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La crise de la première période intermédiaire en Egypte pharaonique


par Mamadou Lamine Sané
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maîtrise 2007
  

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Chapitre I : Le contexte

A- L'avènement de la Ve dynastie et ses conséquences

Le commencement de la déchirure politique et sociale qui secoua l'Egypte durant la P.P.I., avait été en même temps, le terminus d'une époque considérée comme étant l'une des plus achevées de sa civilisation.178 En effet, après avoir connu les règnes des IIIe, IVe, Ve et VIe dynasties, l'A.E. devait s'effondrer à la fin de cette dernière. La question que l'on se pose est celle de savoir par quel processus une civilisation aussi brillante est arrivée à s'affaisser. La réponse à cette question nous amène à analyser l'évolution politico- religieuse du système monarchique de l'Egypte sous l'A.E. Il semble en effet, qu'au cours de cette évolution, le système monarchique avait connu deux phases. Durant la première, l'institution monarchique avait tendu vers l'absolutisme royal. La second fut marquée par l'influence du régime « féodalisant » et oligarchique179. C'est cette dernière phase qui devait aboutir aux bouleversements sociopolitiques qui ont mis un terme à la période memphite180.

L'avènement de la Ve dynastie a, semble-t-il, constitué une étape majeure dans le processus qui a conduit à cette fin d'époque.181

Il s'agit pour nous, d'étudier le contexte de l'avènement de cette dynastie et son impact dans la crise.

Pour cette étude, nous disposons d'un certain nombre de sources. Il s'agit principalement du Papyrus Westcar, un document qui contient une série de contes dont l'un évoque la venue des trois premiers pharaons de la Ve dynastie.182 Ensuite, nous avons la Pierre de Palerme, un document sur lequel sont gravées les Annales des souverains des cinq premières dynasties. Dans ces Annales, sont consignées les actions importantes des pharaons par année de règne.183 Il y a aussi les inscriptions biographiques des fonctionnaires de l'A.E. dont nous retrouvons la traduction à travers les ouvrages de J.H. Breasted (Ancient records of Egypt) et d'A. Roccati (La littérature historique sous l'Ancien empire égyptien).

178 Vercoutter J., op.cit., L'Egypte ancienne, 2003, p.55

179 Moret A., op.cit., 1946, p.202-203

180 La « période memphite » renvoie à la période où la capitale du royaume pharaonique se trouvait à Memphis. Il s'agit de l'A.E. On l'appel aussi « Egypte memphite ».

181 Sall B., op.cit., 1982, p.10-11

182 Lefebvre G., op.cit, 1982, p.80 à 90 ; Lalouette Cl., op.cit., 1984, p.27 à 30

183 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 76 à 167 ; Roccati A., op.cit., 1982, p.36 à 52.

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L'avènement de la Ve dynastie et les changements politico-idéologiques qui l'ont accompagné, ont entraîné des bouleversements dans l'évolution du système monarchique. Jusque là, l'Etat pharaonique était caractérisé par un centralisme politique et religieux qui trouve sa base dans la phase de consolidation de l'unité monarchique à l'époque thinite.184 Dans le processus qui avait conduit à cette centralisation, l'Etat memphite s'était, semble-t-il, heurté à des forces centrifuges constituées par les administrateurs provinciaux, chefs de file des aristocraties terrienne, politique et cléricale185. Ce fut dans le cadre de la lutte contre cette tendance autonomiste que, dés le début de l'A.E., le système monarchique est apparu très centralisé. Cette centralisation de la monarchie pharaonique s'est manifestée à plusieurs niveaux.

D'abord sur le plan religieux, elle s'est exprimée par l'incorporation du culte de Rê au culte royale186. En effet, dans l'immense pyramide à degré qu'il se fit élever comme sépulture, Djeser (premier pharaon de la IIIe dynastie et de l'A.E.) prit comme titre « Roi de Haute et de Basse Egypte, maître des Deux-Couronnes, Djeser » suivi du signe du Soleil Rê surmontant Seth187. La superposition de ces deux signes, en dehors du fait qu'elle traduit la domination de Rê sur Seth, laisse apparaître la réunion des cultes autour du dieu solaire188. Cependant, pour ne pas se laisser dominer par la théologie solaire, pharaon allait en faire la justification de l'absolutisme au quel il tendait189. Ainsi, Djeser allait prendre comme nom d'Horus, Neteryerkhet c'est-à-dire « plus divin que le corps [des dieux] » dans le but, semble-t-il, d'acquérir un caractère aussi divin que Rê.190 Ceci devait lui permettre de se départir de toute tutelle divine qui pouvait se traduire sur le plan politique par une tutelle cléricale.

Au plan politique, la centralisation du pouvoir s'est manifestée dans l'administration dès le début de l'A.E. Dans la biographie de Metjen, un fonctionnaire de la IIIe dynastie, on constate qu'il fut « Gouverneur de la demeure du pharaon Houni (constituée de plusieurs villages) (en tant que) [nomarque] (âdj-mer) du nome du Harpon [...] Gouverneur de la grande demeure de Sékhemou (entant que) [nomarque] de nome du Taureau sauvage ».191

184 Séne Kh., op.cit., 2002-2003,

185 Sall B., op.cit., 1984, p.23

186 Pirenne J., op.cit, 1961, p.133. L'influence de la doctrine solaire sur le pouvoir monarchique s'était faite sentir dés l'époque thinite. Des noms royaux composés avec Rê tels que Neb-Rê « Rê est maître », Ka-Rê « le génie de Rê » ou Nefer-Ka-Rê « beau est le génie de Rê », sont portés par les 2e, 6e et 7e pharaons de la IIe dynastie (Cf., Moret A., op.cit., 1941, p.193)

187 Pirenne J., op.cit., 1961, p.133-134

188 Séne Kh., op.cit., 2002-2003, p.27

189 Pirenne J., op.cit., 1961, p.134

190 Séne Kh., op.cit., 2002-2003, p.28

191 Roccati A., op.cit., 1982, p.85

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Aussi, c'est en tant que « Gouverneur de la demeure du pharaon Houni (dans) le nome de la Cuisse [qu]'un terrain de 12 aroures lui est donné avec son fils, et (en plus) du personnel et du bétail ».192 Il apparaît ainsi que ce fut en sa qualité de fonctionnaire que Metjen occupa des charges de gouverneur de nome et reçut des rétributions de la part de pharaon. Ce dernier, ayant réussi à devenir l'unique détenteur de tous les pouvoirs exécutifs, législatifs et juridiques, allait nommer des fonctionnaires pour l'exécution de ses ordres. En retour, ils étaient rémunérés.193 Dés lors, le fonctionnarisme devait s'instituer à la place de la « noblesse seigneuriale ». Des mesures telles que la hiérarchie des charges administratives ou bien la mutation des agents furent instituées pour éviter toute reconstitution de pouvoir personnel.194

Le centralisme monarchique de l'Etat égyptien s'était ainsi institué sur la base de la neutralisation de la tendance autonomiste. Et la lutte entre ces deux forces opposées devait être le moteur de l'évolution politique en Egypte durant l'A.E.

Avec l'avènement de la IVe dynastie, cette lutte devait franchir une nouvelle étape. En effet, d'après Hérodote, Chéops (considéré comme le second pharaon de cette dynastie) « ferma tous les temples et empêcha aux Egyptiens d'offrir des sacrifices ».195 Ces mesures prises par Chéops s'inscrivaient, semble-t-il, dans le cadre de l'absolutisme royal. D'abord il s'agissait pour pharaon, d'incarner Rê lui-même en vue d'imposer son autorité sur la terre.196 Sur un autre plan, les temples égyptiens, en dehors de leur caractère de sanctuaire, constituaient en même temps des centres politiques et une source de revenus pour des familles « aristocratiques » qui en tiraient leur richesse.197 De ce fait, la mesure de la fermeture des temples visait aussi, la noblesse dans ce qui constituait la base de sa puissance. Ainsi, le pharaon, devenu le « Grand Dieu », était l'objet de tous les cultes.198 Le culte royal allait se confondre avec le culte de Rê et tous les principaux cultes étaient désormais présidés par des fils royaux ou par de grands dignitaires.199

Sur le plan administratif, les plus hautes charges de l'Etat, désormais coiffées par le vizir, pouvaient être confiées à des princes membres de la famille royale.200 La classe des fonctionnaires devait tenir toute sa puissance du souverain uniquement, dans la vie comme

192 Id., Ibid, p.86

193 Pirenne J., op.cit., 1961, p.136

194 Id., Ibid, p.136-137

195 Hérodote, II, 24.

196 Séne Kh., op.cit, 2002-2003, p40

197 Muck O., Chéops et la grande pyramide, l'apogée de l'Ancien empire d'Egypte, traduit de l'Allemand par Remy G, Paris Payot, 1978, p.90

198 Pirenne J., op.cit, 1961, p.154

199 Ibidem

200 Wolf W., op.cit., 1955, p.34

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dans la mort. 201 C'est le pharaon qui dote, protège et nourrit son serviteur ici-bas comme dans l'au delà. Ce dernier devenait un imakhou de son souverain de qui il recevait une concession pour le culte funéraire. Par exemple, Khoufouânkh, un fonctionnaire de la IVe dynastie dit que « Sa majesté lui a fait faire le présent (monument) conformément à sa condition d'imakhou auprès de Sa Majesté... ».202 Un autre dignitaire, contemporain de Khephren rapporte dans une inscription que pharaon lui avait donné des offrandes funéraires champs et villages en sa condition d'imakhou.203 Les dignitaires étaient en outre tenus de se faire ensevelir aux cotés de pharaon. L'une des manifestations de cet état de fait est visible dans la nécropole de Gizeh où les tombes plates de hauts dignitaires sont surplombées par la gigantesque pyramide royale.204 Il apparaît ainsi que les deux premières dynasties de l'A.E. furent caractérisées par une forte centralisation des pouvoirs politiques et religieux autour de pharaon.

Cependant, ce système centralisé allait, semble-t-il, se confronter à une crise politico-idéologique à la fin de la IVe dynastie. En effet, Chepseskaf, considéré comme le dernier pharaon de cette dynastie, ne prit pas, comme ses prédécesseurs, un nom de Rê. Pour sa tombe, il préféra un mastaba à la pyramide qui se rattachait directement au culte solaire.205 En outre, on a noté l'absence des mastabas appartenant à des dignitaires autour de la tombe de ce pharaon. Tout cela peut être interprété comme un abandon par Chepseskaf, de la politique absolutiste de ses prédécesseurs. Et c'est dans ce contexte que devait s'achever la IVe dynastie.

Ce rappel de la situation politique et idéologique qui avait marqué cette première moitié de A.E. nous permet d'entrevoir les changements qui devaient intervenir à l'avènement de la Ve dynastie.

En effet, comme l'a rapporté J. Vercoutter, il est impossible de parler de cette dynastie sans prendre en compte le conte du Papyrus Westcar qui annonce la venue de ses trois premiers souverains.206 Cet avènement est rapporté sous forme de légende qui remonterait à la IVe dynastie. D'après cette légende, c'est au pharaon Chéops que le magicien Djédi annonça la venue prochaine des trois premiers pharaons de ce qui allait constituer la Ve dynastie. Voici comment le conte est rapporté d'après la traduction de G.

201 Ibidem

202 Roccati A., op.cit., 1982, p.99-100

203 Breasted J.H., op.cit., 1988, paragraphes 207 et 209

204 Wolf W., op.cit., 1955, p.34

205 Pirenne J., op.cit, 1961, p.168. Ce fut, semble-t-il, dans le besoin de se légitimer par rapport à Chéops qu'ils identifièrent à Rê, que ses successeurs à savoir Djédefrê, Khéfren et Mykérinos, prirent tous le nom de Rê.

206 Vercoutter J., op.cit, 1992, p.288

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Lefebvre. Le souverain Chéops, à court de divertissement (comme ce fut le cas pour Snéfrou dans le conte prophétique), demanda à ses enfants de lui raconter chacun une histoire. L'un d'eux, Dedefhor, au lieu d'inventer une histoire préféra faire appel au magicien Djédi. Ce dernier, après avoir fait quelques prouesses devant le pharaon, finit par lui annoncer la venue prochaine de trois souverains qui allaient mettre fin à sa lignée. Ce fut en réponse à la question de Chéops à savoir s'il connaissait le nombre des chambres secrètes du sanctuaire de Thot que Djédi lui répondit : « S'il vous plait, je ne connais pas leur nombre, souverain V.S.F., mon maître, mais je connais l'endroit où cela est. » Sa Majesté dit : « Où est-ce donc ? » Et ce Djédi répondit : « Il y'a un coffret de silex là, dans une chambre appelée «(Chambre de) l'inventaire à Héliopolis». [Eh bien ! c'est] dans ce coffret. » [Sa Majesté dit : « Va, apporte-le moi »] Mais Djédi répondit : « Souverain V.S.F., mon maître non ce n'est pas moi qui te l'apporterai. » Sa Majesté dit : « Qui donc me l'apportera ? » Djédi répondit « C'est l'aîné des trois enfants qui son dans le sein de Reddjedet, qui te l'apportera. » Et Sa Majesté dit, « Certes, cela me fera plaisir ! (Mais à propos de) ce que tu allais me dire, qui est elle cette Reddjedet ? » Djédi répondit : « C'est la femme d'un prêtre de Rê, seigneur de Sakhébou ; et il a dit d'eux qu'ils exerceraient cette fonction bienfaisante dans ce pays entier et que l'aîné d'entre eux serait Grand voyant à Héliopolis. » 207 Derrière ce conte légendaire, il y a un fond historique dont l'analyse permet de voir la rupture politico-idéologique consécutive à l'avènement de la Ve dynastie ainsi que ses conséquences sur l'évolution de l'Egypte.

D'abord la première remarque à faire est le fait que la légende qui annonce la venue de la Ve dynastie remonte au pharaon Chéops. Nous avons vu avec Hérodote que ce pharaon avait des rapports difficiles avec le clergé. Dans le cadre de l'absolutisme royal, Chéops était parti jusqu'à fermer les temples et interdire les sacrifices aux Egyptiens. Et, c'est à ce pharaon, d'après le conte, que le magicien Djédi vint annoncer la fin de la lignée des souverains de la IVe dynastie au profit d'une nouvelle famille issue du clergé. Si nous faisons le rapprochement entre le choix de Chéops dans le conte et ses rapports difficiles avec le clergé, on peut voir derrière ce conte, les luttes entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux à l'A.E.

Ensuite, en faisant venir les pharaons de la Ve dynastie d'Héliopolis, et en précisant qu'ils n'étaient pas de la lignée de Chéops, le conte introduit une rupture entre la IVe et la Ve

207 Lefebvre G., op.cit., 1982., p. 80. Les trois enfants, futurs pharaons, sont respectivement Ouserkaf, Sahourê, et Nefekarê-Kakai. C'est aussi dans cet ordre de frère à frère qu'ils se sont succédés sur le trône d'Egypte.

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dynastie. Sur cette question, certains auteurs pensent qu'il n'y avait pas de rupture puisque la Reddjedet du conte serait une princesse royale.208 Quant à Manéthon, il fait venir la Ve dynastie d'Eléphantine.209 Si l'affirmation de Manéthon ne reflète pas les faits, vu les liens de cette dynastie avec Héliopolis, elle montre tout de même qu'il y avait rupture avec la IVe dynastie. Dans ce cas, l'avènement de la Ve dynastie, avait non seulement provoqué un changement au niveau des familles dynastiques mais il allait introduire une rupture dans la tradition monarchique qui consistait à faire venir les pharaons d'Egypte du Sud.210 Cet avènement de la Ve dynastie avait par conséquent mis fin à un privilège que détenait la Haute Egypte. Ce fut une situation qui n'avait certainement pas manqué d'influer négativement sur les rapports entre la royauté et ses provinces, celles du Sud en particulier. Nous verrons les difficultés que devaient rencontrer les pharaons pour asseoir l'autorité de l'Etat dans cette région.

Cependant, le changement le plus marquant, consécutif à l'avènement de la Ve dynastie, se trouve dans l'orientation politico-idéologique qui a été adoptée. En effet, d'après le conte, les trois premiers pharaons de cette dynastie sont issus de l'union de Rê avec une femme en l'occurrence Reddjedet. C'est dire que ces souverains avaient une origine divine. Si cette origine divine que se sont donnée les pharaons de la Ve dynastie leur a servi de moyen pour se légitimer, elle devait toutefois avoir d'énormes conséquences sur l'évolution politique de l'Egypte.

D'abord en proclamant que les pharaons avaient une origine divine, la nouvelle doctrine mettait en même temps la royauté sous une tutelle divine. Dés lors, l'idée de S. Sauneron selon laquelle, en Egypte, le sort des clergés et la richesse des dieux étaient liés aux circonstances politiques devient crédible.211 En effet, cette tutelle divine devait se traduire par une étroite dépendance des pharaons à l'égard de Rê. L'une des manifestations de cette dépendance est visible dans le protocole royal.

Les pharaons, à partir de Néferkarê, allaient régulièrement introduire le titre de « fils de Rê » dans le protocole.212 Rê devint ainsi un dieu dynastique. Mais son ascension au sommet du panthéon égyptien devait entraîner la solarisation des autres divinités qui allaient

208 Drioton E Vandier J., op.cit, 1984, p.174

209 Manéthon, cité par Moret A., op.cit, 1926, p.180. Nous concevons mal que les pharaons de la Ve dynastie soient originaires d'Eléphantine et qu'ils abandonnent la divinité de cette localité (Khnoum) au profit de celle d'une autre localité quelle que soit sa puissance. Nous verrons comment les pharaons du M.E., originaires du Sud, devaient se concilier la puissance de Rê sans pour autant reléguer leur divinité au second plan.

210 Sall B., op.cit., 1984, p.22

211 Sauneron S., Les prêtres de l'Ancienne Egypte, Paris, Edition du Seuil, 1957, p.171

212 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.175

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devenir tout simplement ses hypostases.213 Dans un pays ou chaque capitale de province ou nome avait ses divinités qui donnaient au patriotisme local de fortes assises214, un tel système idéologique n'était pas de nature à affermir les liens entre la royauté et les provinces.

L'autre inconvénient de la nouvelle doctrine se trouve dans la modification de l'image même de pharaon. Jusque là, la divinité de pharaon n'était affirmée qu'en fonction de sa descendance d'Horus, le dieu dynastique considéré en dehors de toute synthèse doctrinale. Il était le grand dieu incarnant la force divine du faucon Horus.215 Mais en avouant sa dépendance à l'égard d'un dieu, pharaon s'était, en quelque sorte, rapproché de l'humanité et avait perdu, au yeux de ses sujets, cette éminente dignité qui faisait de lui l'égal des divinités.216 Dès lors, la conception impersonnelle de la royauté devait s'affaiblir pour céder la place, au centre de la vie politique, à celle d'une personne qui remplit une fonction217. La conséquence de cette situation était que l'essentiel des actions des pharaons devaient désormais s'orienter vers la religion. Déjà, le ton avait été donné par le dieu Rê lui-même dans le conte qui annonce la venue de la Ve dynastie. S'adressant aux divinités qui devaient assister Reddjedet dans l'accouchement, il leur disait : « Allez donc et délivrez Reddjedet des trois enfants qui sont dans son sein et qui exerceront cette fonction bienfaisante dans ce pays entier. Ils construiront vos temples, ils approvisionneront vos autels, ils feront prospérer vos tables à libation, ils accroîtront vos offrandes. »218 Ces paroles de Rê à l'endroit des divinités traduisent l'importance que devaient occuper les cadres religieux dans la politique des nouveaux souverains. En effet, il incombait désormais à chaque pharaon, le devoir non seulement d'ériger son tombeau personnel, mais d'assurer la fondation d'un domaine sacré pour le dieu Rê. Aussi les Annales du royaume évoquent constamment la construction de temples et de dotations pieuses à partir de la Ve dynastie.219 C'est ce qu'atteste la Pierre de Palerme. Selon ce document, le pharaon Sahourê, en l'an 5 de son règne « a fait entant que monument de lui pour ...Nekheb du sanctuaire Méridional : 800 offrandes du dieu par jour. Outo du sanctuaire Septentrional : 4800 offrandes du dieu par jour. Rê dans le domaine des stèles : 138 offrandes du dieu par jour. Rê dans le sanctuaire de Haute Egypte : 40 offrandes du dieu par jour...Rê de Sekhetrê : un terrain de 1 aroure, 2 kha, 4 ta dans le nome d'Athribis. Le Harponneur Horus, un terrain de 2 aroures

213 Sall B., op.cit., 1982, p.11

214 Daumas F., Les Dieux de l'Egypte, « Que- sais- je », Paris, P.U.F., 1965, p.29

215 Woldering I., op.cit., 1963, p.27

216 Drioton E Vandier J., op.cit., 1984, p.173

217 Wolf W., op.cit., 1955, p.48

218 Lefebvre G., op.cit., 1982, p.240

219 Wolf W., op.cit., 1955, p.44

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dans le nome de Bousiris. Le dieu Sem : un terrain de 2 aroures dans le nome de Bousiris [...] »220 Ces actions en faveur du culte de Rê ont concerné tous les trois pharaons de la Ve dynastie dont les Annales figurent dans la Pierre de Palerme. Il apparaît ainsi que ces pharaons octroyaient des bénéfices en terres et offrandes journalières aux temples solaires, non seulement aux sanctuaires mais aux temples locaux servant à la célébration du culte de Rê.221 Cette situation allait avoir comme effets sur le plan politique, la montée en puissance du clergé qui devait réussir à transformer la monarchie en une théocratie. En effet, l'importance du culte était telle que les charges sacerdotales devaient être confiées aux courtisans et aux grands fonctionnaires222. Ces derniers allaient dès lors cumuler les charges sacerdotales aux charges administratives. Et, dans les nomes, ces charges sacerdotales et administratives devaient se traduire par la célébration du culte de Rê et l'exercice de la fonction de nomarque223. Ce cumul des charges sacerdotales qui étaient accompagnées des bénéfices comme l'atteste la Pierre de Palerme et des charges administratives, allait favoriser l'émergence d'une nouvelle noblesse. Le danger pour la royauté était qu'au moment où elle s'affaiblissait économiquement par des fondations pieuses, la puissance de l'oligarchie augmentait. Or, toute puissance de cette dernière, en particulier dans les nomes, était nuisible au pouvoir central. Nous avons vu que les pharaons des deux premières dynasties memphites avaient fortement combattu cette situation en empêchant toute possibilité de reconstitution de pouvoir personnel.

Ainsi, en permettant cette reconstitution de la puissance de l'aristocratie, dans un contexte où la nature de la royauté commençait à tendre vers l'humanisation et les sensibilités religieuses locales heurtées, la Ve dynastie avait ouvert la voie vers l'affaiblissement de la monarchie.

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