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Le statut et les droits de la femme dans la pensée de John Stuart Mill

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par Camille Lepoutre
Université Paris 2 Pantheon Assas - Master 2 Recherche Philosophie du droit et droit politique 2017
  

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Chapitre 2 : L'accès aux professions

Cette question est, chez John Stuart Mill, assez délicate à aborder. S'il défend effectivement l'accès des femmes à toutes les professions, il s'attarde en réalité beaucoup plus sur la question des fonctions « prestigieuses » selon lui (Section 1) que sur d'autres questions pourtant fondamentales en son temps (Section 2).

Section 1 : L'accès égal aux emplois prestigieux

Il convient avant tout de rappeler qu'au XIXe siècle, les femmes sont, en principe, admises à exercer un métier mais, de facto, exclues d'un certain nombre de domaines professionnels, par la loi, la coutume ou les moeurs de l'époque. Ainsi, en Angleterre, 40% des femmes employées le sont dans le secteur domestique et 20% dans l'industrie textile. Les emplois les plus prestigieux sont « réservés au sexe fort »87. Ainsi, le chapitre III de De l'assujettissement a bien pour objet d'étude l'accès aux « hautes fonctions sociales » et non au travail dans son ensemble.

John Stuart Mill explique que cette exclusion légale est due à l'intérêt qu'y trouve l'autre moitié de la société : les hommes. Il compare ainsi cette injustice à la raison d'État, doctrine propre au système monarchique français, qui « prétend opprimer les gens pour leur bien »88. L'auteur donne également des exemples de métiers ou de fonctions tels que médecin, avocat ou encore membre du Parlement.

Mill évoque d'ailleurs le cas d'Elisabeth Garrett-Anderson, une des premières femmes médecin d'Angleterre, dans son Discours à la Chambre des communes89 du 20 mai 1967. Cette femme avait essuyé de nombreux refus avant de parvenir à entrer à l'Académie de pharmacie qui n'avait pas explicitement interdit aux femmes de passer l'examen. Mill fait allusion, dans son discours, à la conduite de l'académie qui, après cette déconvenue, s'était empressée de modifier son

87 Stuart Mill (J.), op.cit. p.96

88 Ibid

89 Stuart Mill (J.), Discours à la Chambre des communes, 20 mai 1867. Discours dans lequel il défend l'octroi du suffrage pour les femmes, dans les mêmes conditions que pour les hommes

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règlement afin d'éviter que la chose se reproduise.

Un autre exemple cité par le philosophe est celui de membre du Parlement, exemple qu'il développe longuement dans ce chapitre. Mill remarque que les fonctions desquelles les femmes sont exclues sont « celles-là mêmes pour lesquelles elles sont particulièrement qualifiées »90. Parmi elles se trouvent les fonctions politiques. Mill considère que les femmes ont une « compétence naturelle [...] à gouverner »91 en Angleterre comme ailleurs. Il évoque notamment l'observation qu'il a pu effectuer dans les Indes orientales où il a travaillé pendant plus de trente ans, à la compagnie britannique. John Stuart Mill s'appuie sur un exemple tout naturel pour le philosophe anglais qu'il est : celui de l'exercice de la royauté par les femmes. Dans plusieurs écrits, il cite les reines Elisabeth Ire et Victoria (dont Mill est un contemporain) mais aussi des exemples français. Dès lors que les femmes se sont montrées aptes à l'exercice de la royauté, comment justifier leur exclusion d'une fonction politique de moindre importance ?

John Stuart Mill démontre, à la faveur de cet exemple, l'importance de la condition qu'il avait précédemment posée : l'éducation. Il est évident, pour lui, que les reines ou régentes ont été en mesure de gouverner précisément car elles avaient reçu une éducation intellectuelle de haut niveau et qu'il leur avait été permis de développer une curiosité, un intérêt pour les affaires politiques. C'est précisément chez ces femmes dotées de « la même liberté d'épanouissement qu'aux hommes »92 que l'on ne trouvait trace d'une infériorité quelconque.

A l'argument des individus opposés à l'accès des femmes aux fonctions prestigieuses, selon lequel les femmes seraient « versatiles, instables »93 ; Mill oppose tout d'abord l'idée que cette caractéristique ne serait pas naturelle mais due au fait que nombre de femmes sont « élevées comme des plantes de serre »94, sans activité intellectuelle ni liberté de mouvement. Il vient ensuite redéfinir cette nervosité et affirmer qu'elle est en principe soutenue et se nomme alors ardeur. Il transforme ainsi ce qui devait être un défaut, un argument critique en qualité justifiant que l'on laisse aux femmes la possibilité de concourir aux plus hautes fonctions sociales, notamment politiques. Nous avons cité l'exemple de membre du Parlement. Mill évoque aussi le cas du suffrage, abordé ici comme fonction politique et que nous aborderons sous l'angle de son militantisme.

90 Stuart Mill (J.), op.cit. p.102

91 Stuart Mill (J.), op.cit. p.103, note 1

92 Stuart Mill (J.), op.cit. p.106

93 Stuart Mill (J.), op.cit. p.111

94 Stuart Mill (J.), op.cit. p.112

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John Stuart Mill accorde une grande place aux métiers et fonctions « de haut rang » qui pourraient permettre aux femmes d'obtenir une certaine reconnaissance sociale propre. Toutefois, l'exemple des arts indique que, parfois, ces femmes ne veulent pas d'une reconnaissance ou d'une célébrité qui à l'époque « est considéré comme inconvenant et peu féminin »95. Il en ressort que l'égalité entre les hommes et les femmes est, au XIXe siècle, un enjeu légal mais aussi une question de moeurs.

Ces moeurs dont la société est imprégnée et que Mill évoque si souvent ont une importance fondamentale. Mais ne peuvent-elles pas également influencer le philosophe ?

Section 2 : Un droit fondamental au travail et sa régulation, absents de la réflexion millienne ?

Comme nous l'avons précédemment exposé, l'argumentaire de Mill se concentre sur les hautes fonctions et sur les métiers prestigieux. Il s'attarde principalement sur les domaines politique, artistique et littéraire. C'est un choix compréhensible dans la mesure où c'est dans ces domaines que les femmes sont encore exclues ou peu représentées. Toutefois, l'on remarque rapidement qu'à aucun moment la question des professions « plus humbles »96 , qui constituent pourtant le secteur principal d'emploi des femmes, n'est développée. Dans De l'assujettissement, Mill n'évoque ni la législation sur les salaires, les horaires, les conditions de travail souvent déplorables de l'époque. Il se concentre principalement sur les revendications et ambitions des femmes des classes supérieures.

Notons que cet oubli semble involontaire et que John Stuart Mill évoque au moins la question de l'égalité des salaires dans les Principes d'économie politique. Il convient en premier lieu de rappeler que, dans l'Angleterre du XIXe siècle, les femmes étaient considérées comme une main d'oeuvre bon marché et étaient en moyenne, à travail égal, payées le tiers du salaire d'un homme. Pour Mill, il est évident que « le seul motif de cette inégalité [...] est la coutume »97. De plus, l'interdiction de nombreux métiers aux femmes entraînerait, selon lui, un encombrement de ceux dont l'accès leur est accordé. Il semble donc déjà se prononcer en faveur de l'égalité salariale, fait extrêmement rare parmi les auteurs, notamment économistes, à cette époque.

Une autre question essentielle à laquelle Mill ne répond pas de façon univoque est celle de la liberté de travailler. S'il semble, en théorie, y être favorable, certains de ses écrits pourraient laisser

95 Stuart Mill (J.), op.cit. p.135

96 Orazi (F.), op.cit. p.121

97 Orazi (F.), op.cit. p. 116

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penser l'inverse. Ainsi, dans Du mariage notamment, il avance l'idée que le travail de la femme ne serait nécessaire et donc souhaitable que si l'époux ne parvenait à assurer la subsistance de la famille. Une femme ne devrait donc pas « gagner sa vie, juste parce qu'elle en serait capable ; en temps ordinaire ce ne sera pas le cas »98. En l'absence de nécessité, « la fonction éminente de la femme devrait être d'embellir la vie »99. Bien que cette correspondance soit datée du début des années 1830, il est surprenant de trouver de telles idées chez un auteur tel que Mill, féministe et avant-gardiste à bien des égards.

L'interprétation des écrits de John Stuart Mill concernant la question de l'indépendance et de l'accès des femmes au travail est également incertaine. Il insiste sur la nécessité de se défaire du système de dépendance à l'homme. Il considère donc que le travail n'est essentiel à la dignité de la femme que « si elle n'a pas de biens propres »100. Une femme d'un rang social relativement élevé et disposant d'un héritage, par exemple, ne verrait donc pas sa dignité remise en cause par son absence d'activité professionnelle. Le fait de disposer de biens propres lui permettrait d'être indépendante. Or, d'une part, seule la femme célibataire ou veuve dispose de biens propres. La femme mariée ne serait donc véritablement indépendante que si la loi lui accorde une personnalité juridique propre avec toutes les conséquences que cela implique (parmi lesquelles le fait de disposer en propre de ses biens et salaires). D'autre part, nous aurons l'occasion d'aborder ce que Mill considère comme un élément essentiel au bonheur : la liberté. Une femme, dépendante ou non, demeurant un être humain ; comment justifier que la possibilité, et non l'obligation, pour elle de travailler ne soit pas constitutive de sa dignité et de sa liberté et, en cela, essentielle à son épanouissement ?

Mill considère encore que « quand une femme se marie, on peut normalement supposer qu'elle choisit de se consacrer en priorité à la direction de sa maison et à l'éducation de ses enfants »101. La femme n'aurait donc qu'une liberté de choix binaire, entre une vie d'épouse et de mère ou une vie de célibataire ayant un accès au travail et à la vie publique ? Il est difficile de se prononcer sur ce point tant certains de ses écrits semblent défendre l'opinion inverse.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon