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La blockchain, une révolution de l'intermédiation: un gain pour les entreprises au détriment des tiers de confiance ?

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par Jean-Louis LATHIERE
Université Paris Dauphine - Executive Master finance d'entreprise et pilotage de la performance 2018
  

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Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

2.8 Les limites et les perspectives de développement de la Blockchain

Cette technologie, comme toute innovation, est confrontée à de nombreux défis qui vont demander des réponses.

Parmi ces défis, citons la consommation de puissance informatique et électrique et l'augmentation des coûts qui va de pair, la durée et la variabilité des délais de validation des blocs qui croissent avec la taille des chaînes, le pouvoir donné aux codeurs en particulier pour la rédaction des smart contracts, le maintien de la confiance quand le nombre de participants s'accroît, les incertitudes sur les régulations à venir, la modification dans le mécanisme des prises de décisions, la place des tiers de confiance à réinventer.

Les recherches en cours et les montants investis fourniront sans doute des réponses à court et moyen terme à certaines de ces limites.

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On peut citer de nouveaux mécanismes de validation des blocs comme le passage progressif de la preuve de travail à la preuve par l'enjeu78 qui pourrait fortement diminuer les besoins en puissance informatique et électrique.

De nombreuses autres pistes sont envisagées :

Ainsi, les transactions pourraient n'être validées que par des sous-ensembles de noeuds avec la technique de Blockchain fragmentée ou sharding79.

Dans le projet Lightning Network, des sous-groupes de participants appelés canaux de paiement, enregistrés au préalable dans la blockchain, effectueraient des transactions entre eux dans ces canaux sécurisés hors de la chaîne et n'en soumettraient que le solde final à l'ensemble de la Blockchain.

Sinon, des chaînes latérales (sidechains) avec un niveau de sécurité moindre et donc plus rapide pourraient traiter certains types de transactions, inférieures à un certain montant par exemple. Enfin, Un projet Polkadot propose d'interconnecter plusieurs blockchains.

D'autres envisagent de passer de la simple chaîne de blocs vers des graphes orientés acycliques dans lesquels on ne peut passer 2 fois par le même objet et qui offrent a priori un plus grand potentiel qu'une chaîne en termes de taille et de rapidité de validation. Des projets tels que Byteball (paiements conditionnels) ou Iota (communication et paiements sécurisés dans l'Internet des Objets) les mettent en oeuvre.

Source : https://steemit.com/cryptocurrency/@jimmco/byteball-vs-iota-battle-of-two-dag-cryptocurrencies

De leur côté, les tiers de confiance verront sans doute une importante évolution de leur rôle et de leurs compétences qui devront être aussi bien juridiques que technologiques pour valider la recevabilité des preuves de transaction, gérer les contestations qui ne disparaitront pas complètement, et assurer la qualification juridique des smart contracts80 ou des ICO81.

78 Blockchain France (2016), la Blockchain décryptée, les clefs d'une révolution, l'Observatoire Netexplo, mai.

79 BCG (2017), Livre blanc - la Blockchain pour les entreprises - Soyez curieux ! Comprendre et expérimenter, the Boston Consulting Group & MEDEF.

80 Agosti, P. et al. (2017), Blockchain : quelles perspectives après la réglementation ?, Groupe de travail Blockchain de la FNTC (Fédération nationale des Tiers de Confiance).

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LES HYPOTHESES RETENUES

A partir des éléments présentés, nous souhaitions vérifier les hypothèses suivantes :

l La mise en place et les frais de fonctionnement d'une blockchain représentent-ils un investissement trop important pour une entreprise, réduisant ainsi les opportunités individuelles en les obligeant à se regrouper ? De nouveaux acteurs suffisamment puissants profiteront-ils de cette opportunité pour offrir de nouveaux services à des coûts attractifs ? Enfin, est-ce que le coût énergétique élevé de la validation des transactions sera un frein à son déploiement ?

l Quelles sont les attentes des entreprises qui s'intéressent à la blockchain ? La recherche d'une meilleure sécurisation des transactions est-elle l'unique apport de la blockchain ? La diminution des interventions des tiers de confiance réduira-t-elle suffisamment les coûts et les délais de traitement des échanges pour motiver la poursuite des expérimentations ? Les smart contracts tiendront-ils leur promesse en impactant les coûts de transaction, en réduisant entre autres les frais et les incertitudes induits par les recours contentieux ?

Nous souhaitons ainsi explorer les raisons qui incitent les entreprises à investir dans la blockchain et à envisager de modifier leur organisation et leur mode de fonctionnement.

81 Heuvrard, F. (2018), la blockchain et le CAC (commissaire aux comptes), RF Comptable, n° 456, janvier.

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3 Méthode de recherche et terrain : mise en place d'une blockchain à la SNCF

A ce stade de nos réflexions, grâce à l'analyse des théories économiques et de la littérature relatives à notre thème nous disposions d'outils qui nous permettaient d'étudier un cas pratique. Nous nous orientons désormais vers la recherche d'une entreprise ayant mis en oeuvre la technologie blockchain. Cet exemple d'utilisation nous permettra de collecter des données primaires.

3.1 Méthode de recherche

3.1.1 La phase d'exploration de notre objet de recherche et de notre problématique

Notre problématique s'est construite progressivement par une revue de littérature initialement orientée sur l'interrogation suivante : le Bitcoin dans la finance d'entreprise : intérêt, enjeu, opportunités.

Afin de mieux cerner le sujet qui était nouveau pour nous, nous avons débuté cette revue par une démarche exploratoire en consultant deux sources d'informations différentes :

· Tout d'abord, nous avons effectué une recherche d'articles académiques qui analysaient le sujet du Bitcoin sous les angles techniques (informatique, sécurité), bancaires, monétaires, finance d'entreprise ou juridiques. Le recul sur ce sujet étant encore limité lors de cette revue, la littérature académique était relativement peu abondante, mais elle commençait à monter en puissance avec l'intérêt grandissant pour ce sujet. Devant la diversité des thèmes développés, nous avons entrepris de faire des choix tout en conservant l'idée d'approches variées.

Nous avons écarté les études liées au domaine juridique et à la vie privée qui sont des enjeux importants, mais n'entrant pas dans le périmètre de notre master et que notre tuteur souhaitait voit traiter par un autre groupe de recherche. De même nous n'avons pas intégré les études liées au système monétaire dont la thématique ne cadrait pas avec le champ d'application de notre formation.

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Enfin, bien que la thématique de la sécurité soit un élément essentiel du fonctionnement de la Blockchain, nous ne ferons que l'évoquer. Son rôle dans cette technologie mérite de faire l'objet d'un mémoire uniquement consacré à ce thème.

En conclusion, ce sont les interactions entre les institutions financières et de l'entreprise qui nous ont intéressé.

· En complément, nous avons recueilli des articles de la presse professionnelle, financière, informatique, des livres et nous avons consulté des sites Web spécialisés.

Nous avons observé dans ce domaine un flux très important de publications, ces sujets intéressent visiblement de plus en plus des secteurs aussi divers que la presse, les entreprises, les organismes financiers, les banques centrales et les Etats et autres organismes de régulation ou d'intermédiation souhaitant comprendre ce que recouvrait ce nouveau phénomène.

Ceci nous a permis de dégager de grandes tendances et de voir émerger certains sujets plus originaux et plus intéressants à long terme tels que la Blockchain et ses impacts sur les entreprises et les tiers de confiance que ceux qui étaient les plus médiatiques et s'intéressaient aux bulles spéculatives sur les crypto-monnaies, les ICO (Initial Coin Offering (méthode de levée de fonds, fonctionnant via l'émission d'actifs numériques échangeables contre des crypto-monnaies), le recyclage d'argent sale ou l'évasion fiscale.

Ces deux sources de données complémentaires nous ont permis de dégager les axes majeurs devant constituer notre objet de recherche et notre problématique.

3.1.2 L'approche de recherche déductive

S'est alors posée la question de l'approche à adopter pour définir notre sujet à partir d'une revue de littérature aussi ouverte.

Une approche bottom-up ou inductive aurait consistée à l'aborder en commençant par une recherche empirique large nécessitant de récolter une grande quantité de données de terrain. Il aurait ensuite fallu en dégager des pistes de réflexion nous conduisant à des cadres théoriques qui seraient au moins partiellement remis en cause par l'observation du terrain.

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Cette démarche présentait l'inconvénient d'être chronophage pour une récolte significative de données qui sont par nature plus difficiles à trouver sur un sujet émergent. A cela s'ajoute le risque que ces données ne soient pas suffisamment cohérentes pour valider la mise à l'épreuve de ces cadres théoriques.

Sur recommandation de notre tuteur, cette démarche a été écartée au profit d'une approche top-down ou déductive consistant à partir des articles académiques de notre revue qui nous offrait un large spectre des réflexions en cours sur la Blockchain.

Le but était de nous appuyer sur des propositions théoriques pour ensuite passer à une vérification sur des cas particuliers pour ensuite revenir sur ces représentations théoriques et voir en quoi elles pourraient demander des évolutions face à un nouvelle réalité (Huberman et Miles82, 1991 ; Collerette83, 1995).

Nous avons choisi certains cadres conceptuels d'analyse des réalités économiques des entreprises qui nous paraissaient plus pertinents pour travailler dans un cadre bien délimité et maîtrisable.

C'est ainsi que nous avons écarté les réflexions sur le secteur bancaire et financier pourtant fréquemment citées dans la littérature, mais dont le cadre réglementaire s'avère particulièrement dense et de plus en plus complexe et contraignant, en particulier depuis la crise financière de 2007/2008.

D'autres objets de réflexion ressortaient régulièrement telles que la réduction des coûts pour les entreprises, la remise en cause de l'intermédiation, une nouvelle gestion des contrats et enfin les innovations technologiques.

Nous avons alors décidé de nous intéresser aux transformations et aux bénéfices que pouvait apporter la Blockchain aux entreprises sans nous restreindre au départ à un secteur particulier. Garder un champ initial suffisamment large préservait nos chances de trouver un terrain pratique ce qui restait une de nos préoccupations principales.

Plus précisément et en phase avec notre formation, nous nous sommes focalisés sur les enjeux financiers qui pouvaient être impactés par la Blockchain, en particulier ceux liés aux contrats et aux intermédiaires (tiers de confiance) tels que développés par la théorie de l'agence

82 Huberman A.M., Miles M.B. (1991), Analyse des données qualitatives, Bruxelles, Editions du renouveau pédagogique.

83 Collerette, P. (1995), Les enjeux communicationnels de la gestion d`un changement dans une organisation, Thèse de doctorat, Montpellier, Université Paul Valéry.

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(Michael C. Jensen et William H. Meckling84) et la théorie des coûts de transaction et de la firme (R. Coase, O.E. Williamson85).

Une fois ces hypothèses théoriques choisies, il fallait les mettre à l'épreuve de manière empirique c'est-à-dire en vérifiant par l'observation du phénomène blockchain si nos cadres théoriques pourraient se trouver concernés.

Une des techniques pouvant être utilisée pour cette approche empirique est l'étude de cas. L'étude de cas au sens de technique de recherche (et non d'outil pédagogique de formation) est « une enquête empirique qui étudie un phénomène contemporain dans son contexte de la vie réelle » pour reprendre la définition de R. K. Yin86 (1984) l'un des auteurs les plus fréquemment cité à propos de cette méthode.

Le cas sert entre autres à tester des théories, à éprouver des hypothèses, explorer ou réfuter (Joan le Goff, vertus problématiques de l'étude de cas, 2002).

L'étude de cas peut faire appel à différentes méthodes telles que l'observation, l'entretien semi-directif ou des techniques d'analyse du contenu (Hamel87, 1997).

Il s'agit ensuite d'analyser le cas pour découvrir comment se manifestent et évoluent les phénomènes auxquels nous nous intéressons et en extraire des conclusions pouvant enrichir ou nuancer l'univers des connaissances et des théories (Collerette88, 1997 ; Stake89, 1994).

Pour conclure sur l'étude de cas, elle présente selon Isabelle Quentin90 (2012) l'avantage d'être flexible car elle permet de commencer par de larges questions (l'utilisation de la Blockchain en entreprise), puis de se focaliser sur des points particuliers (les gains financiers, la réduction des coûts de transaction, le rôle des tiers de confiance).

Elle présente cependant certaines limites, dont il faut être conscient, telle que la subjectivité de l'interprétation des données qui peut rendre difficile la généralisation des résultats.

84 Jensen M.C., Meckling W.H. (1976), Theory of the Firm, Managerial Behavior, Agency costs Ownership structure, Journal of Financial Economics, Vol. 3, 345-360.

85 Williamson, O.E. (1975), Markets and Hierarchies : Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press

86 Yin, R.K. (1984), Case study research, design and method, London. Sage publications.

87 Hamel, J. (1997), Etude de cas et sciences sociales, Paris, L'Harmattan.

88 Collerette, P. (1997), L'étude de cas au service de la recherche, Recherche en soins infirmiers, n° 50, septembre.

89 Stake, R.E. (1994), Case Study - Handbook of Qualitative Research, London, Sage Publications. Chap. 14.

90 Quentin, I. (2012), Méthodologie et méthodes de l'étude de cas, consulté le 6 novembre 2017.

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3.1.3 La collecte des données primaires

Nous devions donc choisir une méthode pour récolter des données primaires (celles que nous pourrions établir nous-mêmes) nécessaires à cette mise en lumière de notre problématique.

Pour nous guider dans nos choix, nous nous sommes appuyés sur les livres d'Usunier91 et de Thiétart92 décrivant les différentes méthodes de recherche en gestion.

En alternative, se présentait, l'approche quantitative que ce soit par questionnaire ou observation systématique. Nous l'avons écarté car le recueil d'une masse importante de données sur un sujet aussi récent et dans notre contexte de travail n'était pas réaliste. Sans compter que le taux de réponses aux questionnaires sur support (papier ou numérique) est généralement faible. On peut ajouter que les questionnaires sont par nature fermés ce qui aurait pu nous priver d'informations intéressantes. Le degré d'incertitude est élevé quant à la qualité de la personne qui a réellement répondu au questionnaire.

Nous avons donc adopté une approche qualitative basée sur une étude de cas.

Nous avons choisi de faire une étude de cas de type instrumentale au sens de Stake (1994), c'est-à-dire qui traite d'une situation qui comporte un grand nombre de traits typiques par rapport à l'objet de notre étude.

Celle-ci devait porter sur une expérience en cours ou aboutie de mise en oeuvre d'une blockchain afin d'avoir un retour d'expérience concret sur les méthodes utilisées, les difficultés rencontrées, les solutions apportées et les retours économiques, financiers et organisationnels attendus et observés. Ce sera l'occasion de mesurer sur un ou plusieurs cas précis, le chemin qui va mener du concept à la mise en oeuvre réelle et à la tenue des objectifs.

Avec cette approche qualitative, les deux principaux modes de collecte sont l'observation et l'entretien. Il nous était difficile d'avoir une démarche d'observation qu'elle soit participante ou non car il n'y avait pas de projet Blockchain dans les entreprises proches et de notre connaissance. Le contexte le plus favorable aurait été de trouver une entreprise avec une mise en oeuvre opérationnelle de Blockchain qui de plus nous aurait intégré même de manière intermittente, ce qui en la circonstance paraissait trop aléatoire.

91 Usunier J.C., Easterby-Smith M., Thorpe R. (2000), Introduction à la recherche en gestion, Economica, 272 p.

92 Thiétart, R.A. et al. (2014), Méthodes de recherche en management, 4ème éd. Paris, Dunod, 647 p.

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Nous avons donc choisi de mener des entretiens en direct, de préférence individuels car les entretiens de groupe sont plus complexes à mener pour collecter des données pertinentes à cause des réticences éventuelles des participants à s'exprimer, des possibles enjeux de pouvoir ou d'interférences hiérarchiques que nous ne connaitrions pas.

Dans la perspective d'entretiens individuels, nous avons écarté les entretiens directifs qui relèvent plus du questionnaire et donc du quantitatif et supposent d'avoir des idées déjà bien arrêtées sur un sujet alors que nous n'étions qu'en phase de découverte.

A l'opposé, une attitude non-directive, présentait le risque de voir les entretiens s'écarter de notre cible en fonction des centres d'intérêts de notre interlocuteur ou des sujets qu'il aurait préféré éviter.

Nous nous sommes donc orientés vers des entretiens semi-directifs ou centrés pour lesquels nous avons choisi un certain nombre de thèmes précis à aborder lors des interviews tout en laissant à notre sujet la possibilité de construire son discours quitte à le relancer ou à le réorienter pour revenir à nos thèmes.

L'intérêt de cette démarche c'est qu'en laissant une relative liberté à notre interlocuteur, il pouvait nous faire découvrir des aspects inédits ou de nouvelles pistes de développement pour notre objet de recherche.

Au final, cette démarche visait avant tout à présenter des expériences de mise en oeuvre de solutions ancrées sur la Blockchain en se focalisant sur les gains financiers espérés et éventuellement réalisés par des entreprises. Nous voulions montrer comment ces gains ont été obtenus par une diminution des coûts de transaction, le non-recours à des tiers de confiance ou un changement organisationnel remettant en cause les rapports principal-agent.

Il s'agit d'une première approche cherchant à démontrer l'intérêt de la Blockchain vis à vis des cadres théoriques que nous avons choisis.

Nous sommes conscients des limites de notre méthode reposant sur l'étude d'un nombre restreint de cas qui ne permet pas de généraliser nos observations. Celle-ci ne pourra se faire que par l'accumulation d'autres entretiens qui seront plus aisés à mener au fur et à mesure de la multiplication des projets réalisés sur la Blockchain.

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3.1.4 La collecte des données secondaires

Pour élargir les perspectives ouvertes par les données collectées lors de notre étude, nous avons décidé de nous tourner vers des enquêtes réalisées par des cabinets d'études et de conseil impliqués dans la mutation numérique des entreprises tel que Deloitte.

Ce cabinet présente l'avantage de disposer des moyens pour rédiger et soumettre des questionnaires à de larges échantillons probabilistes d'entreprises, ce qui assure une représentativité nécessaire à la qualité des résultats obtenus, et avec une garantie quant aux méthodes appliquées à l'analyse des données. Ce qui représente donc une source intéressante d'études quantitatives complémentaires telles que les analyses sectorielles.

3.2 Terrain et collecte de données

Notre méthode de recherche étant définie, nous vous présentons dans un premier temps les différentes étapes qui nous ont permis de cibler et de trouver notre terrain de recherche puis, dans un second temps, le processus que nous avons suivi pour collecter la matière nécessaire pour mener à bien notre réflexion.

3.2.1 La recherche de terrain

Notre première contrainte, compte tenu de l'émergence du sujet a été de trouver une entreprise expérimentant la Blockchain et touchant à un domaine intéressant un public significatif.

Nos recherches pour trouver l'organisme ou l'entreprise qui se sont investis dans la technologie Blockchain se sont effectuées grâce aux informations disponibles sur le site « Blockchain France ». En effet ce portail internet nous a servi de point d'entrée initiale pour avoir une vue d'ensemble des décideurs qui manifestaient un intérêt voir s'engageaient dans l'aventure Blockchain.

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Rappelons que depuis 2015, cette entité est le leader du conseil et de l'accompagnement pour les entreprises sur la technologie Blockchain. Elle guide les organismes dans la découverte, l'exploration et le déploiement de cette technologie.

En accord avec notre tuteur nous avons souhaité cibler notre étude sur une entreprise n'appartenant pas au secteur bancaire. En effet ces activités reposent sur des particularités qui auraient nécessité de faire référence à des théories monétaires qui n'entraient pas dans le cadre de notre formation. Le secteur financier est de plus le secteur le plus présent dans le domaine de la recherche, comme dans les médias, et il semblait plus intéressant et pertinent d'étudier les enjeux de la Blockchain dans les domaines moins explorés.

Nous avons écarté également les entreprises encore en phase de réflexion ou dont les projets n'apportaient pas suffisamment d'éléments pour l'analyse de nos hypothèses.

Par exemple : Air France KLM évalue actuellement le potentiel de la blockchain pour la gestion des pièces de rechange sur les avions en service. Et l'industrie musicale s'est engagée dans une réflexion sur l'automatisation et la personnalisation de la gestion des droits d'auteurs.

Enfin, pour disposer d'une meilleure qualité d'échange, nous avons souhaité nous concentrer sur les entreprises françaises.

3.2.2 Le projet choisi

Notre attention a été retenue par l'expérience menée à la SNCF, entreprise présente sur l'ensemble du territoire, porteuse d'une image de dynamisme et de modernité dans un secteur, celui des transports, vital pour l'économie. L'Epic (Etablissement public industriel et commercial) « SNCF mobilité » - Gares & connexions au travers de sa filiale AREP venait d'expérimenter l'utilisation d'une blockchain pour la gestion des déchets de la gare de Massy TGV.

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Source : Rapport annuel d'activité

Ce qui rend également intéressant ce projet est qu'il apporte une réponse très novatrice, pour l'instant à un niveau local, en appliquant la technologie Blockchain à la gestion du tri et de ramassage des déchets dans la gare de Massy TGV, à un problème majeur à l'échelon mondial.

Le développement de notre civilisation de consommation a engendré une production croissante de déchets de toute nature. Dès 1970 les interrogations et les contestations du modèle consumériste deviennent prégnantes ; la notion de tri et la prise de conscience de la nécessité du recyclage pour lutter contre la surconsommation des ressources naturelles apparaissent. Les dispositions de la loi du 13 juillet 1992 sur l'élimination des déchets, donnent un cadre juridique à ces pratiques. En effet, en triant de façon rigoureuse, nous réalisons des économies de matières premières (toutes les matières recyclées n'ont plus besoin d'être créées) et d'énergie (le recyclage nécessite moins d'énergie que la fabrication de ces matières).

De plus, la généralisation de ces technologies intéressera la totalité des entreprises, toutes productrices de déchets. Ces réflexions vont dans le sens des travaux à l'ordre du jour, en 2016, de la COP 21 qui s'est tenue à Paris. En 2017, lors de la COP 23 à Bonn, dans le cadre de la lutte mondiale contre le réchauffement climatique, les Etats sont tous à la recherche de

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toute innovation permettant de compenser l'empreinte carbone. Le tri et le recyclage des déchets ne sont plus uniquement considérés comme un problème environnemental mais aussi comme un enjeu majeur de gains de productivité pour les partenaires économiques.

3.2.3 La prise de contact

A partir d'une première recherche effectuée sur « Blockchain France », nous avons poursuivi notre quête de terrain en utilisant les mots clés suivants dans un moteur de recherche « SNCF » et « Blockchain » ce qui nous a permis de trouver les coordonnées d'un contact pour réaliser notre première interview.

Nous avons trouvé le service et identifié le chef du projet : Etienne Burdet au sein de « SNCF mobilité » - Gares & connexions au travers de sa filiale AREP.

Créé en 1997 au sein du groupe SNCF, AREP est un bureau d'étude pluridisciplinaire composé de 900 personnes ayant pour vocation la conception et l'adaptation des espaces fréquentés par le public (chiffre d'affaires 2015 : 60 millions d'euros) en France et à l'étranger. AREP peut ainsi être sollicité par la SNCF pour améliorer la qualité d'accueil des gares. Ses activités ne se limitent pas à l'environnement ferroviaire, à titre d'exemple, elle mène actuellement une étude sur l'aménagement du port maritime de Marseille.

Un premier contact a été établi par un échange de mails. Nous avons exposé le cadre de notre projet de recherche et l'objet de notre étude afin de nous assurer de la compatibilité entre le projet mené par AREP et nos attentes. Cette condition préalable ayant été remplie, un rendezvous a été fixé au 3 juillet 2017 ; pendant cette période estivale, notre correspondant avait plus de temps à nous consacrer.

Un second interlocuteur nous a été suggéré par M. Burdet qui nous a appris que la SNCF avait fait appel à la start-up KEEEX pour développer une solution blockchain dans le domaine de la traçabilité de documents de références liés aux travaux sur les voies ferrées et sur la simplification de processus d'exploitation. Nous avons suivi la même démarche pour trouver les coordonnées d'un correspondant. Nous avons pris rendez-vous pour un entretien téléphonique le 2 août 2017 avec Laurent Henocque, fondateur et CEO.

KEEEX est une start-up créée en 2014, elle développe pour ses clients des solutions numériques utilisant notamment la blockchain. Ainsi, elle a lancé la première application « photo proof » permettant de certifier l'intégrité et l'authenticité d'une photo en intégrant au cliché des informations de géolocalisation et un horodatage. Ce processus permet d'avoir la

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certitude que le document est bien l'original non modifié. Une fois horodaté, cette information est ajoutée à un bloc en préparation. Une fois ce bloc rempli (1 Mo dans le cas du bitcoin standard), il est ajouté à une Blockchain Bitcoin permettant d'enregistrer l'existence du fichier. Cette procédure permet de réduire le coût de transaction en mutualisant plusieurs opérations dans un seul bloc, car c'est la validation du bloc qui est facturée.

3.2.4 La préparation des entretiens

Nous connaissons désormais l'entreprise et nos interlocuteurs. En amont des rencontres, nous avons conçu un guide d'entretien. Il devait nous permettre de confronter nos hypothèses de travail aux expériences engagées sur le terrain.

L'enquête par entretien nous est apparue comme étant le processus le plus pertinent, en effet il est de par sa nature une démarche exploratoire. A. Blanchet et A. Gotman93 le présentent de la manière suivante : « L'entretien s'impose chaque fois que l'on ignore le monde de référence, ou que l'on ne veut pas décider a priori du système de cohérence interne des informations recherchées ».

Afin que nous puissions garder un point de vue objectif, notre méthode d'interview a laissé une grande liberté de parole à nos interlocuteurs.

Parallèlement nous avons retenu quatre thèmes qui servent à structurer notre démarche : les motivations, la mise en place de la Blockchain, les changements de fonctionnements, les perspectives envisagées ; ce qui nous a également conduit à préférer des entretiens semi-directifs. Ils sont caractérisés de la sorte car les questions posées ne sont ni entièrement ouvertes, ni entièrement fermées. Ils conviennent parfaitement au chercheur qui dispose d'une trame d'entretien et de thèmes suffisamment larges pour que l'interviewé puisse librement s'exprimer et choisir les sujets qu'il souhaite mettre en avant. Le chercheur essaie simplement de recentrer l'entretien sur les thèmes qu'il a prédéterminé. Nous avions bien sûr une logique de déroulement de nos entretiens, mais nos interventions devaient rester souples. Nous pouvions ainsi mieux adapter nos questions à chaque réponse de nos interlocuteurs. Notre attitude toujours réceptive favorisait un lien entre les réponses apportées et les thèmes initialement prévus.

93 Blanchet A., Gotman A. (2006), L'enquête et ses méthodes, L'entretien, Armand Colin, coll. 128, Paris, 40.

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Ainsi, il a été plus facile de comprendre la dynamique, les particularités du contexte pour mener à bien notre collecte de données.

3.2.5 La réalisation des entretiens

Pour le premier entretien, nous avons rencontré M. Etienne Burdet, chef de projet SmartCity, chez AREP - filiale de Gares & Connexion dans un restaurant proche de son bureau à Paris. Notre interview a duré une heure et demie.

Avant de débuter, nous avons demandé l'autorisation d'enregistrer les échanges dans le but de mieux écouter le récit, de réagir à bon escient et donc de partager des échanges plus riches. Nous avons pu faire des allers retours entre l'application et notre questionnement issu de notre revue de littérature. Si ce 1er entretien a eu lieu en face à face, le second, compte tenu de l'implantation de la start-up KEEEX à Marseille s'est déroulé par téléphone pendant une heure.

Sa teneur a été également différente : M. Burdet nous a expliqué le déroulement d'une expérience concrète (collecte de déchets sur le site de la gare de Massy TGV). Quant à M. Henocque, fondateur et CEO de KEEEX, il nous a expliqué les solutions trans-entreprises qu'il a créées à partir de la technologie Blockchain dans le domaine de la traçabilité de documents.

Autant le premier entretien reposait sur une application concrète dans un cadre précis de l'utilisation d'une blockchain, le second lui a été beaucoup plus théorique et a détaillé les mécanismes qui amènent ou pas à développer une blockchain. Toutefois ce deuxième entretien nous a permis de conforter nos hypothèses de travail et de confirmer les éléments collectés lors du premier.

L'entretien exploratoire tel que nous le percevions avant de commencer notre interview se voulait être un dialogue structuré sur la base des questions que nous avions préparées.

Or, notre entretien s'est avéré correspondre à un échange où se mêlaient les épisodes du vécu professionnel et les réponses plus ciblées à partir de notre questionnement. Ce dialogue moins formel nous a permis d'élargir et de nourrir notre éventail de questions initiales sans nous détourner de nos objectifs.

C'est ainsi qu'aux quatre grandes orientations rappelées ci-dessous :

· Comment est née l'idée d'utiliser la blockchain ? A quel besoin répondait-elle ?

· Comment a-t-elle été mise en place, avec quels moyens ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?

·

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Quels ont été les retours d'expérience sur les smart contracts ?

· Les résultats constatés répondaient-ils aux attentes ? Quels ont été les impacts sur les processus et l'organisation ? Quelles sont les perspectives d'évolution et d'extension ? D'autres thèmes ont émergé :

· Pourquoi choisir une blockchain publique ?

· Comment la blockchain peut-elle fonctionner sans crypto monnaie ?

· Comment les parties prenantes ont-elles réagi ?

3.2.6 L'utilisation des entretiens

Nous avons écouté à plusieurs reprises les enregistrements. Leur durée et leur densité a nécessité une transcription pour hiérarchiser et classer les données recueillies.

Ce travail pourrait paraître fastidieux compte tenu de la durée de la retranscription (environ huit heures par enregistrement). De plus le restaurant pour le premier entretien s'est révélé assez bruyant, ce qui a parasité la clarté de l'enregistrement.

Cependant, ce travail nous a été d'une grande aide pour clarifier et analyser les éléments clés de ces récits. Il est en effet plus aisé de traiter une information par thème lorsqu'elle est écrite. A partir des points essentiels nous avons pu ainsi organiser notre réflexion pour réaliser notre étude de cas.

Nous avions de plus pu disposer de différents documents de travail sur l'élaboration de ce projet à la gare de Massy TGV.

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4 Le cas pratique : d'un processus manuel et faillible à un système autonome et sécurisé

Chaque jour, en France, ce sont 5 millions de voyageurs (rapport d'activité 2016 de la SNCF) qui utilisent les différents transports ferroviaires (TGV, TER, Intercités, RER...). Ces flux de personnes ont un impact sur l'environnement. Selon l'étude sur la fréquentation des grandes gares franciliennes réalisée en mars 2015, la gare de Paris Saint-Lazare (station accueillant le plus de trafic en France avec 359 200 voyageurs par jour) doit gérer 1 300 tonnes de déchets par an (soit le poids de 3 supertankers). D'une manière générale, la SNCF doit traiter 10 grammes de déchets par voyageur par jour. C'est pourquoi la gestion des déchets en gare est devenu un enjeu majeur.

Source : la fréquentation des grandes gares franciliennes

Comme toutes les entreprises productrices et détentrices de déchets, la SNCF doit s'adapter à la réglementation relative à la préservation de l'environnement et des ressources. Les déchets visés regroupent à la fois ceux produits par l'entreprise dans le cadre de son activité mais également ceux émanant de ses clients dans ses installations. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte encourage la lutte contre les gaspillages, la réduction des déchets à la source, leur tri et leur valorisation.

Au début de l'année 2016, AREP (filiale de la SNCF Gares et connexions) a été missionné pour analyser et tester des scénarios de traitement des déchets à l'échelle de la gare de Massy

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TGV. Cette gare, bien que modeste par son nombre de voyageurs annuel (un peu moins de deux millions et le volume de déchets à traiter : 17 tonnes ou 4 400 m3 soit l'équivalent d'une piscine olympique) reste significative par la diversité des déchets qu'elle doit gérer. La gare doit faire face au traitement d'une diversité des déchets répartie en trois types :

y' La poubelle grise : déchets ordinaires ne faisant pas l'objet de tri ;

y' La poubelle jaune : bouteilles en plastique, boites en carton, canettes ;

y' La poubelle bleue : journaux et magazines.

Il en résulte une complexité dans la gestion des contrats avec les prestataires (restaurant, boutique, personnel d'entretien et camion de ramassage). L'ampleur de la mission est réelle ; une vaste évaluation du fonctionnement des intervenants et de leurs interactions constituera le socle de l'étude. L'un des intérêts de ce travail consiste à analyser la méthode utilisée par AREP, qui a procédé par tests empiriques avant d'aboutir à l'appropriation d'une technologie émergente. L'enjeu à terme est aussi que les nouveaux procédés mis en place sur le site de la gare de Massy TGV serviront de référence soit à son déploiement soit par adaptabilité sur d'autres sites SNCF voire extérieurs.

4.1 L'analyse de la situation initiale : constat par AREP de dysfonctionnements graves

La première étape a consisté à examiner les maillons de la chaîne de la collecte des déchets, de leur tri et de leur enlèvement. Le traitement des déchets en gare de Massy TGV est préoccupant : tous les bacs, avec des contenus indifférenciés sont sortis tous les jours, sans vérification des jours ou des horaires et donc sans lien avec les tournées de ramassage.

Les employés, en première ligne, susceptibles de rencontrer des difficultés ou de ne pas maîtriser le français et donc de ne pas comprendre les consignes ou de ne pas les appliquer, sortaient l'ensemble des bacs non triés dans le souci d'éviter toute sanction ou conflit. Les producteurs de déchets (usagers et commerçants) considéraient que les poubelles étaient vite pleines et pas assez rapidement sorties. De même le personnel en gare face à des poubelles pleines insistait auprès des employés en charge de l'évacuation des déchets pour qu'ils sortent les poubelles sans tenir compte ni de leur contenu ni du jour. Cet environnement mal contrôlé, notamment par le personnel de gare, laisse certainement une trop grande opportunité à l'agent

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(la sortie des déchets peut servir de prétexte pour prendre une pause supplémentaire) pour privilégier son propre intérêt au détriment de celui de l'entreprise.

Le résultat de cette désorganisation aboutit à ce que des poubelles pleines restées toute la journée aux abords de la gare, encombrent les trottoirs et dégradent ainsi l'image de la gare. Cette situation a deux conséquences immédiatement perceptibles. L'encombrement de la voierie est gênant et insalubre et au lieu d'inciter des passants ou usagers de la gare à trier, il accroît les comportements d'incivilité. C'est un cercle vicieux qui augmente par ailleurs la charge de travail des employés qui doivent trier les déchets à la place des usagers. C'est une dépense supplémentaire pour un travail non prévu initialement. Ces bacs débordants et stagnant sur l'espace public hors des créneaux horaires prévus sont par ailleurs sanctionnés par des amendes : la gare de Massy TGV payait jusqu'à 200 € par jour (soit 73 000 € par an). Cette absence de tri désorganise aussi la tâche du second intervenant du circuit : les prestataires en charge du ramassage des déchets recyclables finissent par ne plus s'arrêter mais continuent à facturer leur prestation.

Ces sociétés considèrent que la gare ne trie pas efficacement ses déchets (cartons, papiers ou plastiques) et risque de compromettre le contenu de leurs camions. La sanction financière est importante : il est à noter que le coût du ramassage des déchets est différent selon leur nature, ainsi les déchets recyclables seront facturés moins chers que les ordures ordinaires qui sont incinérées. Ce mécanisme a pour but d'orienter les entreprises vers la valorisation de leurs déchets et une limitation de la pollution en CO2. Dans tous les cas de figure, la facture est établie selon le nombre de bacs et non selon le poids exact de déchets évacués.

L'examen détaillé du trajet d'un bac de déchets par AREP démontre qu'aucune vérification, ni aucune coordination n'ont été mises en place par la gare pour s'assurer d'un résultat efficace et satisfaisant pour les parties.

L'unité gare ne disposant d'aucun élément pour mesurer et connaître la nature et le volume des déchets produits en gare de Massy TGV était voué à supporter les pénalités financières. Il lui était impossible d'apporter des arguments pour contester la surfacturation des prestataires en charge du ramassage des déchets.

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4.2 L'élaboration d'une réflexion

Afin de réduire les dysfonctionnements, quelles solutions proposées par les outils de gestion traditionnels auraient pu être mises en place ?

Le plus évident aurait été de développer les contrôles. Pour ce faire, le recrutement de personnel encadrant aurait été nécessaire, ce qui aurait engendré des coûts très importants de surveillances supplémentaires.

Une autre solution aurait pu consister à recourir à un tiers de confiance : un audit extérieur pour évaluer la fiabilité du travail effectué (jour et heure de sortie des conteneurs).

Il aurait été envisageable également de commander une étude à un expert pour définir précisément le volume des déchets et leur nature. Dans le meilleur des cas, les économies réalisées par la suppression des amendes et par une réduction du montant des factures d'enlèvement des déchets (factures au réel et non plus au forfait) auraient été absorbées par une augmentation des coûts de contrôle et de réorganisation. Ces solutions n'auraient sans doute pas apporté d'amélioration de la performance de l'entreprise. De plus, il s'agit de mesures coercitives qui ne sont pas le meilleur moyen de motiver les différents intervenants pour résoudre un dysfonctionnement.

Une autre hypothèse pourrait apparaître comme facilement réalisable. Au sein de sa structure, la gare aurait pu mettre en place un système de pesée afin de vérifier que le poids des déchets transmis correspondait bien à celui que le prestataire facturait. Se poserait alors le problème de la transparence de l'information.

En effet, pourquoi le prestataire accepterait-il d'établir sa facture sur la base d'une information fournie par le client sans autre élément de preuve ? Toute transaction reposant sur la confiance, il faut donc que celle-ci soit recréée. Tant que le risque de contentieux lié à l'asymétrie d'information est élevé, le prestataire craindra pour son chiffre d'affaires. Seul le recours à un tiers de confiance tel un avocat ou tout intermédiaire reconnu comme « neutre » sera rendu nécessaire afin de réduire les différends entre les parties. Mais là encore, l'économie liée à la réduction du montant des factures aurait, au mieux, été absorbée par les frais de production d'éléments justificatifs.

La réaction la plus évidente des services financiers a été de proposer ces deux solutions visant à renforcer les contrôles. La première, qui nécessite le recrutement d'encadrants qualifiés

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et / ou d'experts onéreux ne se justifiait pas sur le plan économique. La seconde, en apportant certes une information tangible (le poids des déchets), n'était considérée comme fiable que par l'une des parties et jugée contestable par l'autre. Or la défiance est un élément incompatible avec la bonne réalisation d'une transaction. Ces options n'ont donc pas permis de déboucher sur un processus satisfaisant d'amélioration des difficultés rencontrées à la gare de Massy TGV. Dès lors, de nouvelles approches sont recherchées par AREP.

Au cours d'un concours d'innovation interne dans le cadre d'un « design thinking » (ou design créatif, concept créé par Rolf Faste, désigner américain à la fin des années 80), les collaborateurs de différents horizons d'AREP se sont intéressés à la problématique des déchets et de la complexité de leur gestion dans une gare. L'objectif du « design thinking » est de faire réfléchir une petite équipe constituée de membres aux origines diverses, cassant ainsi les préjugés afin d'émettre des idées novatrices. Il faut ensuite les tester pour arriver, de proche en proche, mais sans rien s'interdire, à l'émergence d'un nouveau concept.

Quelles sont les origines des dysfonctionnements constatés ? Quels écueils faut-il surmonter ?

AREP a testé plusieurs idées peu contraignantes dans le but de renouer les maillons de la chaîne de tri. La logique de l'expérience est de « générer et faire circuler l'information pour une amélioration quantitative ». Il faut être sur tous les fronts et mener la réflexion avec les clients, les employés d'entretien, le personnel de la gare et les entreprises de collecte.

A destination des clients : une signalétique correspondant aux trois couleurs des bacs et visible dès l'accès à la gare, style kakémono (affiche plastifiée suspendue à des portants) a été mise en place. En cas de doute le client peut même envoyer un message via le canal Slack afin de faire le bon choix de poubelle. Slack est une plate-forme de communication collaborative permettant d'échanger des messages et des documents. Elle est organisée en canaux, chacun étant dédié à un sujet spécifique, un projet ou une équipe. Ces échanges ont apporté des solutions ponctuelles. Mais, par exemple, la question récurrente relative à la caractérisation des gobelets de café est restée sans réponse satisfaisante. Or leur nombre est conséquent comme dans toute gare, et ceux-ci, trop souvent jetés à tort dans les poubelles jaunes au lieu du bac ordures ménagères, invalident la qualité du tri.

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A destination des employés : Afin de dépasser la barrière de la langue et de les informer très précisément de l'instauration de nouvelles pratiques, un système de code couleurs associé à chaque nature de déchets est créé. Un code QR (type de code-barres plus sophistiqué composé de carrés noirs sur un fond blanc94) est installé sur chaque bac qu'ils doivent flasher à l'aide de leur smartphone à chaque sortie. Parallèlement, l'utilisation d'un semainier en liaison avec le code couleur des bacs permet aisément d'associer la couleur du bac avec son jour de sortie.

A destination des prestataires : Le code QR est également scanné par la société de ramassage indiquant ainsi qu'elle a bien collecté les déchets et à quel moment.

A ce stade, AREP constate que le premier maillon composé des agents de terrain fonctionne de manière fiable et qu'une bonne collaboration s'est installée. L'utilisation des smartphones au quotidien a permis de contourner les difficultés de lire les textes en français. Ces agents apparaissent désormais comme des partenaires clés qui apportent des idées d'amélioration. Le déploiement des outils de connexion simples d'accès et peu onéreux sur les bacs permet rapidement d'avoir des informations transmissibles en temps réel.

En effet, des capteurs beacons bluetooth (balises sans contact) dédiés à la logistique, ont été installés sur les bacs. Ces boîtiers d'un coût relativement modeste (inférieur à 50 €) sont peu énergivores ; ils émettent à intervalle régulier des signaux qui sont alors transmis aux smartphones. La fiabilité de ce système est quasi assurée, alors que l'enregistrement manuel par flash des codes QR était susceptible d'erreur (oubli, doublon). Le risque d'une balise défectueuse est très faible. Les agents disposent ainsi d'informations sur la localisation de la poubelle. Il devient désormais possible de connaître en temps réel et à tout moment où se trouve un bac et à fortiori de savoir s'il se trouve à l'endroit approprié.

Simultanément, la pesée manuelle des déchets sera désormais remplacée par un dispositif de pesée automatique au sol sur le passage des bacs.

On peut considérer que le cheminement d'un bac de son lieu de stockage à son lieu de ramassage est désormais connecté.

En revanche, la dernière phase du trajet des bacs au moment de leur ramassage est encore problématique. Les différences entre les quantités facturées et celles réellement produites sont encore trop importantes : il reste encore des passages à vide des camions qui sont facturés.

94 Exemple de Code QR :

Mais le bilan de ces prototypes permet de disposer de données nouvelles en temps réel qui permettront de réduire le montant des factures tout en améliorant le bilan environnemental.

AREP s'est alors attaché à résoudre les deux questions liées à la surfacturation des déchets. La première cause est due à l'absence de leur pesée. Le prestataire établit sa facture sur la base d'un prix forfaitaire par nombre de bacs. AREP a commencé par peser manuellement les déchets pendant une semaine et a constaté sur le terrain qu'il existait un écart important entre le poids des sacs pesés et le poids forfaire facturé. Ponctuellement, au vu de cette information, le prestataire a accepté de réajuster le prix des factures en éditant un avoir qui s'élève à 2 000 euros pour un mois.

La seconde origine de la surfacturation est l'absence de tri des déchets ; après une semaine de manipulation de sacs pour la pesée, AREP a visuellement constaté que la majorité des déchets sont recyclables, ce qui représente entre 60 et 120 kilos par jour. Cette catégorie recyclable sera source dans le futur d'une facturation revue à la baisse.

Un autre point positif notable est que l'ensemble des intervenants (employés, commerçants et personnel de gare) ont été largement associés et informés de ce nouveau dispositif dans le but de réduire l'asymétrie d'information et de rétablir la confiance sur l'ensemble de la chaîne. Chacun a pris connaissance et partagé les mêmes consignes.

De cette concertation, il apparaît que le différend entre les acteurs ne provenait pas du non-respect des consignes ou d'une mauvaise interprétation de ces dernières. Certains bacs sont pleins avant leur heure de sortie, il devient par conséquent impossible de respecter la consigne de sortir les poubelles pleines tout en se conformant au semainier.

Cette démarche a permis de mettre en lumière l'inopérabilité des directives avec le quotidien de la gare. L'intérêt des agents étant divergent dès l'origine, un bon fonctionnement était largement compromis

AREP ne peut que constater que ces tests concernant le désengorgement des trottoirs, la fin des amendes et la reconnexion avec les camions de ramassage, montrent que ces objectifs n'ont été qu'en partie atteints et cela grâce à un investissement humain conséquent. Ce type de fonctionnement n'a de sens que pendant une courte période de test, mais maintenu sur le long terme elle serait beaucoup trop consommatrice de temps et de ressources.

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AREP se pose alors la question de la cohérence des consignes.

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L'origine du problème vient vraisemblablement des contrats passés. La fréquence de passage était devenue inadaptée à l'activité réelle de la gare ; la quantité de déchets était estimée trop approximativement et leur nature n'était pas valorisée. A ce stade de sa réflexion, AREP s'intéresse à l'examen des contrats passés avec chaque prestataire.

L'objectif est de recréer une adéquation entre les termes de nouveaux contrats et des nouvelles réalités de la gare de Massy TGV. Le concept de tri étant devenu la priorité de la gestion des déchets, celui-ci doit apparaître comme tel dans le contrat à rédiger.

S'agissant des activités soumises aux aléas des mouvements humains (vacances, grèves, météorologie...), les termes des contrats doivent aussi garantir une certaine souplesse et une grande réactivité.

Un nouveau paramètre à prendre en compte est l'application d'une législation récente, innovante et en évolution permanente qui nécessite de toute évidence des ajustements très fréquents dans les termes des contrats.

Les champs du tri et de la valorisation des déchets ont fait l'objet de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015. Des orientations et des recommandations étaient clairement éditées à l'attention des entreprises. Désormais, un décret n° 2016-288 du 10 mars 2016 vient rendre obligatoire, à partir du 1er juillet 2016, le tri à la source et la valorisation de 5 flux de déchets pour toutes les entreprises productrices ou détentrices de déchets. L'obligation porte sur le papier / carton, le métal, le plastique, le verre et le bois. La finalité de cette réglementation est de toujours réduire plus la consommation de nouvelle matière première et l'émission de CO2 en renforçant le recyclage des déchets.

La réalisation de ce tri se voit matérialisée par la délivrance, par le prestataire chargé de la collecte, d'une attestation annuelle justifiant les quantités exprimées en tonnes, la nature des déchets et leur destination finale. La SNCF est dans l'obligation de se doter des moyens et de l'organisation pour s'y conformer dans un délai très contraint.

Et si le big data, traitement de données massives et complexes, pouvait contribuer à l'émergence de nouvelles solutions ? Une des pistes de réflexion mène à l'utilisation offerte par une nouvelle technologie : la Blockchain.

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4.3 La solution disruptive : la mise en place de la Blockchain : enregistrement de données et création de smart contract sur Ethereum

Le premier travail mené par AREP a abouti à l'identification de l'une des origines des dysfonctionnements et à la proposition de solutions ponctuelles, mais pas encore à la création d'outil lui permettant de stocker, utiliser et partager les données qu'il s'est efforcé de fiabiliser.

Il existe différentes sortes de systèmes blockchain, le plus connu étant celui de la crypto-monnaie Bitcoin. Il serait bien trop réducteur de limiter l'intérêt de la blockchain à cette seule utilisation. Elle possède d'autres fonctions qui peuvent être utiles au développement d'une entreprise.

En effet, quel que soit la Blockchain utilisée, elles ont en commun d'avoir la fonctionnalité d'un grand registre distribué dans lequel s'inscrivent toutes les transactions afin qu'elles deviennent accessibles à tous les acteurs en temps réel, sans lieu de stockage unique.

On lui attribue généralement trois fonctions qui peuvent être mises en oeuvre simultanément ou non : une fonction de paiement, une fonction de registre des transactions, et une fonction d'instructions automatisées. Dans ce dernier volet, le mécanisme permet d'édicter automatiquement un contrat adapté à la transaction passée par un des acteurs du système, on parle alors de : « smart contract ».

Le smart contract - contrat intelligent - est un programme informatique mettant en application un contrat traditionnel (non numérique). Il exécute ainsi automatiquement les clauses du contrat dès que les conditions ont été réunies. Le code est autonome, les parties prenantes (humaines) n'ont plus à interagir et ne peuvent pas interférer dans son déclenchement. Ce code informatique permet l'exécution automatique sur un réseau décentralisé (de pair à pair) d'un ensemble de décisions et d'actions encodées en amont de l'exécution dudit contrat. Ces nouveaux processus appliqués à la gouvernance des entreprises instaureront une plus grande réactivité tout en utilisant des données fiables et sécurisées sans l'intervention ou le contrôle d'un tiers.

Autrement dit, la technologie blockchain offrira la possibilité à différents opérateurs de réaliser des transactions prévues en enregistrant leurs actions dans un système électronique programmé pour sécuriser l'ensemble des opérations en question.

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AREP a cherché sur quel protocole blockchain il pouvait s'appuyer pour enregistrer et traiter les informations transmises d'abord par le procédé QR code puis remplacé par les beacons bluetooth.

Deux options étaient possibles, soit une blockchain publique soit privée.

Dans une blockchain publique ou blockchain « originale », tous les noeuds (capacité de calcul, exemple : un ordinateur) qui constituent le réseau, s'auto-contrôlent (réseau peer to peer, « d'égal à égal). Il n'y a pas de barrière à l'entrée, tout le monde peut lire l'ensemble les transactions et y ajouter les siennes. Les modifications des règles de fonctionnement ne sont possibles que si la majorité des participants y est favorable. Tous les acteurs, qui peuvent rester anonymes, détiennent les mêmes droits et peuvent participer à la validation des transactions (minage : proof of work ou forgeage : proof of stake) ; c'est notamment le cas pour la blockchain Bitcoin et Ethereum.

A l'inverse, une blockchain privée s'exécute sur un réseau privé sur lequel une autorité centrale crée et modifie les règles à suivre sans avoir besoin du consentement des autres participants. Pour rejoindre cette blockchain, il faut au préalable s'identifier et y avoir été autorisé par l'organe décisionnel. Les droits des membres sont définis et restreints. A titre d'exemple on peut citer le consortium R3 réunissant les plus grands établissements financiers internationaux (Goldman Sachs, JP Morgan, BNP Paribas...).

Compte tenu de la taille du projet (une seule gare), AREP n'avait aucun intérêt à développer une blockchain privée qui aurait nécessité un coût de développement important. La blockchain publique permet une plus grande souplesse dans la gestion des partenaires, il est inutile de gérer les droits d'entrées et de sorties de chacun lors d'un changement de prestataires. De plus l'aspect partage de l'accès aux données est une fonctionnalité déterminante. La blockchain restaure la confiance entre les partenaires en leur permettant de lire les mêmes informations en temps réel, réalisant ainsi un partage équilibré de l'information.

AREP choisit Ethereum qui a pour crypto monnaie l'Ether. Cette blockchain est récente, elle a été fondée en 2014 par Vitalik Buterin95. Du point de vue de la performance technique96, Ethereum est supérieur à Bitcoin. Il propose des tailles de blocs (les transactions sont

95 Vitalik Buterin : programmeur canadien d'origine russe, co-fondateur d'Ethereum.

96 Crypto-France (2016), Ethereum-vs-Bitcoin : quelles différences entre ces deux technologies ?, consulté le 15 janvier 2018.

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enregistrées sont regroupées dans un bloc) plus importantes (aucune limite pour Ethereum contre 1 MB pour Bitcoin) et des temps de minage plus courts (14 secondes pour Ethereum contre 10 minutes pour Bitcoin).

Mais la principale différence d'Ethereum ne réside pas que dans sa performance technique. Aux fonctions de la technologie la plus connue qui assure le fonctionnement du Bitcoin, cette blockchain permet non seulement de certifier, horodater et sécuriser des transactions mais aussi de structurer des échanges.

La première fonction de cette blockchain testée par AREP fut l'horodatage afin d'enregistrer les heures et les jours de sorties des bacs. Ce test permettait de compiler toutes les données de mouvements des bacs et de s'assurer qu'ils étaient bien vidés. Ethereum prouve par conséquent qu'elle dispose de tous les mécanismes nécessaires à la logistique de flux et dans notre cas à la gestion de chaîne des déchets : de la collecte au ramassage jusqu'à son recyclage ou à son incinération, en supprimant les intermédiaires et dans un avenir proche en s'adaptant à l'accroissement des flux spécifiques des déchets.

Ayant compris qu'Ethereum n'est pas dédiée uniquement à la gestion de devises, AREP réfléchit à son appropriation comme support pour d'autres activités. C'est vers la faculté de créer un système d'enregistrement d'actifs et de smart contracts que se focalisent les recherches d'AREP.

L'enregistrement d'actifs est une digitalisation, soit l'intégration d'un élément physique (exemple : une monnaie l'Ether) ou d'une action réelle (exemple : un droit de vote pour the DAO) sur la blockchain. Cet actif dispose des mêmes caractéristiques qu'un bien commun : une identité et un propriétaire qui dispose de droits lui permettant de le prêter, le transférer, le vendre ou le détruire. Il représente l'unité de base dans la transaction. Dans l'environnement blockchain cet élément est référencé sous le nom de « token » (jeton). On peut distinguer deux natures de token différentes. Il est soit créé par le protocole même de la blockchain (les crypto monnaies) ou pour les besoins propres à un programmeur. Ces derniers sont alors utilisables sur une application web construite en sous-couche qui manipule la blockchain.

Dans notre situation, AREP a recréé virtuellement des kilos de déchets en langage numérique pour répondre à sa problématique. Il n'existe pas de limite à son développement. Ainsi il a été possible d'attribuer à chaque nature de déchets de la gare un token spécifique permettant de reproduire la nature des déchets. Il est ainsi possible d'en créer autant que l'on souhaite, donc autant que l'on a produit de kilos de déchets.

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Cette étape représente le pivot de l'avancement du prototype. Cela ouvre la voie à un système économique transactionnel entre acheteurs et vendeurs sans intermédiaire.

L'article 1582 du code civil définit le contrat de vente comme « une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer »97. Le token permet de transposer « la chose » dans le registre digital. Dès lors le smart contract écrit à partir d'une API (une interface de programmation applicative) va intégrer les données représentées par le token et être construit autour des échanges dont il fait l'objet. Lors de la programmation du smart contract, il sera tenu compte de l'intérêt de chaque partie. Une fois achevé, le smart contract s'exécutera automatiquement. Il reste consultable par tous et à tout moment jusqu'à sa suppression éventuelle. Ethereum propose des modèles de smart contrats permettant au programmeur de disposer d'un cadre de travail qu'il adaptera à son schéma propre.

Dans le cas d'AREP, les trajets des kilos de déchets enregistrés et sécurisés dans la blockchain (sous forme de token) sont d'abord suivis du local poubelle jusqu'au trottoir. Ces kilos de déchets sont ensuite transférés via le smart contract vers le compte du prestataire qui en deviendra le possesseur à la fois en consultant la blockchain et en réceptionnant son camion.

Le code informatique de ce smart contract est présenté en annexe A. Si nous ne disposons pas des connaissances suffisantes pour le décrypter, il est cependant intéressant de se rendre compte qu'il ne nécessite que peu de lignes de codes (100 lignes) pour fonctionner, ce qui est peu volumineux pour un programme informatique. Le coût d'investissement pour rédiger un smart contract est donc négligeable et ne nécessite pas le déploiement d'un budget important pour faire appel un prestataire informatique.

Chez AREP le smart contract relatif aux déchets a été rédigé en une semaine. Cette période comprend également l'apprentissage de sa manipulation et de son fonctionnement théorique. Le smart contract étant par nature autonome, dès que la phase de test est passée avec succès, il n'occasionne aucune maintenance et donc aucun coût de fonctionnement.

Les seuls coûts de transaction récurrents sont les coûts du minage (validation d'un bloc) qui, compte tenu du faible nombre d'opérations à valider sur ce projet (maximum 5 bacs par jour), restent marginaux.

97 Article 1582 du code civil.

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Ici la solution de la blockchain choisie ne nécessite ni un coût d'entrée élevé, ni une dépense de fonctionnement important. AREP a réussi la mise en place d'un outil d'horodatage sécurisé et incorruptible qui enregistre toutes les transactions ainsi que la mise en place d'une base de données accessibles facilement par une API. Le contrôle automatique des contrats avec les prestataires assurera une efficacité, une réactivité et une fiabilité accrues dans la chaîne de tri. Sa réorganisation sur la technologie blockchain peu onéreuse met en évidence les gains de temps et la réussite du travail collaboratif en respectant les intérêts de chacun.

4.4 Les bénéfices pour l'entreprise étudiée

Rappelons que le cas qui a fait l'objet de notre étude est localisé à une gare de moyenne ampleur. Ce site est bien représentatif de la diversité des échanges et des interactions qui régissent la chaîne du traitement de déchets dans ce type d'environnement à taux élevé de fréquentation.

L'intervention de la filiale de gares et connexions AREP avait deux objectifs majeurs : un défi opérationnel visant à structurer la chaîne de tri défaillante et un défi réglementaire pour respecter les textes toujours plus contraignants dans le cadre de la loi sur la transition énergétique.

Le premier mois consacré au recensement des améliorations possibles a débouché sur un traçage simple du parcours des déchets : de la source de production à leur enlèvement, grâce à des objets connectés peu coûteux mais fiables, tel des balises. Cette phase a contribué à reconnecter les employés d'entretien et les prestataires de ramassage.

La poursuite du projet s'est avérée plus ambitieuse : l'appropriation de la technologie innovante de la blockchain. Les transactions sur Ethereum ont instauré l'utilisation de données sécurisées. Le fait qu'à chaque transaction corresponde un smart contract en fait une variable ajustable et une mise à jour en temps réel de la base de données.

L'instauration d'un système de pesée connectée enrichit et incrémente aussi la base de données dans la blockchain d'une information sécurisée sur le poids des déchets produits.

La transmission de ces éléments fiables non corruptibles contribuera à réduire les risques de contentieux potentiels. La numérisation des échanges grâce au token et la rédaction des smart contract ont constitué une décision déterminante pour réussir la rationalisation des opérations. La gare constate rapidement plusieurs avantages en fonctionnant avec ce nouveau dispositif.

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Les employés d'entretien se sont vus intégrés dans le système par l'utilisation d'une API, simple d'accès, sur leur smartphone. Les managers ont même souligné un engagement constructif vis-à-vis du projet. Il n'y a pas eu besoin de prévoir une formation du personnel. Ethereum met à disposition une application web intuitive disponible sur un smartphone qui indique les tâches à accomplir et les résultats obtenus (annexe B).

Désormais connectés, les agents disposent de consignes intangibles et cohérentes qui donnent un cadre et une visibilité d'action qu'ils n'ont plus à justifier. Les déplacements des agents sont de fait optimisés. Ils ont réduit de 3 km leurs déplacements hebdomadaires. Ils reçoivent sur leurs smartphones les consignes prévues dans le smart contract : l'heure à laquelle ils doivent sortir tel type de bacs. Lors de la manipulation du bac, le capteur beacons bluetooth envoie l'information du déplacement et de la nouvelle localisation à la blockchain. Le smart contract confirme, sans qu'il y ait besoin d'augmenter le contrôle ou de faire appel à un organe extérieur, la bonne exécution de la consigne. En cas de d'anomalie, l'agent est averti toujours par son smartphone qu'il est en train de sortir la mauvaise poubelle ou qu'il a oublié de la sortir. Ce dernier a la possibilité de justifier qu'il ne sort pas volontairement un bac si un événement exceptionnel se produit (grève des éboueurs, poubelle vide). Il n'y a plus besoin de contrôle humain, c'est la blockchain qui joue ce rôle.

De plus, la vérification de la bonne exécution est immédiate. L'utilisation du smart contract permet une plus grande réactivité qui engendre des gains de temps importants en optimisant l'exécution des opérations. L'ensemble des intervenants disposent des mêmes informations, renforçant nécessairement l'autocontrôle et rendant la chaîne de traitement plus dynamique. Le développement de la couche applicative n'a nécessité qu'une vingtaine de jours pour être paramétrée. La blockchain est complètement transparente pour les utilisateurs, elle n'est qu'un support technologique, dont ils n'ont finalement pas connaissance.

Sur le plan financier, l'amélioration la plus évidente est le volume des amendes en nette diminution, du fait de moins de dépôt de bacs en infraction sur la voie publique. Le deuxième point, celui des surfacturations, s'est également bien amélioré par l'ajustement des factures de ramassage calculées sur le poids réel des déchets et non plus sur une évaluation.

Enfin, un monitoring permet de lister toutes les opérations de la journée, ainsi AREP et ses prestataires peuvent lire à distance toutes les transactions de la journée : la quantité, la nature et les mouvements des déchets produits. C'est un élément de contrôle très appréciable, comparé à « l'état déclaratif » transmis annuellement de manière unilatérale par le prestataire de ramassage. Son incidence sera notable pour l'établissement de la facture dont le montant

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sera établi en référence à des éléments chiffrés fiables, non contestables. Cette transaction, via un smart contract de la blockchain, recrée de la confiance entre les partenaires.

A ces économies déjà constatées, s'oppose le reproche majeur fait d'emblée à la technologie blockchain, à savoir sa consommation énergétique onéreuse. Cet enjeu est d'importance et constitue un des sujets de réflexion de notre travail. Notre étude de cas montre que l'expérience de la gare de Massy TGV, à ce stade de son développement, n'apporte pas d'éléments de réponse déterminants à cette interrogation : le nombre trop faible de transactions quotidiennes n'entraînant pas une consommation d'énergie quantifiable, rend non signifiant l'appréciation de cet élément.

Mais on relève dès à présent que l'utilisation de la blockchain dans le domaine d'activité du tri des déchets réduit les dépenses d'énergies liées à son fonctionnement. En effet, les progrès réalisés en matière de recyclage et de valorisation des déchets rééquilibrent le bilan énergétique. La transposition à grande échelle de cette utilisation amplifiera assurément les gains déjà réalisés.

Dans ce cadre de la réorganisation du fonctionnement d'une entreprise s'appuyant sur une technologie innovante, notre seconde interrogation s'est portée sur les conséquences subies par les vecteurs traditionnels que sont les tiers de confiance.

Dans le périmètre restreint étudié, l'intervention de ces experts n'était pas naturelle. La réflexion menée par AREP a été menée à bien en développant et en articulant plusieurs procédés offerts par l'utilisation des smart contracts de la technologie blockchain. Les qualités de sécurité et de fiabilité d'exécution ont été construites et mises en oeuvre sans le recours d'un tiers de confiance. De même, les fonctions de transparence et d'accessibilité ont su restaurer la confiance entre les parties et réduire les coûts de contentieux.

Certes, notre étude n'a pas montré de suppression de ces intermédiaires, mais à chaque étape de la réorganisation, elle a mis néanmoins en évidence la réussite du projet sans que leur intervention ne soit requise. La conclusion bénéfique pour les entreprises est la réduction des coûts de transactions.

Un intérêt supplémentaire de cette forme de réorganisation est que le déploiement de cette technologie est envisageable à l'échelle d'une gare plus grande, avec des intervenants plus nombreux générant des transactions plus denses, sans remettre en cause le bon fonctionnement des smart contracts. Ce nouveau savoir-faire apportera également une nouvelle offre de service aux concédés qui passaient individuellement un contrat avec un

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prestataire ; la gare sera désormais à même de reprendre la gestion de l'intégralité des contrats de déchets sur son site. L'adaptabilité des smart contracts servira à l'ajout de maillons supplémentaires dans le réseau. Ainsi l'industrie du déchet pour répondre à un développement croissant des attentes pourra s'appuyer sur cette faculté pour intégrer aisément des filières d'un type nouveau, comme celle des bio déchets dès 2025 ou celle de la réorganisation totale de celle des plastiques tous rendus recyclables en 2030, tel que le prévoit la Commission européenne.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille