble que peu, sinon aucun des manuels utilisés dans l'enseignement du français en Norvège ne fasse référence à une langue autre que le norvégien.

3.3.3. Choix didactiques : le « je » enseignant versus les élèves

a) Identité et pratiques de l'enseignant

Un autre élément nous ayant marquée à la lecture des réponses est l'utilisation du « je » de certains enseignants. Le questionnaire leur est effectivement adressé et s'intéresse à leurs propres pratiques. Cependant, la formulation d'une réponse n'est jamais complètement anodine, et nous relevons parmi les réponses trois « je préfère » (Informateurs n°34, n°43 et n°49), ainsi que des « je ne veux pas mélanger les deux langues » (Informateur n°11) ou encore des « je n'ai pas besoin » (Informateur n°37).

Comme nous l'avons vu plus haut, le contrat didactique est en partie déterminé par l'enseignant. Il sert de cadre afin d'aider l'apprenant à « acquérir une compétence apte à le rendre capable de communiquer avec des natifs et l'enseignant doit structurer les données de manière à maximiser l'apprentissage de la langue cible et à favoriser le plus possible l'exposition à ces dernières » (Causa, 2002 :41). Il est donc compréhensible que l'enseignant utilise le « je », puisque ce choix lui incombe.

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Cependant, c'est son association à la notion de préférence qui nous désoriente - sans pour autant qu'elle soit inattendue. Ce que cache cette notion dépend de ses modalités : les préférences de chaque enseignant proviennent-elles, comme pour cette enseignant suédois qui trouve que l'anglais « n'est pas une langue très belle » (Informateur n°45), de ses propres sentiments sur la langue anglaise ? Ou proviennent-elles de ses expériences d'enseignement et de l'effet, ou du non-effet, qu'ils ont pu observer en introduisant la langue anglaise ? Après tout, pour certains l'anglais en classe de FLE est « rarement utile » (Informateur n°9), ou pas nécessaire (Informateur n°10). Dans la même veine, l'informateur n°50 « ne voit pas la raison d'utiliser l'anglais », et pour l'informateur n°18 « il n'y a pas de raisons pour le faire ». Soit, les enseignants choisissent-ils de ne pas introduire l'anglais de par leurs propres croyances et représentations, ou par pur intérêt didactique ?

Ces questions se mêlent à la problématique du point abordé précédemment, soit de l'identité du locuteur, et de l'identité de l'enseignant de langues, où, là aussi, entrent en jeu les rapports entre langues connues et langues parlées. L'identité de l'enseignant peut être à la fois héritée de sa culture et de son histoire, et/ou visée (et alors relative à ses désirs et projets)16. Les choix didactiques des enseignants en classe de langue répondent à un besoin, celui d'affirmer son identité non seulement comme un « bon » professeur de langue - et donc de répondre à certains impératifs existant dans l'imaginaire collectif, mais aussi comme un locuteur. Il est donc possible que certains des enseignants qui font ce choix de ne pas introduire l'anglais dans leurs classes le font afin de manifester une identité, celle du professeur de langue, peut-être puriste, qui lutte contre l'hégémonie anglaise par le biais de son enseignement.

b) Des compétences plurilingues

Pour comprendre les choix didactiques relatifs au plurilinguisme, tout en restant dans la perspective de l'identité de l'enseignant-locuteur, il est également intéressant d'étudier son rapport à sa fonction (d'enseignant) et aux compétences qu'elle nécessite. Pour Cavalli, l'une de ces compétences est la prise de conscience :

- « De la diversité des répertoires des apprenants ;

- Des potentialités d'apprentissage qu'offre le plurilinguisme « déjà là » ;

- Des opportunités cognitives (mais aussi didactiques) offertes par les apprentissages réalisés en synergie ;

16 Voir Rispail, 2012 :106.

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- De la pluralité et de la variabilité interne inhérente à chaque langue et culture ;

- De la nécessité d'une approche globale, non cloisonnante, des langues. » (Cavalli, 2014 :255-256)

Cette affirmation nous permet de comprendre les réponses de certains enseignants, où le choix n'apparait pas nécessairement comme un rejet de la langue, mais simplement une question d'inclination, due peut-être à une absence de compétences plurilingues (comme celles énumérées par Cavalli). Ainsi, on retrouve quelques réponses associées à une inquiétude face à ces approches, qui démontrent un manque de sensibilisation à ces pratiques : « je ne veux pas mélanger les deux langues » (Informateur n°11), « l'utilisation de l'anglais peut empêcher les élèves à apprendre le français » (Informateur n°17).

c) Des compétences langagières

Ce choix peut aussi être déterminé par les compétences de l'enseignant ou des élèves en anglais (à voir, l'énigmatique réponse « Trop faible » de l'informateur n°2, qui pourrait faire référence au niveau de l'enseignant comme des apprenants). Plusieurs enquêtés font le choix de n'utiliser que la langue cible et la langue maternelle des apprenants (Informateurs n°25, n°34, n°43, n°49 et n°50), et il est donc possible qu'ils estiment comme trop insuffisantes leurs compétences en anglais, ou celles des élèves, pour pouvoir s'en servir en classe (voir la notion de rentabilité pédagogique, en 3.2.1. a) ).

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