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L'entreprise face au phénomène de corruption privée de son service achat

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par Alexis CREN
Université Aix Marseille  - Master 2 Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée 2015
  

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Faculté de Droit & de Sciences Politiques et Faculté d'Economie et de Gestion
Centre d'Etudes des Techniques Financières et d'Ingénierie -- CETFI
Equipe de Recherche en Matière Pénale Fernand Boulan
Groupe Européen de Recherche sur la Délinquance Financière et la Criminalité Organisée

Mémoire présenté pour l'obtention du Master professionnel,

Droit Privé & Sciences Criminelles (Faculté de Droit)

Comptabilité, Finance, Fiscalité et Patrimoine (Faculté d'Economie et de Gestion)

Spécialité:

« Lutte contre la criminalité financière et organisée»

L'entreprise face au phénomène de

corruption privée de son service

achat

Présenté et soutenu par:

Alexis CREN

Octobre 2015

Sous la direction de : Marc SEGONDS et Adrien ROUX

2

Faculté de Droit & de Sciences Politiques et Faculté d'Economie et de Gestion
Centre d'Etudes des Techniques Financières et d'Ingénierie -- CETFI
Equipe de Recherche en Matière Pénale Fernand Boulan
Groupe Européen de Recherche sur la Délinquance Financière et la Criminalité Organisée

Mémoire présenté pour l'obtention du Master professionnel,

Droit Privé & Sciences Criminelles (Faculté de Droit)

Comptabilité, Finance, Fiscalité et Patrimoine (Faculté d'Economie et de Gestion)

Spécialité:

« Lutte contre la criminalité financière et organisée»

L'entreprise face au phénomène de

corruption privée de son service achat

Présenté et soutenu par:

Alexis CREN

Octobre 2015

Sous la direction de : Marc SECOND et Adrien ROUX

4

AVANT PROPOS

Le Groupe Européen de Recherche sur la Délinquance Financière et la Criminalité Organisée (DELFICO) est une entité du Centre d'Etudes des Techniques Financières et d'Ingénierie (CETFI) de la Faculté d'Economie et de Gestion qui travaille en collaboration avec le Centre de recherche en matière pénale Fernand BOULAN de la Faculté de Droit (Aix--Marseille Université) et l'Institut de Police Scientifique de l'Ecole de Sciences Criminelles de l'Université de Lausanne.

Sa mission est de fournir les supports d'analyse et d'information destinés à lutter contre les organisations criminelles transnationales, le blanchiment, l'escroquerie financière, la corruption et, d'une manière plus générale, l'utilisation détournée de techniques de gestion, juridiques, économiques ou financières en vue de commettre un crime ou un délit. Il vise également à définir les outils permettant une analyse stratégique prospective dans ces domaines, afin d'identifier et d'élaborer de nouvelles méthodes adaptées à cette lutte.

5

« L'université n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cet article, ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur »

6

REMERCIEMENTS

Monsieur Gilles DUTEIL, directeur du Master 2 lutte contre la criminalité financière et organisée : pour sa confiance et pour m'avoir permis d'intégrer ce Master.

Monsieur Marc SEGONDS, agrégé des facultés et co--directeur du Master ainsi que Monsieur Adrien Roux pour leur dévouement, leurs conseils avisés, pour la transmission de leur rigueur juridique et pour avoir codirigé ce mémoire,

L'ensemble des intervenants et professeurs du Master 2 lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée : pour leur implication ainsi que pour la qualité du travail et de la formation.

Monsieur Jean--Paul Philippe, ancien directeur de la Brigade Centrale de lutte contre la corruption au sein de la Direction Centrale de la Police judicaire et actuel Consultant et formateur en investigations de fraudes, pour m'avoir conseillé et avoir éclairé mes recherches.

Enfin, Messieurs Pascal Faget et Sylvain Nogues, conseillers au Service central de prévention contre la corruption, pour avoir su répondre à mes questions.

Merci.

7

SOMMAIRE

INTRODUCTION 1

1ERE PARTIE - LE RISQUE ELEVE DE CORRUPTION PRIVEE

INHERENT AUX SERVICES ACHATS 8

CHAPITRE 1ER - LA CORRUPTION PRIVEE, UN PHENOMENE

OMNIPRESENT EN FRANCE 8

SECTION 1RE -L'INFRACTION DE CORRUPTION PRIVEE EN FRANCE EN 2015 8

SECTION 2NDE - LES ETUDES STATISTIQUES PRIVEES, SEULS OUTILS DE MESURE DU PHENOMENE DE

CORRUPTION ? 19

CHAPITRE 2 - RAISONS DE L'EXPOSITION PARTICULIERE DES

SERVICES ACHATS AU RISQUE DE CORRUPTION PRIVEE 32

SECTION 1RE - LE CARACTERE SENSIBLE A LA CORRUPTION PRIVEE DE CERTAINS COMPORTEMENTS

QUALIFIES DE PRATIQUES D'AFFAIRES 32
SECTION 2NDE - LES ACHATS, UN SERVICE PARTICULIEREMENT EXPOSEE AU RISQUE DE CORRUPTION

PRIVEE 51

2EME PARTIE: LA CORRUPTION PRIVEE DES SERVICES ACHATS, UN

PHENOMENE DIFFICILE A MAITRISER 63

CHAPITRE 1 - SCHEMAS COMPLEXES DE CORRUPTION PRIVEE ET

DIFFICULTES SOULEVEES 63

SECTION 1 - ETUDE DE SCHEMAS COMPLEXES DE CORRUPTION PRIVEE DE SERVICE ACHATS 63

SECTION 2 - DES DIFFICULTES A CONDAMNER PENALEMENT LES FAITS DE CORRUPTION PRIVEE. 77

CHAPITRE 2 -MOYENS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION PRIVEE

88

SECTION 1RE - LES MOYENS DE LUTTES CONTRE LA CORRUPTION PRIVEE A LA DISPOSITION DES

ENTREPRISES 88
SECTION 2ND - LES INITIATIVES NECESSAIRES DES POUVOIRS PUBLICS EN MATIERE DE LUTTE CONTRE

LA CORRUPTION PRIVEE 99

CONCLUSION 105

BIBLIOGRAPHIE 109

ANNEXES 114

8

« La corruption est en force, le talent est rare. Ainsi, la corruption est l'arme de la médiocrité qui abonde, et vous en sentirez partout la pointe. »

Honoré de Balzac Le père Goriot (1835)

INTRODUCTION

1. Quid de la corruption. La corruption peut revêtir différentes définitions. Pour le professeur André Vitu par exemple, la corruption (publique) désigne « les agissements par lesquels un tiers obtient ou essaie d'obtenir, moyennant des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, d'une personne exerçant une fonction officielle, qu'elle accomplisse ou retarde ou s'abstienne d'accomplir ou de retarder un acte de sa fonction ou un acte facilité par elle. La même expression sert aussi à désigner l'attitude du tiers qui cède aux sollicitations de la personne chargée d'une fonction officielle, et qui accepte de lui remettre ce qu'elle réclame pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir l'acte qui entre dans ses fonctions ou estfacilité par elle. Ce tiers personnage est, en ces divers cas, appelé corrupteur »1.

2. Une pluralité de définitions. A cet égard le rapport explicatif de la Convention pénale sur la corruption souligne le fait que bien que la corruption a connu une longue histoire et qu'elle est un phénomène de grande ampleur, il subsiste encore aujourd'hui des difficultés pour la communauté internationale à trouver une définition commune. Affirmant même que la corruption ne ferait probablement jamais l'objet d'un même degré d'acceptation d'un Etat à l'autre. « La communauté internationale n'a pas réussi à s'entendre au sujet d'une définition qui puisse recueillir l'assentiment général »2.

Pour Jean Cartier-Bresson, professeur agrégé de l'Universités de Versailles Saint-Quentin en Yvelines, la corruption est « un phénomène d'échange occulte et d'influence réciproque entre les sphères politique, administrative et économique »3. Pour la Commission européenne, la corruption s'entend de « tout abus de pouvoir ou irrégularité commis dans un processus de décision en l'échange d'une incitation ou d'un avantage indu »4.

1 André VITU (2008 - 2014). JurisClasseur Pénal des Affaires. Fascicule 10. Corruption d'agents publics nationaux et trafic d'influence, actif ou passif, commis par des particuliers. N°3.

2 Rapport explicatif de la Convention pénale sur la corruption. (2000). Conseil de l'Europe.

3 Jean CARTIER-BRESSON. (2008). Économie politique de la corruption et de la gouvernance. Paris. L'Harmattan. collection « Éthique économique ». p8

4 Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen. (2014). Rapport anti--corruption de l'UE. Bruxelles. p2.

2

Le Conseil de l'Europe a lui aussi sa propre définition. Elle serait « une rétribution illicite ou tout autre comportement à l'égard des personnes investies de responsabilité dans le secteur public ou le secteur privé qui contrevient aux devoirs qu'elles ont en vertu de leur statut d'agent d'Etat, d'employé du secteur privé, d'agent indépendant ou d'un autre rapport de cette nature et qui vise à procurer des avantages indus de quelque nature qu'ils soient, pour eux--mêmes ou pour un tiers »5.

3. La corruption, un échange occulte. Il existe des dizaines de définitions officielles et bien qu'elles soient toutes sensiblement différentes, celles-ci tendent toutes à définir un même fait, celui d'un échange entre au moins deux personnes. L'une est investie d'une fonction particulière et va être rétribuée par l'autre personne pour agir à ce titre et de manière abusive.

4. La corruption est partout. Au détour d'une conversation au sujet des difficultés de stationnement à Paris une connaissance m'expliquait non sans une pointe de fierté qu'elle avait « trouvé la parade » : Cette personne avait un accord avec le gardien d'un parking privée d'une enseigne de supermarché. En l'échange de quelques dizaines d'euros, le gardien avait accepté de lever la barrière du parking autant de fois que nécessaire. Cette personne n'avait pas conscience de la qualification de ce comportement, le caractère anodin de celui-ci ne l'avait probablement pas amené à se poser la question. Reste que, qu'importe le montant du préjudice causé ou même son absence, la corruption peut se manifester de diverses façons. Dans le cas décrit, il s'agissait de corruption de personne n'exerçant pas une fonction publique.

5. L'importance de la qualité du corrompu. La forme de corruption la plus reconnue est probablement la corruption publique, celle des élus, des personnes investies d'une fonction de service public ou investies de l'autorité publique. Il ne faut pas oublier la corruption judiciaire, celle des magistrats, dont le grand public entend souvent parler en matière de grand banditisme. On le pressent, lorsqu'il s'agit d'identifier à quelle forme de corruption on a affaire il est nécessaire d'identifier la qualité du corrompu. Cette qualité est déterminante du texte d'incrimination qui sera utilisé pour qualifier les faits de corruption. La forme à laquelle nous avons décidé de nous intéresser est la corruption privée.

5 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée, étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée. p5.

3

Celle dans laquelle l'agent corrompu n'est jamais un membre de la fonction publique, ou du moins celle d'un agent public qui n'est pas corrompu à ce titre (On pense dans ce cas à l'exemple d'un maire qui dirige par ailleurs une entreprise du secteur privé et dont l'acte attendu est celui de sa fonction de dirigeant et non de celle de maire).

6. L'histoire de l'infraction de corruption privée6. « À l'origine était l'impunité. Alors que l'incrimination de la corruption publique semble bel et bien appartenir à des temps immémoriaux, l'incrimination de la corruption privée n'apparaît en comparaison que fort tardivement et en des termes singulièrement étroits ». Il faut attendre la loi du 19 février 1919 pour que la corruption privée soit pour la première fois incriminée. Auparavant, seule la corruption publique l'était, aux articles 117 et 179 du Code pénal de 1810. Au départ, en 1919, et pour longtemps, la corruption privée ne visait que les employés des entreprises privées. Par la suite, en 1945, les dispositions réprimant la corruption privée ont été complétées afin d'étendre l'incrimination des actes facilités par la fonction de l'agent, « mettant un terme à l'impunité de la para--corruption privée ».

Avec l'entrée en vigueur de la loi n°92-1336 du 16 décembre 1992, la France a fait un bond en arrière important en dépénalisant la corruption privée, diminuant le maximum de la peine d'emprisonnement encouru de trois à deux ans et déplaçant le texte du Code pénal au Code du travail en son article L. 152-6.

Il faut attendre l'impulsion de l'Union européenne pour voir la législateur français avancer de nouveau en matière de lutte contre la corruption privée. La transposition de la décision cadre n°2003-258 du 22 juillet 2003 a conduit à la réintégration du texte d'incrimination de la corruption privée dans le Code pénal français. Cette décision cadre concrétise la volonté de l'Union européenne qui avait été formulée dans l'action commune relative à la corruption dans le secteur privée du 22 décembre 1998, celle « d'apporter une réponse internationale au favoritisme susceptible de fausser la concurrence, à la constitution de monopoles et aux atteintes à la liberté d'entreprendre »7.

C'est ainsi que, par l'entrée en vigueur de la loi n°2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice, un chapitre intitulé « de la corruption des personnes n'exerçant pas une fonction publique » a pu être créé. Les textes seront présentés ultérieurement.

6 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17 février. p3. N°2

7 Travaux parlementaires. (2015). Projet de loi relatif à la corruption. Disponible en ligne: http://www.senat.fr/rap/l07-051/l07-0512.html

4

Ainsi, parce-que les faits de corruption « portent atteinte à l'ordre public économique et à la confiance dans les acteurs du marché » et non plus seulement à une relation de travail de droit privé, les délits de corruption active et passive des personnes n'exerçant pas une fonction publique ont fini par trouver logiquement leur place au sein du Livre IV au titre des atteintes à la confiance publique (V. E. Blessig, Rapp. sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit communautaire dans le domaine de la justice: Doc. AN n° 2291, 2005, p. 27)8.

7. Diverses formes de corruption dans le secteur privé. Parmi les formes que revêt la corruption privée, la plus médiatisée, outre la corruption médicale, est peut-être la corruption sportive et ce, particulièrement en 2015. En effet, la presse a cette année relayé un certain nombre de scandales qui ont éclaboussé le monde du sport. Le plus important étant le celui de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), dont certains dirigeants auraient été achetés par des Etats désireux d'être choisis pour organiser la coupe du monde de football. Le football français a lui aussi été éclaboussé par la corruption. En effet, le club de football de Nîmes et ses dirigeants a été condamné le 18 mars 2015 par la commission de discipline de la Ligue Nationale de Football pour avoir arrangé des rencontres avec d'autres équipes9. Les agents sportifs eux aussi sont souvent soupçonnés de corruption. Ces derniers proposeraient parfois à un dirigeant de club l'achats d'un joueur en l'échange d'une rétro commission ou d'avantages en nature au profit du dirigeant10. (Rappelons ici que la corruption sportive fait l'objet d'un traitement particulier, en effet depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2012158 du 1er février 2012 visant à renforcer l'éthique du sport et les droits des sportifs, les articles 441-1-1 et suivants du Code pénal réprime spécialement la corruption active et passive d' « un acteur d'une manifestation sportive donnant lieu à des paris sportifs, afin que ce dernier modifie, par un acte ou une abstention, le déroulement normal et équitable de cette manifestation »)11.

8 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17 février. p3. N°4

9 Décision de la Commission de Discipline de la LFP du 17 mars 2015. Disponible en ligne: http://www.lfp.fr/corporate/article/les-decisions-du-17-mars-2015.htm

10 Manon MUNIER. (2014). Les dérives liées aux transferts sportifs. Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée. p43

11 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique 17 février. p11. N°22

8.

5

La corruption dans le domaine des affaires. C'est probablement dans ce domaine que les formes de corruption peuvent être les plus variées. Un certain nombre de comportements d'un salarié du secteur privé (par exemple) qui seraient contraires à l'intérêt de son entreprise ou au moins contraires à son règlement intérieur, dans l'hypothèse où ils seraient effectués en l'échange d'une rémunération par un tiers, peuvent être constitutifs de corruption privée. A l'instar de l'espionnage industriel qui est une pratique pouvant revêtir diverses qualifications, notamment celles de violation du secret professionnel, d'abus de confiance de vol et de corruption privée passive. « La révélation d'un savoir-faire est souvent incitée par la recherche pour l'auteur d'un enrichissement ou d'un avantage. Il essayera souvent de monnayer la révélation contre un avantage matériel, un salaire plus intéressant ou un embauchage »12.

9. Le code des achats, l'équivalent privé du Code des marchés publics. Lorsqu'une mairie n'est pas en mesure d'effectuer une tâche, elle délègue à une entreprise du secteur privé. Lorsqu'une entreprise privée est dans la même situation, elle délègue à une autre entreprise privée. C'est l'idée de sous-traitance. Lorsqu'on est face à une administration publique, c'est le code des marchés publics qui va trouver à s'appliquer. En revanche, lorsqu'il s'agit d'une entreprise de droit privé, c'est le code des achats qui va déterminer quelle procédure de dévolution du marché il faudra suivre. La corruption dans les marchés publics est un fait de société mondial, en France comme à l'étranger. Pour preuve, le législateur a même décidé de les protéger les marchés publics la corruption à l'aide d'une infraction obstacle qu'est le favoritisme. Pourquoi quelque-chose d'illicite se produirait dans le secteur public et non dans le secteur privé? Cette opération qui consiste pour l'Etat à déléguer une tâche quelconque à un tiers trouve son équivalent dans le secteur privé dans le secteur des achats, qui a l'instar du domaine des marchés publics est lui aussi un secteur exposé à la corruption. On se souvient de l'affaire Faurecia qui avait éclaté en 2006. Un équipementier du groupe PSA avait été accusé d'avoir versé des pots-de-vin de plusieurs centaines de milliers d'euros par an aux directeurs achats d'entreprises allemandes du secteur automobile afin d'obtenir des contrats juteux13.

12 Régis FABRE. (2014). Réservation du savoir-faire. Jurisclasseur Brevet. LexisNexis. Fasc N°4200 : N°40

13 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée, étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée. p50

10.

6

La corruption dans les achats. Bien que la corruption privée soit appréhendée par le code pénal, la réalité juridique est parfois éloignée de la réalité des affaires. La corruption dans les affaires semble être une pratique ancrée et qui soulève des difficultés importantes en terme de lutte, de détection et de répression. La raison d'être des services achats, leur organisation, les budgets qu'ils ont vocation à gérer et beaucoup d'autres raisons font que, parmi les formes de corruption qui affectent les affaires, celle qui touche particulièrement les services achats des entreprises privées constitue une des plus systématiques.

11. Un phénomène omniprésent. A en croire différentes études que nous présenterons de façon plus détaillée à l'occasion de cette étude, le phénomène de corruption privée des services achats des entreprises est loin d'être anecdotique. Un chiffre frappe tout particulièrement: Un quart des directeurs achats a été confronté à une tentative de corruption en 201414. Ce chiffre ressort d'une enquête basée sur des réponses de personnes sondées, ainsi, on peut légitimement se demander si les personnes ayant agréé à une proposition de nature corruptive ont répondu de façon affirmative à cette question. On peut aussi se demander si, parmi tous les sondés, tous ont répondu en connaissance de cause (nous verrons que la définition de la corruption n'est pas si évidente, notamment concernant les cadeaux d'affaires). Ainsi, ce chiffre devrait être interprété comme étant un minimum. Le pourcentage de directeurs achats ayant été confrontés à une tentative de corruption, devrait être plus importante.

La corruption ne peut être perçue comme un fait divers, mais comme un fait grave, porteur d'exclusions et d'inégalités. A cause de la corruption, les intérêts de quelques--uns sont favorisés au détriment des autres.

12. Une quasi absence de condamnation. Le rapport législatif sur le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption du 12 septembre 2015 avance le fait que très peu d'affaires de corruption sur le fondement des articles 445--1 et 445--2 du Code pénal sont actuellement en cours. En outre, les données du ministère de la justice disponibles montrent que le nombre de condamnations intervenues ces dernières années est extrêmement faible. Cette quasi absence de condamnation, dix ans après le renouveau de l'incrimination en droit français laisse perplexe.

14 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015

13.

7

Problématique. De par sa fonction et son organisation le service achat d'une entreprise privée constitue un écosystème favorable à la commission d'actes susceptibles de revêtir, entre autres qualifications, celle de corruption privée. Toutefois, certaines caractéristiques inhérentes aux actes de corruption rendent leur détection et leur répression difficile, expliquant alors le très faible niveau de condamnation actuel. Au travers de l'étude de l'infraction et de certains modes opératoires (du simple cadeau, aux fausses études en passant par le contrat d'apporteur d'affaires), nous tenterons de mettre en évidence les faiblesses du modèle répressif, de l'action des pouvoirs publiques et la nécessité pour les entreprises de mettre en place des mécanismes de prévention efficaces.

14. Plan du mémoire. Après avoir démontré en quoi le service achats d'une entreprise privée est particulièrement exposé au risque de corruption privée (Partie 1), nous verrons que malgré l'identification du problème, les difficultés de lutte contre le phénomène de corruption privée restent nombreuses (Partie 2).

8

1ÈRE PARTIE - Le risque élevé de corruption

privée inhérent aux services achats

Cette partie constituera le socle nécessaire de cette étude. Dans un premier temps seront étudiés les contours juridiques puis économiques de la corruption privée via un état des lieux du phénomène en France (Chapitre 1er). Dans un second temps nous nous intéresseront plus en détail aux services achats des entreprises et à ce qui fait d'eux un écosystème propice à la commission de l'infraction de corruption privée (Chapitre 2nd).

CHAPITRE 1ER - La corruption privée, un phénomène omniprésent en France

Dans un premier temps il convient de s'intéresser au régime juridique actuel de l'infraction qui fait l'objet de ce mémoire, à savoir la corruption privée telle qu'elle est appréhendée par justice française (Section 1). Dans un second temps, la mesure du phénomène de corruption privée dans les services achats des entreprises françaises sera effectuée à l'aide des études menées par des institutions privée (Section 2). Le but étant de démontrer l'existence d'un fossé entre le nombre de condamnations et la réalité de la vie des affaires.

SECTION 1re -L'infraction de corruption privée en France en 2015

Dans un premier temps nous nous intéresserons au mécanisme de corruption privée en tant qu'infraction en droit pénal français (I) avant d'étudier les sanctions qui y sont attachées (II).

I - De la qualification de corruption de personnes n'exerçant pas une fonction publique

Dans cette partie nous définirons la notion de corruption privée (A) avant de présenter l'infraction telle qu'envisagée dans le Code pénal (B).

9

A - Notion de corruption privée

15. La corruption est une infraction ayant vocation à sanctionner des modes opératoires utilisés « pour obtenir la conclusion ou le bénéfice de certaines affaires »15. Pour beaucoup et notamment dans les médias, la corruption est souvent assimilée à la notion de « pot-de-vin ». Michel Véron considère que l'aspect le plus inquiétant dans les affaires de corruption réside dans les arguments de défense des mis en cause. Ces derniers justifient souvent leurs agissements par le fait que corrompre est finalement un comportement relativement banal dans la vie des affaires publiques ou privées. La nécessité de tels comportements étant elle aussi avancée. Les prévenus invoquant parfois le fait que sans la corruption leur entreprise aurait périclité, que des emplois auraient été nécessairement perdus.

16. « Un éclatement des textes d'incrimination »16. En droit pénal français, la corruption fait l'objet d'un certain éclatement quant à sa codification. Les différents textes relatifs à la corruption sont concentrés dans le livre quatrième du Code pénal, au sein du titre III relatif aux atteintes à l'autorité de l'Etat et au sein du titre IV relatif aux atteintes à la confiance publique. Dans le cadre de ce mémoire, ce sont les infractions de ce titre IV qui feront l'objet de notre intérêt. Le chapitre V relatif à « la corruption des personnes n'exerçant pas une fonction public » leur est consacré.

17. Une définition de la corruption. Quelque-soit son type (privée, publique...), la corruption en droit pénal français peut se définir comme consistant à « rémunérer une personne pour qu'elle accomplisse ou n'accomplisse pas un acte qui relève de sa fonction ». Aussi, selon Michel Véron, l'infraction implique une collusion entre au moins deux parties. Un corrupteur qui offre ou accepte de récompenser le corrompu, en l'échange de la garantie de l'accomplissement ou du non accomplissement d'un acte de sa fonction.

18. Distinction entre corruption active et corruption passive. Traditionnellement, le comportement du corrupteur sera qualifié de corruption active (« il corrompt » voix active) et corrélativement, le comportement du corrompu sera qualifié de corruption passive (« il est corrompu » voix passive). On le voit, cette terminologie ne fait en rien référence à la personne qui est ou n'est pas à l'initiative du pacte. Le corrompu ayant un comportement actif, d'instigateur, ne sera donc pas qualifié de corrupteur actif. De la même manière que le corrupteur qui se laisse convaincre de verser un pot-de-vin « de façon passive » ne

15 Michel VÉRON. (2013), Droit pénal des affaires, Dalloz, 10ème édition. p73

16 Ibidem. p75

10

sera pas qualifié de corrupteur passif. L'explication n'est donc que grammaticale et ne repose pas sur un quelconque comportement proactif ou plutôt attentiste de la part de l'une et l'autre des parties à un pacte de corruption.

19. Un texte d'incrimination relativement jeune. Contrairement à la corruption d'une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public (articles 432-11 et 433-1 du Code pénal), d'un magistrat, d'un jurée, d'un expert ou d'un arbitre (article 434-9 du Code pénal) ou celle des membres d'une profession médicale ou de santé (article 441-8 du Code pénal), la corruption dans le secteur privée se limitait jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005 à la corruption de salarié et n'était codifiée, nous l'avons vu, « que » dans le Code du travail à l'article L. 152-6.

B - L'incrimination de la corruption privée dans le Code pénal 1 - Les textes d'incrimination

20. La corruption privée active incriminée par l'article 445--1 du Code pénal. Cet article incrimine le « le fait, par quiconque, de proposer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, à une personne qui, sans être dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un mandat électif public exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour qu'elle accomplisse ou s'abstienne d'accomplir, ou parce qu'elle a accompli ou s'est abstenue d'accomplir un acte de son activité ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles.

21. Est puni des mêmes peines le fait, par quiconque, de céder à une personne visée au premier alinéa qui sollicite, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte visé audit alinéa, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles ».

22. La corruption privée passive incriminée par l'article 445--2 du Code pénal. Cet article incrimine « le fait, par une personne qui, sans être dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un

11

mandat électif public exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque, de solliciter ou d'agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle--même ou pour autrui, pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte de son activité ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles ».

23. Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la loi précitée17 portant adaptation du droit communautaire dans le domaine de la justice, la corruption privée se trouve incriminée par les articles 445-1 à 445-4 du Code pénal. La corruption de salarié ayant à cette occasion, disparu de nos codes. Dorénavant le texte d'incrimination de la corruption dite « privée » est susceptible de s'appliquer à toute personne « n'exerçant pas une fonction publique ».

2 - Personnes visées par les textes

24. Qualité indifférente de la personne du corrupteur (corruption active)18. L'article 445-1 du Code pénal qui incrimine la corruption active est susceptible de s'appliquer à, pour reprendre le terme de l'article, « quiconque ». Ce terme utilisé par le législateur permet de retenir dans les liens de la prévention toute personne physique ou morale sans qualité particulière requise.

25. Qualité requise de la personne corrompue (corruption passive)19. L'article 445-2 du Code pénal qui incrimine la corruption passive est susceptible de s'appliquer à une personne qui « sans être dépositaire de l'autorité publique, ni chargée d'une mission de service public, ni investie d'un mandat électif public exerce, dans le cadre d'une activité professionnelle ou sociale, une fonction de direction ou un travail pour une personne physique ou morale ou pour un organisme quelconque » se livre à un acte de corruption. La qualité requise du corrompu est ainsi définie de façon négative: Elle ne doit pas posséder la qualité d'agent public. Mais aussi de façon positive: Elle doit exercer une activité dans le secteur privée. Les deux conditions étant cumulativement exigées. Dès lors, qu'importe le but recherché par l'activité, lucratif ou non (les termes de l'article « professionnel ou social »

17 Loi n° 2005-750 du 4 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la justice

18 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. 17 février, p5

19 Ibidem

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permettent d'envisager non seulement l'appartenance à une entreprise privée, une association ou un syndicat) et peu importe la nature de la fonction exercée par le corrompu (les termes de l'article « direction ou de travail » permettent d'envisager de poursuivre aussi bien les salariés quelque soit leur place dans la hiérarchie20, toute fonction de direction (administrateurs, gérants de sociétés même non salariés et travailleurs indépendants ou bénévoles), dans toute entreprise privée quelle qu'en soit sa forme sociale. Ainsi, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005, l'exigence d'un lien de subordination n'existe plus.

3 - Les comportements incriminés par les textes

26. Un pacte de corruption. Qu'elle soit publique ou privée, de magistrat ou de médecin, le mode opératoire de la corruption repose toujours sur la conclusion d'un pacte reliant le corrupteur et le corrompu. « Le pacte porte sur les moyens de la corruption acceptés ou offerts par le corrupteur et sur la contrepartie qui est attendue du corrompu »21. Ainsi, pour Michel Véron, l'infraction nait à l'occasion de la conclusion de ce pacte qui conditionne l'accomplissement ou le non accomplissement de l'acte de la fonction du corrompu au versement de la contrepartie convenue par le corrupteur. Ainsi il convient de souligner que la mise à l'exécution effective du pacte est indifférente. L'infraction est consommée à sa conclusion et non au moment de l'exécution.

27. Les moyens de la corruption22. Selon les termes des articles incriminant la corruption privée, il s'agit pour le corrompu de solliciter ou d'agréer une proposition ou pour le corrupteur de proposer ou de céder à la sollicitation d'offres, promesses, dons, présents ou avantages quelconques. La contrepartie à l'acte de la fonction attendue peut donc être matérialisée par des versements de sommes d'argent, par des objets de valeurs et autres cadeaux ou encore par des offres de prix avantageux (exemple de travaux effectués gratuitement ou à un prix avantageux au domicile du corrompu23).

28. L'acte recherché par le corrupteur et l'exigence d'un dol spécial. D'après l'article 445-1 ou 445-2 du Code pénal, dans un schéma de corruption, la chose attendue, recherchée par le corrupteur auprès du corrompu est qu'il accomplisse, qu'il ait accompli, qu'il s'abstienne ou qu'il se soit abstenu d'accomplir « un acte de

20 Par exemple un salarié responsable des achats (Cass. crim., 27 mai 1987, n° 86-91.748. - plus récemment CA Paris, 25 mars 1998 : JurisData n° 1998-021008)

21 Michel VÉRON. Op. cit. p76

22 Michel VÉRON. Op. cit. p76

23 Cass. Crim, 26 janvier 2011

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son activité ou de sa fonction ou facilité par son activité ou sa fonction, en violation de ses obligations légales, contractuelles ou professionnelles». A cet égard, selon Michel Véron, un lien de causalité direct et certain doit nécessairement être recherché et établi entre l'acte du corrompu et la contrepartie qui doit être le but du pacte de corruption et non son simple résultat24, qu'elle soit postérieure ou antérieure. Michel Véron souligne par ailleurs le fait que le corrupteur puisse attendre un acte positif aussi bien qu'une abstention. Il convient aussi de souligner que cet acte peut être « seulement » facilité par les fonctions.

29. Le moment du pacte de corruption et l'indifférence de l'antériorité. En premier lieu, la jurisprudence exigeait la preuve de l'antériorité de la conclusion du pacte de corruption à l'accomplissement ou au non accomplissement des actes de la fonction, rendant extrêmement difficile la preuve de l'infraction. Une double modification législative a permis de supprimer cette exigence. Le premier assouplissement qui s'est avéré insuffisant était issu de la loi du 30 juin 2000 sur la lutte contre la corruption. A cette occasion, l'expression « à tout moment » en référence à la conclusion du pacte était ajoutée. Il a fallut attendre la loi du 17 mai 2011 de simplification et amélioration du droit pour aboutir à une modification substantielle de l'infraction. Grâce à l'ajout des expressions « pour avoir accompli » et « pour s'être abstenu d'accomplir », l'indifférence du moment de conclusion du pacte était donc acquise. Dorénavant, seule la preuve du lien de causalité entre l'avantage indu et l'acte de la fonction est requise. Ce qui constitue un progrès non négligeable en matière de répression puisque la corruption peut dorénavant, sans doute possible, résulter d'un avantage indu octroyé en remerciement de l'accomplissement ou du non accomplissement d'un acte de la fonction25.

30. L'incrimination de la « tentative » de corruption au même titre que la corruption26. La simple proposition de nature corruptrice suffit à consommer l'infraction. En droit français la tentative n'existe donc pas, ce qui fait de la corruption une infraction formelle. Ainsi, en cas de refus du destinataire d'une proposition de corruption, le corrupteur se rend tout de même coupable de l'infraction. En outre, le fait pour le corrupteur de revenir sur sa proposition est indifférent puisque la simple proposition, même non agréée suffit à consommer le délit.

24 Wilfrid JEANDIDIER. (2005). Droit pénal des affaires. Dalloz, 6ème édition. p. 40, n° 33

25 Michel VÉRON. Op. cit. p77

26 Marc SEGONDS. Op. cit. p12

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4 -- Le bénéficiaire de la corruption

31. L'indifférence du bénéficiaire de la corruption privée27. Le fait que le réel bénéficiaire de la corruption soit un tiers n'exclut pas la qualification de corruption privée. En effet, les articles font référence à « avantage quelconque (...) pour elle-- même ou pour autrui ». Avant même que la formule soit aussi claire à l'égard du bénéficiaire, la jurisprudence avait fait sienne la solution de l'indifférence du bénéficiaire et de l'indifférence de l'enrichissement personnel de l'auteur de l'infraction28. La chambre criminelle a récemment confirmé cette position dans un arrêt du 20 mai 2009. En outre, il convient de souligner qu'en droit pénal, le législateur n'a jamais fait de l'enrichissement personnel un élément constitutif de quelque infraction que ce soit.

II - Evolutions des peines encourues du chef de corruption privée

Ici il convient de s'intéresser d'abord à l'évolution de la peine principale (A) avant d'étudier l'intérêt des peines complémentaires (B) prévues par le Code pénal pour sanctionner la corruption privée.

A - Une aggravation progressive de la peine principale

32. 2005 et une première aggravation de la peine principale. La corruption active et la corruption passive sont punies de la même manière. Concernant les personnes physiques, la loi du 4 juillet 2005 a constitué un premier progrès important en matière de répression. La peine principale est passée de deux (article L152-6 du Code du travail aujourd'hui abrogé) à cinq ans d'emprisonnement (sans compter l'élargissement du champ de l'infraction évoqué précédemment). D'autre part, étant donné des enjeux financiers liés à la corruption privée pouvant atteindre des montants au moins aussi élevés qu'en matière de corruption publique, le montant de l'amende pécuniaire a été lui aussi revu à la hausse, passant de 30 000 euros (article 152-6 du Code du travail aujourd'hui abrogé) à 75 000 euros, équivalent des peines prévues pour le trafic d'influence, l'abus de biens sociaux ou encore l'escroquerie29. Toutefois, la durée de la peine

27 Agathe LEPAGE, Patrick MAISTRE DU CHAMBON, Renaud SALOMON. (2013) Manuel de droit pénal des affaires ». LexisNexis, 3ème édition. p169

28 Marc SEGONDS (2008). À propos de la onzième réécriture des délits de corruption. Dalloz dossier. p1071, n°10 et (2003) À propos d'une diversion juridique: l'absence d'enrichissement personnel. Dalloz. chron. 505

29 Pierre ROCAMORA. (2007) La corruption privée, un risque majeur pour les entreprises, Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée

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d'emprisonnement sanctionnant la corruption privée reste deux fois moins élevée que celle prévue pour la corruption publique (10 ans d'emprisonnement).

33. Une peine toujours limitée. Avant l'entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, la sanction de l'infraction de corruption privée à fait l'objet de certaines critiques. En effet, en 2005 le législateur n'avait pas souhaité, comme l'a fait remarquer Wilfrid Jeandidier30, appliquer certains moyens jugés encore plus dissuasifs. Notamment « la redoutable technique de l'amende proportionnelle, à taux mobile » qui aurait permis déjà à l'époque d'augmenter encore un peu plus le coût lié au risque pénal pour les potentiels délinquants.

34. 2013 et une deuxième aggravation de la peine principale Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière, la peine principale applicable au personnes physiques a été plus que multipliée par cinq, passant de 75 000 euros à 500 000 euros, pouvant être portée au double du produit tiré de l'infraction. Ainsi, le défaut noté au paragraphe précédent est réparé. Il reste donc à étudier les peines complémentaires pouvant être prononcées par le juge en cas de condamnation.

B - Les peines complémentaires

35. L'article 445--3 du Code pénal relatif aux peines complémentaires encourues par les personnes physiques. Cet article dispose que : « Les personnes physiques coupables des infractions définies aux articles 445-1, 445-1-1, 445-2 et 445-2-1 encourent également les peines complémentaires suivantes:

1° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-26, des droits civiques, civils et de famille;

2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement »

30 Wilfried JEANDIDIER. (2002). Du délit de corruption et des défauts qui l'affectent. La Semaine Juridique Edition Générale. 25 septembre. n°39

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3° La confiscation, suivant les modalités prévues par l'article 131-21, de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution;

4° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35. »

Concernant les personnes physique, les peines complémentaires n'appellent pas de commentaire particulier. En revanche, le sort réservé aux personnes morales semble plus intéressant.

36. L'article 445--4 du Code pénal relatif aux peines complémentaires encourues par les personnes morales. Cet article dispose que: « Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, des infractions définies aux articles 445-1, 445-1-1, 445-2 et 445-21 encourent, outre l'amende suivant les modalités prévues par l'article 131-38 :

1° (Abrogé) ;

2° Pour une durée de cinq ans au plus, les peines mentionnées aux 2°, 3°, 4°, 5°, 6° et 7° de l'article 131-39.

L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise;

3° La confiscation, suivant les modalités prévues par l'article 131-21, de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des objets susceptibles de restitution;

4° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 ».

37. Absence de peine de mort pour les personnes morales. La principale remarque concernant l'article 445-4 du Code pénal est qu'il ne prévoit pas la peine de dissolution, équivalent de la peine de mort pour les personnes morales. (Tout comme d'ailleurs l'article 433-25 incriminant la corruption publique active). Toutefois, les peines prévues sont susceptibles d'avoir des effets redoutables pour les entreprises, tant en terme de réputation que de ressources.

38. Responsabilité pénale des personnes morales expressément prévue. Aussi, la loi de 2005 apporte une nouveauté concernant la responsabilité pénale des personnes morales. Contrairement à l'ancien article L.152-6 du Code du travail, l'infraction est dorénavant expressément imputable aux personnes morales dans les conditions prévues par l'article 121-2 du Code pénal. En outre, l'article 445-4 du Code pénal opère un renvoi à l'article 131-38 prévoyant que le taux maximum de la peine d'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de

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celui encourue par les personnes physiques, c'est à dire 2,5 millions euros d'amende.

39. Autres peines complémentaires. Le législateur a aussi prévu une série de peines prononçables à l'encontre de ces personnes morales. Elles encourent:

- L'interdiction d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise, pour une durée de cinq ans,

- Le placement sous surveillance judiciaire pour une durée de cinq ans au plus.

- Une peine de fermeture, pour une durée de cinq ans au plus, des établissements ou de un ou plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés

- Une peine d'interdiction de faire appel public à l'épargne, ou encore l'interdiction d'émettre des chèques ou d'utiliser des cartes de paiement

- La confiscation de la chose qui a servi ou qui était destinée à commettre l'infraction, ou de la chose qui en est le produit, à l'exception des choses susceptibles de restitution;

- Une peine d'affichage ou de diffusion de la décision de condamnation.

40. Une amélioration substantielle du cadre juridique de la corruption privée. Ainsi, les changements apportés par la loi du 4 juillet 2005 concernant la corruption privée vont dans le sens d'une plus grande répression. Le champ d'application de l'infraction a été considérablement élargi et, au fil des réformes, le texte s'est perfectionné. Bien que les textes ne soient pas d'une clarté exemplaire et aient fait l'objet d'interprétations jurisprudentielles - au demeurant nécessaires - le cadre juridique de la corruption privée semble permettre une bonne appréhension du phénomène. La sévérité des peines ayant elle aussi augmenté avec le temps et le besoin de dissuasion ressenti par les pouvoirs publics.

41. Nombre de condamnations en 2014. Toutefois, malgré ces progrès non négligeables, lorsque l'on s'intéresse aux chiffres de la délinquance, force est de constater que le nombre de condamnations pour des faits de corruption (tout type confondu) reste relativement faible. Par ailleurs, il est regrettable que parmi toutes les données disponibles aucune n'opère de distinction entre les condamnations pour corruption privée et les condamnations pour corruption publique.

42.

18

Un niveau de répression toujours inférieur à celui de la corruption publique. Encore aujourd'hui, la sanction de la corruption publique est deux fois plus élevée que la corruption privée, que ce soit en terme de durée d'emprisonnement ou de montant de l'amende. Cette différence de niveau de répression traduit le fait que la corruption privée reste encore dans l'esprit du législateur un comportement « moins grave » que la corruption publique. Elle ne constitue donc pas à ce titre une priorité en terme de répression. Cet argument peut éventuellement constituer une première explication au très faible nombre de condamnations pour des faits de corruption privée. Aussi, l'augmentation du quantum de la peine est encore bien trop récent (Décembre 2013) pour en mesurer l'effet dissuasif.

43. Hormis cette explication insuffisante, comment expliquer ce très faible nombre de condamnations? Est-ce lié au faible nombre de comportements susceptibles de revêtir la qualification de corruption privée? L'explication est-elle ailleurs? Nous le verrons, la corruption privée est omniprésente en France. L'hypothèse selon laquelle il n'y aurait simplement pas de comportement incriminable est insuffisante. Nous tenterons donc de rechercher les causes de cette quasi absence de condamnations.

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SECTION 2nde - Les études statistiques privées, seuls outils de mesure du phénomène de corruption?

44. Mesure du phénomène. Afin de mesurer le fossé soupçonné entre le nombre de condamnations effectives en France pour des faits de corruptions privée et la réalité, il convient désormais de tenter de mesure l'ampleur du phénomène de corruption dans les entreprises françaises. Est--ce un épiphénomène ou au contraire, la corruption privée est--elle un phénomène de société préoccupant.

45. Utilité des études statistiques. Pour mesurer le phénomène, le meilleur outil à notre disposition semble être les études statistiques et autres enquêtes commandées ou menées par des organismes professionnels privés. Ces études et les informations qu'elles apportent ont été d'une importance non négligeable dans le cadre de cette étude.

I -- Première étude : «Les Priorités des Services Achats en 2015 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015 » Etude du cabinet AgileBuyer et du Groupement Achats d'HEC

46. Les priorités des services achats en 2015. La première étude que nous citerons est celle du cabinet de Conseil en Achats AgileBuyer qui s'est associé au Groupement Achats & Supply Chain d'HEC pour la cinquième année consécutive afin de rendre compte des principales priorités des services achats en 2015. Parmi les quelques questions que les auteurs de cette étude se sont posés, une est particulièrement mise en avant, tout comme l'année précédente31, à savoir « les services achats subissent-ils la pression de la corruption ? »

47. Une étude ciblée sur les services achats. Un des principaux avantages de cette étude, outre son caractère récent, est que le cabinet AgileBuyer collabore avec 80% des entreprises du CAC40, sur des problématiques qui nous intéressent tout particulièrement, celles des achats. A cet égard nous noterons que l'objet de cette étude n'est pas la corruption privée mais bien les services achats. Or, cette étude donne une importance non négligeable à cet aspect qui doit donc être analysé comme étant, aux yeux des auteurs, une problématique inhérente aux services achats.

31 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2014). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous-traitants en 2014.

48.

20

Echantillon ou « population » de l'étude. « Cette étude a été réalisée à 1er

partir d'un questionnaire administré électroniquement à un panel ciblé entre le décembre 2014 et le 08 décembre 2014 ». Sur les 542 réponses à ce questionnaire, seules 482 ont été jugées assimilables pour l'étude. Les réponses aberrantes ayant été écartées ». Les questions ont été posées notamment à des acheteurs, directeurs achats, responsables achats, coordinateurs acheteur de tous secteurs (Automobile, aéronautique, énergie, gestion des déchets, santé, action sociale, agroalimentaire chimie, construction, distribution générale, équipements électroniques, transport, logistique, meubles, textiles, banque, assurance, télécommunication, informatique, communication, médias etc.)

49. Une définition de la corruption. Les auteurs de l'étude définissent la corruption dans les achats comme « le détournement d'un processus de choix afin d'obtenir des avantages ou des prérogatives particulières pour l'entreprise que le corrupteur représente »32. La corruption peut affecter toute personne ayant des prérogatives de décision ou d'influence.

50. En France, un quart des directeurs achats a déjà été confronté à une tentative de corruption de la part d'un sous--traitant. A la question « au cour de votre carrière un ou des fournisseurs ont--ils déjà essayé de vous corrompre », sur l'ensemble de la population interrogée, 16% des individus ont répondu oui. Et lorsque l'on s'intéresse plus particulièrement aux directeurs achats, il n'est pas étonnant que ce chiffre passe à 25%, soit un quart des directeurs d'achats interrogés ayant fait face à une tentative de corruption.

51. Une exposition à la corruption corrélée au niveau de responsabilité de l'acheteur. Les auteurs de cette étude tentent d'expliquer cette plus grande exposition des directeurs achats par le fait que les sous--traitants corrupteurs préfèreraient s'adresser directement aux donneurs d'ordre afin de « maximiser le retour sur investissement de leur démarche risquée »33. Cependant, les auteurs soulignent à juste titre que les collaborateurs ayant un niveau de responsabilité inférieur aux directeurs ne sont pas épargnés par le risque de corruption. Ces derniers ayant un niveau de rémunération corrélativement plus faibles seront parfois plus à même d'accepter de prendre part à un pacte de corruption. En outre, « les acheteurs opérationnels ont souvent le rôle d'analyste des offres fournisseurs, ce qui pourrait leur permettre de privilégier telle ou telle entreprise en toute

32 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015.

33 Ibidem

21

discrétion ou encore de donner un accès partial à l'information à certains fournisseurs généreux »34.

52. Les français et la corruption privée, une affaire de culture. D'autre part, l'étude menée par AgileBuyer et le Groupement Achats d'HEC s'intéresse à la nationalité des corrupteurs. A cet égard il est presque étonnant de relever le fait que, bien que la corruption n'épargne aucune nationalité, d'après les individus interrogés, la plupart des tentatives de corruption émanent de fournisseurs français et européens. En effet, « les fournisseurs français et européens représentent (...) plus de la moitié de ces tentatives, suivies de près par les entreprises asiatiques. Mêmes les entreprises américaines ne sont pas au--dessus

de tout soupçon »35. Les auteurs tentent d'expliquer ces différences en fonction de la nationalité par le fait que la corruption reste avant tout une affaire de culture. Un fournisseur sera nécessairement plus enclin à tenter de corrompre un acheteur s'il sait qu'il est susceptible d'entrer dans le jeu de la corruption. Les français doivent donc manifestement être considérés comme corruptibles. Ainsi, les auteurs déplorent le fait que privilégier les entreprises françaises et donc « le made in France », pour limiter les risques de corruption sera, contrairement à ce que l'on pourrait instinctivement penser, une erreur. A ce stade, une comparaison avec les résultats d'une autre étude peut être faite concernant « la culture française » et la corruption. En effet, d'après les plus récents résultats de « L'indice de perception de la corruption de 2014 » de l'association Transparency International, la France est seulement classée à la 26ème place sur 175, derrière les Emirats Arabes Unis, l'Uruguay, le Chili ou encore l'Estonie. On se rappel qu'en 2005, la France pointait à la 18ème place de ce classement36.

53. La mauvaise image confirmée du secteur de l'immobilier. Il semblerait que les secteurs les plus confrontés à des tentatives de corruption de la part des sous--traitants sont l'immobilier et l'industrie du bois et papier. Le secteur de l'immobilier pâtissait déjà d'une mauvaise image en terme d'intégrité et cette mauvaise image ne risque pas de disparaître. Plus de la moitié des membres des services achats aurait déjà été confrontée une tentative de corruption.

54. Remise en cause d'idées reçues concernant les secteurs les plus corrompus. Il est étonnant de noter que concernant les secteurs de l'automobile,

34 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015.

35 Ibidem

36 Association Transparency International. (2005). Corruption Perceptions Index 2005.

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du ferroviaire et de l'aéronautique, les chiffres sont relativement peu élevés37. Les auteurs expliquent cela par « Les efforts de sensibilisation et de formation des personnels des grandes entreprises de l'Automobile, de l'Aéronautique et du Ferroviaire (qui auraient porté) leurs fruits. On se souvient de certains scandales dans ces secteurs ». Ici, les auteurs font probablement référence, entre autres, à l'affaire Faurecia dont nous avons déjà discuté. Aussi, les efforts fournis par les professionnels des achats dans les grands groupes de construction en matière de lutte anti-corruption seraient, de la même manière, l'explication du plus « faible » niveau de corruption dans ce secteur38.

55. L'intérêt des chartes anti--corruption. Ainsi, grâce à cette étude, il est possible de croire en un effet positif des programmes de lutte anti-corruption mis en place par les entreprises elles-mêmes. Parmi les moyens à leur disposition pour se prémunir contre la corruption, on retrouve notamment les « chartes anticorruption ». 74% des individus interrogés déclarent en avoir signé une au cours ces dernières années. Ce chiffre correspond à une augmentation assez négligeable de 2% par rapport à l'année 2014. Pas de révolution majeure donc. Aussi, bien qu'il n'existe pas de corrélation statistiquement prouvée entre les deux variables, il est intéressant de noter que le pourcentage de directeurs achats ayant fait l'objet d'une tentative de corruption est identique au pourcentage d'individus n'ayant pas signé de charte anti-corruption, soit environ 25%. (La question « avez-vous déjà cédé à une tentative de corruption n'ayant pas été posé, soit par pudeur, soit par réalisme quant à la probabilité que les réponses soient honnêtes).

56. La conformité, une protection efficace contre le risque pénal. Outre l'effet bénéfique sur la réduction de la corruption, la mise en place de chartes et autres formations anti-corruption est un argument permettant de s'assurer une réduction des amendes infligées en cas de condamnation. Selon les auteurs, si les chartes ne sont pas un rempart absolu contre la corruption, elles constituent tout de même un outil au service de l'évolution des pratiques dans les achats. Pour eux, « La professionnalisation de la filière Achat n'est concevable qu'à l'aide de l'application de ce type de chartes, de la mise en oeuvre de processus viables et sûrs et par des formations régulières de haut niveau »39.

37 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous-traitants en 2015.

38 14% des individus interrogés reconnaissent avoir déjà fait face à une tentative de corruption. Ibidem

39 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous-traitants en 2015. p10

23

II - Deuxième étude : La 13ème étude mondiale sur la Fraude « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014 menée par EY (Ernst Young)

57. Cette deuxième enquête susceptible de nous aider à mesurer le phénomène se base sur la perception des salariés vis-à-vis de la fraude, des pots-de-vin et de la corruption. Ainsi, bien que cette étude ne s'intéresse pas seulement au cas de la France, elle nous informe sur certaines tendances auxquelles la France n'échappe pas. Cette enquête a été conduite auprès de 2.700 cadres (directeurs financiers, des responsables de la conformité, des directeurs juridiques ainsi que des responsables de l'audit interne) dans 59 pays. La situation mondiale concernant la corruption qui ressort de cette étude est relativement inquiétante et soulève un certain nombre de questions:

- Les plus hauts responsables pourraient-ils être plus impliqués dans la lutte contre la corruption?

- Pourquoi sont-ils aussi réticents à suivre des formations anti-corruption?

- Pourquoi les procédures anti-corruption ne sont-elles toujours pas des automatismes dans les entreprises?

- Le « big data » est-il exploité de façon optimale au regard de la conformité et des enquêtes anti-fraude?

58. Existence d'un niveau de fraude incompressible. En outre, les auteurs considèrent qu'il existe un niveau résiduel et incompressible de comportements inappropriés qui ne peuvent être éradiqués. Ce qui n'implique pas que les entreprises doivent accepter ces comportements, au contraire, elles sont encouragées à tenter de minimiser l'impact des comportements frauduleux dans les affaires et notamment la corruption.

59. La corruption, une pratique courante dans les affaires. Dans beaucoup d'Etats, les individus interrogés dépeignent une vie des affaires comme étant un écosystème propice à la corruption (sans distinction entre corruption publique/ corruption privée). Cette étude révèle que les fraudes traditionnelles, dont la corruption fait partie (par opposition à des risques plus récents tel que la cybercriminalité), sont loin d'avoir disparu. En effet, à la question « lequel de ces comportement trouvez--vous justifié de recourir afin d'aider votre entreprise à surmonter un retournement de l'économie ? » 29% des individus interrogés ont répondu qu'ils seraient prêt à offrir un divertissement, afin de nouer ou de pérenniser une relation d'affaires, faits constitutifs de corruption. 14% d'entre eux seraient prêts à offrir un cadeau personnel pour les mêmes raisons, 13% à offrir une somme d'argent liquide, c'est-à-dire un « pot-de-vin » classique. Au total, près

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de la moitié des sondés a reconnu être prête à recourir à des moyens assimilables à de la corruption « en cas de besoin ».

60. « Les oeuvres de bienfaisance ». Un point particulièrement intéressant est mis en lumière par cette étude. La corruption est parfois associée à des dons pour des oeuvres de charité. En effet, 20% des sondés et près de la moitié des directeurs généraux (l'équivalent des chief executive officers ci-après: « CEOs ») se sont vus demander de contribuer à une oeuvre de charité par un de leur client. Une telle demande peut largement être assimilée à une corruption active et les entreprises et leurs acteurs devraient, selon les auteurs, être méfiantes envers de telles requêtes émanant d'un client. Il ne peut être exclu qu'une oeuvre de charité soit utilisée pour « faire écran » entre l'acheteur et le client afin de dissimuler ce qui doit en réalité être qualifié de « pot-de-vin ».

Page suivante : Diagrammes extraits de la 13ème étude mondiale sur la Fraude menée par EY « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014.

Figure 9: Cheques and balances

Have you ever been asked to pay a bribe in a business situation?

Total CEO Head of marketing/sales CFO

CCO

No Yes

92% 7%

21% 8% 7% 4%

79%

89%

92%

94%

25

Have you ever been asked to make a charitable contribution by a customer or client?

Total

 
 
 

20%

 

78%

CEO

 

61%

39%

Head of marketinglsales

 
 
 

31%

 

68%

CFO

 
 

77%

22%

CCO

 

86%

11%

No Yes

Have you ever been asked to pre- or post-date a contract?

Total CEO

81%

71%

17%

28%

Head of marketing/sales

78%

20%

CFO

80%

19%

CCO

80%

18%

No Yes

Q; Have you ever been asked to do any of the following?

Pay a bribe in a business situation

Make a charitable contribution by a customer or client

Pre- or post-date a contract

61.

26

Confirmation au niveau mondiale de l'exposition plus grande des dirigeants. L'étude révèle par ailleurs que même au niveau mondial, plus le niveau de responsabilité est élevé, plus le risque de corruption est présent. En effet, à la question « vous êtes-vous déjà vu offert un pot-de-vin ? », la proportion de Directeur généraux (CEOs) à avoir répondu « oui » était trois fois plus élevée que celle des autres catégories de professionnels interrogés40. Le plus paradoxal étant que, toujours d'après cette étude, les CEOs sont moins susceptibles que leurs collaborateurs subalternes de participer à des formations anti-corruption. Ceci confirme donc les résultats de l'étude AgileBuyer de 2015 concernant le fait que le risque de corruption affecte en premier les postes clefs des entreprises.

62. La corruption, une pratique encrée. Déjà en 2007, Ernst Young (EY) produisait une étude sur le sujet, cette fois plus centrée sur la France. (Enquête FIDS Ernest &Young. (2007). Dénoncer les abus liés à la fraude, aux pots de vin et à la corruption. Multinationales : perceptions pour la France). A la question, « l'année dernière avez vous eu à connaître des cas de fraude ou corruption dans votre entreprise », 25% des salariés affirmaient avoir des soupçons. Lorsque l'on sait que les salariés d'une entreprise sont les plus à même de révéler l'existence d'une fraude, ce sentiment de suspicion ne doit pas être négligé lorsqu'il s'agit de se faire une idée du niveau de corruption qui affecte les entreprises françaises.

III - Troisième étude: Edition 2014 de l'étude mondiale sur la fraude en entreprise « Global économic crime survey » menée par le département « Forensic » de PwcFrance.

63. Une étude permettant de synthétiser les apports des deux premières. Cette étude mondiale sur la fraude en entreprise a porté sur les réponses de plus de 5000 entreprises dans le monde avec un regard particulier sur la situation de la France. Après avoir analysé une étude centrée sur les services achats des entreprises françaises puis une étude ne se préoccupant pas particulièrement du cas de la France, cette étude semble permettre de synthétiser nos développements destinés à mesurer, à faire un état des lieux, de la corruption privée dans les achats en France.

40 21% des dirigeants et 10% des cadres dirigeants disent avoir été sollicités dans le passé pour payer des pots-de-vin » - EY (Ernst Young). (2014). 13ème étude mondiale sur la Fraude: « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth », juin.

27

64. Une meilleure détection des fraudes en entreprise. Le premier apport sur lequel les auteurs de l'étude PwcFrance est le fait que la fraude dans les entreprises françaises ait progressé depuis 2009. En 2014, plus de la moitié des compagnies reconnaissent avoir été victime de fraudes, contre 29% en 2011. En parallèle, un constat est fait, celui de nets progrès dans le domaine de la détection. Les deux variables étant incontestablement corrélées. L'étude se veut donc optimiste pour les années à venir concernant le recul des pratiques frauduleuses en entreprise, du fait de leur meilleure détection.

Source: Département « Forensic » de PwcFrance. (2014) Etude mondiale sur la fraude en entreprise. « Global economic crime survey ». p5

65. La corruption au sein des services achats, la fraude la plus crainte pour l'avenir par les entreprises françaises. La fraude aux achats, ou plutôt la corruption privée des services achats puisque c'est bien souvent de cette infraction dont il s'agit, constitue, avec la cybercriminalité, le type de fraude le plus craint par un peu moins de la moitié des entreprises françaises.

66. Une nouvelle catégorie dans la typologie des fraudes: « La fraude aux achats ». Analyser ce sondage produit par PwcFrance a été une réelle satisfaction au regard de l'intérêt et de l'actualité de l'objet de ce mémoire, à savoir « L'entreprise face à la corruption privée de son service achats ». En effet, pour la première année (2014), les auteurs de cette enquête ont procédé à une modification de leur typologie de fraudes et ont décidé d'introduire « une nouvelle catégorie à la croisée des chemins du détournement d'actifs et de la corruption, à savoir la fraude aux achats »41. Auparavant, la grande majorité des fraudes devait

41 PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise « Global economic crime survey ». p11

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correspondre à une des trois catégories suivantes: « les détournement d'actifs », « les fraude comptable » ou « la corruption ». Le détournement d'actifs étant cette année encore la première fraude mondiale affectant les entreprises. Toutefois, dès son introduction dans la typologie des fraudes, la fraude aux achats s'est hissée immédiatement au deuxième rang en terme de récurrence. Cette dernière doit donc être considérée comme une menace non négligeable pour les entreprises. Au niveau de la France, « seuls » 21% des sondés ont affirmé avoir été victime de fraude aux achats (contre 29% au niveau mondial). Ce chiffre n'en fait pas moins l'une des fraudes les plus préoccupantes en France.

En outre, la très grande majorité des entreprises devrait se sentir concernée par la fraude aux achats. En effet, toute acquisition de bien ou fourniture de service expose une entreprise, d'une manière ou d'une autre, à un tel type de fraude. L'exposition étant très élevée, et nous le verrons à l'occasion d'un développement sur le fonctionnement des services achats, au moment de la sélection du sous-- traitant, c'est à dire au cours des appels d'offres.

Source: PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic crime survey ».p15

67. Une prise en compte tardive du phénomène? Il convient de faire remarquer que la récente création de cette catégorie de fraude ne signifie pas que le risque de fraude au achats soit un risque nouveau mais ceci traduit plutôt une prise de conscience relativement tardive de l'existence de ce phénomène qui conduit souvent à des surfacturations importantes au préjudice des entreprises

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mais à l'avantage des fournisseurs (ce qui explique peut-être pourquoi, de leur côté, la lutte contre la corruption semble plus négligée). Ainsi, les auteurs mettent en avant leur « expérience de terrain » afin d'affirmer que les modes opératoires employés par les auteurs de ces fraudes constitutives de corruption privée sont le plus souvent d'une certaine complexité et font intervenir plusieurs individus. Dans un développement ultérieurs nous illustrerons la complexité de ces modes opératoires à l'aide de cas concrets.

68. Rappel nécessaire des points essentiels permettant de mesurer le phénomène de corruption privée au sein des entreprises françaises:

- Le fait qu'une étude dédiée à la stratégie achats soit menée par un cabinet spécialisé dans ce domaine et réserve un chapitre entier à cette problématique est un premier indice de l'omniprésence de ce phénomène. Une remarque toutefois peut être faite, le cabinet en question est une entreprise à but lucratif, il est donc intéressant pour lui de pointer du doigt le phénomène

- Certains chiffres clefs tirés de différentes études démontrent la réalité de cette fraude, en effet, en France, 25% des Directeurs achats ont été confrontés à une tentative de corruption. Dans le monde et pour les Directeurs généraux ce chiffre est de 21%. Ces chiffres confirment par ailleurs que les postes à responsabilité sont les plus exposés au risque de corruption privée.

- La corruption en entreprise demeure un problème mondial et une préoccupation majeure. On constate à cet égard qu'une importante proportion de professionnels reconnaît être susceptible d'adopter des comportements qualifiables de corruption.

- La France est manifestement un Etat sensible à la corruption. Elle se situe seulement à la 26ème place des pays les moins corrompus d'après l'indice de perception de la corruption de Transparency International42. En outre, les fournisseurs français seraient les plus corrupteurs en Europe et dans le monde.

- Certains secteurs seraient plus exposés que d'autres, notamment l'immobilier. Toutefois des progrès ont été fait grâce à la mise en place de procédures internes anti-corruption et aux chartes dans des secteurs que l'on pourrait croire sensibles comme l'automobile. La corruption privée n'est donc pas une fatalité, bien qu'il y ait un nombre résiduel de fraudes commises contre lesquelles il est difficile de lutter.

42 Association Transparency International. (2014). Corruption Perceptions Index 2014.

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- Malgré leur efficacité ainsi démontrée, les programmes de lutte anti--corruption restent peu mis en place dans les entreprises. De nets progrès restent à faire en la matière. La meilleure détection des fraudes constitue un des progrès ayant déjà été faits depuis une dizaine d'année. Ceci semble avoir été rendu possible grâce aux nouvelles technologies et à l'exploitation du « big data ». C'est donc une première solution à envisager pour lutter efficacement contre la corruption privée.

- Pour mieux lutter contre le phénomène, une autre piste est suggérée par ces études. Les salariés d'une entreprise étant les plus à même de révéler la commission d'une fraude, encourager ces derniers à révéler les comportements peut être un axe intéressant.

- La corruption dans les achats est une réalité dont les professionnels semblent avoir conscience. Toutefois la lutte contre ce phénomène ne semble toujours pas être une priorité. Cette réalité et cette actualité a poussé à la création d'une nouvelle catégorie dans la typologie de fraude: « la fraude aux achats ».

69. Le nombre de condamnations pour corruption privée active en France. D'après les chiffres exposés dans le rapport pour 2013 du SCPC43, il est possible de compter 74 infractions de corruption active ayant donné lieu à condamnation en 2012. Si l'on soustrait les 31 qui ne concernent que les personnes dépositaires de l'autorité publique, les 26 qui ne concernent que les personnes chargées d'une mission de service publique et les 5 qui ne concernent que les magistrat et les jurés, il est possible d'affirmer que le nombre d'infractions ayant donné lieu à condamnation concernant les élus et les personnes qui ne sont pas dépositaires de l'autorité publiques est de 12, sans possibilité de distinguer entre ces deux catégories. (En 2010, ce chiffre n'excédait pas 14)44 Pour toutes ces infractions confondues le montant moyen de l'amende ferme était de seulement 2217 euros. Ce rapport du SCPC pour 2013 constitue la source la plus récente.

70. Le nombre de condamnations pour corruption privée passive en France. Concernant cette donnée il est néanmoins impossible de donner un chiffre « aussi précis » que pour la corruption privée active. Toutefois, on remarque que généralement, il y a toujours un peu plus de condamnations pour corruption active que pour corruption passive. (74 contre 59 en 2012...)

43 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2013. (2014) juin. p29

44 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2011. (2012) juin. p2

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71. Ainsi, grâce à ces diverses études, un constat s'impose: la corruption privée dans les achats semble être une réalité pour les entreprises françaises. La mise en lumière du très faible nombre de condamnations en France pour des faits de corruption privée et ce constat conduisent nécessairement à s'interroger sur les causes de ce fossé mais aussi sur les raisons qui font que le domaine des achats, plus que tout autre, est exposé à la corruption privée.

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Chapitre 2 - Raisons de l'exposition particulière des services achats au risque de corruption privée

Ce chapitre sera dédié à mettre en évidence le fait que le secteur des achats est par essence un domaine plus exposé au risque de corruption privée du fait de certaines pratiques auxquelles il est particulièrement exposé (Section 1re) mais aussi du fait de son fonctionnement (Section 2nde)

SECTION 1re - Le caractère sensible à la corruption privée de certains comportements qualifiés de pratiques d'affaires

Cette section aura pour objet d'étudier précisément la pratique des ventes avec primes et cadeaux. Après un bref exposé de thèses sur les notions de « don » et de « cadeau » (I) nous présenterons le cadre légal de ces pratiques commerciales (II) avant de soulever les limites à leur licéité (III)

I -- Propos liminaires: Réflexions sociologiques et sémantiques sur les notions de don et de cadeau

Seront présentées tour à tour une réflexion sociologique sur la notion de don par Marcel Mauss (A) puis une étude plutôt sémantique sur la notion de cadeau par Dominique Bourgeon (B)

A -- Etude sociologique pessimiste sur le don par Marcel Mauss.

72. Le don, une notion agonistique45. Marcel Mauss, considéré comme le père de l'anthropologie française, avait réfléchi longuement sur la question du don. Selon lui, celui-ci est agoniste (en créant un rapport de force qui oblige celui qui reçoit, et ne peut alors se libérer que par un « contre-don »). Marcel Mauss analyse le don en trois phases : l'obligation de donner, l'obligation de recevoir et l'obligation de rendre. Pour lui, la logique agonistique tend pour le donateur à rompre la réciprocité du don en tournant la situation à son profit, créant un déséquilibre « aux sources mêmes du pouvoir »46.

45 D'après la définition donnée par le Larousse, agonistique est un adjectif faisant référence à la lutte, au conflit. « Se dit d'un comportement agressif». En latin ecclésiastique agonisticus signifie « qui lutte »

46 Francis DUPUY. (2008). Anthropologie économique. Armand Colin. p75

73.

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Le don, un vecteur de dette? L'auteur explique cette rupture d'équilibre par le fait que le « contre-don » est nécessairement différé dans le temps. Le don oblige à terme. En effet, en pratique une invitation à diner ou un cadeau quelconque ne peut être rendu immédiatement. Le laps de temps séparant le don de son rendu peut alors être assimilé à une forme de crédit, supposant alors un accroissement de la dette causé par un mécanisme semblable à celui de l'intérêt bancaire. Celui qui reçoit est alors obligé à un contre-don de plus grande valeur.

74. Le don, une pratique dénuée de générosité. Ainsi, derrière des pratiques en apparemment gratuites, libres et généreuses, se cache nécessairement un intérêt pour le donateur et « refuser de donner, négliger d'inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre; c'est refuser l'alliance et la communion »47

75. Le don, un vecteur de soumission. « Accepter quelque-chose de quelqu'un, c'est accepter quelque chose de son essence spirituelle, de son âme »48. En disant cela Marcel Mauss reconnaît une force intrinsèque à toute chose donnée. « Dans les choses échangées il y a une vertu qui force les dons à circuler, à être donnés, à être rendus ». Raison pour laquelle, pour Marcel Mauss, donner revient à exercer une emprise sur le donataire qui ne pourra s'en libérer qu'en rendant l'équivalent de la chose qu'il a reçu au donateur. L'auteur reconnaît donc une forme de danger à accepter un cadeau quel qu'il soit.

76. Approfondissement de la théorie de Marcel Mauss. Dans le même sens, Pierre Bourdieu a lieu aussi effectué une lecture pessimiste du don à partir de la notion de temps entre le don et le contre-don et la relation de supériorité qui s'installe entre le donateur et le donataire: « en effet, pour lui, ce laps de temps permet au donateur de faire violence au donataire (contraint de rester débiteur du donateur). Par ailleurs, dans ce système, la violence est masquée sous une apparence de générosité sans calcul. Le donataire reste donc dans la dépendance du donateur49».

47 Marcel MAUSS. (1968). Essai sur le don : Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques. Sociologie et Anthropologie. PUF. Collection Quadrige. 4ème édition. p.20 de la version numérique

48 Marcel MAUSS. (1923 -1924). Essai sur le don. L'Année Sociologique.

49 Nicolas OLIVIER. (2008). Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques - Lectures. Les comptes rendus.

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B -- Etude sémantique sur la notion de cadeau par Dominique Bourgeon

77. De l'intérêt de la sémantique et de l'étymologie. Dans son article « Le cadeau empoisonné: séduction et amours clandestines » publié en 2010 à la Revue du Mauss, Dominique Bourgeon, sociologue contemporaine, et dans la continuité des travaux de Marcel Mauss, mène elle aussi une réflexion intéressante sur la notion de cadeau. L'auteur fait d'ailleurs référence à une partie des développements de Marcel Mauss au sujet du don, du « recevoir » et du « rendre ». Elle nous rappelle aussi que la notion de « cadeau » au sens large a pu revêtir un certain nombre de significations au travers de son histoire. L'étymologie et la sémantique pouvant, dans le cadre de cette étude, être riches d'enseignements.

78. La notion de « cadeau empoisonné ». Un des développements de Dominique Bourgeon porte sur une signification péjorative du cadeau, le cadeau « empoisonné », à savoir celui qui aliène en plaçant le donataire dans une situation de dette.

79. Le cadeau et la notion de dette. A cet égard elle rappelle que « les mots « dette » et « culpabilité » portent, en allemand, le même nom (au pluriel près): « schuld-culpabilité » et « schulden-dettes ». Rompre avec l'obligation de rendre engendrerait un sentiment de culpabilité assimilable à un mal « qui ronge », à un poison à l'action lente »50. Ainsi, celui qui reçoit un cadeau serait rongé par la culpabilité et finirait inéluctablement par « renvoyer l'ascenseur » au donateur.

80. Le cadeau, objet de séduction et de corruption. Dominique Bourgeon assimile aussi le cadeau à un « philtre d'amour », sorte de venin, visant à séduire, à influencer les comportements et les choix. Elle apporte ainsi un parallèle entre la traduction en latin ecclésiastique du terme « séduire », signifiant corrompre, sens de subducere en latin populaire: « séduire, corrompre, suborner ».

81. Le cadeau, un outil de manipulation social, créateur de lien. L'objet de l'article de Dominique Bourgeon est manifestement de mettre en exergue le lien sémantique entre les notion de séduction, de corruption et de cadeau, dont la finalité serait de « transgresser l'ordre établi et de s'affranchir, notamment, des lois du don : au niveau de l'individu en le désinhibant et en violant sa libre acceptation, au niveau collectif en menaçant le jeu des alliances », en créant des alliances

50 Dominique BOURGEON. (2010). Le cadeau empoisonné: séduction et amours clandestines. Revue du MAUSS 2 (n° 36). pp 183--196

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normalement prohibées et au moins non-naturelles. On voit ici le rapprochement que l'on peut faire avec la notion de corruption en matière pénale. Le terme corruption n'est cependant évoquée par l'auteur qu'en tant que moyen de séduction amoureuse et non commerciale.

82. Portée des analyses de Marcel Mauss et Dominique Bourgeon sur la notion de don et de cadeau. En résumé, ces analyses confirment l'idée selon laquelle un cadeau est généralement utilisé, consciemment ou non, en vue de séduire celui qui le reçoit et, peut être de nature à corrompre son jugement. Ainsi, l'objectif sous-jacent, assumé ou non, de celui qui « offre » sera souvent d'obtenir quelque-chose qu'il n'aurait pu obtenir sans cadeau, ou du moins plus difficilement. On comprend bien pourquoi les cadeaux peuvent être considérés comme des objets de séduction, ayant pour finalité naturelle d'altérer le jugement du donataire et ainsi de le forcer à agir dans l'intérêt du donneur. Bien qu'il ait librement accepté de le recevoir, il faut reconnaître un pouvoir à la chose donnée, celui de violer la liberté du donataire au profit de l'intérêt du donateur.

83. Un lien existant entre les notions de don, de cadeau et de corruption. On comprend aussi d'autant mieux en quoi la frontière entre la corruption (cette fois-ci au sens pénal du terme) et le simple cadeau d'affaires est et restera toujours extrêmement fine et difficile à tracer. Et pour reprendre le vocabulaire employé par Marcel Mauss dans son « essai sur le don », on peut légitimement se demander dans quelle mesure, dans un schéma de corruption, l'acte de la fonction attendu de la part du corrompu, ne puisse s'apparenter au « contre-don ».

II -- La pratique du « cadeau d'affaires » et des ventes avec prime, des pratiques licites mais encadrées.

84. Nécessité de protection de l'économie. D'une certaine manière, le droit pénal répond, en complément du droit de la concurrence et du droit de la consommation à un objectif de protection de l'économie, des concurrents et des consommateurs. En effet, les qualités d'un produit ou d'un service sont parfois insuffisantes pour décider le client à contracter. Corrompre c'est renoncer à conquérir des marchés par la seule qualité des biens ou services proposés, c'est un comportement qui entraîne la diminution de la recherche et du développement et à terme une perte de compétitivité que même la corruption ne saurait annihiler. Les acteurs en situation de concurrence doivent donc recourir à divers stratagèmes plus ou moins ingénieux afin d'attirer la clientèle. Encore faut-il que les méthodes employées demeures légales. Parmi ces méthodes promotionnelles

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utilisées par les professionnels ont retrouve notamment la vente avec prime et le cadeau. La lutte contre la corruption peut elle aussi être considérée comme faisant partie d'un arsenal visant à protéger l'économie et ses acteurs.

A -- Eléments de définitions : Distinction entre primes et cadeaux dans les affaires

85. Evolution de la réglementation sur les primes et cadeaux. L'impératif de protection de l'économie est l'objet d'une réglementation ayant connu un certain nombre d'évolutions ces cinquante dernières années. Dans un premier temps les pouvoirs publiques ont eu une attitude plutôt restrictive, contribuant à l'existence d'une liste d'infractions importante à l'encontre des professionnels, concernant un certain nombre de procédés de vente jugés néfastes. Toutefois la tendance semble s'être inversée, notamment sous l'influence du libéralisme de l'Union Européenne. En droit interne, l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, codifiée dans le Code de commerce, aux articles L. 410-1 et suivants marque probablement ce revirement. Au départ, la loi du 20 mars 1951 n'interdisait que les ventes avec primes, épargnant l'autorisation de la pratique des cadeaux. Toutefois l'article 40 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 est venu à son tour les interdire. Ainsi, jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 les deux pratiques étaient donc interdites et sanctionnées de la même manière.

86. Un assouplissement de la réglementation concernant les seuls cadeaux. Cette ordonnance a contribué à un certain assouplissement du droit. Depuis, le fait de remettre des cadeaux à la clientèle ne constitue plus, par principe, une infraction pénale. (Qui pouvait alors s'analyser à l'époque comme une infraction obstacle à certains modes opératoires de corruption privée). Quant à la vente avec prime, considérée comme faussant la concurrence, celle-ci est demeurée prohibée et sanctionnée par l'article L.121-1 du Code de la consommation jusqu'à une date récente.

87. La vente avec prime. La vente avec prime est une « technique d'incitation à l'achat consistant à attirer le client en lui offrant la perspective d'obtenir, avec un produit ou un service acquis à titre onéreux, un autre objet ou un autre service remis gratuitement ou à des conditions avantageuses »51. La prime est donc un produit ou un service accessoire additionnel au produit ou service objet principal

51 Lamy, « Droit économique », Partie 3 « Distribution », Division 2 « Les méthodes de vente et d'offre de services », Chapitre 3 « Les avantages ou suppléments proposés ou imposés », Section 1 « Les primes et cadeaux ». (n°3337) « Critères de distinction entre primes et cadeaux ».

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de la relation d'affaires et accordée à l'entreprise et non à ses représentants. Cette prime est connue à l'avance et est accordée au client simultanément à la conclusion du contrat principal, de vente ou de prestation de service.

88. Le cadeau. Contrairement à la prime, le cadeau est indépendant de tout contrat principal. « C'est un produit accordé à toute personne sans obligation de contracter »52. Il est intéressant de faire ici un parallèle avec les développements précédents, au sujet de l'affirmation « sans obligation de contracter ». Il a en effet été soutenu par les auteurs que nous avons cités que, dans une certaine mesure, le cadeau oblige d'une manière ou d'une autre celui qui le reçoit.

89. Distinction principale entre cadeau et vente avec prime. La distinction essentielle entre la prime et le cadeau a pu être rappelée par la cour d'appel de Rouen qui a considéré que, dans l'hypothèse où, avant de contracter l'acheteur ignore qu'un produit ou service supplémentaire lui sera fourni gratuitement ou à des conditions avantageuses, il ne pouvait s'agir d'une prime mais d'un cadeau, d'une libéralité « puisque la vente ne confère pas obligatoirement un droit à cet objet» (CA Rouen, 11 mars 1965, Gaz. Pal. 1965, 2, tables, p. 287, nos 24 et s.). A cette époque la pratique du cadeau était autorisée, contrairement à celle de la vente avec prime.

90. Cas des cadeaux avant contrat. Une autre distinction se fait au sujet des cadeaux octroyés en amont de toute signature de contrat, une pratique répandue dans le monde des affaires et qui nous intéresse tout particulièrement au regard de l'infraction de corruption. Ces derniers n'entrent a priori pas dans le champ de la définition de la prime.

91. Autre cas particulier, la vente avec prime dissimulée. Une pratique courante consiste pour une entreprise à présenter des cadeaux en apparence indépendant de toute signature de contrat qui ne seront en réalité octroyés que si cette signature intervient. En d'autres termes, l'entreprise fait « miroiter » un cadeau à son client. A ce sujet, une réponse ministérielle de 1994 énonce que « lorsque l'annonce d'un cadeau d'entreprise dissimule une vente avec prime, ce qui suppose qu'en réalité la remise du cadeau soit subordonnée à un achat par le consommateur, le professionnel qui présente une fausse offre gratuite s'expose aux sanctions applicables à la publicité mensongère prévue et réprimée par les articles L.

52 Lamy, « Droit économique », Partie 3 « Distribution », Division 2 « Les méthodes de vente et d'offre de services », Chapitre 3 « Les avantages ou suppléments proposés ou imposés », Section 1 « Les primes et cadeaux ». (n°3337) « Critères de distinction entre primes et cadeaux ».

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121-1 et suivants du code de la consommation » (Rép. min. à QE no 11015, JOAN Q. 26 sept. 1994, p. 4768).

92. Frontière ténue avec la corruption. Par essence, les primes et les cadeaux sont toujours utilisés comme des arguments de ventes additionnelles. Ils sont destinés à s'ajouter à la prestation commerciale principale (produit ou service) afin de convaincre le client de contracter avec celui qui les propose. Leur utilisation détournée est non seulement de nature à fausser la bonne concurrence mais peut aussi, à certaines conditions, être constitutive de corruption.

B -- Primes et cadeaux, une évolution à deux vitesses

1 -- Evolution de l'encadrement de la pratique des ventes avec prime

93. L'influence du droit de l'Union Européenne. La question de la conformité de la législation nationale au regard du droit communautaire a fait l'objet d'une première décision par la Cour de justice en 1982. Cette dernière avait considéré dans un premier temps « qu'on ne saurait méconnaître que l'offre de primes en nature comme moyen de promotion des ventes peut induire en erreur les consommateurs sur les prix réels des produits et fausser les conditions d'une concurrence basée sur la compétitivité. Une législation qui, pour cette raison, restreint ou même interdit de telles pratiques commerciales, est donc de nature à contribuer à la protection des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales »53, validant ainsi l'interdiction en vigueur en droit français.

94. Revirement de la position de la Cour de justice de l'Union. Il faut attendre l'année 2010 avant que cette décision, bien que contestable à certains égards, face l'objet d'une remise en question. Une nouvelle décision de la Cour de justice, cette fois sur le fondement de la directive du 11 mai 2005 sur les pratiques commerciales déloyales, a condamné l'Autriche du fait de dispositions de droits internes prévoyant l'interdiction générale des ventes avec primes. Le droit français étant sur ce point très semblable au droit Autrichien, cette décision avait alors été reprise par la Cour de cassation54. Ceci ayant eu rapidement pour effet de pousser le législateur national à revoir sa copie.

53 CJCE, 15 déc. 1982, aff. 286/81, Oasthoek, Rec. CJCE 1982, p. 4575, Activités CJCE 1982, no 30

54 Cass. com., 13 juill. 2010, no 09-15.304, Bull. civ. IV, no 127, JCP E 2010, 1820 ; Cass. 1re civ., 15 nov. 2010, no 09-11.161, Bull. civ. I, no 232, JCP E 2010, 2016

95.

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La levée de l'interdiction de principe de la pratique des ventes avec primes en droit national. Ainsi, c'est sous l'impulsion de la jurisprudence de l'Union Européenne puis de la Cour de cassation que la loi no 2011-525 du 17 mai 2011 est venue modifier l'article L.121-35 du Code de la consommation en précisant que « la vente avec prime n'est prohibée que dans la mesure où elle revêt un caractère déloyal au sens de l'article L.120--1 »

96. Des limites persistantes. Le recours à la vente ou à la prestation de service avec prime n'est toutefois pas entièrement dérèglementé. En principe, entre professionnels, la prime doit figurer dans les conditions générales de ventes et doit figurer sur la facture et en comptabilité au titre des « rabais, remises, ristournes ». Par ailleurs des règles particulières de droit de la concurrence s'appliquent aux entreprises en situation de domination sur un marché. Aussi, il convient de rappeler que le recours à la vente ou à la prestation de service avec prime doit être effectué dans le respect de l'article 445-1 du Code pénal, objet de cette étude. En effet, « la Cour de cassation, par une décision en date du 26 janvier 2011 a confirmé la décision de la cour d'appel d'Aix-en-Provence sanctionnant le prévenu, président d'une fédération, pour avoir obtenu un ordinateur qui constitue « un avantage patrimonial qui ne saurait être assimilé à un cadeau d'entreprise qui n'aurait pas manqué d'apparaître sur une facture idoine afin d'accomplir un acte de sa fonction, s'agissant du choix d'une entreprise aux fins d'établissement d'un contrat de maintenance informatique et d'acquisition de matériel informatique concernant directement l'organisme dont il assurait la présidence » (Cass. crim, 26 janv. 2011, no 10-82.281) »55

97. Sanctions pénales. Les infractions à la législation des ventes ou prestations de services avec prime sont des contraventions de la cinquième classe. L'amende maximale encourue étant de 1500 euros et de 3000 euros en cas de récidive56. Toutefois, il est intéressant de noter que l'amende pourra être prononcée à chaque vente ou prestation exécutée en contravention avec la législation. Le montant cumulé pouvant vite devenir conséquent.

55 Lamy, « Droit économique », Partie 3 « Distribution », Division 2 « Les méthodes de vente et d'offre de services », Chapitre 3 « Les avantages ou suppléments proposés ou imposés », Section 1 « Les primes et cadeaux ». (n°3352) « Limites à la validité des primes entre professionnels ».

56 Article R. 113-1 et R. 121-13 du Code de la consommation et 131-13, 5° du Code pénal

98.

40

Cumul avec d'autres infractions. L'interdiction des ventes avec primes supposant qu'elle revête un « caractère déloyal » au sens de l'article L. 120-1 permet presque automatiquement de poursuivre tout comportement relatif à une vente avec prime non conforme sur le fondement des l'articles L. 121-1, réprimant justement les pratiques commerciales déloyales. Dans ce cas les peines prévues sont bien plus élevées puisque l'article L. 121-6 du code de la consommation prévoit une peine d'emprisonnement de deux ans et une peine d'amende de 300 000 euros, pouvant être portée à 10% du chiffre d'affaires moyen annuel des trois dernières années.

99. Dans le cadre de ce mémoire il semble superflu d'aller plus loin dans l'étude de la réglementation des pratiques de vente avec primes (nous n'aborderons donc pas les modalités d'attribution de la prime ni les régimes particuliers). L'essentiel semble avoir été développé au regard de la compréhension de la démonstration du caractère sensible à la corruption privée de certains comportements qualifiés de pratiques d'affaires. Il convient néanmoins de s'intéresser désormais plus précisément à la règlementation de la pratique des cadeaux en matière commerciale.

2 -- Evolution de l'encadrement de la pratique des cadeaux dans les affaires

100. Rappel. Comme il a été dit précédemment, l'article 40 de la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 prohibait la remise à titre gratuit de tout produit ou prestation de service gratuit dès lors qu'elle n'était pas liée à un acte commercial onéreux. Avant l'entrée en vigueur de tout assouplissement de cette interdiction, la jurisprudence avait dors et déjà admis certaines pratiques assimilables aux cadeaux.

101. Abrogation récente de l'interdiction de la pratique des cadeaux. Cette interdiction est désormais dépassée et la jurisprudence confirmée depuis l'ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986, sans qu'aucune nouvelle règle pénale d'ordre général ne soit venue limiter cette dérèglementation. Nous le verrons, il existe néanmoins certaines exceptions. La dépénalisation a pu rendre possible, du moins par principe, certaines pratiques commerciales telles que le transport gratuit de clientèle, les annonces et journaux d'annonces gratuits et tout autre objet sans aucune limite de valeur imposée.

102.

41

Cas particulier des cadeaux d'affaires ou cadeaux d'entreprise. Il est intéressant de noter qu'avant cette dépénalisation de la pratique commerciale des cadeaux, qui est intervenue relativement tard, les cadeaux d'entreprise ou cadeaux d'affaires, avantages gratuits bien connus, notamment en matière de corruption, étaient eux aussi visés par l'interdiction générale de 1973, sans exception à leur égard. Malgré cette interdiction générale, cette pratique visant à créer, maintenir ou consolider une relation d'affaires entre le fournisseur et le client n'a jamais cessé d'exister et jouissait d'une certaine impunité. Aujourd'hui, si cette pratique est réalisée « dans les règles », sa légalité de principe n'est de toute façon plus contestée en droit de la concurrence et de la consommation.

103. Exceptions à la licéité des cadeaux concernant les professions de santé. Au regard de la lutte contre la corruption, certaines limites à la licéité de la pratique des cadeaux et primes doivent cependant être évoquées et notamment celles concernant le secteur de la santé.

III - Les exceptions à la licéité de la pratique des cadeaux, des mesures destinées à lutter contre la corruption

La pratique des primes et cadeaux fait l'objet d'une prohibition de principe dans certains domaines (A) mais connait aussi des limites matérialisées par l'infraction de corruption privée (B).

A -- Exceptions au principe de licéité de la pratique des cadeaux commerciaux

1 - Le régime de l'exception et la loi « anti--cadeaux »

104. Dispositions concernant les pharmaciens. Un certain nombre de dispositions imposent une interdiction de principe à la pratique des cadeaux par les pharmaciens. C'est le cas notamment de l'article R. 4235-22 du code de la santé publique (« relatif à la sollicitation de clientèle par des procédés contraires à la dignité de la profession »), de l'article R. 4235-25 du code de la santé publique (« relatif à l'atteinte au libre choix du pharmacien par les malades »), et de l'article R.5122-4, 14° du code de la santé publique interdisant aux officines et autres établissements pharmaceutiques de donner des primes, objets, produits, avantages matériels directs ou indirects57.

57 Ce régime spécifique est rappelé aux professionnels concernés et fait l'objet d'un article

pédagogique disponible sur le site de l'ordre des pharmaciens:

105.

42

Dispositions concernant les professions médicales. L'article L. 4113-6 du Code de la santé publique dispose « qu' est interdit le fait, pour les étudiants se destinant aux professions relevant de la quatrième partie du présent code et pour les membres des professions médicales mentionnées au présent livre, ainsi que les associations les représentants, de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Est également interdit le fait, pour ces entreprises, de proposer ou de procurer ces avantages ».

106. Professionnels concernés par l'interdiction. Cette interdiction de principe concerne notamment les médecins, les chirurgiens-dentistes, les chirurgiens orthopédistes, les ophtalmologistes, les sages-femmes, les infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, orthoptistes ou encore les orthopédistes.

107. Nature de l'interdiction. Ces personnes ne peuvent recevoir d'avantages provenant d'une entreprise fabriquant ou commercialisant des produits pharmaceutiques, des matériels médico-chirurgicaux dès lors que les produits sont pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. Constituent des « avantages interdits » ceux reçus directement ou indirectement, espèces (commissions, ristournes, remboursements de frais) ou en nature (notamment cadeaux, invitations, prises en charge de voyages d'agrément), qu'ils aient ou qu'ils n'aient pas de rapport avec des prestations prises en charge par la Sécurité sociale dès lors que l'entreprise qui consent l'avantage commercialise elle même des prestations prises en charge par la sécurité sociale.

108. De rares exceptions. Hormis certaines exceptions (« avantages de valeur négligeable » et activités de recherche ou d'évaluation) dont les régimes ne seront pas détaillés ici, la pratique des cadeaux et primes est donc prohibée en matière sanitaire. En résumé, le pharmacien se voit donc empêché de faire des cadeaux à sa clientèle et le médecin d'en recevoir de la part d'entreprise gravitant dans le monde de la santé.

http://www.ordre.pharmacien.fr/Nos-missions/Le-role-de-l-Ordre-dans-les-missions-de-sante-publique/Dispositif-anti-cadeaux

43

2 - Le risque de corruption, raison principale de l'exception frappant le secteur de la santé

109. Justifications de l'exception à la licéité de la pratique des cadeaux dans le domaine de la santé. A ce stade de l'étude il convient de s'interroger sur les causes de l'interdictions faite aux professions médicales. Selon le Professeur Claude Béraud58 et pour reprendre ses propos, « Les risques de la corruption sont mieux connus depuis quelques années en raison de l'éclairage visant les conflits d'intérêt des professionnels de la santé qui conduisent à la commercialisation et à la prescription de dispositifs médicaux ou de médicaments dangereux pour les malades. Des lois ont été votées pour permettre la transparence des relations financières entre les industriels et les soignants. Leur efficacité n'est pas garantie car la plus grande partie des honoraires que les industriels versent aux soignants ne sera pas connue du public »59.

110. Manifestation de la corruption en matière médicale. Aujourd'hui, en matière médicale le corrupteur est rarement un individu isolé qui, par exemple, corrompt le membre d'une clinique pour obtenir un passe droit concernant des soins ou un emploi. En matière sanitaire, la corruption s'exerce de façon industrielle, directement ou par l'intermédiaire de sociétés « de lobbying » auprès de certains acteurs du système de santé. Les médecins ou les pharmaciens sont donc concernés par cette corruption, la plus souvent afin qu'ils prescrivent les produits commercialisés par les industries pharmaceutiques. L'existence de ces risques particuliers de corruptions a récemment poussé les pouvoirs publics à adopter des lois visant à les réduire et à les combattre. Notamment « la loi de 2003 « anti--cadeau », proposée par Simone Veil et Philippe Douste Blazy, toujours en vigueur mais elle a et complétée par la loi de Xavier Bertrand du 29 décembre 2011 sur les liens d'intérêts qui lorsqu'ils sont de nature à faire naître un conflit d`intérêts doivent être déclarés »60.

111. Une exception justifiée par un intérêt supérieur. On peut donc légitimement en déduire que les exceptions en matière sanitaire à l'autorisation de principe de recourir à la pratique des cadeaux d'affaire sont motivées principalement par une volonté des pouvoirs publics de réduire au maximum les

58 Le Professeur Claude Béraud est un enseignant-médecin agrégé. Ancien chef de clinique à Bordeaux et ancien vice-président de l'Université de Bordeaux. Il a participé à plusieurs commissions ministérielles notamment la Commission nationale des comptes de la santé. Il est également nommé médecin conseil national en 1989. Il a aussi occupé le poste de conseiller du président de la Mutualité française jusqu'en 2003( http://www.claudeberaud.fr).

59 http://www.claudeberaud.fr/?72-lutter-contre-les-fraudes-et-la-corruption-dans-le-systeme-de-soins

60 Ibidem

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risques de corruption. L'idée de Marcel Mauss selon laquelle il existe une forme de danger à accepter un cadeau semble donc intégrée par les pouvoirs publics. C'est face à ce danger que ces derniers ont préféré réguler au maximum leur utilisation dans le domaine de la santé, au détriment de la liberté. Cette exception s'explique probablement par le fait que la santé est considérée comme étant d'un intérêt supérieur à celui de la protection de la liberté de commerce et d'industrie. Cette forte régulation de la pratique du cadeau est donc censée matérialiser un obstacle à toute corruption en matière de santé.

112. Un risque de corruption privée justifié par la liberté? Cette analyse conforte donc l'idée développée par les sociologues que nous avons cités, selon laquelle tout cadeau induit nécessairement un risque de corruption puisqu'il implique quasiment toujours un « contre-don » au profit du donateur. Bien que les pouvoirs publics aient conscience de ce risque, la pratique des cadeaux et notamment des cadeaux d'affaires reste licite dans une grande majorité des secteurs de l'économie. Ceci ne doit donc pas être interprété comme une reconnaissance d'absence de risque de corruption liée à la pratique des cadeaux et primes mais comme un choix politique, celui de faire primer la liberté sur la sécurité dans les affaires. Rappelons à cet égard que c'est sous l'influence de l'Union Européenne que la pratique fut réintroduite en droit de la consommation et en droit de la concurrence.

113. Ainsi, on le voit, l'utilisation des primes comme les cadeaux ne fait plus aujourd'hui l'objet d'interdiction de principe, il n'y a donc plus d'obstacle à leur utilisation dans les pratiques commerciales. Reste donc la question du droit pénal et fiscal et des obligations à respecter pour ne pas risquer de se rendre coupable de l'infraction réprimée aux articles 445-1 et 445-2 du Code pénal.

B - La pratique actuelle du cadeau d'entreprise et les risques de corruption

1 - Une pratique influencée par le contexte économique et culturel

114. Influence de la crise actuelle sur la pratique des cadeaux d'affaires. Les difficultés économiques récentes ont entrainé avec elles une volonté palpable de la part de la part de nos dirigeants de faire entrer plus d'éthique dans les affaires. Cette volonté s'illustre de façon assez claire et médiatique s'agissant du respect de l'environnement mais de façon moins évidente concernant l'éthique des affaires.

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Toujours est-il que les cadeaux d'affaires, levier de commercialisation stratégique pour les entreprises, semblent être dans le viseur des autorités publiques, fiscales et pénales. En matière fiscale par exemple, ils peuvent dans certaines hypothèses être considérés comme une rémunération à part entière, avec les conséquences en matière d'imposition qui s'en suivent. Ils peuvent à ce titre constituer une contrainte importante pour l'entreprise.

115. Des formes variées de cadeaux d'affaires. Le cadeau peut revêtir diverses formes plus ou moins classiques. Spiritueux, parfums, séjours en hôtels de luxe, gastronomie, objets technologiques, cours de cuisine ou d'oenologie, visites culturelles, coffrets cadeaux, invitation sur un circuit automobile... la liste est longue et semble n'avoir de limite que l'imagination des donateurs. Les limites juridiques sont quant à elles plus nettes, quoique parfois difficiles à définir.

116. Une affaire de culture et une pratique traditionnelle française. D'après une étude de 2012 menée auprès de 500 entreprises françaises par la société Omyagué spécialisée dans la commercialisation de cadeaux d'affaires, le chiffre d'affaires du marché des cadeaux d'entreprise en 2012 était estimé à 851,45 millions d'euros, en progression de 3% par rapport à l'année 201161. Le cadeau d'affaires semble être une affaire de culture, en France comme au Brésil ou en Russie cette pratique semble faire partie des moeurs, contrairement à l'Allemagne ou la Suisse62 et plus généralement aux pays de culture anglo-saxonne, peu enclins à accepter des cadeaux d'affaires.

117. Réflexion sur la culture anglo--saxonne du cadeau d'affaires. D'après Eric Morgain, consultant, ex-associé du cabinet d'audit et de conseil Deloitte63, les anglo-saxons seraient moins adeptes des cadeaux d'affaires par crainte notamment des risques d'accusation de corruption ou par respect des chartes éthiques encadrant ces pratiques, plus répandues dans leurs entreprises. Selon lui, «Il n'y a pas de cadeau sans contrepartie. Au mieux, c'est inutile, au pire c'est dangereux. Le terrain de l'entreprise est celui des compétences. Nous pouvons aussi entretenir de bonnes relations grâce à notre expertise, notre confiance et des relations humaines sérieuses. C'est beaucoup plus durable qu'un bon d'achat pour un week--end.» Par ailleurs, rien n'interdit de renvoyer un cadeau d'affaires. Dans certaines

61 http://www.actionco.fr/thematique/motiver-1019/seminaires-conventions-10091/Breves/Face-a-la-crise-les-entreprises-recourent-aux-cadeaux-d-affaires-54421.htm

62 Clarisse BURGER (2011), cadeaux d'affaires, la sempiternelle remise en question. Le Nouvel Economiste. Propos de Charles-Olivier Dornoy, Directeur commercial et marketing des Grandes Etapes Françaises. Article disponible en ligne: http://www.lenouveleconomiste.fr/lesdossiers/cadeaux-daffaires-la-sempiternelle-remise-en-question-9599/

63 Ibidem

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hypothèses ce sera d'ailleurs préférable. En effet, rappelons l'idée de M.MAUSS selon laquelle refuser un don permet de ne pas s'exposer au danger qu'il induit. Le risque n'est toutefois pas seulement inhérent au cadeau lui-même mais découle aussi du flou qui entoure la pratique, notamment vis à vis du droit fiscal et pénal.

118. Evolution des mentalités. Longtemps, l'incertitude entourant la pratique des cadeaux n'a pas réellement posé de problème aux entreprises, toutefois, crise et éthique ont progressivement changé la donne. L'interrogation des professionnels semble croissante.

2 - Une insécurité juridique persistante

119. Des règles fiscales imprécises. En principe l'article 3964 du Code général des impôts exige que, pour être déductibles du résultat fiscal, les cadeaux d'entreprises doivent être effectués dans l'intérêt de l'entreprise65, qu'ils soient d'un montant « raisonnable » et en cas de dépassement d'un seuil66, qu'ils fassent l'objet d'une déclaration supplémentaire sous peine de sanctions. Aussi, les cadeaux dont la valeur unitaire est inférieure à soixante euros toutes taxes comprises par personne et par an sont déductibles de la TVA à condition qu'ils aient été faits dans l'intérêt de l'entreprise. Toutefois, en pratique, ces règles sont peu respectées. La principale difficulté étant que, hormis le seuil, le caractère « raisonnable » et le fait que le cadeau soit effectué dans l'intérêt de l'entreprise est soumis, en cas de contrôle, à l'appréciation de l'administration fiscale. Ces critères sont une première source d'ambiguïté et d'incertitudes quant aux cadeaux.

64 Extrait de l'article 39 du Code général des impôts : « 5. Sont également déductibles les dépenses suivantes:

e. Les cadeaux de toute nature, à l'exception des objets de faible valeur conçus spécialement pour la publicité

f. Les frais de réception, y compris les frais de restaurant et de spectacles.

Pour l'application de ces dispositions, les personnes les mieux rémunérées s'entendent, suivant que l'effectif du personnel excède ou non 200 salariés, des dix ou des cinq personnes dont les rémunérations directes ou indirectes ont été les plus importantes au cours de l'exercice.

Les dépenses ci--dessus énumérées peuvent également être réintégrées dans les bénéfices imposables dans la mesure où elles sont excessives et où la preuve n'a pas été apportée qu'elles ont été engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise.

Lorsqu'elles augmentent dans une proportion supérieure à celle des bénéfices imposables ou que leur montant excède celui de ces bénéfices, l'administration peut demander à l'entreprise de justifier qu'elles sont nécessitées par sa gestion ».

65 Conseil d'Etat, arrêt du 27 novembre 1959 (req., n° 44826 : Rec. CE, p. 634 : Dr. fisc. 1960, n° 10, doctr., concl. M. Poussière)

Conseil d'Etat, arrêt du 10 décembre 1969 (CE, 7e et 9e sous-sect., 10 déc. 1969, req., n° 73973 : Dr. fisc. 1970, n° 50, comm. 1429, concl. G. Schmeltz)

66 Actuellement le seuil s'élève à 3000 euros. L'obligation concerne la déclaration n°2067 (relevé des frais généraux pour les sociétés) ou le cadre F de la déclaration n°2031 de la liasse fiscale (pour les entreprises individuelles).

120.

47

Des règles pénales imprécises. L'objet des développements sociologiques précédents a été de démontrer que dans une certaine mesure, un cadeau implique généralement une contrepartie attendue du donateur. Ceci étant dit, il reste à étudier à quelles conditions la pratique des cadeaux d'affaires constitue et ne constitue pas une hypothèse de corruption privée au sens des articles 445-1 et 445-2 du Code pénal.

121. Initiative des pouvoirs publics en faveur de plus de précision. Face au constat de l'imprécision de la loi quant à la pratique des cadeaux d'entreprises, le législateur semble prendre conscience de la situation et souhaite y apporter des remèdes. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a été une première étape de modernisation en matière fiscale. Une remarque peut être faite à ce sujet, en effet, mieux encadrer ces pratiques par le droit fiscal constitue un moyen pour les pouvoirs publics de mieux les prévenir en donnant aux entreprises le moyen de savoir s'ils se trouvent dans une situation prévue légalement ou non. Dorénavant, tout cadeau au delà d'un certain montant offert à un salarié par un tiers est considéré comme un avantage en nature au sens du droit de la Sécurité Sociale et doit être soumis comme tel aux cotisations sociales. En revanche, lorsque le salarié exerce une activité en lien direct avec la clientèle aucune cotisation n'est imposée dès lors que la valeur du cadeau n'excède pas 15% du Smic mensuel. Cette disposition suppose bien entendu que les déclarations soient effectuées, en revanche, en cas de non déclaration (frauduleuse) cette disposition constitue une avancée, dans le sens où un cadeau qui n'aurait pas été déclaré conformément à cette règle permettra de démontrer peut-être plus aisément la mauvaise foi des agents. Pour beaucoup, cette nouvelle réglementation devrait faire évoluer les pratiques vers plus de transparence. Les entreprises vont devoir s'adapter en obligeant par exemple les services, utilisateurs théoriques de la pratique des cadeaux, à collaborer avec les directions financières afin de revoir leur stratégie de promotion.

122. Incitation des entreprises à plus de prudence. Du fait de l'attention plus grande qui est portée à la pratique des cadeaux d'affaires, à cette volonté de transparence affichée de la part des pouvoirs publics, les entreprises sont appelées à plus de vigilance. Notamment vis à vis des risques d'accusation de corruption. Leur attention doit porter sur la nature du cadeau, sur la façon dont il est offert, sans oublier le moment où il est offert. A cet égard, Jacques Nillès, consultant, Professeur de philosophie et maître de conférence en science de gestion à l'Université de Savoie (spécialisé en éthique de l'entreprise) considère lui aussi que « du cadeau d'affaires à la tentative de pot-de-vin, la frontière est parfois mince. On

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peut attendre en retour d'un cadeau d'affaires plus de souplesse dans la gestion d'un contrat, des négociations moins serrées sur les prix et c'est là où on frôle la corruption »67.

123. La proportionnalité, règle principale en matière de cadeau. Toujours selon Jean-Jacques Nillès, pour une entreprise, « la première chose à savoir est qu'il y a cadeau et cadeau. Il convient de distinguer les cadeaux rituels témoignant d'une forme de remerciement sans influencer la nature de la relation, d'un cadeau disproportionné qui vise à créer un sentiment de dette. C'est donc une question d'équilibre de la relation »68. Dans le même sens, Maître Titone et Maître Dary du cabinet Fidal69 précisent qu'il n'existe pas de règle spécifique, que la législation reste relativement imprécise mais que, outre l'importance du principe de proportionnalité en matière de cadeaux d'entreprises, la règle principale est de ne pas donner un cadeau en l'échange d'un acte précis et précisé de la part du donataire, comme la signature d'un contrat par exemple.

124. Difficultés d'appréciation de la licéité d'un cadeau. Nous l'avons vu, le don d'argent en matière de cadeau d'entreprise est prohibé. Il est cependant moins aisé d'être aussi radical concernant par exemple une invitation à diner dans un hôtel luxueux, à un spectacle ou une représentation sportive. Bien qu'il n'existe aucune interdiction de principe, ces pratiques peuvent être constitutives de corruption privée dans certaines hypothèses. C'est notamment le cas de la situation d'appel d'offre. Il ne faut pas être naïf, au cours d'un appel d'offre et spécialement lors de la négociation, les cadeaux doivent être évités au maximum, tant pour le fournisseur que pour le client. En effet, dans cette hypothèse, il paraîtrait peu crédible que le donateur comme le donataire n'ait pas une idée précise de la contrepartie logique d'un cadeau d'affaires. On pourrait éventuellement penser que dans ce cas précis, une sorte de présomption de contrepartie précise soit possible. Un tel comportement peut être constitutif du délit de corruption sanctionné par l'article 445-1 du Code pénal si l'avantage n'est pas en lien avec l'activité, que sa valeur est disproportionnée et qu'il vise à obtenir une contrepartie contraire aux usages et/ou obligations professionnels. Avant même l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005, la jurisprudence retenait que des présents en nature tels que des

67 Catherine QUIGNON (2011). Cadeaux d'affaire, la législation se durcit. Le nouvel économiste. Disponible en ligne: http://www.lenouveleconomiste.fr/lesdossiers/cadeaux-daffaires-la-legislation-se-durcit-10741/

68 Catherine QUIGNON (2011). Le nouvel économiste. Op cit.

69 Maîtres Matthieu DARY et Thierry TITONE (cabinet Fidal), spécialisés dans le droit des affaires (Pratiques tarifaires, réseaux de distribution, réglementation produit, droit de la consommation, infractions économiques). (2011). Cadeaux d'affaires: méfiez--vous. Action Co N°314. 1er Mai

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repas au restaurant70, du matériel hi-fi, photographique71 ou des voyages72 pouvaient faire office d'avantage indu.

125. Abus de bien social et abus de confiance. Aussi, il ne faut pas oublier qu'un dirigeant consentant un tel avantage peut être poursuivi sur le terrain de l'abus de bien social qui réprime le fait de faire un usage des biens ou du crédit de sa société contraire à son intérêt, à des fins personnelles ou pour favoriser une société dans laquelle il est intéressé. De la même manière, un salarié d'une entreprise qui reçoit un cadeau personnel afin de ne pas défendre au mieux les intérêts de sa société dans le cadre d'une négociation avec l'entreprise qui lui accorde ce cadeau peut être poursuivi sur le terrain de l'abus de confiance, une des infractions connexes au délit de corruption privée sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement.

126. Difficulté liée à une quasi absence de jurisprudence en la matière. L'état actuel de la jurisprudence en matière de corruption et cadeaux d'entreprise, hormis pour le secteur de la santé et concernant les agents du service public, ne permet pas d'en savoir plus sur les risques de corruption liés à la pratique des cadeaux d'affaires. Est-ce à dire qu'on ne peut se trouver dans une situation de corrupteur à corrompu en présence de tels cadeaux? Evidemment non, l'explication doit nécessairement se trouver ailleurs. On pourra éventuellement interpréter ce défaut de jurisprudence comme causé par un mélange de tolérance française envers certaines pratiques, par un désintérêt des autorités de poursuite qui privilégient (probablement pas manque de moyen) les atteintes à la probité des personnes publiques et surtout par un problème de preuve, inhérent à l'infraction de corruption et dont nous examinerons les contours ultérieurement.

127. Un moyen de lutte contre cette insécurité juridique. La principale difficulté concernant les cadeaux d'affaires et la corruption reste ce flou juridique. Les entreprises ont néanmoins des moyens de se prémunir contre les risques de pratiques abusives de la part de leur membres. La première chose à faire est de former les personnes concernées sur les règles de base à respecter concernant un cadeau fait à un client.

- Il ne doit pas être fait dans l'intention d'obtenir une contrepartie particulière. - Il doit être en rapport avec l'activité

- Il doit être d'un coût modéré et raisonnable

70 CA Paris, 25 mars 1998 : JurisData n° 1998-021008. - Cass. crim., 27 mai 1999, n° 98-84.471. - Cass. crim., 22 sept. 2004, n° 03-86.473 : JurisData n° 2004-025297 ; Rev. sociétés 2005, p. 205, note B. Bouloc

71 Cass. crim., 22 juin 1999, n° 98-85.258

72 CA Paris, 25 mars 1998 : JurisData n° 1998-021008

50

Pour ne pas s'exposer à des risques pénaux et fiscaux les fournisseurs doivent respecter ces quelques règles. A cet égard nous étudierons ultérieurement l'intérêt qu'ont les entreprises à intégrer des règles anti--corruption au sein de leur règlement interne.

128. Outre l'exposition particulière des acteurs du secteur achats à la pratique des cadeaux, le fonctionnement, l'organisation et plus simplement la raison d'être des services achats en font un écosystème spécialement sensible au risque de corruption.

51

SECTION 2nde - Les achats, un service particulièrement exposée au risque de corruption privée

Au regard de l'objectif de démonstration du fait que les achats sont un secteur sensible à la corruption, nous présenterons d'abord la raison d'être et l'organisation de ces services (I) avant de s'intéresser au processus et à la fonction achats (II)

I - Le service achats, une organisation au service de la rentabilité de l'entreprise

129. L'évolution des services achats semble être fonction d'un besoin de rentabilité croissant du fait de l'augmentation de la concurrence internationale. Cette réduction des coûts liée à la spécialisation des services a entrainé de facto un augmentation des risques de fraudes inhérents au service achats. (En moyenne, un service achats gère un budget représentant 40 à 80% du chiffre d'affaires de son entreprise). L'évolution ayant conduit à la mise en place de services achats dédiés sera évoquée (A) avant d'étudier les différentes organisations possibles de ces services (B).

A - L'importance croissante de la fonction achats dans les entreprises

130. Les intérêts stratégiques d'un service d'achats. L'intérêt premier de la mise en place d'un service achats est la réduction des coûts. Si une compagnie a plusieurs filiales ou plusieurs sites, elle va par ce biais pouvoir globaliser ses achats, augmenter le volume moyen des commandes et ainsi avoir un plus grand pouvoir de négociation auprès de ses fournisseurs. C'est grâce au service d'achats que la coordination et la globalisation vont être rendues possibles. Les relations avec les fournisseurs sont ainsi professionnalisées et les rapports de force plus équilibrés, allant même jusqu'à la mise en place de partenariats. Le service d'achats peut même aller jusqu'à suggérer d'externaliser certains secteurs d'activité à faible valeur ajoutée si sa connaissance du marché est bonne. Ce peut être très utile, dans un contexte où les entreprises françaises sont confrontées à la concurrence internationale, la réduction des coûts est devenue une priorité.

131.

52

L'importance croissante des services achats des entreprises. Nous sommes passés d'une économie de production, avec de forts volumes de ventes, à une économie mondiale. La pression de la concurrence s'est donc fortement accrue ces quarante dernières années, obligeant les entreprises à se réorganiser afin de rester rentables. Les prix de vente ne pouvant augmenter indéfiniment, la tendance des entreprises a été de se concentrer sur la réduction des achats afin d'améliorer leurs marges bénéficiaires73. Ce qui explique en partie pourquoi une des fonctions ayant le plus évolué est celle d'acheteur. Celle-ci a connu des évolutions majeures.

132. Le service achats, un service particulièrement exposé aux risques de corruption. En moyenne, le service achats d'une entreprise européenne voit passer entre ses mains 40 à 80% du chiffre d'affaires réalisé74. Le poste achats d'une entreprise est donc souvent un des plus élevé d'une entreprise, ce qui en fait un écosystème propice à la corruption.

133. Un développement de la fonction d'acheteur en plusieurs étapes. Au départ la fonction d'acheteur s'est d'abord développée dans le secteur industriel avant d'apparaître dans le secteur tertiaire. Avant de prendre sa forme actuelle la fonction d'achats s'est d'abord manifestée dans le suivi des approvisionnements. Cette fonction était généralement assez limitée, avec peu de responsabilité et donc peu exposée au risque de corruption. Toutefois la fonction d'approvisionneur a su évoluer pour de devenir celle que nous connaissons. « L'acheteur est devenu celui qui recherche les fournisseurs susceptibles de répondre aux besoins de l'entreprise en termes de qualité, de coûts et de délais. Il passe les appels d'offres et négocie les contrats en lieu et place des prescripteurs internes »75 .

134. La professionnalisation des services achats. Au cours des années 1990 cette fonction s'est professionnalisée, du fait notamment de l'utilisation croissante d'internet dans les affaires et donc de nouveaux outils tels que l'e-procurement ou l'e-sourcing. Durant cette période le métier d'achats avait une image négative et été apparenté à un rôle de « cost-killer ». « Au milieu des années 2000, le métier s'anoblit. Dans un contexte économique difficile, l'acheteur est celui qui permet à l'entreprise de conserver ses marges, de nouer des partenariats stratégiques avec des fournisseurs et de rechercher l'innovation. Enfin, il est dernièrement celui qui

73 Marge commerciale = Prix de vente HT - Coût d'achat HT

74 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015.

75 (2011). La fonction achats en entreprise, politique et stratégie d'achats. Décision Achats - Le guide N°4. 1er janvier. Disponible en ligne : http://www.decision-achats.fr/

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contribue à la bonne image de l'entreprise à travers le développement d'une politique d'achats durables »76. Interrogé en 2010 au sujet de la fonction achats, Pierre Pelouzet, président de la Compagnie des dirigeants et acheteurs de France (CDAF), déclare que, étant donnée la période économique actuelle les directions achats subissent toujours la pression des directions générales et financières concernant la réduction et la maîtrise des coûts. Selon lui c'est un signe positif, celui de la reconnaissance du métier d'acheteur. Pour Pierre Pelouzet, « le tout est de ne pas tomber dans la caricature de la réduction des coûts, c'est-à-dire le cost killing dont tout le monde connaît aujourd'hui les limites».

135. Extension de la compétence du service achats à tous les secteurs de l'entreprise. La tendance de l'évolution de la fonction achats fait apparaître une prise de contrôle progressive des différents portefeuilles de l'entreprise, bien que les secteurs d'achats dits « hors production » (ressources humaines, marketing, communication.) soient encore actuellement peu impactés par cette progression. Il reste que, il n'est pas exclu qu'à terme, malgré des résistances internes, les acheteurs parviennent à conquérir de nouveaux postes d'achats. Ceci reviendrait à étendre les risques de corruption inhérents aux achats, du fait notamment de nouvelles délégations aux services achats de la part des prescripteurs internes.

136. Une image négative de la part des pouvoirs publics. Au départ l'image du métier d'acheteur était relativement négative dans l'esprit des dirigeants et des pouvoirs publics. Mais la reconnaissance croissante du métier d'acheteur dans les entreprises explique que les pouvoirs publics s'y soient intéressés. Afin de tenter de réhabiliter l'image de l'acheteur, une charte de bonne conduite77 a été rédigée sous l'impulsion du CDAF78 et a été signée par Christine Lagarde Le 11 février 2010, alors ministre de l'économie79. Outre les pratiques relatives à la corruption80, les acheteurs pâtissent d'une mauvaise image due à l'attitude parfois irresponsable de certaines entreprises en matière de gestion des rapports humains. Souvent, le comportement négatif d'un petit nombre est de nature à impacter l'image de l'ensemble. Les acheteurs ne sont pas épargnés et le but de cette étude n'est bien entendu pas de rédiger une diatribe à leur encontre mais bien de faire état de l'existence de risques de corruption inhérents à leur fonctionnement.

76 Ibidem

77 http://www.relations--fournisseur--responsables.fr/

78 Abréviation pour Compagnie des dirigeants et acheteurs de France

79 http://www.cdaf.fr/referentiel--des--achats/charte--label

80 25% des Directeurs Achats avouent avoir déjà fait l'objet d'une tentative de corruption -- AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous-traitants en 2015

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B -- Les organisations achats dans les entreprises

137. Les organisations achats centralisées. Une organisation centralisée implique l'existence d'une seule direction des achats. Celle-ci pouvant dépendre de la direction générale de l'entreprise, avec dans ce cas une fonction stratégique des achats ou pouvant dépendre de la direction financière avec dans ce cas un rôle plutôt dit de « cost killer ». Au fur et à mesure de la professionnalisation des achats, les acheteurs aspirent bien évidemment à davantage d'indépendance. Le rattachement à la direction générale est souvent le signe d'une certaine maturité de la fonction tandis que le fait d'être sous la responsabilité de la direction financière peut laisser penser que la stratégie achats de l'entreprise porte avant tout sur les réductions de coûts et moins sur la recherche de l'innovation ou de la qualité des produits ou des prestations de service. Dans l'hypothèse où la direction achats est centralisée, elle gère à la fois les achats de production et les achats hors production. Les collaborateurs peuvent être, est c'est le plus classique, répartis par familles d'achats. Une autre configuration, un peu moins répandue est l'organisation projet d'achats par projet d'achats avec des acheteurs polyvalents. Par ailleurs, un service d'achats peut couvrir d'autres domaines, tels que la logistique de l'entreprise ou les services généraux.

138. Les organisations achats décentralisées. Dans le cadre d'une organisation décentralisée, les achats sont sous la responsabilité directe d'une « business unit » ou centre de profit en Français81. C'est l'organisation la plus fréquente dans le secteur industriel. Dans ce type d'organisation les achats restent stratégiques au sein de leur business unit, les acheteurs étant focalisées sur les achats de production. Ainsi, dans une même entreprise on pourra retrouver un certain nombre de directions achats permanentes sans aucun lien l'une avec l'autre. Aussi, en cas de projets communs à plusieurs business unit, dans certaines entreprises le choix a été fait de mettre en place une direction de coordination achats ayant pour fonction de superviser ces projets.

81 Une « business unit » ou centre de responsabilité est un « centre de responsabilité pour lequel a été fixé un objectif de profit ou de marge (atteindre un objectif de profit ou de marge donné, ou maximiser le profit ou la marge). La performance de ce centre étant déterminée par le profit ou la marge dégagée, il est dès lors possible de donner à son responsable toute liberté dans le domaine des prix (dans la mesure toutefois où la fixation des prix n'est pas incompatible avec la stratégie marketing de l'entreprise...) et de l'engagement des coûts (inutilité d'un budget détaillé imposé). Il est clair qu'un centre de profit doit être de préférence en contact avec le marché, ce qui n'élimine pas les cessions d'une partie de ses prestations à d'autres divisions de l'entreprise (ces transactions internes s'effectuant alors à des prix de cessions internes) ».

Ahmed SILEM, Alain-Charles MARTINET. (2009). Lexique de gestion et management. édition Dunod.

139.

55

Divide ut regnes. Afin de limiter les risques de corruption du service d'achats, une organisation décentralisée sera préférable. En effet, bien que l'objectif premier de la professionnalisation des achats soit d'aboutir à la réduction des coûts de fonctionnement d'une entreprise, celle-ci ne doit pas se faire au détriment de l'augmentation des risques de fraudes telles que la corruption. Dans tous les cas, que l'entreprise opte pour une organisation centralisée ou décentralisée, l'équilibre devra être trouvé entre les économies recherchées et les coûts que peuvent représenter les risques de fraude (matérialisé notamment par les pertes dues aux détournements, par les amendes potentielles du fait de la responsabilité pénale de l'entreprise ou par les coûts induits par le contrôle de prévention et de détection de la fraude).

140. Une nécessité d'équilibre. On l'a dit, l'objectif principal d'un service d'achats est la réduction des coûts. Toutefois, il apparaît que cette organisation est relativement sensible aux risques de corruption. Ce qui induit un certain nombre de risques de coûts. En cas d'absence de contrôle totale du service achats, l'entreprise s'expose à un risque de fraude et aux coûts qui y sont liés (amendes pénales, pertes liées aux détournements, mauvaise réputation etc.). Ces coûts sont à mettre en perspective avec ceux liés à la mise en place de procédures qui peuvent s'avérer elles aussi très coûteuses. Il nous sera difficile de chiffrer précisément les coûts induits par la fraude et sa prévention, toujours est-il qu'un équilibre doit être trouvé entre les économies induites par la centralisation des achats et les coûts liés à la fraude.

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II - Le processus achats, une étape exposée au risque de corruption

Pour comprendre cette exposition particulière des services achats il faut tour à tour étudier la fonction d'acheteur (A) puis ce qui constitue sa mission principale, à savoir le processus achats ou la mise en place des appels d'offres (B)

A - La fonction d'acheteur en entreprise

141. Le profil type de l'acheteur en entreprise. La fonction achats s'est fortement professionnalisée. Aujourd'hui, les acheteurs ont généralement un niveau bac + 5. Il est intéressant de noter que ces derniers ont généralement un profil qui correspond avec celui du fraudeur type82, bien que la fonction d'acheteur tende actuellement à se féminiser.

-- 61 % des fraudeurs exercent dans l'entreprise victime, dont 41 % depuis plus de 6 ans,

-- Dans 70 % des cas, le fraudeur est un homme entre 36 et 55 ans occupant un poste de manager.

-- 54 % des fraudes sont commises par des employés ayant des fonctions d'encadrement ou de direction.

-- Dans 70 % des cas, le fraudeur agit en collusion avec d'autres individus et cette tendance est en constante augmentation.

142. Différents niveaux de responsabilités. Pour ce qui est des profils, il convient de distinguer les directeurs achats des responsables achats et des simples acheteurs. Les premiers, du fait de leur plus haut niveau de responsabilité sont les plus exposés aux risques de corruption. Les simples acheteurs étant une cible secondaire pour les fournisseurs peu scrupuleux.

143. Prise en compte de l'importance de l'entreprise. Il convient également de différencier les acheteurs selon la taille de l'entreprise. Dans les plus grands groupes, l'acheteur fait partie d'un service très structuré, sa responsabilité est donc mieux définie et il est en général spécialisé sur un secteur en particulier. Dans une moyenne entreprise, il lui est déjà confié plus de responsabilités. Dans une TPE, il est multitâche.

82 KPMG. (2013). « Global profiles of the fraudster - White collar crime - present and future ». Etude.

144.

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Une variété de familles d'acheteurs. Il existe de nombreuses fonctions dans le domaine des achats. Dans les entreprises, on peut néanmoins distinguer deux grandes familles: les acheteurs de production et les acheteurs hors production. Dans la grande distribution, les acheteurs représentent une famille à part entière. C'est également le cas dans la sphère publique où la fonction est elle aussi en train de se professionnaliser. A chaque famille d'acheteur des risques particuliers existent.

145. Les achats de production. Le premier secteur concerné par la mise en place de services achats dédiés sont les achats de production, considérés comme les plus stratégiques. Progressivement, différentes fonctions sont apparues, comme celle de « responsable du sourcing international », suite à l'importance croissante des achats internationaux dans les pays en cours de développement. Autres exemples, celle de « responsable de la qualité achats » ou encore la création de postes de juristes spécialisés dans les achats.

146. Les achats hors production. Actuellement on assiste à une progression de l'achat dit « hors production » au sein des services achats. Ceci est certainement du à une prise de conscience de la part des entreprises du potentiel d'économie existant dans d'autres familles d'achats.

147. Une exposition au risque de fraude corrélée au niveau de responsabilité. Au plus haut de la hiérarchie d'un service, c'est le directeur achats qui est chargé de gérer toute le service et de faire la liaison avec la direction générale (les prescripteurs internes) ou avec d'autres secteurs comme la production. Etant donné son plus haut niveau de responsabilité, il n'est pas étonnant que statistiquement il soit le plus exposé au risque de corruption. En 2015, un directeur des achats sur quatre déclare avoir déjà été confronté à une tentative de corruption là où « seulement » 11% des acheteurs et 16% des responsables achats déclarent avoir déjà été confrontés à une tentative de corruption83.

148. La fonction d'achat et le processus d'achat. En pratique, le rôle d'un acheteur est de mener à bien le processus achats. La corruption peut être envisagée à chaque étape de ce processus.

83 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015.

58

B -- Le processus achats, un risque de corruption à chaque étape

149. Le processus achat, un processus en six étapes. L'acte d'achat est le résultat de plusieurs tâches opérationnelles successives. Ce processus peut être décomposé en six phases étapes : la définition du besoin, la recherche de fournisseurs, le lancement d'appel d'offres, l'analyse des offres, la négociation et enfin la contractualisation. A chacune de ces phases, le risque de corruption est présent. La gestion des relations avec les fournisseurs est un moyen d'anticiper les risques.

150. L'étape de définition du besoin. Logiquement, le produit ou la prestation de service dont a besoin l'entreprise est défini à cette étape. Pour cela l'entreprise doit établir un cahier des charges rédigé de façon plus ou moins détaillée. Selon ce degré de précision du cahier des charges, les fournisseurs potentiels disposeront d'une plus ou moins grande marge de manoeuvre pour y répondre. En précisant le contexte dans le cahier des charges l'entreprise peut donner au fournisseur une idée de l'objectif recherché par l'entreprise. Outre les caractéristiques du produit ou de la prestation, les modalités commerciales relatives à la signature du contrat, au budget, à la monnaie, au lieu de livraison des produits ou d'exécution des prestations de service peuvent être spécifiés. Plus le cahier des charges sera précis et plus les risques de corruption seront réduits. Les « prescripteurs internes »84 de l'entreprises pouvant imposer des contraintes au services achat, leur ôtant ainsi la possibilité d'imposer un fournisseur complaisant ou de surévaluer un marché. Préciser les budgets est un moyen d'éviter les petits arrangements entre acheteur et fournisseur. Outre l'aspect lutte contre la fraude, l'acheteur peut, en étant associé à la rédaction du cahier des charges, avoir une influence positive sur la définition du besoin. Les membres du service achat sont ceux dans une entreprise qui maîtrisent le mieux le marché et connaissent les qualités et défauts des fournisseurs potentiels.

151. L'étape de recherche du fournisseur. Une fois le besoin défini, l'acheteur a pour rôle de choisir le fournisseur adéquat. Pour cela il a en principe à sa disposition une liste des fournisseurs référencés de l'entreprise. Ce « panel » permet de recenser les fournisseurs connus et ainsi de limiter, d'un certain point de vue, les risques de fraude. Toutefois, bien que le risque soit minimisé, il est possible d'envisager l'hypothèse dans laquelle les membres du service achats nouent des liens plus « amicaux » avec les fournisseurs habituels de l'entreprise et

84 Expression employée par les auteurs de « La fonction achats en entreprise, politique et stratégie d'achats». (2011). La fonction achats en entreprise, politique et stratégie d'achats. Décision Achats -- Le guide N°4. 1er janvier. Disponible en ligne: http://www.decision--achats.fr/

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qu'à terme, des fraudes soient envisagées par l'une ou l'autre des parties, du fait de la relation de long terme ainsi nouée. Raison pour laquelle, nous le verrons, envisager un système de rotation dans les services achats, à l'image de ce qui est appliqué dans certains services publics, peut être une solution efficace pour éviter des collusions.

152. Méthodes de recherche de nouveaux fournisseurs. Dans certains cas, un besoin nouveau obligera l'acheteur à aller au delà du panel fournisseur et d'envisager la recherche de nouveaux fournisseurs afin de répondre au besoin. Des méthodes sont à sa disposition, relatives au « sourcing » et à l'homologation des nouveaux fournisseurs.

Le « sourcing » consiste à rechercher, à partir des objectifs consacrés dans le cahier des charges, à identifier une zone géographique et une qualité de produit ou de prestation attendue afin de réduire la liste des fournisseurs potentiels. Une fois identifiés, les potentiels futurs fournisseurs doivent être évalués grâces aux données publiques disponibles puis contactés et interrogés afin de déterminer quel fournisseur est le plus à même de répondre aux exigences du cahier des charges. Les fournisseurs doivent ensuite être homologués à l'aide de recherches complémentaires et des audits des fournisseurs afin de réduire les risques financiers, les risques de fiabilité ou les risques de fraude. Cela fait partie de la « due diligence ».

153. L'étape de l'appel d'offres. Vient ensuite le moment du lancement de l'appel d'offres. Dans la plupart des cas, le membre du service achat ayant le plus haut niveau de responsabilité, souvent le directeur, mène la procédure d'appel d'offres. C'est d'ailleurs une autre explication du fait que les directeurs achats sont statistiquement plus concernés par les tentatives de corruption que leurs collaborateurs subalternes85.

Le déroulement classique de l'appel d'offres consiste à constituer un dossier d'appel d'offres comprenant86:

-- Un résumé de l'appel d'offres (contexte et objectifs);

-- Les règles et principes gouvernant une procédure d'appel d'offres;

-- Le cahier des charges;

-- Les termes et conditions commerciales;

-- un questionnaire vierge au sujet du sous--traitant potentiel;

Plus l'appel d'offres est précis, moins les risques de corruptions seront élevés.

85 AgileBuyer - Groupement Achats HEC (2015). Les Priorités des Services Achats en 2014 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015.

86 (2011). La fonction achats en entreprise, politique et stratégie d'achats. Décision Achats -- Le guide N°4. 1er janvier. Disponible en ligne : http://www.decision--achats.fr/

154.

60

Etape de l'analyse des offres. Par la suite, les offres reçues par
l'acheteur sont analysées selon certains critères déterminants ou non (localité, matériel de production, savoir faire etc.) afin de réduire le nombre de fournisseurs potentiels. Les offres des fournisseurs restants doivent être analysées de façon transparente et objective et aboutir au choix final selon des critères de qualité, de coûts, de délais notamment.

155. Concernant le critère qualité, le respect de la norme Iso, par exemple, est un bon indicateur des performances d'un fournisseur.

156. Concernant le critère de coûts, un chiffrage précis du marché doit être réalisé en collaboration avec les fournisseurs figurant sur une « short-list » afin de pouvoir ne retenir que le plus compétitif.

157. Concernant le critère du délai, il doit être pris en compte au regard de l'agenda de l'entreprise qui peut, vis à vis de ses propres clients avoir des obligations strictes de respect de délais de livraison par exemple.

158. Concernant les critères additionnels. La capacité d'adaptation, la sécurité financière et la situation économique de l'entreprise sont également à prendre en compte.

159. Concernant la sélection. Une fois les offres passées au crible sur la base de paramètres précis le meilleur fournisseur devrait être naturellement sélectionné. Une procédure d'appel d'offre élaborée et contrôlée étant une des garanties les plus évidentes de prévention contre la corruption. Le service d'achats doit être à même de justifier le choix du fournisseur. C'est aussi une garantie d'égalité d'accès à la commande ou au marché.

160. L'étape de négociation87. Dans le cadre de relations commerciales entre professionnels, l'article L.441-6 du code de commerce dispose que les conditions de vente du fournisseur constituent le point de départ de la négociation commerciale88. Le fournisseur va essayer de convaincre son client de l'intérêt de son offre. Au cours des négociations le fournisseur va être tenté de faire usage

87 Près de deux tiers des fraudes aux achats reportées interviennent lors de la phase de sélection du prestataire. PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise : « Global economic crime survey ». p16

88 Maîtres Matthieu DARY et Thierry TITONE. (2011). Cadeaux d'affaires : méfiez--vous de la législation. Action Co N°314. 1er Mai.

Disponible en ligne: http://www.actionco.fr/Action-Commerciale/Article/Cadeaux-d-affaires-mefiez-vous-de-la-legislation-39727-1.htm

61

d'arguments de ventes tels que des promotions, des pratiques tarifaires plus intéressantes, des avantages pour l'entreprise cliente, ses dirigeants et salariés. Ceci peut se manifester sous forme de primes ou de cadeaux, pratiques dont nous avons dors et déjà évalué le risque de corruption. La négociation est une étape cruciale de l'entrée en relation d'affaires de l'acheteur et du fournisseur. A ce stade, une grande partie des discussions vont porter sur des considérations d'ordre financier. Pour le fournisseur comme pour l'acheteur, c'est probablement et logiquement le moment de la procédure d'appel d'offre où la tentation va être la plus forte d'entrer dans un schéma de corruption. Le fournisseur peu scrupuleux aura alors tout loisir de proposer un « pot-de-vin » à un membre de la direction des achats afin d'obtenir le marché à un prix plus intéressant ou afin d'évincer d'autres concurrents pouvant subsister dans l'appel d'offre. Inversement, un membre de la direction des achats pourra lui même, par exemple, suggérer le versement par le fournisseur d'une contrepartie pour son propre compte en l'échange de la dévolution du marché en des termes plus favorables pour le fournisseur. Il existe une pléthore d'hypothèses de corruption privée liée au service d'achats. Des illustrations seront présentées ultérieurement ainsi que les moyens pouvant être mis en oeuvre par les prescripteurs internes afin de limiter les tentations voire de les rendre inenvisageables.

Source: PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic crime survey ». p16

161.

62

L'étape de la contractualisation. A l'issue des négociations et une fois que le choix du fournisseur adéquat est fait il convient de contractualiser la relation d'affaires en établissant le bon de commande qui lie juridiquement l'entreprise à son fournisseur. Le contrat est un outil juridique important qui sert à la fois sur le plan civil et commercial mais qui en matière criminelle revêt une importance toute particulière en matière de preuve. L'examen du contrat peu permettre dans certaines hypothèses et en le confrontant à d'autres éléments de déceler et de démontrer une fraude. Classiquement le contrat comporte les identités des parties, l'objet du contrat en précisant la qualité, la quantité, les délais de livraison, le prix, les pénalités de retard ou encore les incoterms89. Autant d'éléments sur lesquels il est possible d'influer dans le cadre d'un schéma de corruption, dans le but d'avantager l'une des parties à ce pacte.

162. Bien que le risque de corruption inhérent aux services achats des entreprises soit un problème assez bien identifié, il reste que la lutte contre ce phénomène reste emprunte de difficultés importantes. Dans la seconde partie nous verrons quelles sont ces difficultés qui rendent la lutte compliquée et nous présenterons les principaux remèdes permettant de limiter le phénomène.

89 Incoterms : « abréviation anglo--saxonne de l'expression «International Commercial Terms», signifiant «termes du commerce international» et traduite en français par «C.I.V.» ou «conditions internationales de vente». Définition du site des douanes françaises. Disponible en ligne: http://www.douane.gouv.fr/articles/a10836--incoterms--pour--une--meilleure--performance

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2ÈME PARTIE : La corruption privée des

services achats, un phénomène difficile à

maîtriser

CHAPITRE 1 - Schémas complexes de corruption

privée et difficultés soulevées

Différents cas concrets ont été sélectionnés pour leur complexité (Section 1) afin de mettre en valeur les caractéristiques qui font de la corruption privée une infraction encore difficile à condamner (Section 2).

SECTION 1 - Etude de schémas complexes de corruption privée de service achats

Pour comprendre la manifestation concrète de la corruption privée d'un service achats nous présenterons deux cas concrets dont les faits récents permettront de détailler deux modes opératoires relativement complexes, le premier étant la dissimulation d'un schéma de corruption par l'utilisation frauduleuse de contrats d'apporteur d'affaires (I) et le second étant l'utilisation de la corruption privée et de fausses études pour rendre possibles des détournements de fonds (II).

I - Première illustration: La dissimulation d'un schéma de corruption privée par l'utilisation frauduleuse de contrats d'apporteur d'affaires

A - Exposition de l'enquête et des faits

163. Une enquête en cours. En janvier 2015, à l'occasion d'un stage au Pôle Financier du tribunal de grande instance de Paris90 où j'ai eu la chance d'assister un des magistrats instructeurs, l'opportunité m'a été donnée d'enquêter sur des affaires de « grande délinquance économique » et notamment une d'entre elles qui a particulièrement retenu mon attention. Ce dossier étant actuellement en cours d'instruction je ne suis pas autorisé à révéler l'identité des parties. Toutefois, l'accord du juge d'instruction a été donné afin que les faits ayant été portés à sa connaissance puissent être exposés, à condition que l'anonymat des parties soit respecté.

90 La BRDA est, au même titre que la Brigade Financière, une des brigades de la Sous--Direction des affaires économiques et financières de la Police Judicaire - Site internet de la préfecture de police: http://www.prefecturedepolice.interieur.gouv.fr/

164.

64

Une procédure récente. Un juge d'instruction de la section « économique et financière » du Pôle Financier a été saisi en 2014 suite à un réquisitoire introductif effectué par le procureur de la République pour des faits qualifiables d'abus de confiance, de corruption privée, de complicité et de recel de ces délits. Qualifications qui nous donneront l'occasion d'étudier les infractions souvent connexes à des faits de corruption privée. Une enquête avait auparavant été diligentée à partir de 2013 par la Brigade de Répression de la Délinquance Astucieuse (ci-après « BRDA ») suite à un dépôt de plainte contre X par la société victime.

165. Les faits reprochés. Selon la société plaignante, certains de ses fournisseurs d'objets publicitaires auraient versé, par l'intermédiaire d'un designer, des commissions à des salariés de la direction des achats en contrepartie de l'obtention du marchés des produits publicitaires. Les commissions auraient transité via une société basée en suisse, contrôlée par ledit designer, chargée de répartir les sommes entre les instigateurs de ce système.

166. Auditions des membres du service achats de l'entreprise victime. A partir des faits dénoncés par la société plaignante les enquêteurs de la BRDA ont rapidement procédé à l'audition d'un certain nombre de personnes employées du service achats. De ces auditions ressortait qu'aucun membre de la direction des achats n'était en mesure d'apporter des éléments concrets afin de prouver le schéma corruptif, hormis le fait qu'ils avaient manifestement connaissance de l'existence d'anomalies dans les procédures de dévolution des marchés aux sous-traitants. Par ailleurs, certains d'entre eux ont affirmé avoir subi des pressions afin que l'affaire ne soit pas révélée aux dirigeants.

167. Auditions des dirigeants responsables des différents sous--traitant impliqués. D'après les différents fournisseurs et concurrents interrogés il apparaît que les pratiques en cause seraient, pour reprendre leurs mots, « courantes » et connues des différents intervenants du secteur. Ces derniers n'étant pour la plupart pas choqués et presque aucun n'avaient été interpelés sur l'anormalité de la réitération du paiement, années après années, de commissions d'apporteur d'affaires. Aussi, plusieurs éléments permettent d'affirmer qu'en interne, des collaborateurs du principal mis en cause avaient tenté de faire cesser la fraude suite à des alertes reçues de la part de fournisseurs se sentant lésés.

65

168. Le schéma de fraude ressortant de l'enquête. Le directeur des achats et « l'apporteur d'affaires », amis de longue date étaient à l'initiative de la fraude. Le directeur des achats de la société plaignante aurait eu la possibilité, avec la complicité d'autres acteurs de sa direction des achats, d'imposer la société de « l'apporteur d'affaires » en tant que designer de produits publicitaires et les sociétés de son choix comme fabricants de ces produits. Le rôle de « l'apporteur d'affaires » était d'approcher des fabricants potentiels pour leur proposer l'obtention d'un contrat de fabrication avec la société plaignante, en l'échange d'une commission sous couvert d'un contrat d'apporteur d'affaires. Ces contrats étaient prévus pour une durée de un an et tacitement reconductibles. Le contrat d'apporteur d'affaires était signé entre le fabricant et la société dirigée par « l'apporteur d'affaires » domiciliée en Suisse et prévoyait le versement d'une commission de l'ordre de 10% du chiffre d'affaires généré par le contrat obtenu entre le fabricant et la société plaignante. Cette commission faisait alors l'objet d'un partage entre le directeur des achats de la société plaignante, ses complices et « l'apporteur d'affaires ».

169.

66

La surévaluation du contrat entre l'entreprise victime et le fournisseur corrupteur. Il y a fort à parier que les instigateurs de la fraude, à savoir les membres du service achats, aient pu pérenniser le système de fraude non pas en se reposant sur la générosité des fournisseurs mais sur celle de leur propre entreprise. On a pu voir en première partie que les services achats ont généralement une certaine marge de manoeuvre, non seulement dans le choix des fournisseurs mais aussi quant au montant des marchés qu'ils doivent gérer. Les services d'achats jouissent ainsi d'une certaine confiance de la part des prescripteurs internes, confiance qui, en l'absence de contrôle, peut permettre des dérives comme dans le cas ici présenté. En effet, il est fort probable que les commissions reversées in fine aux membres du service achats, et ce pendant une dizaine d'années, n'aient pas été financées ou plutôt « supportées » par les fournisseurs eux même mais grâce à une surfacturation du montant du marché qui leur était dévolu. Surfacturation prenant en compte le montant de la commission et permettant à tous les acteurs du schéma de fraude d'y trouver leur intérêt. (L'enquête étant encore en cours dans cet exemple, certaines zones d'ombre subsistent encore, raison pour laquelle il convient de ne pas affirmer que ces surfacturations aient bien eu lieu. Ces dernières étant par essence difficiles à démontrer).

170. Les flux financiers. Tout schéma de fraude impliquant des détournements conduit à s'intéresser au chemin qu'empruntent les flux financiers qui en résultent. Dans le cas précis, les flux financiers nous intéressant sont ceux ayant servi à rémunérer les instigateurs de la fraude, à savoir les membres du service achats de l'entreprise victime et l'intermédiaire. Comme nous l'avons vu, le versement de « l'avantage indu » était justifié dans la comptabilité des fournisseurs par le contrat d'apporteur d'affaires. La somme convenue, à savoir 10% du contrat signé entre l'entreprise victime et le sous--traitant, était alors versée à une société gérée par l'apporteur d'affaires domiciliée en Suisse. Ceci constitue un premier point permettant d'attester de la mauvaise foi des parties. Puisque l'apporteur d'affaires se présentait aux fournisseurs comme le dirigeant d'une société de design française, on peut légitimement se demander pourquoi, si ce n'est pour dissimuler le versement, la somme était systématiquement versée à cette société Suisse.

Une fois la commission versée, les différentes perquisitions et commissions rogatoires effectuées ont permis de démontrer que les membres du service achats et l'intermédiaire partageaient des investissements communs dans des plantations au Costa Rica, un Etat malheureusement plus connu pour son manque de volonté en matière de coopération pénale et fiscale que pour la qualité de ses plantations.

67

En effet, ce pays figurait encore au 12 février 2010 sur la liste des Etats et territoires non coopératifs établie par la France91.

B -- Qualifications juridique de la fraude.

1 - Qualification de l'infraction de corruption

171. L'infraction de corruption passive reprochée aux membres du service achats. Le fait pour les membres de la direction des achats d'avoir, pendant une période d'approximativement dix ans, conditionné l'octroi des marchés de certains produits publicitaires au paiement d'une commission, en violation des règles internes de sélection des fournisseurs92 est constitutif de corruption passive de personne n'exerçant pas une fonction publique. Infraction réprimée par l'article 445--2 du Code pénal.

172. L'infraction de corruption active reprochée aux sous--traitants. Le fait pour les fournisseurs de produits publicitaires d'avoir accepté de verser une commission, de l'ordre de 10% du montant du chiffre d'affaires réalisé avec l'entreprise victime, en l'échange de l'obtention du marché est constitutif de corruption active de personne n'exerçant pas une fonction publique. Infraction réprimée par l'article 445--1 du Code pénal.

173. Le recours à un apporteur d'affaire pour justifier la commission. Le fait d'avoir versé la commission, ou avantage indu, indirectement et par l'intermédiaire d'un tiers apporteur d'affaires en contradiction avec le code des achats de l'entreprise est indifférent et ne peut s'analyser comme un moyen imaginé par les mis en causes pour tenter de dissimuler le schéma de corruption. En effet, peut importe le moyen de versement de l'avantage, de façon directe ou indirecte, sous couvert d'une commission ou non, l'infraction de corruption active et l'infraction de corruption passive sont constituées. Comme le souligne le Professeur Marc Segonds, « le mode de formulation de la proposition ou de la sollicitation de nature corruptrice ainsi que le mode de conclusion et d'exécution du pacte de corruption importent peu, les articles 445-1 et 445-2 du Code pénal assimilant le fait de corrompre et le fait d'être corrompu "directement ou indirectement". Que l'agent corrupteur ou l'agent corrompu aient agi directement ou par l'intermédiaire d'une

91 Site internet du Sénat: http://www.senat.fr/rap/r11--673--1/r11--673--123.html

92 La plupart des entreprises d'une certaine taille ont édicté un code des achats, à l'image de l'entreprise Michelin par exemple. Site internet de l'entreprise Michelin: http://purchasing.michelin.com/Les--achats--Michelin/Nos--valeurs

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personne interposée - ou par l'intermédiaire d'un tiers si l'on reste fidèle aux termes employés par l'article 2 de la décision-cadre n° 2003-258 du 22 juillet 2003 - ne modifie en rien les termes de la qualification, sauf à observer que les modes opératoires employés (prête-nom, société écran notamment) seront de nature à constituer des présomptions de fait toujours utiles pour rapporter la preuve du caractère intentionnel - déduit de l'article 121-3, alinéa 1er, du Code pénal - du délit (Rappr. Cass. crim., 14 janv. 1991, n° 89-82.715 : JurisData n° 1991-001573 ; Dr. pén. 1991, comm. 136, note M. Véron) »93.

174. Aussi, comme cela a pu être souligné par les auteurs de l'étude PwcFrance étudiée en première partie, la fraude aux achats est une hypothèse de fraude à la frontière entre la corruption et les détournements d'actifs. Ainsi, il n'est pas étonnant qu'un certains nombre d'autres infractions puissent être retenues à l'encontre des auteurs. Les infractions connexes envisageables étant nombreuses nous nous contenterons d'évoquer seulement les principales.

2 -- Les infractions connexes au schéma de corruption.

175. L'infraction d'abus de biens sociaux. L'infraction d'ABS est un délit de fonction réservé aux dirigeants de certaines formes de sociétés punissant « Le fait, pour les gérants, de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu'ils savent contraire à l'intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement »94. En l'espèce les personnes physiques ayant pris part à la fraude en tant que corrupteurs actifs étaient pour la plupart les dirigeants des sociétés sous-traitantes. Sociétés visées par les articles correspondants à la répression de l'infraction d'ABS (L. 241-3 du Code de commerce pour les sociétés à responsabilité limité et L. 242-6 pour les sociétés anonymes). En l'espèce les fournisseurs corrupteurs pourraient éventuellement penser à se défendre en invoquant le fait qu'ils ont pris part à cette fraude dans l'intérêt de leur société, pour obtenir des marchés intéressant... Ces arguments seraient inévitablement balayés par le juge. En effet, la jurisprudence retient de manière constante que l'usage des biens sociaux est nécessairement contraire à l'intérêt de la société lorsqu'il a lieu dans un but illicite. Cette position retenue par l'arrêt Carpaye95 avait été confirmée à l'occasion de l'affaire Carignon96 en 1997, affaire dans laquelle les

93 Marc SEGONDS (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique », JurisClasseur de droit pénal des affaires. Fascicule 30. 17 février. p5

94 Article L. 241-3 du Code de commerce

95 Cass. Crim 24 avril 1992, Bull.crim, n°169, Rev.soc 1993, p.124, note B.Bouloc

96 Cass. Crim. 6 février 1997, D.1997, p.334

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juges avaient reconnu que quelque soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit, à savoir la corruption, est nécessairement contraire à l'intérêt social de la société puisque cela l'expose à un risque anormal de sanction pénale et à un risque de réputation. Bien que cette solution ait été adoptée en matière de corruption publique elle se trouve tout à fait transposable à des faits de corruption privée. Dans le cas présent les fournisseurs pourraient donc être poursuivis pour abus de biens sociaux une fois leur mauvaise foi démontrée. A cet égard, le recours à des moyens de dissimulation pourra servir de présomptions afin de démontrer cette mauvaise foi.

176. L'infraction d'abus de confiance. L'infraction d'abus de confiance est prévue par l'article 314-1 du Code pénal. D'après ce texte, « l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou biens quelconques qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé » Cette infraction est punie de trois ans d'emprisonnements et de 375 000 euros d'amende. En l'espèce, cette infraction pourrait être reprochée au directeur des achats et à ses complices. En effet, ces derniers ne possèdent pas la qualité requise pour tomber dans le champ de la répression de l'abus de biens sociaux qui n'est pas applicables aux cadres - même supérieurs - bien que les faits réprimés soient relativement proches. Ici, le directeur des achats mis en cause, en vertu de son contrat de travail et de la mission qui lui était confiée, avait pour mission de faire un usage déterminé des biens et sommes qui lui avait été remis. Le fait de procéder à des surfacturations des marchés, au préjudice de l'entreprise victime, est naturellement constitutif d'un abus de confiance.

177. L'infraction de complicité. Dans ce schéma de corruption, un des rôles clefs a été joué par un ami du directeur des achats de la société victime. Cette personne a revêtu plusieurs casquettes, la première étant celle de directeur d'une société de design et la seconde étant celle d'apporteur d'affaires. Aux yeux du droit pénal, son rôle peut être résumé à celui d'intermédiaire et de facilitateur. Les actes commis par cette personne ne peuvent revêtir la qualification de corruption privée active ou passive. En analysant la fraude dans son ensemble il est possible de conclure que cette personne n'a pas été rémunérée pour un quelconque acte de sa fonction et n'a pas non plus rémunéré un tiers pour qu'il effectue un acte de sa fonction. Son rôle, bien qu'actif et essentiel dans cette fraude a été de faire l'intermédiaire entre le service achats de l'entreprise victime et les potentiels fournisseurs susceptibles de se prêter au jeu de la corruption. En les approchant et en leur exposant la nécessité de le rémunérer à hauteur de 10% du montant des contrats qu'il était

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susceptible d'apporter, « l'apporteur d'affaires » a finalement joué un rôle d'entremetteur susceptible de revêtir la qualification de complice par facilitation aide ou assistance, comportement réprimée par l'article 121-7 du Code pénal alinéa premier97.

178. Pour reprendre une expression propre au droit pénal, une deuxième illustration sera donnée afin de donner « force et crédit » au premier exemple de schéma complexe de corruption privée qui souffre d'un défaut majeur, malgré sa richesse en terme d'illustration, à savoir le fait qu'aucune condamnation ne soit encore intervenue.

97 L'article 121-7 du Code pénal dispose qu'« Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ».

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II - Deuxième illustration: L'utilisation combinée de la corruption privée et de fausses études aux fins de détournement de fonds.

179. Un arrêt récent. La deuxième illustration choisie est tirée d'un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 25 mars 201598. Cet arrêt fait suite au pourvoi d'une personne condamnée par la cour d'appel de Besançon le 25 février 2014 à trois ans d'emprisonnement dont deux avec sursis, 30 000 euros d'amende, trois ans d'interdiction de gérer et cinq ans de privation des droits civiques, civils et de famille. La cour d'appel avait condamné un cadre dirigeant de la société PSA des chefs de corruption active et de recel d'abus de biens sociaux. A l'occasion de ce pourvoi et bien qu'ils ait été rejeté, les faits n'étaient pas contestés par le mis en cause, seul le quantum de la peine avait été discuté.

A - Exposition de l'enquête et des faits

180. Suite à la découverte des faits qui se sont déroulés à partir de 2004, soit plus

de 10 ans avant cet arrêt de la chambre criminelle, une procédure d'instruction

avait été ouverte entre 2007 et 2008 à l'encontre notamment de M.X employé

donneur d'ordre secteur ferrage au sein de la société PSA et de M.Y associé gérant

de la société Y mécanique. Il ressort de l'arrêt que les principaux éléments de

preuve ayant permis de mettre la fraude à jour étaient:

- L'examen de la comptabilité de la société intermédiaire

- L'examen de la comptabilité de deux sociétés italiennes fausses facturantes

- L'examen de la comptabilité des sociétés sous-traitante de PSA

- L'examen des comptes bancaires de M.X et de M.Y

- L'audition du directeur commercial de la société intermédiaire

- L'audition de la secrétaire comptable de la société intermédiaire

- L'audition des membres du personnel des sociétés sous-traitante de PSA

- Les déclarations à l'audience des dirigeants des sociétés sous-traitante de PSA

- Les aveux de M.X et de M.Y

Le texte de l'arrêt ne permettant pas, comme pour l'illustration précédente, de

mettre à jour la chronologie de l'enquête, le schéma de corruption sera cette fois-ci

directement présenté. (Voir page suivante)

98 Cass. Crim, 25 mars 2015, 14-82.179, Inédit

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Flux des sommes

de PSAdétournées au préj udice

les sommes détournées

181.

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Le schéma de fraude ressortant de l'enquête. M.X et M.Y ont eu un rôle de chefs d'orchestre et ont été les principaux instigateurs et bénéficiaires de cette fraude aux achats.

182. En tant que donneur d'ordre du secteur ferrage au sein de PSA à Sochaux, M.X, instigateur de la fraude, était en relation avec le service achats de son entreprise et connaissait certains sous-traitants potentiels. M.Y quant à lui était un fournisseur indirect de l'entreprise PSA.

N'étant pas directement à l'origine du choix des sous-traitants, M.X devait, avec la complicité de M.Y, corrompre les membres de son service achats en leur offrant régulièrement des cadeaux. A ce titre, M.Y reconnaissait que « la politique de cadeaux s'était développée de manière exponentielle et qu'un compte 58099 avait été dédié à ces cadeaux et ce même après que l'expert--comptable l'a mis en garde contre de telles pratiques ».

183. Le but de ces pratiques était d'imposer des sous-traitants qui étaient eux aussi corrompus par M.X et M.Y. Ces sous-traitants acceptaient, contre la promesse de marchés juteux avec l'entreprise PSA et contre des cadeaux, de passer des commandes à la société de M.Y (Société Y mécanique). Ces commandes consistaient en de fausses études, jamais réalisées mais permettant de justifier en comptabilité la sortie des fonds. Ainsi, les bénéficiaires des cadeaux étaient soient des employés des sous-traitants, soit des salariés du service achats de PSA. Les commandes reçues de la part de PSA, sous l'influence de M.X, donneur d'ordre, auprès des sous-traitants étaient réelles mais surévaluées, toujours sous l'influence de M.X

184. Une fois retenus, les fournisseurs sous-traitaient à leur tour la part mécanique du marché à la société Y Mécanique. Les commandes auprès de la société Y Mécanique n'ont donné lieu à aucun travail. Elle étaient surévaluées à l'aide de faux bons de commandes et de faux devis. La société Y mécanique facturait au sous-traitant et l'argent de ces commandes fictives était versé sur le compte de la société Y Mécanique. Les sous-traitants faisaient donc office d'intermédiaires pour faire sortir les sommes d'argent détournées. Les bénéficiaires de ces détournements étaient M.Y et M.X.

99 Il semble important de préciser qu'en comptabilité, le compte 580 « virements internes » est un compte financier principalement destiné, à la manière d'un tampon, à enregistrer les retraits et dépôts d'espèces de comptes bancaires. Il n'est donc absolument pas destiné à comptabiliser des cadeaux.

185.

74

Pour en bénéficier les instigateurs de la fraude avaient recours à deux sociétés italiennes dirigées par M.Z. M.Y s'adressait à M.Z avec qu'il était en relation d'affaires dans le passé. Au départ M.Z avait initié la fausse facturation avec une première société italienne dans laquelle il avait une participation. Le gérant de cette société, inquiété par les montants facturés avait mis fin à cette pratique dès juin 2004. M.Z avait alors pris le relai avec sa propre société. Au total, c'est 354 000 euros de fausses factures qui ont été réalisées entre 2004 et 2007.

186. Le mode opératoire était le suivant:

M.Y contactait M.Z pour indiquer la somme d'argent voulue et le sujet de l'étude. M.Z réalisait une fausse facture au nom de sa société italienne et l'adressait à la société Y mécanique qui payait par virement bancaire. M.Y et M.X se rendaient en voiture en Italie et M.Z retirait l'argent du compte de sa société et prélevait 20% de commission. M.Y et M.X pouvaient alors se partager le surplus.

En outre, la société Y mécanique a financé la location d'une voiture au profit de M.X et la réfection du toit de son habitation.

187. Interprétation de ces faits par la chambre criminelle. Les juges de la cour suprême concluent que M.X et M.Y « ont mis sur pied un système généralisé de corruption soit de salariés d'intégrateurs de PSA soit directement d'acheteurs PSA, afin de permettre à la société Y.Mécanique de bénéficier de marchés et de bénéficier de pratiques de sur-facturations à l'occasion de ces marchés, pratiques de sur-facturation qui n'avaient d'autres but que de permettre à MM. Y...et X... de détourner des fonds importants à leur profit et au détriment de la société Y.Mécanique et de ses créanciers; que pour reprendre des termes culinaires particulièrement appropriés dans ce dossier, il apparaît que MM. Y...et X... se sont littéralement " goinfrés " en délestant systématiquement la société Y.Mécanique de montants importants, les seules fausses factures italiennes leur ayant rapporté la coquette somme de 353 326 euros »

B - Qualifications juridiques de la fraude

188. L'infraction de corruption active de M.X. Au sein de la société PSA le service achats était en relation avec des sociétés sous-traitantes d'études et de réalisation de projets, ainsi que différents postes comme l'électricité, la serrurerie ou la mécanique). C'est au service achats qu'appartenait en principe le choix des sous-traitants. Ainsi, M.X, donneur d'ordre du secteur ferrage au sein de PSA à Sochaux n'avait pas le pouvoir formel de décider des marchés de sous-traitance. Raison pour laquelle, au regard de la définition de la corruption en droit pénal

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français M.X ne s'est pas rendu coupable de corruption passive bien qu'il soit membre de la société victime. Le caractère répréhensible de ses actes découle des avantages qu'il a remis ou fait remettre aux membres du service achats de la société PSA, ainsi qu'aux représentants des fournisseurs. Raison pour laquelle il a été condamné du chef de corruption active. En outre et pour reprendre les mots de l'arrêt, « le fait qu'il n'ait pas eu le pouvoir formel de décider des marchés de sous-- traitance n'enlève pas leur caractère répréhensible aux avantages qu'il a remis ou fait remettre (par M.Y) aux auteurs de corruption passive ».

189. L'infraction de corruption passive des membres du service achats et des représentants des sous--traitants. Bien que les sous-traitants affirment que c'est M.X qui leur avait imposé ce système afin qu'ils puissent continuer à recevoir des commandes, ces derniers se sont rendus coupables de corruption privée passive en acceptant de faire transiter les fonds détournés à l'aide de fausses factures et en l'échange de cadeaux et de la garantie de conserver les marchés auprès de PSA. De la même manière, pour avoir accepté de suivre les ordres de M.X, en l'échange de divers cadeaux, les salariés du service achats se sont bien évidemment rendus coupable de corruption passive. Ils ne pourraient se dégager de leur responsabilité en invoquant la pression de la hiérarchie et ce d'autant plus que M.X n'était pas leur supérieur.

190. Un cas d'entente illicite? En outre, devant la cour d'appel de Besançon, les membres du personnel des sous-traitants, eux aussi prévenus dans cette affaire ont reconnu que dès l'établissement du devis, ils savaient si leur entreprise allait être choisie par PSA. Tous les fournisseurs s'étaient alors entendus afin de mettre en place un tour de rôle, même tacite, pour l'obtention des marchés avec PSA. L'interdiction des ententes illicites est prévue à l'article L. 420-1 du Code de commerce. La sanction est déterminée par l'autorité de la concurrence en fonction de la valeur des ventes affectées par la pratique incriminée. (Cette sanction ne pouvant excéder plus de 10% du chiffre d'affaire de l'entreprise).

191. Infraction de corruption passive de M.X (non relevée par les juges). Dans ce schéma de fraude aux achats il aurait été possible de qualifier le comportement de M.X de corruption passive. En effet, en tant que donneur d'ordre du secteur ferrage au sein de PSA, le fait de d'influencer le choix des sous-traitants est un acte non pas de la fonction, mais facilité par la fonction. Les juges du fonds on d'ailleurs souligné « qu'il était directement à l'origine du choix des sous-traitants ». On peut donc considérer que l'obtention des marchés par les sous-traitants est l'avantage indu attendu. La surfacturation et les fausses études

constituant la rémunération de M.X. Faisant des sous-traitants des corrupteurs actifs.

192. Infractions de banqueroute et abus de biens sociaux par M.Y et recel de ces infractions par M.X. D'après l'arrêt, de concert, MM. Y et X ont sciemment pillé à des fins personnelles la société Y.Mécanique d'une part en la délestant frauduleusement de la somme de 353 326 euros par le biais des fausses factures italiennes, somme qu'ils se sont partagée selon des modalités qu'il n'a pas été possible d'établir, les espèces étant par nature faciles à dissimuler et à dissiper, et d'autre part en faisant financer par la société Y.Mécanique des dépenses importantes d'ordre personnel. Ces faits sont constitutifs de banqueroute et d'abus des biens ou du crédit d'une société pour M. Y et de recel de ce délit pour M. X100.

193. Peines complémentaires. M.X étant maire de sa commune, une peine d'interdiction des droits civiques, civils et de famille portant sur l'éligibilité et sur le droit de vote pour une durée de cinq ans a été prononcée à son encontre. Ceci étant justifié par la particulière malhonnêteté dont il a fait preuve, comportement incompatible avec un mandat électif public.

194. Les deux cas qui ont été présentés permettent de se faire une idée assez précise de la façon dont se manifeste la corruption privée dans les achats. En outre, cela permet de mettre en exergue un certain nombre de difficultés inhérentes à cette infraction. Dans la seconde section de ce chapitre nous étudierons ces difficultés.

76

100 Cass. Crim, 25 mars 2015, 14-82.179, Inédit

77

SECTION 2 - Des difficultés à condamner pénalement les faits de corruption privée.

195. L'objectif de lutte contre le phénomène de corruption privée. Dans la mesure où nous nous plaçons dans une optique de lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée, l'objectif - bien qu'utopique - en matière de corruption privée, ce vers quoi il faut tendre est nécessairement la disparition pure et simple de ces comportements. Jusqu'ici, le phénomène a pu être défini, mesuré puis illustré. Dorénavant il convient de l'analyser au regard de cet objectif d'éradication.

196. Comme on a pu le voir en première partie, à l'occasion de la mesure du phénomène, la quasi--absence de condamnations ne saurait--être expliquée par l'absence de comportement répréhensible. La cause de ce faible nombre de condamnations se trouve nécessairement liée aux difficultés à endiguer le phénomène. L'analyse va ainsi porter sur un certain nombre de difficultés de natures différentes qui, mises bout à bout, rendent cette infraction très difficile à mettre à jour. Des difficultés de nature plutôt sociologiques (I) et des difficultés de nature tenant aux modes opératoires employés (II)

I - Des difficultés de nature sociologique

Dans un premier temps nous verrons que les difficultés en matière de lutte contre la corruption tiennent d'abord à un problème d'éthique persistant dans les affaires (A) puis nous verrons qu'elles découlent aussi en partie de la moindre importance donnée à la corruption privée par rapport à d'autres formes de criminalité ou délinquance (B).

A - Un problème majeur d'éthique dans les affaires.

197. Un manque d'éducation et de conscience. Une des principales difficultés tient au fait qu'une proportion non négligeable des professionnels exposés n'a pas conscience de la gravité de ces pratiques. Comme cela a pu être exposé en première partie, beaucoup de professionnels considèrent que certains comportements - pouvant revêtir la qualification de corruption - sont des pratiques courantes dans les affaires. Certains n'ayant parfois pas même conscience du caractère illicite de leurs agissements. Toutefois, le plus souvent, et

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c'est le cas lorsque les fraudes sont plus élaborées (à l'image des illustrations qui ont été données), les professionnels impliqués ont conscience de l'illicéité de leur comportement mais le justifient aisément par la nécessité de sauver ou simplement pérenniser leur entreprise101.

198. Des arguments de défenses inquiétants. A ce titre rappelons l'inquiétude de Michel Véron suscitée par les arguments souvent avancés par les corrupteurs mis en causes, à savoir la banalité de telles pratiques et la justification de tels comportements au regard de la nécessité d'obtenir des marchés à tout prix102. Les deux illustrations que nous avons présentées permettent d'ailleurs de confirmer un tel état d'esprit habitant certains professionnels qui pourtant n'étaient pas à nécessairement à l'origine de la mise en place des schémas de corruption.

199. Irrecevabilité des causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale. Il est bien évident que l'invocation des articles 122-1 à 122-8 du Code pénal serait balayée d'un revers de main dès l'instant où la contrainte ou l'état de nécessité par exemple sont des notions de droit pénal très proches de la notion de force majeure en droit civil. En matière de corruption, la principale explication au fait de corrompre ou d'accepter de corrompre est bien souvent la vénalité de l'auteur.

200. Première illustration. En effet, l'arrêt du 25 mars 2015 retranscrit les aveux du dirigeant d'une des sociétés en cause. Tout en reconnaissant l'existence des fausses facturations, il affirmait avoir agi à la demande de l'employé de PSA (condamné pour corruption active) afin d'obtenir de la trésorerie pour son entreprise qui, sans ce système, n'aurait pas pu poursuivre son activité. Ajoutant que la mise en place du système lui avait été imposée par l'instigateur de la fraude qui menaçait d'interrompre la relation d'affaires. Pour lui, « tout le monde était gagnant dans ce schéma corruptif ». Ces propos traduisent un manque d'éthique cruel de la part de cet individu qui, même devant les juges du fond, semble presque encore ignorer l'existence du préjudice qu'il a contribué à causer, à savoir des détournements de fonds importants au préjudice de l'entreprise PSA, sans compter

101 En effet, à la question « lequel de ces comportement trouvez-vous justifié de recourir afin d'aider votre entreprise à surmonter un retournement de l'économie? » 29% des individus interrogés ont répondu qu'ils seraient prêt à offrir un divertissement, afin de nouer ou de pérenniser une relation d'affaire, faits constitutifs de corruption. 14% d'entre eux seraient prêt à offrir un cadeau personnel pour les mêmes raisons, 13% à offrir une somme d'argent liquide, c'est-à-dire un « pot-de-vin » classique. Au total, près de la moitié des sondés a reconnu être prête à recourir à des moyens assimilable à de la corruption « en cas de besoin ». Source: enquête

102 Michel VÉRON. Op.cit. p73

79

le nivellement par le bas des prestations du fait de l'absence de réelle mise en concurrence des entreprises du secteur.

201. Deuxième illustration. Dans le premier cas rencontré, un problème d'éthique général était aussi présent. Il semble en effet important de souligner le fait que, d'après les auditions des dirigeants des fournisseurs sollicités pour régler les commissions afin d'obtenir les marchés, la pratique était connue de tous. Certains l'ont qualifié de « courante » dans le secteur et aucun ne semblait choqué par de tels agissements. Il existait une forme de résignation face à la nécessité de régler ces commissions indues pour obtenir les marchés. Pourtant, il semble évident que l'alerte d'un seul d'entre eux auprès des dirigeants de l'entreprise victime aurait suffit à mettre fin à ces pratiques. Cependant il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin dans le vice pour remarquer qu'il existe un réel problème d'éducation. Les professionnels des achats n'ont souvent aucune idée des risques liés à l'acceptation d'un simple cadeau, pratique qui nous l'avons vu, se situant à la frontière avec la corruption, peut rapidement faire basculer un comportement anodin en un délit.

202. Les causes possibles de ce manque d'éthique. Il semblerait que la cause de ce manque d'éthique dans les affaires puisse être recherchée dans une attitude laxiste voire de tolérance dont ont longtemps fait preuve les pouvoirs publics et les entreprises elles--mêmes. L'ultralibéralisme défendu par beaucoup a cependant montré ses limites dans de nombreux secteurs comme celui des institutions bancaires par exemple. L'éthique semble depuis quelques années avoir été placée au centre des débats concernant la vie des affaires. Toutefois, les effets de cette prise de conscience tardive sont encore difficiles à mesurer.

B - Une volonté encore insuffisante de lutte de la part des pouvoirs publiques et des entreprises.

1 - Un problème de priorité de la part des pouvoirs publics

203. « En France, le col blanc est une espèce protégée ». « Il n'y a pas une seule forme de criminalité mais au moins deux. Celle des « cols--bleus » et celle des « cols-- blancs », celle des banlieues et celle des quartiers d'affaires, celle qui menace surtout les biens matériels et celle qui sape les règles du jeu économique »103. Aujourd'hui encore, la perception sociale, politique et judiciaire entre l'une et l'autre demeure

103 Pierre LASCOUMES. (1997). Elites irrégulières - Essai sur la délinquance d'affaires. Editions Gallimard p9

80

différente. La criminalité en col blanc reste moins infamante que des formes de criminalité plus primitives comme celle des crimes de sang par exemple. Les délinquants économiques jouissent encore d'une certaine protection de la part de l'opinion publique et des autorités publiques, bien que la tendance a été inversée depuis quelques années.

204. La primauté de la lutte contre la probité des agents publics. Ce constat est d'autant plus vrai en matière de corruption privée. En effet, encore aujourd'hui cette forme de corruption est reléguée au second plan en matière de lutte. Un symptôme fort étant le fait que la corruption privée demeure deux fois moins réprimée que la corruption publique. La priorité en matière de lutte contre la délinquance économique est donc donnée à la probité des agents publics. A ce titre, Pierre Lascoumes estime que « cette focalisation sur les élus fait oublier que la notion de délinquance d'affaires concerne aussi les actions pénalement qualifiables commises par les entreprises et leurs dirigeants. C'est là d'ailleurs le sens véritable du terme white collar crime... »104

205. Un autre symptôme fort de ce constat ressort aussi de la pauvreté de la littérature concernant la corruption privée. A l'occasion des recherches effectuées dans le cadre de la rédaction de ce mémoire une comparaison a pu être faite avec la profusion d'écrits sur le sujet de la corruption publique nationale, étrangère et internationale. Encore peu de personnes s'intéressent au sujet de la corruption privée, les sources se font rares, malgré un regain d'intérêt constaté depuis l'entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005 que nous avons déjà présentée.

206. Une gradation des peines relatives à la gravité des comportements. Cette différence de traitement demeure toutefois assez largement compréhensible. La probité des agents publics se doit d'être exemplaire et cela justifie une plus grande sévérité à leur égard. Il est presque normal de considérer que la corruption de personnes n'exerçant pas une fonction publique est « moins dramatique » que la corruption de magistrats ou de médecins par exemple. Cette différence de traitement trouve donc sa justification dans la nature de l'intérêt protégé. Les exceptions à l'autorisation de la pratique des primes et cadeaux trouvant elle-- même son fondement dans cette explication.

104 Pierre Lascoumes : « Elites irrégulières - Essai sur la délinquance d'affaires », Editions Gallimard, 1997, p11

207.

81

Une telle différence dans les peines n'exclut toutefois pas la réelle nécessité de réprimer la corruption privée et d'éduquer les acteurs concernés à faire preuve de plus de vigilance et d'intégrité. Le libéralisme économique, au coeur du fonctionnement de nos sociétés ne doit pas justifier le recours à des pratiques qui par essence sont de nature à briser l'égalité dans les affaires.

2 - Un manque persistant d'implication de la part des entreprises.

208. Un problème de prévention. Les entreprises elles-mêmes, pourtant principales et premières victimes de la corruption privée, semblent ne pas toutes prendre la mesure du phénomène et des graves conséquences qu'il induit. Pour preuve, rappelons que statistiquement en 2014, encore un quart des professionnels du secteur achats des entreprises françaises n'avaient pas signé de charte anti-corruption105. A l'image du retard cruel de lutte contre la cybercriminalité106 qui est un risque majeur et croissant pour les entreprises, ces dernières ont souvent tendance à vouloir lutter contre des menaces déjà existantes et à préférer reléguer au second plan les nouveaux risques. La corruption privée souffre elle aussi de ce syndrome puisque l'accent est, nous l'avons déjà souligné, largement mis sur la corruption dans le secteur public, au détriment de la lutte contre la corruption privée. La solution doit être globale et les risques de fraudes externe et interne devraient être envisagés de façon plus générale. Se focaliser sur un risque trop spécifique contribue à laisser proliférer tous les autres.

209. Corruption et réputation, un obstacle à la répression. Une autre difficulté est liée au comportement des entreprises victimes de corruption privée. Ces dernières restent relativement frileuses face à la possibilité de porter plainte en cas de corruption avérée. Selon Jean-Paul Philippe, habitué des audits au sein des entreprises victimes de fraudes, « la corruption, comme toute fraude, est anxiogène. Les entreprises en ont peur. Au delà de la perte financière liée aux détournements, une fraude est un réel vecteur de crises relationnelles au sein de l'entreprise et de risque de détérioration de la réputation de l'entreprise »107. Ce caractère anxiogène explique en partie pourquoi dans beaucoup de cas, la seule sanction envisagée en cas de fraude avérée sera le licenciement du ou des auteurs, de façon à taire l'affaire pour ne pas prendre le risque d'effriter la réputation de l'entreprise.

105 Etude AgileBuyer - Groupement Achats HEC : «Les Priorités des Services Achats en 2015 ou la manière dont seront gérés les sous--traitants en 2015 », 2015

106 13ème étude mondiale sur la Fraude menée par EY (Ernst Young) « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth », juin 2014

107 Entretien avec Jean-Paul Philippe, Ancien directeur de la Brigade Centrale de lutte contre la corruption au sein de la Direction Centrale de la Police judicaire et actuel Consultant et formateur en investigations de fraudes, août 2015

210.

82

Exemple de licenciement pour des faits de corruptions n'ayant donné lieu à aucune poursuite pénale. Le 16 mars 2010, la cour d'appel de Versailles a rendu un arrêt suite à l'appel du jugement du 08 décembre 2008 par le Conseil de Prud'homme de Versailles. Le litige opposait alors un ingénieur cadre affecté à une direction des achats du groupe Renault. En 2006, l'entreprise avait licencié l'ingénieur. Suite au rachat d'un de ses fournisseurs, l'entreprise absorbante avait détecté des anomalies en comptabilité. En effet, en 2004, le fournisseur avait pris en charge un voyage aux Seychelles (une croisière sur un catamaran de luxe) pour un montant avoisinant les 20 000 euros et ayant bénéficié à la famille du directeur achats. Le cadeau avait été consenti à l'insu de l'entreprise Renault et en contradiction avec son code de déontologie (chapitre relatif aux relations extérieures concernant les « corruptions et ristournes occultes »), sachant que les acheteurs s'étaient vu interdire formellement de recevoir des cadeaux et ce par un courrier de la direction. En outre, les juges du fonds affirment qu'aucune pièce ne permettait de constater que le fournisseur avait offert ce voyage à titre personnel mais qu'au contraire ce cadeau s'inscrivait dans le cadre de la vie professionnelle du mis en cause.

Malgré tous ces faits relatés précisément et qui rappellent très clairement un cas, même simple, de corruption privée, le motif de l'infraction n'a pourtant pas été évoqué dans la lettre de licenciement.

Les conseillers prud'homaux se sont eux aussi refusés à évoquer l'éventualité de l'infraction, se contentant de reconnaître la validité du licenciement pour faute grave, non sans rappeler le fait que les fonctions du directeur achats étaient de nature à le placer dans une position d'influence quant au choix des fournisseurs et qu'il se trouvait nécessairement dans une situation de conflit d'intérêt, et ce en totale contradiction avec le code de déontologie et avec son devoir de loyauté à l'égard de son employeur.

211. Ainsi, que ce soit du côté des entreprises victimes potentielles, de ses acteurs auteurs potentiels ou des organes de lutte, un problème d'éducation et d'information persiste concernant la corruption privée. A cet égard, Jean-Paul Philippe108, affirme que beaucoup de professionnels ignorent la corruption privée, parlant tantôt de simple concurrence déloyale ou même de pratique banale dans les affaires. Ce genre de propos pouvant être entendu aussi bien de la part des acteurs économiques que de la part, et c'est peut-être le plus déplorable, d'enquêteurs ou de magistrats. Toujours est-il que même si ces problématiques sociologiques et d'éducation étaient résolues, la corruption resterait une infraction difficile à mettre à jour.

108 Jean-Paul PHILIPPE. (Août 2015). Entretien.

83

II - Difficultés liées à la mécanique de la corruption privée A - La dissimulation de l'infraction par la fraude

212. La corruption, une infraction occulte par essence. Le pacte, notion centrale de l'infraction, est nécessairement tenu secret par les parties ou leurs complices qui n'ont aucun intérêt à révéler la fraude. En outre, le plus souvent, une infraction de corruption est accomplie en parallèle d'autres infractions permettant de mieux dissimuler les détournements auxquels elle donne lieu. La détection de la corruption est ainsi rendue d'autant plus difficile du fait de sa dissimulation.

213. Quelques exemples de modes de dissimulations. Tous les mécanismes frauduleux accompagnant un schéma de corruption ont pour objet de justifier les détournements. Ces techniques utilisées assurent souvent l'impunité des auteurs. Le directeur des achats pourra par exemple créer secrètement un fournisseur fictif afin de passer des commandes de biens ou de prestations de services tout aussi fictives pour justifier une quelconque sortie de fonds. Un comptable pourra détourner des chèques en créant des sociétés avec des noms quasiment identiques à ceux du réel client à qui son entreprise à vendu un bien ou une prestation, afin d'encaisser les chèques pour son propre compte.

Ces exemples de fraude relativement simples démontrent la nécessité pour les entreprises de se prémunir contre leur survenance par la mise en place de procédures internes de contrôle. Ajoutés aux exemples que nous avons détaillé précédemment (utilisation de contrats d'apporteurs d'affaires et fausses études), on imagine aisément la variété des possibilités existantes pour dissimuler un schéma de corruption et justifier les détournements de fonds qui en sont l'aboutissement.

214. Le point de vue du SCPC. À cet égard, le Service Central de Prévention de la Corruption a étudié ce lien indissoluble entre la fraude et la corruption109. Selon cette institution dont le rôle sera précisé ultérieurement, « La corruption se nourrit du produit des fraudes. Corrupteurs et corrompus utilisent à leur profit les fausses factures; les manipulations comptables organisées à partir des logiciels permissifs ainsi que les montages à partir de sociétés écrans génèrent des flux d'espèces qui permettent le financement de la corruption »110. Pour le SCPC, l'opération de

109 Expression utilisée par Pierre Rocamora : « La corruption privée, un risque majeur pour les entreprises », Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée, octobre 2007, p65

110 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2006 ; éd. La documentation Française, p. 113

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corruption s'apparente le plus souvent à « un montage actif, méthodique et calculé ».

215. Les outils informatiques au service de la fraude. Selon Noël Pons, ancien conseiller au SCPC, il existe un certain nombre d'outils informatiques pouvant faciliter l'oeuvre des fraudeurs. Pour lui, « La recherche systématique des réductions de coût et de facilités d'utilisation a suscité la création de logiciels « souples ». Les concepteurs, qui privilégient la souplesse d'utilisation de leurs logiciels, ne prévoient pas toujours les verrous informatiques qui sont nécessaires pour justifier des obligations d'intégrité relatives aux règles comptables. Ainsi, ces logiciels comptables ou de gestion qui permettent, du fait de leur souplesse d'utilisation, d'obtenir en sortie documentaire ce que l'on désire et non la réalité des opérations, peuvent être qualifiés de pourriciels »111. Ainsi, de tels outils peuvent permettre des fraudes quasi professionnelles rendant d'autant plus indétectables la corruption.

216. L'omerta imposée ou négociée auprès des salariés. Le dictionnaire Larousse défini cette expression originaire des milieux mafieux siciliens comme « un silence qui s'impose dans toute une communauté d'intérêts ». Dans le cadre de cette étude, ce terme peut être utilisé pour désigner le comportement des personnes se trouvant « mêlées à » ou « au courant de » l'existence d'un schéma de corruption. Ces personnes pouvant être, non seulement les personnes à qui la corruption est imposée, mais aussi ceux qui n'en jouissent pas nécessairement. C'est le cas par exemple des salariés d'un service achats dans l'hypothèse où ils sont impliqués et tire un intérêt pécuniaire de la fraude ou tout simplement du fait que l'omerta leur est imposée par leur supérieur sous la menace de leur licenciement (par exemple). L'instigateur ayant un haut poste de responsabilité et une certaine assise dans l'entreprise peut donc faire pression sur ses collaborateurs subalternes. Il peut aussi, et c'est la première hypothèse, acheter le silence de ses collaborateurs en les faisant participer au schéma de corruption. Au cours de l'audition de certains collaborateurs des principaux instigateurs du schéma de corruption que nous avons détaillé précédemment, le terme de « harcèlement » avait d'ailleurs été utilisé pour décrire ce silence imposé. A cet égard nous avons d'ailleurs pu faire remarquer que les salariés d'un service d'achats sont souvent les personnes les plus à même de donner l'impulsion afin de faire connaître d'une fraude en cours. Raison pour laquelle encourager les salariés à se comporter en lanceur d'alerte pourrait constituer une des meilleures solutions pour faciliter la répression.

111 Noël PONS et Valérie BERCHE. (2006). Pour une méthodologie d'audit adaptée au conflit d'intérêts. Audit Interne n° 182. Décembre. p.7

217.

85

L'omerta due aux ententes illicites. « Une entente illicite peut être définie comme tout accord entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Ainsi, toute pratique qui tend à limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence ou visant à faire obstacle à la libre fixation des prix doit être qualifiée d'entente illicite »112. Dans le second cas présenté dans la partie dédiée aux illustrations, les membres du personnel des sous--traitants corrompus et prévenus dans l'affaire avaient reconnu devant la cour d'appel que dès l'établissement du devis, ils savaient si oui ou non leur entreprise serait choisie par PSA. Tous les fournisseurs s'étaient alors entendus afin de mettre en place un tour de rôle pour l'obtention des marchés avec PSA. Ainsi, en se mettant tous d'accord, les fournisseurs contribuent encore un peu plus à minimiser les chances de détection de la fraude. En se mettant d'accord, les fournisseurs peuvent donner l'illusion que le code des achats est respecté quant à la procédure de dévolution des marchés, par exemple en procédant à des offres de couverture et ainsi en simulant une situation de concurrence qui n'a en réalité d'autre but que de dissimuler la fraude.

Ce type de comportement constitue en outre une cause de nivellement par le bas de la qualité des biens et des services, ce qui pourrait causer un préjudice important pour tous, y compris pour les consommateurs finaux. Puisque les fournisseurs sont certains d'être sélectionnés, les dépenses en recherches et développement sont rendues beaucoup moins importantes voire complètement superflues, ce qui constitue un obstacle à tout progrès.

218. Preuve et cadeaux. En outre, le flou règlementaire en matière de cadeau, pratique qui, nous l'avons vu, peut aisément se trouver à la limite de la corruption, constitue lui aussi un obstacle à la répression. La preuve du lien de causalité entre le cadeau et l'acte de la fonction attendu, exigée pour qualifier une infraction de corruption, est extrêmement difficile à matérialiser. Le doute bénéficiant à l'accusé, principe cardinal et incontournable du droit pénal, est sans doute un élément supplémentaire pouvant expliquer le faible nombre de condamnations et le fait que la pratique perdure.

112 Emilie CARUANA. (2009). La corruption privée, étude historique, juridique et comptable. Mémoire. Master II Lutte contre la délinquance financière et la criminalité organisée. p60

219.

86

Une conséquence de la difficulté à mettre à jour la corruption. D'après le Service Central de Prévention de la Corruption, la durée moyenne des procédures en matière de manquement à la probité se situe entre 5 et 6 ans. Ainsi, en moyenne, les 270 condamnations de 2013 (tout manquement à la probité confondu) portent essentiellement sur de faits datant de 2007/2008113.

B - La disparition d'une difficulté: la prescription de l'action publique114

220. La corruption privée est un délit instantané qui à ce titre se prescrit après trois ans à compter du jour de la consommation de l'infraction. Auparavant, une difficulté tenait au fait que les juges de la Cour de Cassation se refusaient à appliquer aux délits de corruption la théorie des délits clandestins. Cette théorie permettant de repousser le point de départ du délai de prescription non plus au jour de commission mais « au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans les conditions permettant l'exercice de l'action publique ».

221. Ainsi, pendant trop longtemps, le délit de corruption étant une infraction instantanée, le point de départ du délai de prescription était nécessairement le jour de consommation de l'infraction, consommation « se renouvelant à chaque acte d'exécution dudit pacte »115.

222. Or, depuis 2008, la chambre criminelle de la Cour de Cassation est revenue sur cette conception, admettant l'application de la théorie des délits clandestins à la corruption. Cette solution qui avait été admise en premier au sujet du trafic d'influence peut être étendue à la corruption privée116 du fait des similitudes importantes entre ces délits. Ainsi, en cas de dissimulation, le délai de prescription ne commence à courir qu'à compter du jour ou l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice des poursuites117.

113 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2014, juin 2015, p21

114 Marc SEGONDS. (2014). Corruption active et passive de personnes n'exerçant pas une fonction publique. JurisClasseur de droit Pénal des Affaires. Fascicule 30. 17 février.

115 Cass. crim., 16 mai 2001, n° 00-85.478

116 Cass. crim., 6 mai 2009, n° 08-84.107 : JurisData n° 2009-048450

117 Cass. crim., 19 mars 2008, n° 07-82.124 et n° 04-81.758 : JurisData n° 2008-043363 ; Dr. pén. 2008, comm. 102, note M. Véron ; Bull. crim. 2008, n° 71 ; AJP 2008, p. 319, note J. Lelieur ; Rev. pénit. 2009, p. 176, note M. Segonds

223.

87

Toujours est--il que la fraude et la dissimulation étant souvent couplées à la corruption, la détection du délit reste une difficulté majeure en matière de répression. Malgré les progrès récent eu égard au point de départ du délai de prescription, seule la pugnacité des enquêteurs et des juges d'instructions permet de mettre à jours les infractions de corruption. La nécessité pour les entreprises de prévenir leur survenance est donc évidente.

224. Une prise en compte tardive du phénomène? Il convient de faire remarquer que la récente création de cette catégorie de fraude118 ne signifie pas que le risque de fraude aux achats soit un risque nouveau mais ceci traduit plutôt une prise de conscience relativement tardive de l'existence de ce phénomène ancré qui conduit souvent à des surfacturations importantes au préjudice des entreprises. Les acteurs du secteur privé ne sont pas les seuls à blâmer pour cette prise de conscience tardive. Il est aussi possible de regretter que l'entrée de l'infraction de corruption privée dans le Code pénal ne soit intervenue qu'en 2005. Il est en outre regrettable qu'il ait fallu attendre la survenance d'une crise d'envergure mondiale pour que l'éthique dans les affaires devienne une priorité. Aujourd'hui, et il est possible d'affirmer que le problème n'est pas seulement français, l'économie mondiale semble gangrénée par des pratiques peu avouables. La corruption privée comme publique fait partie de ces pratiques variées destinée à satisfaire la vénalité de quelques uns, au détriment de la bonne santé économique des entreprises victimes, au détriment de la qualité des biens et prestations de service, au détriment de l'emploi et plus généralement au détriment de la croissance. Lutter contre l'éventualité de ces pratiques est bien évidemment une des responsabilités des entreprises qui en sont les premières victimes mais pas seulement. Les pouvoirs publics ont eux aussi leur rôle à jouer dans la lutte contre la corruption puisque les dommages indirects sont susceptibles d'avoir un impact négatif sur l'ensemble de l'économie.

118 PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic crime survey ». p11

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CHAPITRE 2 -MOYENS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION PRIVÉE

Les moyens de lutte permettant d'endiguer le phénomène de corruption privée au sein des services achats des entreprises seront présentés dans l'ordre suivant. Dans un premier temps nous verrons quelles sont les dispositifs à la disposition des entreprises (Section 1) puis dans un second temps nous verrons quelles sont et ont été les initiatives des pouvoirs publics en la matière (Section 2).

Section 1re - Les moyens de luttes contre la corruption privée à la disposition des entreprises

I -- Les outils préventifs : Les procédures internes

Un certains nombre de moyens sont à la disposition des entreprises afin de prévenir la survenance de schémas de corruption. Un exemple d'organisation interne pour lutter contre une la fraude sera donné (A) avant d'évoquer un outil plus concret qu'est l'informatique (B) puis un outil moins spécifique à la corruption mais tout aussi efficace, à savoir la charte anti--corruption (C). Enfin nous évoquerons l'intérêt du contrôle interne et des audits (D).

A -- L'exemple de la lutte contre la manipulation des besoins.

225. Lutter contre la manipulation des besoins. La manipulation des besoins de l'entreprise, nous l'avons déjà évoqué, constitue un moyen de détournement efficace et peut parfois être le support d'un schéma de corruption. Elle peut viser à favoriser un sous--traitant au détriment de ses concurrents, à limiter ou à éliminer la concurrence, à prévoir des clauses permettant des modifications ultérieures pour favoriser le fournisseur, à écarter les fournisseurs agréés qualifiés ou encore à se défaire de fournisseurs intègres. Pour empêcher la manipulation des besoins, Noël Pons, ancien conseiller au SCPC préconise un certain nombre de moyens119. Il distingue les mesures de contrôle classiques et les mesures applicables dans le domaine du contrôle des paiements.

119 Noel Pons: « La manipulation des besoins dans les opérations achats » Lettre trimestrielle « Auditeur Francophone » Union Francophone de l'Audit Interne n°11, octobre 2012 / avril 2013 - P 19 à 21

226. 89

Les mesures de contrôles généraux. Noël Pons préconise notamment:

-- Une vigilance quant à la séparation des tâches entre l'évaluation des besoin et l'engagement.

-- La détermination et la mesure qualitative et quantitative de l'importance de chaque activité pour l'entreprise

-- Le repérage des activités actuelles et des besoins futurs afin d'étayer les objectifs et chacun des projets

-- L'assurance que des fonctions spécialisées participent à l'élaboration de l'argumentation et des stratégies, avant la validation des projets

-- L'assurance que les besoins concernés ne peuvent pas être satisfaits en interne pour un coût moindre

-- Le « benchmarking »120 des coûts et l'installation d'une base de données « Coûts »

-- L'examen indépendant des spécifications par des fonctions appropriées, afin de garantir la cohérence avec les besoins du secteur

-- L'exigence de la mise en place d'une validation indépendante des ordres lors de toute modification majeure de l'objet du contrat

-- L'exigence d'un examen indépendant des modalités contractuelles

-- L'assurance qu'il n'existe pas d'écart par rapport aux contrats standards (omission des droits d'audit, de la déontologie, des exigences du responsable hygiène--sécurité, des exigences juridiques (indemnités/ assurances/ garanties).

-- Pour les dossiers complexes, l'exigence de l'intervention d'un juriste dès le début de l'opération

227. Les mesures de contrôles financiers. Ces contrôles peuvent consister en :

-- Des contrôles effectifs de l'échéancier

-- L'assurance que les prévisions des flux de trésorerie soient cohérents par rapport aux programmes d'exécution des travaux

-- L'assurance qu'il n'existe pas de stipulations comportant des modalités de paiement défavorables telles que les paiements anticipés échelonnés, les paiements anticipés sans escompte, l'omission de ristournes pour gros volume, l'existence de paiements avant fourniture des produits ou de la prestation

120 Le Benchmarking consiste à se comparer aux meilleures entreprises, celles qui possèdent les performances les plus remarquables dans leur domaine. Définition de Raphaëlle Granger: « Benchmark, s'inspirer des meilleurs », 02 juillet 2015, http://www.manager--go.com/

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-- L'assurance qu'il n'existe pas de stipulations comportant des modalités de contrôle défavorables telles que l'absence de clauses pénales en cas de retard, l'absence de la précision d'un lieu de livraison, l'absence de précision du cout de l'assurance et du transport ou un échéancier des paiements échelonnés non approprié.

228. Aussi, l'utilisation de l'informatique peut s'avérer un outil de contrôle et de transparence efficace au service de la prévention contre la corruption.

B -- L'intérêt de l'utilisation de l'informatique dans le processus achat

229. Les appels d'offres électroniques. Ils garantissent plus de transparence dans la dévolution des marchés par l'entreprise. Il existe des logiciels de plus en plus performants permettant une présélection en ligne des sous-traitants potentiels suite à un appel d'offres. Les acheteurs n'ont plus qu'à choisir, ce qui permet non seulement de gagner un temps important mais aussi de gagner en transparence. En outre, la traçabilité des offres est assurée121. Ces outils sont appelés des logiciels de pilotage achats. Ils désignent les applications et technologies utilisant les bases de données d'internet, raison pour laquelle leur utilisation dans le processus achats est aussi appelée « e-sourcing ».

Ces logiciels « sont composés de plusieurs modules qui suivent, peu ou prou, toutes les étapes d'un processus achats traditionnel. Par exemple, un module paramétré par l'entreprise permettra à tout acheteur de définir son besoin selon une méthodologie prédéfinie par la direction achats »122.

L'utilisation de telles méthodes permet d'éviter le recours à des apporteurs d'affaires, qui nous l'avons vu peut donner lieu à des conflits d'intérêts importants. Il existe également des logiciels d'e-RFI (Request for Information), étape du processus achats consistant à obtenir des informations sur leurs sous-traitants sur des bases de données ouvertes.

Une autre solution innovante dans le processus achats en ligne étant celle des logiciels d'enchères en ligne appelées « enchères inversées ». La mise en compétition des sous-traitant est donc mieux garantie.

121 « La fonction achats en entreprise, politique et stratégie d'achats » - Décision Achats - Le guide N°4 - 01/01/2011 Disponible sur le site http://www.decision-achats.fr/

122 « La fonction achats en entreprise, politique et stratégie d'achats » - Décision Achats - Le guide N°4 - 01/01/2011 Disponible sur le site http://www.decision-achats.fr/

230.

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Malgré la démocratisation de l'utilisation de ces logiciels, ces derniers sont loin d'être des garanties suffisantes du respect du code des achats. La promotion de l'éthique dans les affaires est un aspect incontournable de la lutte contre la corruption

C - La prévention par l'éducation: L'intérêt des chartes anti-- corruption.

231. Un problème persistant d'éducation. Que ce soit le flou persistant autour de la législation concernant les cadeaux d'affaires qui laisse largement planer le doute sur les pratiques acceptables et celles relevant de l'infraction de corruption privée, que ce soit la méconnaissance de l'existence de l'infraction de corruption par encore beaucoup de professionnels, ou que ce soit l'inquiétante propension d'une partie non négligeable d'entre eux à estimer acceptable le recours à des pratiques corruptives pour améliorer, sauver ou pérenniser la situation économique de leur entreprise123. Il existe une pléthore d'indices permettant d'affirmer qu'en 2015, alors que l'éthique en entreprise est déjà au centre des débats depuis quelques années, qu'il y a une réelle nécessité de sensibilisation et d'éducation des acteurs du monde des affaires quant au danger de la corruption privée (notamment). C'est la vocation des chartes et des formations anticorruption mises en place par les entreprises. (La charte-anticorruption ne doit pas porter uniquement sur la pratique des cadeaux mais doit envisager tous les comportements risqués et prohibés auxquelles les entreprises sont exposées).

232. Premières victimes de ces difficultés, les entreprises semblent avoir pris la mesure de la nécessité d'encadrer la pratique des cadeaux d'affaires par exemple. La première étape étant de désigner un organe la superviser. Il faut donner la possibilité aux directions financières, juridiques et des achats, de travailler ensemble. Pour cela, il convient de mettre en place des systèmes de conformité et de veiller à leur respect. Jean-Jacques Nillès, consultant spécialisé en éthique des

123 Rappelons qu'à la question « lequel de ces comportement trouvez--vous justifié de recourir afin d'aider votre entreprise à surmonter un retournement de l'économie ? » 29% des individus interrogés ont répondu qu'ils seraient prêt à offrir un divertissement, afin de nouer ou de pérenniser une relation d'affaire, faits constitutifs de corruption. 14% d'entre eux seraient prêt à offrir un cadeau personnel pour les mêmes raisons, 13% à offrir une somme d'argent liquide, c'est-à-dire un « pot-de-vin » classique. Au total, près de la moitié des sondés a reconnu être prête à recourir à des moyens assimilable à de la corruption « en cas de besoin » Source: La 13ème étude mondiale sur la Fraude « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014 menée par EY (Ernst Young)

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affaires que nous avons déjà cité124 considère que toutes les entreprises ne sont pas tenues de placer le curseur au même endroit concernant la pratique des cadeaux. Certaines entreprises vont adopter une vision plutôt anglo-saxonne de la question et condamner totalement la pratique des cadeaux d'affaires. Jean-Jacques Nillès considère cette position comme risquée, pour lui, un système trop contraignant va souvent conduire les individus à le contourner. Il est possible d'opter pour des solutions moins radicales comme la mise en place de chartes éthiques qui vont avoir pour objet de définir précisément quelles sont les pratiques acceptables au regard des conflits d'intérêts pouvant être suscités. L'efficacité de ces chartes suppose qu'elles soient rédigées en collaboration avec les salariés concernés, qu'elles soient réalistes et qu'un certain libre arbitre soit laissé au salarié.

233. La diffusion nécessaire des chartes. Un des points essentiels au sujet des chartes anti-corruption est leur large diffusion auprès des personnes concernées. L'idéal étant d'organiser des formations afin de sensibiliser et d'éduquer les salariés à leur contenu par l'organisation de réunions et séminaires de formation. La diffusion des chartes éthiques peut également se faire à l'extérieur de l'entreprise, à destinations des sous-traitants et des clients afin de promouvoir une culture de l'éthique d'entreprise. Beaucoup d'entreprises du CAC40 ont d'ailleurs pris le parti de rendre leurs chartes publiques.

234. L'utilisation de mesures contraignantes. La simple signature par les salariés de la charte anti-corruption est insuffisante. Les formations sont donc nécessaires. Mais les entreprises peuvent aller plus loin dans l'encadrement de la pratique des cadeaux d'affaires, en obligeant par exemple les salariés à signaler systématiquement tout cadeau qui leur est remis sous peine de sanction pouvant aller jusqu'au licenciement en cas de non respect de la charte.

235. La nécessaire exemplarité des dirigeants. C'est un point important afin d'inciter les salariés à intégrer les bonnes pratiques au regard de la corruption. Antoinette Gutierrez-Crespin, associée EY Fraud Investigation & Dispute Services, considère que « c'est aux cadres dirigeants de donner le ton - tone from the top - et que ce sont les plus exposés aux situations où leur intégrité est menacée: 21% des dirigeants et 10% des cadres dirigeants disent avoir été sollicités dans le passé pour payer des pots--de--vin ». Rappelons que 11% de dirigeants d'entreprises estiment pouvoir justifier la fraude aux états financiers pour aider leur entreprise en cas de

124 Catherine QUIGNON (2011). Cadeaux d'affaire, la législation se durcit. Le nouvel économiste. Disponible en ligne: http://www.lenouveleconomiste.fr/lesdossiers/cadeaux-daffaires-la-legislation-se-durcit-10741/

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difficultés. David Stulb, responsable mondial du département Fraud Investigation & Dispute Services (FIDS), ajoute que « l'implication des conseils d'administration ne doit pas se limiter au premier cercle des dirigeants, mais doit s'adresser à l'ensemble des cadres de l'entreprise »125.

D - La nécessité des contrôles internes et audits

236. « La confiance n'exclut pas le contrôle ». Cette assertion de Lénine illustre bien la nécessité de coupler la mise en place de procédures rigoureuses et de codes de déontologie pertinents avec des mesures de contrôle afin de garantir leur respect. La lutte anti-corruption au niveau de l'entreprise ne peut s'envisager de manière efficace que si des mécanismes de contrôle sont mis en place. Ces mécanismes peuvent émaner de l'intérieur de l'entreprise mais peuvent aussi être effectués par des structures indépendantes. Dans le second cas on parlera alors « d'audit ». Les contrôles internes peuvent être matérialisés par exemple par l'imposition systématique de la double signature des chèques et commandes (au delà d'un certain seuil fixé par l'entreprise). L'association Transparency International suggère quelques points de contrôles sensibles126 :

-- Les contrôles et la conservation des documents financiers et de comptabilité afin de détecter les irrégularités éventuelles

-- Les contrôles des contrats et de leur bonne exécution

-- Un bon suivi des pratiques des cadeaux, invitations et dépenses

-- Veiller à contrôler et mettre à jour les programmes de lutte anti-corruption

-- Les contrôles du fonctionnement et du respect des procédures de dévolution des marchés

En étant réguliers, ces contrôles vont contribuer à diminuer le sentiment d'impunité qui pourrait conduire les moins intègres à mal se conduire. Toutefois, si ces contrôles sont utiles, ils peuvent s'avérer insuffisants. En effet, les contrôles internes ne permettent pas de détecter toutes les fraudes, les membres d'une entreprise peuvent s'être habitués à ces contrôles habituels et avoir décelé leurs failles. Raison pour laquelle des contrôles extérieurs peuvent être intéressants. Des contrôles effectués de manière inopinée par des entreprises spécialisées vont non seulement contribuer à diminuer le sentiment d'impunité mais vont aussi permettre de détecter des fraudes qui avaient pu jusque lors demeurer invisibles.

125 La 13ème étude mondiale sur la Fraude « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth » de juin 2014 menée par EY (Ernst Young)

126 Association Transparency International. (2011). Principe de conduite des affaires pour contrer la corruption

237.

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L'éthique et la réputation d'une entreprise. Outre la lutte contre la fraude, la mise en place d'une charte anti-corruption peut être présentée comme un avantage concurrentiel par les entreprises. Reprendre les grands principes de lutte anti-corruption prônés par les conventions internationales et les appliquer au sein de sa structure permet à toute entreprise de véhiculer une meilleure image auprès de ses partenaires. A condition que les directions achats et communication travaillent de concert afin de mettre en avant la politique d'éthique mise en place. En outre, de plus en plus d'entreprises d'une certaine taille imposent à leurs fournisseurs qu'ils apportent la preuve qu'ils ont mis en place des systèmes anticorruption efficaces127.

238. Au delà de l'organisation du service et de la promotion de l'éthique, l'entreprise a d'autres possibilités pour lutter contre la corruption privée. L'entreprise doit se donner les moyens de détecter toute fraude qui se déroule ou se serait déroulée en son sein.

II -- Les outils de détection au service de l'entreprise

Source: PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic crime survey ». p6

127 Association Transparency International. (2011). Principe de conduite des affaires pour contrer la corruption

239.

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Comme le montre ce diagramme il existe divers modes de détection des fraudes. Outre la détection permise grâce aux contrôles internes et externes des entreprises dont nous avons évoqué les contours précédemment et les rotations du personnel, un mode de détection va faire ici l'objet de toute notre attention: le lanceur d'alerte ou « whistleblowing » (A). L'autre moyen de détection que nous préciserons est la l'analyse de données (B) (« data analytics »).

A - Le rôle essentiel des lanceurs d'alerte dans la détection de la corruption

240. Les collaborateurs du fraudeur, aux premières loges de la fraude. Bien souvent, et c'était le cas dans les deux principales illustrations que nous avons détaillées au cours de cette étude, les salariés collaborateurs des principaux instigateurs de la corruption privée sont les premiers au courant lorsqu'une fraude est en train ou va se dérouler au sein de leur entreprise. Etant donné leur proximité, ils seront généralement les premiers à détecter ou à se voir proposer une participation à un schéma de corruption. Ils constituent donc une source d'information privilégiée qui ne doit pas être négligée par les entreprises et par les pouvoirs publics. En effet, beaucoup de salariés pourtant au fait de comportements douteux vont préférer se « murer » dans leur silence plutôt que de risquer leur réputation voire leur poste. On estime qu'entre 75 % à 99 % d'entre eux préfèrent se taire en l'absence de législation de protection128. Les causes de ce silence sont souvent la peur des représailles mais sont aussi parfois empruntes d'une culture française du silence héritée de la période d'occupation, les dénonciateurs étant souvent assimilés à des délateurs.

241. Origines du whistleblowing. Né aux États-Unis dans les années 1970, le whistleblowing, signifiant « tirer un coup de sifflet » est l'équivalant anglo-saxon de notre « lanceur d'alerte ». Transparency International définit le lanceur d'alerte comme étant « un employé faisant un signalement touchant à l'intérêt général : crime ou délit, erreur judiciaire, corruption, atteintes à la sécurité, la santé publique ou l'environnement, abus de pouvoir, usage illégal de fonds publics, graves erreurs de gestion, conflits d'intérêts ou dissimulation des preuves afférentes »129.

128 Nicole Marie MEYER. (2014). Le droit d'alerte en perspective : 50 années de débats dans le monde. AJDA, 24 nov. no 39, p. 2242

129 Alain-Christian MONKAM. (2015). Avocat spécialiste en droit social. whistleblowing : une protection en demi-teinte. Jurisprudence Sociale Lamy

242.

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Une position fragile des salariés. Aussi, bien que le législateur ait fait entrer la corruption dans le régime procédural de la criminalité organisée, sans pour autant considérer explicitement que l'infraction fait partie de cette catégorie de délinquance et bien qu'il existe, comme nous l'avons vu, un corps d'incriminations permettant d'appréhender la corruption privée sous toutes ses formes, la lutte contre la corruption en général et la corruption privée en particulier passe aussi par « la protection des personnes que leur fonction place en situation privilégiée pour en observer les pratiques et par la suite de les dénoncer »130. Ainsi, c'est la raison d'être de l'article L.1161-1 du Code du travail, issu de la loi n°2007-1598 du 13 novembre 2007, qui dispose qu' « aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période deformation entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat». pour avoir dénoncé ou témoigné de bonne foi de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonction. L'alinéa 2 ajoute que « toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit». Si une mesure de rétorsion est prise à l'encontre d'un salarié ayant endossé le rôle de lanceur d'alerte, c'est à l'auteur de la mesure qu'appartiendra de supporter la charge de la preuve du caractère justifié et étranger à la dénonciation de cette mesure prise à l'égard du salarié131. Il est important de noter que la charge de la preuve ne fait pas l'objet d'une inversion totale, en effet, le salarié devra d'abord établir « des faits qui permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de faits de corruption »132.

243. Une absence d'obligation de dénonciation. L'article 40 alinéa 2 du Code de procédure pénal dispose que : « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès--verbaux et actes qui y sont relatifs ». L'absence d'obligation similaire à l'égard des acteurs du secteur privée démontre une fois de plus que l'accent est mis sur la probité des agents publics qui se doivent d'être exemplaires.

130 Agathe Lepage, Patrick Maistre du Chambon, Renaud Salomon, manuel « droit pénal des affaires », LexisNexis, 3ème édition, 2013, p169

131 Agathe Lepage, Patrick Maistre du Chambon, Renaud Salomon, manuel « droit pénal des affaires », LexisNexis, 3ème édition, 2013, p169

132 CA Paris, 13 mars 2013, no 12/03679 ; CA Paris, 21 mars 2013, no 11/06352

244.

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Un renforcement récent de la protection des lanceurs d'alerte. La loi du 6 décembre 2013 a créé l'article L.1132-3-3 du Code du travail afin d'empêcher toute sanction à l'égard d'une personne « pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ». Ainsi que l'article 40-6 du Code de procédure pénale qui dispose que : « la personne qui a signalé un délit ou un crime commis dans son entreprise ou dans son administration est mise en relation, à sa demande, avec le service central de prévention de la corruption lorsque l'infraction signalée entre dans le champ de compétence de ce service ». D'aucuns considèrent que ces nouvelles dispositions sont créatrices d' « un droit général de dénoncer toute infraction »133.

245. Le rôle des entreprises en matière d'alerte. Un cadre législatif accueillant n'est pas suffisant pour encourager les initiatives des salariés en matière de dénonciation. Non seulement les salariés n'ont pas nécessairement conscience que leur protection juridique est plutôt garantie (à condition qu'ils soient de bonne foi) mais la perception négative des « délateurs » constitue toujours une barrière morale à la dénonciation des fraudes par les salariés qui en ont connaissance. Une fois encore, l'éducation et la formation des salariés semblent être la clef et le prolongement incontournable des dispositions légales qui ont été adoptées ces dernières années. Les entreprises doivent donc mettre en place des systèmes afin d'enregistrer et traiter les éventuelles alertes. Pour cela les supports de communications tels que le téléphone ou internet doivent être privilégiés pour l'anonymat qu'ils offrent. En outre, les chartes éthiques peuvent mentionner la possibilité pour les salariés de dénoncer les comportements illicites de leurs collaborateurs afin de pouvoir gérer la situation en interne. Les entreprises veulent rester maîtresses de leur image et ne souhaitent pas que les affaires soient systématiquement rendues publiques. Beaucoup d'entreprises internationales n'ont pas attendu la loi de 2013 pour mettre en place des dispositifs d'alerte.

B - La détection par l'analyse des données forensic

246. Des méthodes récentes. Parmi tous les moyens de lutte contre la corruption, un moyen de détection progresse particulièrement depuis quelques années: la détection par l'analyse des données. Rappelons que l'édition 2014 de l'étude mondiale sur la fraude en entreprise de PWC a permis de mettre en exergue le fait que le nombre de fraudes reportées n'est probablement pas lié à leur augmentation mais au fait que les entreprises soient mieux armées pour les

133 Jean-Denis ERRARD. (2014). Les nouveaux lanceurs d'alerte: le civisme de la dénonciation. Droit et patrimoine. 5 mai. no 236

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détecter. Un des moyens de détection dont les résultats sont les plus significatifs est l'analyse de données. Ces systèmes ont vu leur utilisation généralisée depuis l'avènement de la crise et la prise de conscience par les entreprises du fait que la fraude peut engendrer des coûts financiers et d'image importants. Dès lors, la détection de fraude est de moins en moins le fruit du hasard et de plus en plus permise par la montée en puissance de l'analyse de données.

247. Exemples de progrès permis par l'analyse informatique des données134. La data forensic consiste à analyser les supports électroniques à l'aide de logiciels et de matériels « technico--légaux ». Ce sont des solutions généralement proposées par des entreprises spécialisées d'audit et de sécurité. Par l'utilisation d'équipements techniques spécialisés ils vont pouvoir collecter et sécuriser les preuves éventuelles, traiter et analyser des volumes conséquents de courriers électroniques, confronter les données suspectes et identifier les auteurs et responsables, apporter un soutien aux enquêteurs, avocats et parties. Ces solutions vont permettre également de numériser des documents papiers afin de les analyser par mots clefs ce qui permet de gagner un temps considérable.

248. La France, pays leaders dans l'analyse informatique des données. Aujourd'hui, 25% des fraudes détectées (dont la corruption) l'ont été grâce à ces systèmes de détection automatisés. D'après l'étude menée par PwcFrance, en Europe de l'ouest et en France plus particulièrement la relation entre le nombre de fraudes détectées et l'utilisation de ces nouveaux systèmes est plus élevée qu'au niveau mondial. Un chiffre frappe quant à l'efficacité de ces méthodes de détections: « 80% des entreprises françaises ayant reporté au moins une fraude avaient au préalable réalisé une évaluation (analyse informatique des données) de leur risque de fraude »135

249. Ainsi, la lutte contre la fraude en général, la corruption en particulier et donc la corruption privée doit faire l'objet d'une attention toute particulière de la part des entreprises. Nous avons vu que ces dernières disposent d'un arsenal conséquent à mettre à oeuvre afin d'assainir leurs pratiques. Toutefois, les autorités publiques nationales et internationales ont le devoir de s'investir dans la lutte. Non seulement en la rendant possible - on a pu mesurer ce rôle au regard des évolutions législatives sur les lanceurs d'alerte - mais aussi en encourageant la lutte.

134 https://www.pwc.ch/fr/nos_services/conseil_economique/forensic/forensic_technology_solutio ns.html

135 PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic crime survey ». p8

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Section 2nd - Les initiatives nécessaires des pouvoirs publics en matière de lutte contre la corruption privée

Bien que des progrès conséquents aient été faits par les entreprises en matière de lutte anti-corruption, il reste encore beaucoup à faire (I). Au regard des insuffisances subsistantes, il convient de s'interroger sur le rôle que jouent les pouvoirs publics en la matière (II)

I - Une lassitude des entreprises en matière de lutte anti-- corruption?

250. Une implication toujours insuffisante des cadres dirigeants au regard des risques encourus. L'ensemble des études que nous avons présentés sur la corruption dans les services achats des entreprises françaises et sur la fraude dans le monde permettent d'arriver à ce même constat que nous avons déjà évoqué: Les personnels dirigeants sont ceux qui font le moins preuve d'intégrité, contournent le plus souvent les contrôles et sont le moins impliqués dans les formations anticorruption. Ces comportements sont doublement préjudiciables pour les entreprises. Non seulement il sera reproché aux cadre-dirigeants de ne pas montrer l'exemple ni de ne pas encourager suffisamment les procédures de lutte anti-corruption mais surtout, en tant que responsable et représentant de leur entreprise, le comportement de ces derniers exposent d'autant plus leur entreprise à une mise en cause de sa responsabilité pénale.

251. Accentuation de la coopération internationale. Cette insuffisance est d'autant plus regrettable que les régulateurs semblent avoir accentué leurs efforts en matière de lutte contre les fraudes en entreprise. Gérard Zolt, associé du cabinet EY et responsable de la section FIDS (Fraud Investigation & Dispute Service) pour la région France et Luxembourg affirme que « les régulateurs investissent massivement afin de renforcer leur capacité à exploiter les données de grandes sociétés pour identifier de potentielles irrégularités. Les plus récents outils de visualisation de données peuvent contribuer à l'identification plus rapide et efficace de signaux d'alarme en matière de comptabilisation des recettes ou en matière d'achats. Les conseils d'administration devraient s'interroger sur la manière dont la direction capitalise sur l'expertise en matière d'analyse des données « big data » afin d'en tirer le meilleur parti pour l'amélioration de la conformité ainsi que des résultats d'enquêtes »136. Avec l'accentuation de la coopération internationale, les

136

http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/Corruption_dans_le_monde_lutte_des_conseils_d_ad ministration_pour_y_faire_face/$FILE/June14_fraud_survey_FR.pdf

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normes anti-corruption sont de plus en plus appliquées et de façon plus strictes. Les pouvoirs de poursuites ont été renforcés, en terme de volonté et de budget. Les Etats-Unis ne sont pas les seuls à s'être mis à poursuivre les faits de corruption.

252. Un ralentissement de la conformité. Les études que nous avons présentées mettent aussi en exergue un certain essoufflement de la part des entreprises en matière de conformité. Au regard de l'accentuation de la lutte de la part des régulateurs et de la meilleure coopération internationale, ce ralentissement est inquiétant pour les entreprises. En 2014, une entreprise sur cinq dans le monde n'a toujours pas mis en place de charte anti-corruption. Près d'une sur deux n'a pas mis en place de système de communication pour accueillir les informations des lanceurs d'alertes éventuels et une personne sur deux (interrogée) n'a pas participé à une formation anti-corruption137. Ainsi, encore trop d'entreprises n'ont pas intégré la nécessité de mettre en place ce type de procédures . Le symptôme le plus parlant étant sans doute le faible nombre d'entreprises ayant mis en place une « hotline » à destination des lanceurs d'alerte, « plus petite composante d'un processus de déclenchement d'alarme efficace et exhaustif »138.

II - Les initiatives des pouvoirs publics

Cette dernière partie sera consacrée à l'étude des initiatives les plus actuelles des pouvoirs publics français en matière de lutte contre la corruption (A) puis à la présentation d'un organe Etatique relativement ancien de lutte contre la corruption, le Service Central de Prévention contre la Corruption (B).

A - 2013 et la mise en oeuvres de nouvelles mesures destinées à lutter contre la grande délinquance économique et financière.

253. On a déjà pu remarquer que les condamnations du chef de corruption privée sont encore quasiment inexistantes en France. Pourtant, étant donnée l'omniprésence avérée du phénomène et notamment au sein du secteur achats des entreprises, on peut imaginer que la répression pourrait s'intensifier. Toutefois, l'infraction de corruption est par essence très difficilement réprimable et cette caractéristique semble avoir été prise en compte par les pouvoirs publics. En effet, depuis peu, l'Etat français a souhaité s'armer pour lutter contre la grande

137 13ème étude mondiale sur la Fraude menée par EY (Ernst Young) « Overcoming compliance fatigue: reinforcing the commitment to ethical growth », juin 2014

138 Propos de Gérard Zolt, associé du cabinet EY et responsable de la section FIDS http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/Corruption_dans_le_monde_lutte_des_conseils_d_ad ministration_pour_y_faire_face/$FILE/June14_fraud_survey_FR.pdf

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délinquance économique et financière, la délinquance complexe qui ne peut être mise à jour que par des spécialistes, formés et qualifiés.

254. La création d'un procureur de la République financier139. C'est la loi du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier et la loi du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance économique et financière qui ont permis la mise en place d'un procureur de la République financier à compétence nationale. Ce dernier est directement rattaché au tribunal de grande instance de Paris. Outre sa compétence exclusive et nationale en matière de délits boursiers, le procureur financier a une compétence partagée en matière d'atteintes à la probité et notamment en matière de corruption privée lorsqu'elles revêtent une certaine complexité (grand nombre d'auteurs, de complices ou de victimes ou grande dispersion géographique des faits). Le procureur financier est aussi compétent pour poursuivre le blanchiment de l'ensemble de ces infractions. Toutefois, en matière de corruption privée, il y a fort à parier que ce procureur financier ne fera pas office de révolution, ce dernier n'ayant finalement vocation qu'à s'intéresser à des affaires à portée nationale ou internationale et donc uniquement pour les dossiers impliquant des responsables au plus haut de la hiérarchie d'entreprises « à forte visibilité économique »140.

255. Les services d'enquête spécialisés141. Le procureur de la république financier a aussi pour possibilité de saisir des services d'enquête spécialisés de la direction centrale de la police judiciaire tels que l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) et surtout l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) créé en octobre 2013, permettant de doubler les effectifs consacrés aux infractions de corruption. L'OCLCIFF est chargé des enquêtes en matière de corruption nationale et internationale, des atteintes à la probité, des infractions au droit des affaires, de la fraude fiscale complexe et du blanchiment de toutes ces infractions. L'OCLCIFF a vocation à remplacer la Division nationale d'investigations financières et fiscales (DNIFF). Il y a actuellement plus de cent policiers, gendarmes, agents de la direction générale des finances publiques au sein de l'OCLCIFF. Cet office a par ailleurs pour objectif consacré de coordonner et d'organiser la lutte contre les infractions de corruption (notamment) avec les autres services d'enquête compétents (police judiciaire, gendarmerie, douanes, administration fiscale ...).

139 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2014, juin 2015

140 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2014, juin 2015

141 Christine Dufau, commissaire divisionnaire, cheffe de l'OCLCIFF,

http://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Dossiers/Corruption--et--fraude--fiscale--en--ligne--de--mire

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L'idée étant d'encourager le partage d'informations et d'améliorer les techniques d'enquête sur des phénomènes complexes. Aussi, à l'image de ce qui est fait dans beaucoup d'entreprises pour accueillir les « alertes », l'OLCIFF devrait mettre en place un dispositif sur internet accessible à toute personne ayant des informations sur des faits de corruption.

256. Une réponse efficace? Ainsi, comme le souligne les rédacteurs du dernier rapport d'activité du SCPC (rendu public en juin 2014), la création du procureur financier est censée répondre à deux attentes. La première est de mettre la France en conformité avec ses engagements internationaux et notamment l'article 36 de la Convention des Nations Unies contre la corruption de 2003, disposant que « Chaque État partie fait en sorte, conformément aux principes fondamentaux de son système juridique, qu'existent un ou plusieurs organes ou des personnes spécialisées dans la lutte contre la corruption par la détection et la répression ». D'autre part, le procureur financier est censé être une réponse efficace aux infractions financières complexes venant compléter l'action des juridictions interrégionales spécialisées qui n'ont, à l'exception du Pôle financier de Paris, pas su se diversifier suffisamment et se sont focalisées sur la criminalité organisée et les grands trafics, délaissant la délinquance financière complexe. Toutefois, selon Eliane Houlette, procureur de la République financier, il est encore trop tôt pour faire un bilan de l'activité du parquet national financier. Celui-ci n'étant opérationnel que depuis le 1er février 2014. Il reste que le parquet semble être en expansion puisque le nombre de magistrats qui le compose a déjà plus que doublé, passant de 5 à 12 en janvier 2015142.

257. Des limites concernant la corruption privée. Dans son commentaire de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière143, le Professeur Marc Segonds met en évidence un nouveau symptôme du moindre intérêt voire du désintérêt des pouvoirs publics pour les méfaits de la corruption privée. En effet, tout en saluant l'extension de la repentance144 aux faits de blanchiment, de corruption publique,

142 Eliane HOULETTE procureur de la République financier. (2015). Discours. Audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Paris. 19 janvier.

143 Marc SEGONDS. (2014). Commentaire dela loi n°2013--1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. LexisNexis. Revue de droit pénal. Février.

144 A l'égard du blanchiment, l'article 324-6-1 du Code pénal dispose que « Toute personne qui a tenté de commettre les infractions prévues à la présente section est exempte de peine si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d'éviter la réalisation de l'infraction et d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices.

La peine privative de liberté encourue par l'auteur ou le complice d'une des infractions prévues à la présente section est réduite de moitié si, ayant averti l'autorité administrative ou judiciaire, il a permis de faire cesser l'infraction ou d'identifier, le cas échéant, les autres auteurs ou complices».

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de corruption judiciaire, de corruption publique étrangère et internationale et de corruption judiciaire étrangère et internationale, l'auteur met en avant le fait que la corruption privée est la seule à ne pas faire l'objet de ce nouveau dispositif. En ignorant « des entrelacs de la corruption publique et de la corruption privée, le législateur a omis d'y soumettre cette dernière, omission d'autant plus impardonnable qu'il ne peut raisonnablement être soutenu que la criminalité organisée s'adonnerait à la première à l'exclusion de la seconde ».

B - le Rôle ancré du Service Central de prévention de la corruption145

258. Le Service Central de Prévention contre la Corruption. Le SCPC est un service créé à par la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. C'est la principale autorité anti-corruption française ayant une compétence en matière de prévention, de détection, de centralisation des informations relatives à la corruption146.

259. Un service en expansion. Les effectifs du SCPC ont été plus que doublés depuis cinq ans, passant de 5 membres à 12 membres en 2015. En parallèle, son rôle s'est développé. La mission de centralisation des informations relatives à la corruption permet au SCPC de publier chaque année un rapport détaillé sur le phénomène de corruption et ses évolutions. Concernant la seule corruption privée, on pourra regretter que même le SCPC fasse preuve d'un moindre intérêt. En effet, les statistiques concernant la corruption privée sont relativement peu mises en avant et détaillées dans les rapports des dernières années, bien que pas totalement ignorées.

260. Un service novateur. Outre la fourniture de chiffres précis et détaillés sur la corruption, le SCPC effectue un rappel annuel des évolutions de la législation nationale et propose depuis 2010 des pistes de réformes dont certaines ont été suivies (notamment la possibilité de constituer partie civile pour les associations de lutte contre la corruption et la protection des lanceurs d'alerte). Ces propositions sont issues de discussions avec les différents ministères concernés, des entreprises et autres organisations impliquées dans la lutte contre la corruption.

145 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2014. (2015). juin 2015.

146 ANNEXE : Graphique illustrant le champ d'activité du SCPC dans le cadre national

261.

104

Un service formateur. Le rapport du SCPC pour l'année 2014 rappelle que le SCPC met ses compétences au service de la prévention de la corruption en participant régulièrement des formations de sensibilisation aux risques de corruption auprès d'administrations publiques, d'étudiants et d'entreprises privées. Dans cette optique de prévention, le SCPC a élaboré et publié en 2015 un document intitulé « Les lignes directrices françaises visant à renforcer la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales ». A l'heure où on constate un essoufflement des initiatives des entreprises dans la prévention, il est de bon augure de constater que le SCPC tente de sensibiliser les personnes concernées au phénomène et à la nécessité de lutter. Ce document a pour objet de proposer aux entreprises des recommandations juridiques non contraignantes pour l'élaboration de programmes de conformité147.

262. Le SCPC, un service d'expertise. Le SCPC est un soutien au service des autorités judiciaires et de l'administration. Depuis la loi 1993, le SCPC est investi de la mission de prêter son concours, sur demande, aux autorités judiciaires en matière de corruption, de prise illégale d'intérêt, de concussion, de favoritisme et de trafic d'influence. Il est également chargé de donner des avis, toujours sur demande, à certaines administrations au sujet de mesures anti--corruption. « En 2014, le Service a été saisi de 66 demandes de concours, 9 émanant d'autorités administratives, 2 d'autorités judiciaires et 57 de particuliers, associations et conseillers municipaux »148.

263. Des initiatives tardives mais nécessaires. Ainsi, bien qu'une partie des mesures qui ont été présentées soient intervenues relativement tard dans un contexte où la délinquance économique fait déjà l'objet de longs débats depuis des années, et que leur impact soit difficilement mesurable, on voit que les pouvoirs publics français cherchent à soutenir et à réaffirmer leur volonté de lutter contre la corruption.

147 Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2014. (2015). juin 2015.

148 Ibidem. p144

105

CONCLUSION

264. Depuis une dizaine d'année les pouvoirs publics semblent avoir intégré le fait que la corruption est un phénomène qui touche à la fois le secteur public (fonctionnaires, élus, magistrats ...) et le secteur privée. L'arsenal législatif mis en place pour lutter contre la corruption en général et contre la corruption privée en particulier est aujourd'hui opérationnel quoique emprunt d'une certaine complexité. Ainsi, corruption publique et privée peuvent être combattues et doivent l'être.

265. Dans ce mémoire plusieurs questions ont été posées. Une des principales étant de savoir pourquoi dix ans après un certain regain d'intérêt des pouvoirs publics à l'égard d'un phénomène trop longtemps ignoré, les condamnations sont toujours quasiment inexistantes. Nous avons vu que la réponse à cette question ne pouvait être simplement l'absence ou le très faible nombre de comportements incriminables. En ce focalisant sur un des domaines les plus exposés à la corruption privée, à savoir les services achats des entreprises, il a été démontré que la corruption privée est par nature une infraction non seulement facile et lucrative à mettre en oeuvre pour les auteurs mais surtout relativement difficile à détecter pour les victimes et encore plus complexe à réprimer pour les autorités publiques.

266. Toutefois et malgré ce constat, le phénomène de corruption privée ne doit pas être perçu comme une fatalité. Bien qu'il existe un nombre résiduel de fraudes potentielles impossibles à empêcher, l'étude du cabinet AgileBuyer a permis de démontrer que des progrès peuvent être faits si les moyens sont mis en place. Rappelons à cet égard les changements intervenus en quelques années dans les secteurs de l'automobile et de la construction suite aux scandales qui les ont éclaboussés. La mise en place de procédures internes anti--corruption et de chartes éthiques dans ces secteurs a contribué à assainir ces secteurs qui comme l'immobilier jouissaient d'une mauvaise réputation et de mauvais résultats en terme d'éthique des affaires.

267.

106

Les diverses études auxquelles nous avons eu recours démontrent qu'il existe un nombre significatif de fraudes non détectées au sein des entreprises qui ne se sont pas encore investies dans le jeu de la conformité. En effet, pour les entreprises ayant eu recours à l'analyse informatique, qui ont encouragé les lanceurs d'alertes potentiels et/ou qui ont fait la promotion de l'éthique auprès de leurs salariés ont nécessairement détecté bien plus de cas de corruptions que celles qui se sont contentées de la détection par le hasard.

268. Aussi, l'expérience d'autres États que la France a permis de constater que les moyens de détection de la fraude avaient rendu possibles de nets progrès. En effet, au Royaume-Uni, après avoir légèrement augmenté à la fin des années 2010, grâce au nouveaux moyens de détections développés, le pourcentage de fraudes reportées a fini par diminuer de 6% entre 2011 et 2014. Cet Etat est peut-être en cours de récolte des fruits de ses investissements dans les technologies de détection automatisée. Ces dernières ayant un effet dissuasif à moyen et long terme. Cet effet pouvant être accentué si l'entreprise fait savoir que des contrôles poussés ont lieu, et de façon inopinée149.

269. En matière de délinquance des affaires comme dans toute autre forme de délinquance et de criminalité il existe deux grandes familles de moyens de lutter. Les moyens axés sur la prévention et les moyens axés sur la détection et la répression. (Il est bien évident qu'un haut niveau de répression aura parfois un effet préventif dans le sens où les auteurs potentiels d'infraction seront parfois dissuadés de passer à l'acte). Toujours est-il qu'il est possible de distinguer les moyens de lutte dont les effets vont se situer en aval de la commission de l'infraction combattue et les moyens préventifs qui comme le suffixe l'indique, vont intervenir en amont de toute commission d'infraction.

270. On a pu voir que l'infraction de corruption privée est par nature très difficile à réprimer. La quasi absence de condamnation en étant le symptôme ultime. La solution principale et optimale actuellement pour lutter contre la corruption reste donc la prévention. L'idée étant d'empêcher matériellement la fraude d'être commise ou de rendre possible sa détection précoce. Ainsi, du coté des entreprises comme du coté de l'Etat, il existe un certain nombre de moyens de lutte contre la corruption pouvant être utilisés. Un certain nombre d'entre eux ont été évoqués voire détaillés mais il en existe peut-être autant que de modes opératoires de corruption.

149 PwcFrance, département « Forensic ». (2014). Etude mondiale sur la fraude en entreprise: « Global economic crime survey ». p8

271.

107

Toutefois, malgré l'éventualité de ces moyens de luttes, un problème majeur n'ayant pas été évoqué se pose non seulement aux entreprises mais aussi aux pouvoirs publics. La lutte contre la corruption quelle qu'elle soit, représente un coût important, que ce soit pour l'Etat ou pour les entreprises. Pour ces dernières, plus que la volonté, ce sont bien les ressources disponibles qui seront déterminantes de la mise en place ou non de procédures de lutte interne.

272. La mise en place de ces procédures est pourtant relativement bénéfique pour une entreprise. Bien que cela représente un surcoût important il est souvent plus économique de tout mettre en oeuvre pour éviter de subir les méfaits de la corruption plutôt que de les laisser se produire. Par ailleurs, être reconnu comme étant une entreprise éthique améliore nécessairement les chances d'être sélectionnée par les plus grandes groupes et de pouvoir s'ouvrir à l'international. Il en est de même pour les contrats publics. En outre, un programme anti-corruption digne de ce nom est souvent une garantie pour l'entreprise et ses membres d'être prémunis contre les sanctions pénales. C'est aussi un argument à faire valoir devant les organismes financiers et éventuellement devant des acheteurs potentiels de l'entreprise150.

273. Ainsi, les entreprises doivent être de plus en plus concernées. Pour cela les efforts des pouvoirs publics doivent s'accentuer, peut-être pas sur la répression qui reste un point complexe mais plutôt afin de les encourager. Dans la lutte contre la corruption privée, c'est à la prévention que la priorité doit être donnée et pour cela, c'est à l'Etat de donner l'impulsion. Pour cela l'Etat dispose de différents leviers, y compris la contrainte.

274. A cet égard un article du journal Le Monde du 22 juillet 2015151 laisse entendre qu'une nouvelle loi anti-corruption devrait être débattue en 2016. Ce projet de loi prévoirait notamment la création d'une agence nationale de lutte contre la corruption pour remplacer le SCPC, avec plus de pouvoir et notamment la possibilité de contrôler et de sanctionner - sur le modèle anglo-saxon - les entreprises qui ne sont pas suffisamment investies dans la prévention contre la corruption. Le cas des lanceurs d'alerte devrait à nouveau être réformé dans le

150 Association Transparency International. (2011) Principe de conduite des affaires pour contrer la corruption. p9

151 CAZI,E. MICHEL,A. (2015) Une nouvelle loi anti-corruption prévue en 2016, Le Monde. 22 juillet. Disponible sur le site http://www.lemonde.fr/politique/article/2015/07/22/une-nouvelle-loi-anti-corruption-prevue-en-2016_4693636_823448.html

108

sens d'une plus grande protection et via une harmonisation des textes. L'agence devrait, dans le cas où elle recevrait une alerte, avoir la possibilité de saisir la justice à la place du salarié.

275. Aujourd'hui il est difficile de dire si les réformes adoptées en 2013 et celles à venir permettront d'endiguer le phénomène de corruption privée dans les services achats des entreprises. Un seul constat peut--être fait, celui d'un éveil trop tardif des pouvoirs publics. Ces derniers ont attendu près d'une dizaine d'années avant d'adopter les mesures nécessaires à la mise en oeuvre d'une répression efficace que les seuls articles du code pénal ne suffisaient pas à rendre possible.

109

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DICTIONNAIRES ET LEXIQUES LAROUSSE (En ligne)

114

ANNEXES

SOURCE: Rapport d'activité du Service Central de Prévention de la Corruption pour l'année 2014. (2015). Juin.

115

TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS 6

SOMMAIRE 7

INTRODUCTION 1

1ERE PARTIE - LE RISQUE ELEVE DE CORRUPTION PRIVEE

INHERENT AUX SERVICES ACHATS 8

CHAPITRE 1ER - LA CORRUPTION PRIVEE, UN PHENOMENE

OMNIPRESENT EN FRANCE 8

SECTION 1RE -L'INFRACTION DE CORRUPTION PRIVEE EN FRANCE EN 2015 8

I - DE LA QUALIFICATION DE CORRUPTION DE PERSONNES N'EXERÇANT PAS UNE FONCTION PUBLIQUE

8

A - Notion de corruption privée 9

B - L'incrimination de la corruption privée dans le Code pénal 10

II - EVOLUTIONS DES PEINES ENCOURUES DU CHEF DE CORRUPTION PRIVEE 14

A - Une aggravation progressive de la peine principale 14

B - Les peines complémentaires 15

SECTION 2NDE - LES ETUDES STATISTIQUES PRIVEES, SEULS OUTILS DE MESURE DU PHENOMENE DE

CORRUPTION ? 19

I - PREMIERE ETUDE : «LES PRIORITES DES SERVICES ACHATS EN 2015 OU LA MANIERE DONT SERONT GERES LES SOUS--TRAITANTS EN 2015 » ETUDE DU CABINET AGILEBUYER ET DU

GROUPEMENT ACHATS D'HEC 19

II - DEUXIEME ETUDE : LA 13EME ETUDE MONDIALE SUR LA FRAUDE « OVERCOMING COMPLIANCE FATIGUE: REINFORCING THE COMMITMENT TO ETHICAL GROWTH » DE JUIN 2014 MENEE PAR EY

(ERNST YOUNG) 23

III - TROISIEME ETUDE : EDITION 2014 DE L'ETUDE MONDIALE SUR LA FRAUDE EN ENTREPRISE

« GLOBAL ECONOMIC CRIME SURVEY » MENEE PAR LE DEPARTEMENT « FORENSIC » DE PWCFRANCE.

26

CHAPITRE 2 - RAISONS DE L'EXPOSITION PARTICULIERE DES

SERVICES ACHATS AU RISQUE DE CORRUPTION PRIVEE 32

SECTION 1RE - LE CARACTERE SENSIBLE A LA CORRUPTION PRIVEE DE CERTAINS COMPORTEMENTS

QUALIFIES DE PRATIQUES D'AFFAIRES 32

I -- PROPOS LIMINAIRES : REFLEXIONS SOCIOLOGIQUES ET SEMANTIQUES SUR LES NOTIONS DE DON ET

DE CADEAU 32

A -- Etude sociologique pessimiste sur le don par Marcel Mauss. 32

B -- Etude sémantique sur la notion de cadeau par Dominique Bourgeon 34

II -- LA PRATIQUE DU « CADEAU D'AFFAIRES » ET DES VENTES AVEC PRIME, DES PRATIQUES LICITES

MAIS ENCADREES. 35

A -- Eléments de définitions : Distinction entre primes et cadeaux dans les affaires 36

B -- Primes et cadeaux, une évolution à deux vitesses 38

III - LES EXCEPTIONS A LA LICEITE DE LA PRATIQUE DES CADEAUX, DES MESURES DESTINEES A

LUTTER CONTRE LA CORRUPTION 41

A -- Exceptions au principe de licéité de la pratique des cadeaux commerciaux 41

B - La pratique actuelle du cadeau d'entreprise et les risques de corruption 44

116

SECTION 2NDE - LES ACHATS, UN SERVICE PARTICULIEREMENT EXPOSEE AU RISQUE DE CORRUPTION

PRIVEE 51

I - LE SERVICE ACHATS, UNE ORGANISATION AU SERVICE DE LA RENTABILITE DE L'ENTREPRISE 51

A - L'importance croissante de la fonction achats dans les entreprises 51

B -- Les organisations achats dans les entreprises 54

II - LE PROCESSUS ACHATS, UNE ETAPE EXPOSEE AU RISQUE DE CORRUPTION 56

A - La fonction d'acheteur en entreprise 56

B -- Le processus achats, un risque de corruption à chaque étape 58

2EME PARTIE: LA CORRUPTION PRIVEE DES SERVICES ACHATS, UN

PHENOMENE DIFFICILE A MAITRISER 63

CHAPITRE 1 - SCHEMAS COMPLEXES DE CORRUPTION PRIVEE ET

DIFFICULTES SOULEVEES 63

SECTION 1 - ETUDE DE SCHEMAS COMPLEXES DE CORRUPTION PRIVEE DE SERVICE ACHATS 63

I - PREMIERE ILLUSTRATION : LA DISSIMULATION D'UN SCHEMA DE CORRUPTION PRIVEE PAR

L'UTILISATION FRAUDULEUSE DE CONTRATS D'APPORTEUR D'AFFAIRES 63

A - Exposition de l'enquête et des faits 63

B -- Qualifications juridique de la fraude. 67

II - DEUXIEME ILLUSTRATION : L'UTILISATION COMBINEE DE LA CORRUPTION PRIVEE ET DE FAUSSES

ETUDES AUX FINS DE DETOURNEMENT DE FONDS. 71

A - Exposition de l'enquête et des faits 71

B - Qualifications juridiques de la fraude 74

SECTION 2 - DES DIFFICULTES A CONDAMNER PENALEMENT LES FAITS DE CORRUPTION PRIVEE. . 77

I - DES DIFFICULTES DE NATURE SOCIOLOGIQUE 77

A - Un problème majeur d'éthique dans les affaires. 77

B - Une volonté encore insuffisante de lutte de la part des pouvoirs publiques et des entreprises. 79

II - DIFFICULTES LIEES A LA MECANIQUE DE LA CORRUPTION PRIVEE 83

A - La dissimulation de l'infraction par la fraude 83

B - La disparition d'une difficulté : la prescription de l'action publique 86

CHAPITRE 2 -MOYENS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

88

PRIVEE

SECTION 1RE - LES MOYENS DE LUTTES CONTRE LA CORRUPTION PRIVEE A LA DISPOSITION DES

ENTREPRISES 88

I -- LES OUTILS PREVENTIFS : LES PROCEDURES INTERNES 88

A -- L'exemple de la lutte contre la manipulation des besoins. 88

B -- L'intérêt de l'utilisation de l'informatique dans le processus achat 90

C - La prévention par l'éducation: L'intérêt des chartes anti--corruption. 91

D - La nécessité des contrôles internes et audits 93

II -- LES OUTILS DE DETECTION AU SERVICE DE L'ENTREPRISE 94

A - Le rôle essentiel des lanceurs d'alerte dans la détection de la corruption 95

B - La détection par l'analyse des données forensic 97

SECTION 2ND - LES INITIATIVES NECESSAIRES DES POUVOIRS PUBLICS EN MATIERE DE LUTTE CONTRE

LA CORRUPTION PRIVEE 99

I - UNE LASSITUDE DES ENTREPRISES EN MATIERE DE LUTTE ANTI--CORRUPTION ? 99

II - LES INITIATIVES DES POUVOIRS PUBLICS 100

A - 2013 et la mise en oeuvres de nouvelles mesures destinées à lutter contre la grande délinquance

économique et financière. 100

B - le Rôle ancré du Service Central de prévention de la corruption 103

CONCLUSION 105

BIBLIOGRAPHIE 109

ANNEXES 114

TABLE DES MATIERES 115

RESUMÉ

Le secteur privé n'est pas épargné par la corruption. Du fait de l'importance des budgets transitant par les services achats des entreprises, les membres de ces services sont exposés plus que tout autre à la corruption privée.

Ce mémoire tente d'abord d'établir une description objective de l'infraction de corruption privée, plus récente, plus méconnue, bien moins utilisée et médiatisée que la corruption publique. Pourtant, le dispositif législatif dont elle fait l'objet est quasiment identique. En partant des données fournies par le ministère de la justice sur le nombre de condamnations, nous nous sommes rendus compte que ce nombre était relativement bas et nous avons donc tenté de mesurer le phénomène en France, à l'aide de diverses études sur les achats, sur la corruption et plus généralement sur la fraude en entreprise. Ces études permettent d'affirmer que la corruption privée est loin d'être anecdotique dans les affaires mais qu'elle s'apparente plutôt à une pandémie.

Les raisons qui font qu'un service achats est un écosystème favorable à la propagation de la corruption privée seront exposées. Celles-ci tiennent à la fois aux pratiques courantes et inhérentes à ses services et notamment celle des cadeaux d'affaires. En France, ces derniers font partie de la culture des achats mais leur utilisation dévoyée peut s'apparenter à de la corruption. En outre, les services achats, de par leur raison d'être, leur organisation, de par les budgets qu'ils sont amenés à gérer et de par leur fonction, celle d'émettre des appels d'offres et d'octroyer les marchés, sont tout particulièrement exposé à la corruption privée. Différents modes opératoires basés sur l'utilisation détourné d'entités juridiques et de facturations destinées à truquer l'attribution des marchés seront détaillés afin d'illustrer le fait que la corruption privée s'apparente à de la sous-traitance frauduleuse. En effet, le parasitisme des services achats est souvent la conséquence de la volonté délibérée des salariés de violer le code des achats dans le but de satisfaire leurs propres intérêts, chose rendue possible par la dissimulation sophistiquée des détournements et par les connivences établies entre les membres des services achats et les fournisseurs corrupteurs.

Enfin, après avoir mis en exergue les difficultés persistantes à réprimer l'infraction de corruption passive, les principaux remèdes seront présentés. Seront d'abord étudiés les moyens de lutte à la disposition des entreprises puis pour finir le rôle que doivent tenir les pouvoirs publics afin d'endiguer la situation qui reste préoccupante.






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