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La dynamique du discours nationaliste au Gabon.

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par ADIELA BOUSSOUGOU KASSA
Université Omar Bongo - Master de sociologie 2016
  

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2. La nationalité dans la littérature sociologique africaniste

Les travaux classiques sur l'objet ethnique sont l'oeuvre principalement des premiers missionnaires et coloniaux. Ces derniers abordent la question sous le prisme de l'analyse évolutionniste, consistant à expliquer les conflits comme étant des phénomènes ataviques et naturels, du fait des populations encore sauvages, poursuivant leur évolution vers les sociétés civilisées. Ce courant ethnographique développé, d'abord par Lévy-Bruhl34, envisage les phénomènes culturels à l'instar de la langue, les croyances religieuses entre autres comme des objets politiques porteuses des facteurs intégrants de la vie sociale, mais aussi d'absence d'intégrité ou d'unités et de conflits.

Les travaux des sociologues africanistes se sont surtout fait jour au gré des problématiques relatives aux questions ethniques. Le laboratoire de référence ou observatoire continentale du fait ethnique, est à non point douter la région des Grands Lacs, dont les expériences peuvent servir à plusieurs égards de grilles de lecture éprouvées. C'est pourquoi nous évoquons quelques références des auteurs des Grands Lacs, dont la position d'« insider », peut en indiquer sur la pertinence et sur les impertinences aussi.

Nous allons d'abord faire référence au Mouvement des Etudiants Progressistes Barundi (MEPB), qui qualifia les événements de 1972 de « complot impérialiste menant au génocide »35. Nous les complèterons bien, mieux que de les opposer, à la thèse qui postule que des conflits sociopolitiques fondés sur les représentations ethniques trouveraient leur explication dans la misère des populations. C'est donc la proposition d'une double causalité, qui tient compte à la

32 Ibid., p. 12 et p. 81-82.

33 Ibid. p. 57-126, plus particulièrement p. 57-58, 72-74 et 81-82.

34 L. Lévy-Bruhl, les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, Alcan, 1910.

35 Meproba, « Burundi : un complot impérialiste mène au génocide », Mai 1972, inédit. Le MEPB imbue des idées progressistes et panafricanistes soutint la même position dans toutes ses publications notamment dans Notre politique, avril 1977, en particulier le chapitre IV « La politique néocoloniale de l'impérialisme » (PP.54-57). Lire aussi « L'impérialisme, la féodalité et la persécution du peuple au Burundi » in Remarques Africaines, N° 268, 15 juin 1966, p. 326.

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fois, de l'externalité et de l'internalité causales. A titre d'exemple, l'idéologie du développement du « régime Bagaza » a entretenu le leurre de la construction d'une communauté nationale sous fond de la seule promotion économique, sociale et culturelle alors qu'elle a développé dans l'élan de ses pratique d'exclusion, de corruption et de clientélisme la production des identités ethniques, claniques et régionales.36

Depuis les travaux d'Althusser, notamment le dépassement qu'ils opèrent à propos des thèses marxistes sur la superstructure, on ne peut plus réduire, l'idéologie à l'ignorance, à l'erreur ou à la fausse conscience. Les théoriciens de l'usage politique de l'ethnicité n'ont pas toujours envisagés le revers du génocide ou du crime contre l'humanité. Darbon soutient ce point de vue, lorsqu'il écrit à propos que « la subjectivité de la mobilisation ethnique s'articule sur l'objectivité de la marginalité politique et économique »37.

D'autres auteurs établissent des corrélations entre valeurs traditionnelles, idéologies et mentalités des sociétés africaines et les conflits ethnopolitiques. Le modus operandi de ces analyses consiste à avancer que les valeurs et les idéologies qui fondaient les sociétés africaines précoloniales et les institutions qui les représentaient sont en crise et favorisent l'avancée des modèles conflictuels plutôt que ceux de communion sociale et politique38. Ces études montrent que si les mobilisations ethniques furent impossibles dans le passé, c'est qu'il y avait des mécanismes profonds et puissants de socialisation politique et productrice de représentations politiques plus ou moins consensualistes. La crise ethnique serait de ce point de vue éthicofonctionnaliste, une crise des valeurs et des modèles d'autorité traditionnelle39. Chrétien et Gahama éclairent quant à eux les évolutions dialectiques de cette construction historique de l'Etat, en s'intéressant aux conquêtes et aux phénomènes de révolte aussi bien avant que pendant la colonisation40.

Cependant, c'est dans les travaux, de Jean-Loup Amselle, Claude Meillassoux et de Jean-Pierre Dozon, notamment que les analyses sont plus approfondies. Ces auteurs postulent

36 Pour ces éléments, lire J.P. Chrétien, « le Burundi : des mythes à la réalité », in Revue française d'études politiques africaines, 7 août 1979, pp. 112-113, F. Reyntjens, « Burundi 1972-1988. Continuité et changement », in Cahiers du CEDAF, N° 5, 1989.

37 D. Darbon, « De l'ethnie à l'ethnisme : réflexions autour de quatre sociétés multiraciales, Burundi, Afrique du Sud, Zimbabwe et Nouvelle Calédonie », in Afrique contemporaine, N° 154, 1990, p.46.

38 E. Mworoha, Peuples et rois de l'Afrique des grands lacs. Le Burundi et les royaumes voisins au XIXème siècle Dakar-Abidjan, NEA, 1977, pp.105-111.

39 T. Laely, « les destins des du Bushingatahe. Transformation, d'une structure locale d'autorité au Burundi », in Genève-Afrique, N° 2, p.77.

40 J. Gahama, « la marginalisation des anciennes croyances » in Le Burundi, sous administration belge. La période de mandat 1919-1939, Paris Karthala-ACCT-CRA, 1983, pp. 355-370.

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que l'ethnie est une création contemporaine liée à la colonisation, à l'exode rurale, et à l'insertion dans un État moderne entre autres.

Jean-Loup Amselle voit la notion d'ethnie telle qu'elle est utilisée aujourd'hui, comme une création des premiers anthropologues et ethnologues, avant d'être un instrument des colonisateurs pour identifier les peuples colonisés. Toutefois, cet auteur nuance ses propos en montrant que ce n'est pas une règle générale applicable à tous les cas. Il fonde son explication sur la théorie de la primauté des relations intersociétales. Cette théorie postule que « les sociétés locales, avec leur mode de production, de redistribution, loin d'être des monades repliées sur elles-mêmes, étaient intégrées dans des formes générales englobantes qui les déterminaient et leur donnaient un contenu spécifique »41.

J-L. Amselle examine tour à tour des espaces d'échanges, des espaces étatiques, politiques et guerriers, des espaces linguistiques ainsi que les espaces culturels et religieux. L'examen de ces espaces, avec des exemples précis sur chaque cas permet à J-L. Amselle de conclure qu'avant la colonisation, l'Afrique existait comme « une chaîne de sociétés à l'intérieur desquelles les acteurs sociaux se meuvent. Ces acteurs, en fonction de la place qu'ils occupent dans les différents systèmes sociaux, sont à même de circonscrire dans la langue une série d'éléments signifiants ou des sèmes qui, par une somme de transformations successives donneront naissance à un paradigme ethnique»42. Il se pose alors la question d'attribution ou d'identification ethnique. Barth répond qu' « un acteur social, en fonction du contexte où il se trouve, opérera à l'intérieur du corpus catégoriel mis à sa disposition par la langue, un choix d'identification »43, mais pas nécessairement ethnique comme le fait remarquer J-L. Amselle. Cela ne veut pas dire que dans les sociétés africaines précoloniales, la notion d'ethnie était absente. J-L. Amselle relève que dans les dialectes africains, il existait les notions idéologiques pour évoquer la tribu, la race ou l'ethnie. Il précise qu'en bambara-malinké par exemple, il existe la notion de shiya, qui correspond bien à celle de race, d'ethnie, voire de clan ou de lignage. Dans cette langue et dans cette société, on trouve des notions idéologiques qui permettent le regroupement d'un certain nombre d'agents sous la fiction d'une appartenance ou d'une descendance commune. C'est aussi la même conclusion que tire J. Berque. Il indique qu' « en Afrique précoloniale, seules les unités locales à caractère politique sont pertinentes, ce qui

41 J.-L.Amselle., E. M'Bokolo (dir.), Au coeur de l'ethnie. Ethnies, tribalisme et Etat en Afrique, Paris, La découverte, 1985, p. 23.

42 Ibid., p. 34

43 F. Barth cité par J-L. Amselle, op. cit., p. 34.

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explique que les patronymes, les ethnonymes, les différents systèmes de classement soient des sortes de bannières ou de symboles servant de signes de reconnaissance ou bien encore des emblèmes onomastiques, c'est-à-dire en définitive des modes de domination »44. Lorsque J-L. Amselle indique que dans certains pays, les ethnies sont des créations coloniales, il fait allusion au fait que les Européens ont repris les regroupements et les nominations des groupes sociaux des autochtones et les ont traduits en langues européennes45.

Cependant Amselle conclut sa thèse d'une façon curieuse, déconnectée de son terrain. En effet, J-L. Amselle estime que le concept d'ethnie n'est pas applicable au contexte africain. Il note en substance qu'il « n'existait rien qui ressemblât à une ethnie pendant la période précoloniale. Les ethnies ne procèdent que de l'action du colonisateur qui, dans sa volonté de territorialiser le continent africain, a découpé des entités ethniques qui ont été elles-mêmes ensuite réappropriées par les populations. Dans cette perspective, l'ethnie, comme de nombreuses institutions prétendues primitives, ne serait qu'un faux archaïsme de plus»46. Remarquons ici, le paradoxe d'un raisonnement opposé à ses perspectives analytiques, après son inventaire des concepts en langues locales qui désignaient « ethnie », dont l'exemple de shiya en Bambara-malinke.

En outre, après son examen des différentes définitions, il conclut que l'ethnie ou la tribu correspond à "l'Etat-nation au rabais". Or, ces Etats étaient, d'après ses propres analyses, structurées en espaces sociaux, ce qui nous indique, que pour J-L. Amselle, Ethnie équivaut à Etat-nation(Europe).

Joseph Tonda est un des tenants de la colonialité de l'ethnicité. Ce dernier perçoit d'ailleurs l'ethnicisme (« forme idéologique et militante de l'ethnicité ») comme un produit des processus coloniaux et postcoloniaux. L'illustration qui suit est prégnante des germes, source de l'ethnicisme chez cet auteur : « je signale que pour moi qui suis né dans les années 1950, il est écrit sur mon acte de naissance que j'appartiens à une certaine `'race» qui se dit aujourd'hui `'ethnie». (...), car si la `'race» coloniale est une invention du système colonial, l'ethnicisme contemporain en est une réinvention mais il va bien au-delà »47.

44 J. Berque cité par J-L. Amselle, op. cit., p. 37.

45 Ibid., p.38.

46 Idem, p.23.

47 J. Tonda, entretien avec Catherine Gau, In www.Africultiure.com, Consulté le 04/01/2015 à 9h30.

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Si l'auteur n'évoque pas distinctement l'ethnicité dans ses oeuvres majeures, il n'en demeure pas moins, que les références sur la thématique qu'il développe en filigrane, font de lui un théoricien de l'identité négro-africaine. Dans La Guérison divine en Afrique centrale, où l'on peut déjà lire la gestation du « Souverain moderne », il avance, que l'homme colonisé, d'hier et/ou d'aujourd'hui, demeure depuis le rhizome qui fonde son essence, mu par la puissance structurante et aliénante de la colonialité48. D'où, pour ce sociologue, la connivence fondamentale entre un régime de domination, celui des blancs, dont le négationnisme (pour emprunter ce mot forgé pour qualifier le révisionnisme face à la shoah), non seulement dénie l'humanité du colonisé, mais assimile toujours ce dernier, plusieurs année après Gobineau, au « bon sauvage »49. L'identité négro-africaine, les représentations ethniques des acteurs seraient donc inhérente à la colonialité, par les réinventions des logiques racistes exprimées par l'ethnicité.

E. M'bokolo, en parlant du « Séparatisme katangais », pointe quelque peu contre ces interprétations simplistes, qui servent à la situation coloniale l'argument de l'invention de l'ethnicité50, en proposant, le recours à la causalité rétrospective via l'histoire précoloniale et coloniale. L'organisation tribale, nous explicite Matsiegui Mboula « était une réalité qui existait bien avant l'expansion coloniale de l'Europe. A l'intérieur d'un grand pays comme l'Inde, il y'avait des régions entières où il n'y avait pas des castes mais des tribus. En Amérique du Nord et du Sud, il y'a eu des confédérations tribales comme celles des Iroquois décrites par Morgan. En Nouvelle-Guinée on a recensé 750 langues et dialectes différents et il n'y avait jamais eu d'Etat indigène avant l'Etat colonial »51.

Cependant, Tonda a peut-être anticipé les critiques contre sa position, en opposant « un pessimisme radical au béni-oui-oui académique occupé à dresser la carte des `'résistances», des `'appropriations» positives, du `'pouvoir» (agency) des colonisés, et des signes d'une modernité rédemptrice »52.

48 La guérison divine en Afrique centrale (Congo-Gabon), Paris, Karthala, 2002. p. 35.

49 Joseph Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, pp. 127 et 158.

50 E. M'bokolo, « Le «séparatisme Katangais« », in Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo, (dir), Op.cit. pp.186-187.

51 F. Matsiegui Mboula, L'Etat et le tribalo-régionalisme au Gabon, de 1990 à nos jours, thèse de doctorat N.R. Amiens, 2005, p.213.

52 Tonda cité par F. Bernault, « Le point de vue de Florence Bernault » in Politique africaine n° 104 - décembre 2006, p.1.

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Cette critique est principalement destinée à Mbembe et à son concept, d'homo ludens, dont le développement consiste essentiellement à décrire les jeux d'identités des Africains en situation de domination impériale. « Tonda soutient que le principe de duplicité, de jeu gratuit et de ruse superficielle inclus dans cette proposition a permis que les études africaines «expliquent tout par le simulacre, et nient la mutation d'être des sujets collectifs et individuels de l'Afrique«»53 L'homo ludens contribuerait donc objectivement à faire le jeu des ethnocentrismes, jeu qui consiste à douter, par tous les moyens, de la conversion de l'être africain.

Mbembe ne posait-t-il pas, dans sa réaction contre l'« hégélianisme sarkozien »54, la question de savoir, « quelle est-cette historicité supposée du continent qui passe totalement sous-silence la longue tradition des résistances y compris contre le colonialisme français (...) 55? L'on citera à ce titre, par exemple, les « dérobades » évoquées par Nze-Nguema dans L'Etat au Gabon56, car « la question sur l'appareil et le fonctionnement de l'Etat est une critique des théories sur l'assimilation en Afrique »57.

Il est connu que l'oeuvre coloniale s'est accompagnée de l'évangélisation des Damnés de la terre, comment dès lors, penser les survivances et les résurgences de ce que la colonie, a, selon eux, « totalement » balayées ?

Le dépassement des thèses des précurseurs des études postcoloniales est aujourd'hui avéré. Tant il est vrai que leurs travaux, (Fanon et de Césaire notamment) ont le mérite d'avoir, à travers un regard iconoclaste relativisé les essentialismes coloniaux, il ne s'agissait toutefois pas d'une déconstruction de la condition nègre. En effet, la (re)lecture du concept d'identité-rhizome d'Edouard Glissant que proposait Denis Constant Martin a montré que la conception de la culture qui en est le fondement, est une réaffirmation de l'interpénétration culturelle a contrario du réductionnisme que suppose leur dilution, les unes dans les autres58.

53 Ibid.

54 Des penseurs occidentaux ayant véhiculé les thèses excluant l'Afrique de l'histoire, Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) est sans doute le représentant le plus connu. Nicolas Sarkozy reprend en filigrane ces idées lors de son discours le 26 juillet 2007 à Dakar.

55 Mbembe, « L'Afrique de Nicolas Sarkozy » in www.africultures.com, consulté le 05/05/2015.

56 Nze Nguema, Op.cit., pp. 44-47. Lire aussi Nazi Boni, Histoire synthétique de l'Afrique résistante, les réactions des peuples africains face aux influences extérieures, Paris, Présence Afrique, 1971.

57 Ibidem, p.47.

58 D.C. Martin, « Au-delà de la post-colonie, le Tout-Monde ? pour une lecture sociologique d'Edouard Glissant », in Smouts Marie-Claude(dir.), La situation postcoloniale : les `'postcolonial studies» dans le débat français, Paris, Presse de Sciences Po, 2007, p.134-169.

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Nous pensons à juste titre, qu'il y a lieu d'évoquer un syncrétisme dans le sens des concepts d'hybridité et/ou d'ambivalence proposés par les théoriciens du courant postcolonial. Syncrétisme d'ailleurs que Tonda exploite, à travers, sa notion de « complicités perverses » dans La Guérison divine en Afrique centrale59. Tonda postule que « la violence de l'essentialisme religieux s'appréhende à partir de l'articulation de deux concepts : la croyance et l'identité. Elle implique que la croyance pose l'identité au-delà de l'histoire, la fasse sortir de ses lieux et sens communs, lieux et sens coutumiers, pour la replacer dans des lieux mythiques ou utopiques, qui sont en réalité des sortes de hors lieux (modernes et contemporains), se situant soit aux origines, soit dans l'avenir et dont la connaissance aurait été obscurcie par l'histoire »60.

Et Le Souverain moderne, que l'on nous passe, même a priori, ce nominalisme pure, n'est-ce pas là, un syncrétisme, qui juxtapose le « droit de glaive »61 et «... l'entrée de la vie dans l'histoire [...], l'entrée des phénomènes propres à la vie de l'espèce humaine dans l'ordre du savoir et du pouvoir »62. Les positions philosophiques foucaldiennes de ces thèses sacrifient à l'autel du théoricisme la réalité empirique des identités. Or la pratique en sociologie se fonde justement sur l'empirie. Chaka Zoulou manifestait une violence inouïe, longtemps avant le contact avec le chicotte coloniale considérée par Tonda et Mbembe (voire), comme des propriétés du colonialisme et l'explication de sa réappropriation par les (ex) colonisés.

L'aporie principale des thèses africanistes analogiques (Amselle, Dozon, Meillassoux, Tonda), au-delà de leurs perspectives théoriques respectives, qui rapportent toute prémisse d'ordre ethniciste, exclusivement aux seuls cadres coloniaux réside dans la confortation de l'anhistoricité, l'a-historicité même diront-nous, et de l'incivilité des peuples autochtones prétendues par ces mêmes cadres. Cette fuite en avant légitime par un paradoxe, l'oeuvre coloniale de la civilisation. Sinon comment comprendre l'entreprise civilisatrice sans l'animalité supposée des peuples africains?

Par ailleurs, la réfutation de la différence en Afrique précoloniale implique beaucoup de positions dangereuses. Elle peut, non seulement suggérer l'unicité, dont seul le clonage garantit les certitudes, ou tout au moins, le retrait des sources socioculturelles locales, mais également,

59 J. Tonda, op.cit.

60 J.Tonda, « La violence de l'imaginaire des enfants-sorciers », Cahiers d'études africaines [En ligne www.etudesafricaines.revues.org ], 189 -190, 2008, mis en ligne le 04 avril 2008, consulté le 27 février 2015.

61 M. Foucault, « Il faut défendre la société », Gallimard/Seuil, coll. « Hautes Études », Paris, 1997, p. 214.

62 M.Foucault, La Volonté de savoir, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », Paris, 1976, p.186.

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par un théoricisme présuppose d'abord le formatage63 et ensuite la robotisation des acteurs africains. D'abord la thèse du clonage humain s'autorefute à la lumière des prouesses actuelles de la technoscience. Ensuite, le courant de l'assimilation, dont les extensions peuvent conduire dangereusement au mimétisme avec lequel ils ont en partage le simplisme ; postulent que la culture de l'identité humaine dominante supplante celle du dominé.

Or, c'est s'opposer à Chrétien, qui envisage, en filigrane certes mais à raison, la possibilité de la non-effectivité de l'aliénation des consciences indigènes et de l'assimilation de l'idéologie racialiste, pour suggérer les stratégies de pouvoir64. Aussi, Mbembe, après avoir établi, la participation des Africains, comme ouvrier de la colonisation, bat-il en brèche les notions d'« indigénisation » et d' « appropriation », non sans postuler une « co-invention » du régime de l'indigénat. « Harris Memêl Fotê lui-même affirme que les Africains ne furent pas seulement les victimes de cette entreprise, qu'ils en furent aussi les soutiers, ou encore les marmitons. [...] Comment comprendre que l'on se réapproprie ce dont on est, soi-même, l'inventeur ou le co-inventeur ?65 »

Nous portons de vives réserves contre ces théories. Les définitions qu'on propose au concept d'acculturation confortent notre prudence. Les sciences sociales envisagent d'ailleurs la dynamique identitaire dans la perspective d'un « principe de coupure » comme le suggère Bastide. L'acculturation quant à ell ne consiste pas au formatage mais plutôt à l'addition sur une culture donnée d'une ou d'autres a priori étrangères. Le « a » (dans acculturation) n'y serait donc pas privatif mais plutôt additif. Le cas échéant consacrerait l'unicité des peuples africains alors que l'identité est d'abord dialectique et sa dynamique dément tout fixisme.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand