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Plaidoyer pour un cadre juridique de la protection des travailleur migrants haïtiens. Cas de la République Dominicaine, des états-Unis et du Chili de 2008 à  2018.


par Roodly RICHARD
Ecole de Droit et des Sciences Economiques des Gonaives (UEH) - Licence 2015
  

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2.2 Migration en République Dominicaine

Historiquement, la République Dominicaine a été un pays d'accueil pour les travailleurs étrangers. À partir de la seconde moitié du 19e siècle, des travailleurs (principalement originaires de Haïti et des pays anglophones des Caraïbes) sont recrutés pour travailler dans les plantations de canne à sucre. L'immigration de travailleurs haïtiens a été activement encouragée durant l'occupation américaine de la République Dominicaine (1916-24), en raison de l'expansion de l'industrie du sucre sous la présence américaine160.

Suite à des tensions de plus en plus vives concernant la définition des frontières entre les deux pays (entamée en 1937), les autorités dominicaines ont mis en place une régulation des flux d'immigrants haïtiens. En raison des pénuries de main d'oeuvre et de l'intérêt grandissant des autorités pour les plantations de canne à sucre, une série d'accords bilatéraux (convenios) furent signés entre Haïti et la République Dominicaine, autorisant l'entrée sur le territoire dominicain de Haïtiens pour des périodes définies. C'est ainsi que les campements permanents de Haïtiens autour des plantations sucrières (connus sous le nom de bateys) se sont multipliés.

Durant les années 1960, des bouleversements économiques et politiques ont conduit à une augmentation de l'émigration au départ de la République Dominicaine, à destination principalement des États-Unis. Au cours de cette période, les Dominicains ont émigré à travers différents canaux, bénéficiant de l'assouplissement de l'attribution des visas et des restrictions d'immigration de la loi américaine sur l'immigration de 1965, et de politiques d'asile et de protection des réfugiés favorables. Une forte proportion de cette migration était néanmoins clandestine161.

Ces trois dernières décennies ont ainsi vu la République Dominicaine changer radicalement de position migratoire, et devenir un pays de départ. L'émigration dominicaine s'est accélérée depuis 1980 en réponse aux crises économiques.

160 SEGUY, Franck. A catástrofe de janeiro de 2010, a «Internacional Comunitária» e a recolonização do Haiti. Dissertação (Doutorado em Sociologia). Instituto de Filosofia e Ciências Huamnas, Universidade Estadual de Campinas, 2014.

161 OCDE (2008), A Profile of Immigrant Populations in the 21st Century: Data from OECD Countries, OCDE, Paris

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La décennie 1980 a connu par ailleurs une importante réduction de la production de sucre dans l'économie dominicaine, encourageant de nombreux immigrants haïtiens à se reconvertir dans d'autres secteurs comme le bâtiment, le commerce, l'industrie manufacturière et les services domestiques. Bien que la République Dominicaine ait connu, au cours de la dernière décennie, une croissance soutenue et une grande stabilité politique, l'émigration n'a pas diminué162.

Les recensements des années 2000 permettent d'estimer que 716 586 Dominicains vivent à l'étranger (13 % de la population), dont 633 000 aux États-Unis. Une estimation plus récente (2008) de l'Enquête de la Communauté Américaine évoque un chiffre supérieur à 1.3 million (en incluant les Dominicains nés aux États-Unis). D'importantes communautés de Dominicains se sont ainsi établies en Espagne, en Italie et à Porto Rico163.

Le gouvernement dominicain a mis en place des initiatives pour renforcer ses liens avec la diaspora. Parmi ces initiatives, on compte l'amendement constitutionnel reconnaissant la double nationalité (1994), l'extension du droit de vote aux Dominicains installés à l'étranger (1997), et le projet de loi constitutionnelle instaurant des sièges de sénateurs et de députés pour représenter les Dominicains expatriés.

Sur le territoire national, les conditions précaires subies par les Haïtiens ont suscité une préoccupation croissante de la part des pouvoirs publics, amenant les autorités des deux pays à signer une déclaration contre le recrutement de clandestins et l'immigration illégale en 2000. De plus, la Loi générale sur les migrations de 2004 (Acte n° 285) et le Plan national de régularisation en cours mettent l'accent sur la régulation des immigrés sans papiers présents dans le pays164.

162 WARGNY, Christophe. Haïti n'existe pas 1804-2004: deux cents ans de solitude. Paris: Éditions Autrement Frontières, 2008.

163 BARUDY, J., 1981, Integracion critica: meta de una terapia liberadora en el exilio latino-americano, Asi Buscamos Rehacernos, Éd. Colat-Celadec, Peru, 225-240.

164 OCDE (2009), Perspectives économiques de l'OCDE 2009, n° 85, OCDE, Paris

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a) Le marché du travail

Les émigrants dominicains dans les pays de l'OCDE et les autochtones de ces pays présentent des caractéristiques similaires en termes de taux de participation au marché du travail.

À titre d'exemple, 68.1 % des Dominicains résidant aux États-Unis sont employés ou en recherche active d'emploi, un taux très proche des 65.4 % d'Américains dans la même situation.

Malgré une intégration effective dans le marché du travail américain, certains objectifs ne sont pas encore atteints. En effet, la concentration des immigrés dominicains dans les emplois peu qualifiés demeure plus élevée que celle de leurs homologues autochtones.

La répartition des Dominicains et des autochtones aux États-Unis en fonction de leurs catégories occupationnelles. Plus de 76 % des Dominicains occupent des emplois non qualifiés contre seulement 61 % des travailleurs autochtones. Les immigrés dominicains se concentrent dans les secteurs de la vente, des soins à la personne et des transports.

Cette segmentation du marché du travail et le niveau d'éducation plus faible observé chez les immigrés dominicains en comparaison avec la population native peuvent expliquer les différences de revenus observées entre les travailleurs dominicains et américains par la littérature165.

Malgré le fait que la plupart des immigrés dominicains aux États-Unis occupent des postes peu qualifiés, on observe un nombre de plus en plus important de migrants hautement qualifiés. L'enquête de la Communauté Américaine de 2008 révèle que près de 90 000 Dominicains ont le baccalauréat ou un diplôme universitaire ou technique.

b) Relation avec le pays d'origine et intégration dans le pays d'accueil

À partir des années 1990, la République Dominicaine a connu une croissance significative des entrées de transferts privés, reflétant l'augmentation de l'émigration dominicaine. Ces transferts privés sont ainsi passés de 0.8 milliard USD en 1995 à 3.1 milliard USD en 2008 (représentant respectivement 5 et 6.8 % du PIB dominicain). Néanmoins, la progression de

165 Hernández, Ramona and Rivera-Batiz, Francisco L., "Dominicans in the United States: A Socioeconomic Profile, 2000" (2003). CUNY Academic Works.

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ces apports de capitaux privés s'est ralentie à partir de 2007, et les transferts sont mêmes en déclin depuis le premier trimestre 2009.

L'étude nationale des ménages de 2007 (ENHOGAR) a révélé que les transferts privés sont une source de revenus importante. Près de 17 % des familles dominicaines bénéficient de transferts monétaires sous une forme ou une autrre. Le transfert mensuel moyen s'élevait à 100 USD, soir 16 % du revenu d'un ménage dominicain moyen166.

En 2004, la BID a réalisé une enquête sur l'emploi des transferts privés par les familles bénéficiaires en République Dominicaine (BID/MIF, 2004b). Comme l'illustre la figure 3, l'argent des transferts est principalement affecté aux biens de consommation (60 %). Dans une moindre mesure mais qui reste néanmoins importante, les fonds sont alloués à l'éducation (17 %) ou investis dans un commerce (5 %).

La bancarisation des transferts monétaires en République Dominicaine demeure faible. Selon les données de l'enquête ENHOGAR, 92 % des ménages bénéficiaires utilisent des compagnies privées de transferts de fonds pour recevoir l'argent, tandis que seul 1 % le font au travers de banques commerciales.

Les transferts privés en République Dominicaine sont réglementés par la loi Monétaire et de Finance n° 183 (2002) qui régule les opérations des compagnies de bureaux de change et de transferts de fonds167.

Après trois ans d'émigration à grande échelle vers les États-Unis, les liens transnationaux (transferts privés compris) ont conforté le sentiment d'appartenance communautaire entre les Dominicains168.

Les dimensions politiques, culturelles et sociales de ces liens se reflètent dans la mise en place de branches américaines par les principaux partis politiques dominicains, dans la participation des Dominicains aux campagnes politiques aux États-Unis, dans l'augmentation de la participation des communautés dominicaines aux élections de leurs pays d'accueil, ainsi que dans l'existence d'associations civiques et sociales à l'étranger169.

166 Wang Meiyan. L'impact des envois de fonds des migrants sur la réduction de la pauvreté et sur les dépenses deconsommation des ménages en milieu rural . In: Perspectives chinoises, n°113, 2010. pp. 64-75;

167 https://www.oecd.org/fr/dev/ameriques

168 BID/MIF, 2004b.

169 UNIVERSIDADE FEDERAL DA INTEGRAÇO LATINO-AMERICANA. Conselho Universitário. Edital n° 004/2014/ PROINT-UNILA, de 17 de dezembro de 2014.

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c) La République Dominicaine change de politique migratoire

Dans son arrêt 168-13 rendu en septembre 2013, la Cour constitutionnelle dominicaine a estimé que les enfants nés en République dominicaine de parents étrangers en situation irrégulière n'avaient pas le droit de recevoir la nationalité dominicaine. L'arrêt a été appliqué à titre rétroactif aux personnes nées après 1929 ; il a touché de manière disproportionnée les Dominicains d'origine haïtienne. Il constitue une privation rétroactive, arbitraire et discriminatoire de nationalité170

Entre autres mesures, l'arrêt ordonnait au Conseil national des migrations de préparer un « plan national de régularisation des étrangers en situation irrégulière vivant dans le pays », prévu de longue date. Le 29 novembre 2013, le président de la République a signé le décret 327-13 instaurant un plan de régularisation de 18 mois171. Le texte déclarait un moratoire sur les expulsions de migrants en situation irrégulière, valable pendant la durée du plan172. Dans les semaines précédent la date limite de dépôt des demandes de régularisation, qui avait été fixée au 17 juin 2015, les autorités dominicaines ont annoncé que les renvois de migrants en situation irrégulière reprendraient à compter du 18 juin.

La République dominicaine a procédé dans le passé à des expulsions collectives menées dans le cadre d'opérations dans des quartiers où vivent les immigrés haïtiens et leurs descendants. La plupart du temps, ces expulsions ne respectaient pas les dispositifs de

170 Pour une analyse de la décision et de ses implications sous l'angle des droits humains, ainsi qu'une analyse des mesures adoptées par les autorités dominicaines pour atténuer ses effets, voir Amnesty

International, « Sans papiers, je ne suis personne ». Les personnes apatrides en République dominicaine (AMR 27/2755/2015), novembre 2015, disponible sur https://www.amnesty.org/fr/documents/ amr27/2755/2015/fr/.

171 Le plan s'adressait à tous les étrangers en situation irrégulière arrivés en République dominicaine avant le 19 octobre 2011 (date d'entrée en vigueur de la réglementation d'application de la loi sur l'immigration de 2004). Après une étape préparatoire, la deuxième phase du plan a débuté le 1er juin 2014 ce qui laissait 12 mois aux migrants pour demander leur régularisation. Les personnes déposant une demande devaient présenter un document d'identité de leur pays d'origine, ainsi que des documents attestant de la durée de leur séjour en République dominicaine, de leurs liens avec la société dominicaine et de leur situation socioéconomique et professionnelle.

172 Malgré le moratoire, des organisations dominicaines et haïtiennes de défense des droits humains ont recensé un certain nombre d'expulsions, y compris de personnes pouvant prétendre au plan de régularisation et d'autres ayant vocation à bénéficier de la nationalité dominicaine.

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protection prévus par le droit international, notamment le droit à un examen individualisé, les garanties pour une procédure légale et le droit de recours173.

Dans les semaines précédent l'expiration du plan de régularisation, la crainte a grandi chez les migrants haïtiens et leurs descendants, en proie à la peur d'être expulsés en grand nombre et soumis à toutes sortes d'abus, comme cela avait été le cas dans le passé. Des organisations de la société civile dominicaines, haïtiennes et internationales, dont Amnesty International, se sont en outre déclarées préoccupées par le fait que des personnes sans papiers nées en République dominicaine et pouvant légitiment prétendre à la nationalité dominicaine pourraient se retrouver prises dans des opérations de renvoi et être expulsées de leur propre pays174.

Le risque d'expulsions massives de migrants haïtiens, mais aussi de Dominicains d'origine haïtienne, a suscité l'attention de la presse internationale et créé des tensions entre Haïti et la République dominicaine. En juillet 2015, l'Organisation des États américains (OEA) a dépêché une mission dans les deux pays afin d'évaluer la situation à la frontière et de formuler des recommandations à leurs gouvernements respectifs.

Les autorités haïtiennes ont reconnu que la République dominicaine avait le droit d'expulser des migrants en situation irrégulière sur son territoire, mais demandé qu'un protocole soit négocié entre les deux pays de manière à garantir le respect et la protection des droits des migrants et à empêcher l'expulsion de personnes ayant vocation à bénéficier de la nationalité dominicaine. L'OEA a formulé une recommandation similaire175.

173 Voir, par exemple, Amnesty International, Une vie en transit. La situation tragique des migrants haïtiens et des Dominicains d'origine haïtienne (AMR 27/001/2007), 2007. En août 2014, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a rendu un arrêt dans l'affaire Personas dominicanas y haitianas

expulsadas vs República dominicana. Elle a estimé que la République dominicaine avait violé plusieurs droits fondamentaux en expulsant collectivement et de manière arbitraire plusieurs migrants haïtiens et Dominicains d'origine haïtienne entre 1999 et 2000. L'arrêt est disponible sur http://corteidh.or.cr/docs/ casos/articulos/seriec_282_esp.pdf.

174 Amnesty International, Un avenir incertain. Des Dominicains d'origine haïtienne menacés d'expulsion en République dominicaine (AMR 27/1830/2015), juin 2015.

175 Organisation des États américains, Rapport de la mission technique chargée d'examiner la situation dans la zone frontalière entre la République dominicaine et Haïti, 29 juillet 2015, disponible sur https:// www.oas.org/fr/centre_medias/communique_presse.asp?sCodigo=F-030/15.

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Les autorités dominicaines sont toutefois restées campées dans leur refus de négocier un tel protocole, considérant que la politique migratoire et ses mécanismes de mise en oeuvre étaient du seul ressort de l'État dominicain176.

Les expulsions n'ont pas officiellement repris avant le 14 août 2015, mais peu après la fin du programme de régularisation (17 juin), la presse et les autorités dominicaines ont indiqué qu'un grand nombre de familles haïtiennes qui se trouvaient en situation irrégulière en République dominicaine rentraient « spontanément » en Haïti.

Après que le plan de régularisation eut expiré, les pouvoirs publics dominicains se sont engagés expressément à ne pas expulser les personnes à même de prouver qu'elles étaient nées sur le territoire dominicain. Ils ont également promis d'évaluer chaque cas individuellement, dans le respect des procédures légales, d'identifier les personnes nées dans le pays et de les protéger contre toute expulsion177.

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