B. LA SANCTION SUBJECTIVE : LA REPARATION FINANCIERE
DES VIOLATIONS DU DROIT COMMUNAUTAIRE
 La réparation financière des violations du
droit communautaire peut s'analyser en remboursement des sommes indûment
perçues. Mais elle peut aussi résulter de la mise en jeu de la
responsabilité de la puissance publique fautive. 
1) Perception indue et droit à
remboursement 
 En application de la primauté du droit communautaire,
le juge national doit veiller à ce que les justiciables soient
remboursés des sommes qui ont été perçues en
application d'une mesure nationale contraire à une norme communautaire.
Dans la même logique, il est de sa responsabilité de s'assurer de
l'indemnisation de ces justiciables des dommages par eux subis du fait de la
violation du droit communautaire par un Etat membre. 
 Le droit à remboursement des sommes perçues en
violation du droit communautaire résulte de la combinaison des principes
de primauté et d'effet direct. Ce principe a été
exposé par l'avocat général REISCHL, ainsi qu'il suit :
« il résulte de l'esprit et de la finalité de l'effet
direct que les droits acquittés en application des règles du
droit national contraires au droit communautaire doivent normalement être
remboursés »189(*).  
 Le droit à remboursement n'est cependant pas
systématique. Il peut ne pas être mis en oeuvre alors même
que la perception indue ne ferait l'ombre d'aucun doute. Il en est ainsi
lorsque les taxes perçues par l'Etat ont été
répercutées par le redevable sur le consommateur final. La
restitution de l'indu dans cette hypothèse déboucherait en effet
sur un enrichissement sans cause du redevable. La CJCE reconnaît à
cet effet que : « Rien ne s'oppose...du point de vue communautaire,
à ce que les juridictions nationales tiennent compte conformément
à leur droit national, du fait que les taxes indûment
perçues ont pu être incorporées dans les prix de
l'entreprise redevable de la taxe et répercutée sur les acheteurs
»190(*). 
2) La responsabilité de la puissance publique
et le droit à réparation 
La théorie de la responsabilité des Etats pour
violation des normes communautaires a été en Europe une
construction prétorienne de la CJCE. Le principe est initialement
posé dans l'arrêt Andréa Francovich191(*) du 19 novembre 1991 relatif
à une directive non transposée. Dans cette espèce, la CJCE
affirmait que les Etats membres sont tenus de réparer les dommages
causés aux particuliers par le non-respect du droit communautaire qui
leur est imputable. 
 Pour la Cour, ce droit à réparation
dépend de la nature de la violation du droit communautaire à
l'origine du dommage causé. Ainsi, en cas de carence de l'Etat dans la
prise de mesures propres à garantir le résultat prescrit par une
directive, le droit à réparation est ouvert. Mais pour cette
réparation, quatre conditions cumulatives doivent être
réunies. En l'espèce, il faut que : 
- la directive comporte l'attribution de droits aux
particuliers ; 
- le contenu de ces droits soit identifiable sur la base des
dispositions de la directive ; 
- la violation de la norme soit suffisamment
caractérisée, surtout lorsqu'elle est le fait du
législateur ; 
- il existe un lien de causalité entre la violation de
l'obligation incombant à l'Etat membre et le dommage subi. 
Par ailleurs, pour l'exercice du droit à
réparation, les conditions de forme et de fond résultant de la
législation nationale ne sauraient être moins favorables que
celles concernant des réclamations semblables de nature interne. C'est
la condition d'équivalence. Enfin, ces conditions ne doivent pas
être aménagées de manière à rendre impossible
ou difficile l'obtention de la réparation. C'est la condition
d'effectivité. 
 
En définitive, notre dont l'intitulé
était la souveraineté fiscale des Etats à l'épreuve
des exigences de transparence fiscale internationale : cas des Etats
membres de la CEMAC, à la question de savoirquelaccueil la CEMAC
a-t-elleréservé aux exigences de transparence fiscale
internationale,il ressort de l'analyse faite une attitude ambivalente.  
L'analyse du dispositif de promotion communautaire de la
transparence fiscale internationale a montré à suffisance que cet
espace a fait des efforts assez considérables dans le processus de
construction  de transparence telle que l'exige la communauté
internationale notamment l'OCDE et l'ONU ; bien qu'il ne suffit pas
toujours d'adopter des règles modernes destinées à
régir les relations sociales, économiques et commerciales entre
Etats, encore faut-il les parfaire proportionnellement au caractère
fugace de la délinquance économique, et les faire respecter par
tous les acteurs intervenant dans le processus. 
 La transparence en zone CEMAC s'est construite autour de deux
axes principaux : notamment l'harmonisation des règles de
fiscalité, et la mise en place des mécanismes de surveillance
multilatérale et d'assistance mutuelle en matière fiscale. 
Les divergences entre les législations sont les
principaux germes de la concurrence fiscale déloyale  qui favorisent la
fraude et l'évasion fiscale que combat le forum mondial sur la
transparence internationale.Soucieux de supprimer ces disparités
catalyseur de la délinquance fiscale à l'échelle
communautaire, les Etats CEMAC ont consenti d'harmoniser leurs
législations fiscales. Ce « rapprochement des
législations »192(*) fiscales s'est
opéré  au moyen de directives communautaires,
considérées comme « la meilleure
voie »193(*)en matière d'harmonisation. Il en est ainsi
parce que les directives se contentent de fixer des objectifs à
atteindre et laissent le soin aux Etats de déterminer eux-mêmes
les moyens pour atteindre ces objectifs194(*).Il en résulte que
dans son principe, l'harmonisation est un modus vivendi, un arbitrage
entre souveraineté fiscale et exigences de construction communautaire.
Et dans la mesure où elle autorise une certaine subsistance du droit
national, elle a en matière fiscale la préférence des
Etats, ces derniers se refusant de renoncer totalement à leur
souveraineté et à la spécificité de leurs
législations195(*). C'est en cela que nous pensons que l'harmonisation
est la preuve que les Etats de la zone CEMAC ont réceptionnéles
exigences de transparence dont le but est de lutter contre la concurrence
fiscale dommageable. 
Il convient de relever à cet effet qu'il existe deux
formes à ne pas confondre avec les approches de l'intégration
juridique : l'harmonisation et l'unification, cette dernière
postulant l'effacement total des droits nationaux et l'émergence d'un
droit supranational appelé à régir seul le domaine qu'il
unifie. A l'observation, c'est cette dernière forme qui a
été mise en oeuvre dans le cadre de l'harmonisation du droit des
affaires en Afrique. En fait
d' « harmonisation », il s'est donc agi
d' « unification ». 
L'analyse nous a permis en outre de penser que le droit
communautaire de la transparence en Afrique centrale a été
conçu à l'image des dispositifs contemporains analogues en
vigueur dans les économies libérales, et s'inscrit dans la
mouvance des mutations actuelles du système mondial. Il respecte ainsi
en particulier la philosophie générale de l'ensemble, et ses
dispositions, comme nous avons pu le constater tout au long de ce travail,
rappellent également celles de l'Union européenne du moins en
matière d'harmonisation fiscale qui l'a certainement inspiré. 
Pour sa part, la CEMAC a harmonisé tous les grands
types d'impôts et les pratiques bancaires sur la base des traités
constitutif de la CEMAC et instituant l'UEAC l'UMAC avec des acclimatations
nationales plus ou moins conformes à la lettre de la norme
communautaire196(*). Il
en a été ainsi de la taxe sur la valeur ajoutée et des
droits d'accises197(*)
de la fiscalité douanière198(*), les impôts sur les
bénéfices199(*), les droits d'enregistrement, les pratiques
bancaires200(*),la
charte des investissements201(*), et surtout l'adoption depuis décembre 2011
l'adoption d'un code de bonne conduite et de transparence. Cette harmonisation
intégrale202(*) n'est pas sans rappeler l'ancienne Afrique
Equatoriale Française qui constituait déjà  un espace
soumis au même régime juridique. Elle serait suscitée, ou 
tout au moins encouragée, par des entreprises multinationales soucieuses
de disposer de règles fiscales claires et communes dans tout l'espace
CEMAC. Comme nous l'avons démontré, la clé de voûte
de la transparence en Afrique centrale repose dans l'élimination des
disparités entre les législations fiscales de ses Etats membres.
La libre circulation des personnes contribue à diminuer voire à
effacer les disparités douanières et l'unification des codes
douaniers en a fortement contribué. Ce but est atteint dans l'espace
CEMAC grâce à la mise en place d'un système de
règles organisant et surveillant les pratiques entre opérateurs
économiques et autorités communautaires. Toutefois,
s'intéresser uniquement à la dimension marchande de
l'harmonisation des règles fiscales ne saurait, comme nous l'avons vu,
garantir à elle seule la réussite de toute expérience
visant de construction de la transparence dans cette sous-région. 
Cette logique de construction de transparence tous azimuts
s'est accompagnée d'un mécanisme d'échange d'informations
et de l'assistance dans le cadre de la surveillance multilatérale en
matière fiscale. 
Pour ce qui est de l'échange des informations à
des fins fiscales, une place privilégiée a
étéaccordée à l'échange sur demande de
d'office des informations à des fins fiscales. L'échange
automatique d'information n'étant pas encore intégré dans
le dispositif communautaire. 
Malgré ces acquis, des avancées sont encore
nécessaires sur le chemin de l'achèvement du dispositif de lutte
contre la délinquance économique. Il est donc urgent de
reconnaître solennellement  le caractère désuet de la
convention d'assistance administrative qui est vieille d'un demi siècle,
et d'intégrer une  nouvelle approche de lutte contre la concurrence
fiscale dommageable en s'arrimant aux nouveaux standards internationaux
à l'instar de l'échange automatique d'informations, une plus
large coopération en la matière avec d'autres espaces
économiques, une étroite collaboration avec les organisations
ayant une expertise avérée, et surtout en instituant la sanction
communautaire pour manquement d'un Etat aux engagements librement consentis. 
L'échange automatique des renseignements concerne la
communication systématique, à intervalles réguliers, de
« blocs » de renseignements relatifs
opérations fiscales internationales. L'échange automatique de
renseignements peut permettre de disposer en temps utile d'informations sur des
cas de fraude fiscale portant soit sur des rendements d'investissements, soit
sur le montant du capital sous-jacent même lorsque les administrations
fiscales ne disposaient jusque-là d'aucune indication en ce sens. 
Le contrôle de conformité
quant lui à trouve sa justification en ce quetoute structure
étatique ou communautaire qui entend prendre en charge la
responsabilité de son destin ne peut s'interdire et orienter, de
contrôler et, s'il y'a lieu, d'interdire les activités  dont
dépend en définitive le développement de la
collectivité. 
 L'analyse des violations généralisées du
droit communautaire est imputable à l'absence d'un système de
sanctions en zone CEMAC. Le jurislateurcommunautaire ne semble pas en effet
avoir été particulièrement préoccupé par la
mise en place de mesures appelées à garantir l'effet utile du
droit qu'il a institué. Ce dernier s'apparente ainsi à un droit
mou, dépourvu de toute force et reposant tout entier sur la bonne
volonté des Etats qui l'ont formé. Cette bonne volonté,
fait encore cruellement défaut aux Etats de la sous-région CEMAC.
Ces derniers sont du reste confortés dans leurs carences par le laxisme
des instances communautaires.  
Ainsi, la plupart des Etats membres reconnaissent n'avoir
jamais été interpellés par la commission de la CEMAC ou
par la Cour de justice communautaire pour manquement éventuel aux
prescriptions du droit communautaire. Non pas que les
violations manquent, loin s'en faut. Il y a simplement que la commission ne
dispose pas elle-même de moyens efficaces lui permettant d'assurer la
pleine réalisation du droit communautaire. 
Il n'en va pas de même en Europe où la
construction communautaire de transparence fiscale est allée de pair
avec la mise en place d'un système de sanctions à la fois
politiques et juridictionnelles. En particulier, c'est la CJCE qui a
développé pour la première fois la théorie de la
responsabilité de l'Etat pour violation du droit communautaire203(*)
et admis l'exigence de réparation des dommages causés aux tiers
par lesdites violations. 
Sans doute la réalisation effective d'un
espaceCEMACoù la transparence est le
« crédo » et l'opacité le
« bémol », objectif ultime du forum mondial
de la transparence passera par la mise en place d'un véritable
système de sanctions à l'échelle communautaire. Car,
« si la loi peut être impunément violée, elle
est inutile et permet seulement le mauvais exemple d'une
désobéissance impunie »204(*).
En revanche, une mesure a d'autant plus d'effet que l'Etat contre lequel elle
est dirigée a à perdre à ne pas s'y conformer ; elle
n'a d'intérêt que si l'organisation qui en prend l'initiative est
soucieuse, voire capable de la faire respecter205(*).Il reste entendu qu'il ne suffira pas de mettre en
place un système d'harmonisation des règles fiscales ainsi que
les modalités d'assistance administrative. Faudrait-il encore en assurer
l'effectivité et l'efficacité. 
Toutes ces mesures combinées conforteront  les
souverainetés des Etats de la CEMAC tout en les maintenant en phase avec
les standards internationaux de transparence fiscale internationale. 
* 189Conclusions sous
l'arrêt de la CJCE du 27 mars 1980, affaire DenkavitItaliana,
citée par  COMMUNIER (J M) op. cit., p. 440. 
* 190Affaire 68/79, motif
n°26, citée par  COMMUNIER (J M) op. cit. p. 441. 
* 191Affaire 68/79, motif
n°26, citée par  COMMUNIER (J M) op. cit. p. 441. 
* 192Selon la formule de
l'article 94 du Traité CE. 
* 193MAITROT De La MOTTE
(A), op.cit., p. 278. 
* 194 Lire dans ce sens
article 21 de l'additif au Traité CEMAC relatif au système
institutionnel et juridique de la Communauté 
* 195 TOGOLO (O),
« L'harmonisation fiscale : une dynamique de changement à
la portée de tous les pays ? », Revue camerounaise des
relations internationales, volume 5, 1998, n°1-2, p 113  
* 196Mais il s'agit aussi
d'une originalité pour l'autre partie coupable de non-conformité
au droit communautaire. Preuve en a été apportée à
travers la mention de l'existence d'exonérations autres que celles
prévues par la directive TVA, et ce en dépit de l'interdiction
formelle du droit communautaire. Il en est de même de la pratique d'un
taux de TVA supérieur à la fourchette communautaire, ou encore de
la consécration de deux taux de droits d'accises là où le
droit communautaire ne permet d'en retenir qu'un à l'intérieur de
la fourchette qu'il fixe. Il en est de même enfin de la soumission des
opérations connexes au taux de TVA de droit commun, en violation de la
directive qui prévoit que ces opérations soient taxées au
taux zéro, au même titre que les exportations dont elles sont le
nécessaire accessoire. 
Au demeurant, ces violations du droit communautaire ne sont
pas l'apanage du Cameroun. Le parcours, même furtif, des
législations fiscales des autres Etats membres de la CEMAC laisse en
effet apparaître une violation presque
généralisée341 du droit communautaire en
matière de TVA. Pour s'en convaincre, il faut s'attarder un moment sur
les taux pratiqués par les différents Etats. En rappel, la
directive TVA reconnaît aux Etats la faculté d'arrêter
librement un taux à l'intérieur d'une fourchette comprise entre
15 et 18 %. Or, il est loisible de constater que la plupart des Etats ne
respectent pas cette exigence et arrêtent allègrement, à
côté d'un taux général, un taux réduit de
TVA. Il en est ainsi du Congo Brazzaville qui pratique un taux
général de 18 % et un taux réduit de 8 %. Le même
taux général est pratiqué par le Gabon, avec un taux
réduit de 10 %. Enfin, la Guinée Equatoriale pratique un taux
général de 15 % et un taux réduit de 6 %. 
* 197
Directive n°
07/11-UEAC-028-CM-22portant Harmonisation des Législations des
États membres en matière de Taxe sur la Valeur Ajoutée
(TVA) et du Droit d'Accises (DA). 
* 198 Unification du code
communautaire des douanes. 
* 199 Directive
n°02/O1/UEAC050-CM06harmonisant l'impôt sur les
sociétés. 
* 200Cf. La
convention portant création et organisation et fonctionnement de la
COBAC. 
* 201Règlement n°
: 17/99/CEMAC- 020-CM-03 du 17 décembre 1999 portant
Charte des investissements de la CEMAC. 
*
202L'intégralité ici tient à ce que l'oeuvre
d'harmonisation touche indistinctement les droits indirects et les droits
directs. 
* 203CJCE, 19 novembre 1991,
Andréa Francovich c/ République italienne, op. cit. 
* 204RIPERT (G), op.
cit., p. 319. 
* 205 PINGEL (I), op.
cit., p. 1. 
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