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D'une motricité subie à  une motricité agi : le soin psychomoteur comme soutien à  l'élaboration d'une motricité intentionnelle chez l'enfant porteur d'autisme


par Juliette Landeau
Université Claude Bernard Lyon 1 - ISTR - D.E. Psychomotricien 2022
  

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2.2. Contexte du soin

Il n'y avait précédemment pas de psychomotricienne sur l'IME, Jamil ne disposait donc pas de suivi psychomoteur. La psychomotricienne arrive en novembre et j'arrive deux semaines après elle sur l'établissement.

Une éducatrice organise un groupe moteur avec quatre enfants de son unité, elle se trouve en difficulté à le mener et demande l'aide de la psychomotricienne. Cette dernière et moi-même nous sommes donc intégrées au groupe à sa demande afin de le coanimer. Ce

LANDEAU (CC BY-NC-ND 2.0)

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groupe n'avait jusqu'alors pas d'objectifs formulés, ni de structure particulière, les enfants avaient accès libre au matériel qu'ils préféraient. La psychomotricienne observe deux séances du groupe avant mon arrivée afin de déterminer des objectifs et une structuration de séance. Notre arrivée marque alors un changement, la séance est structurée en différents temps : temps d'accueil, échauffements par des déplacements dans la pièce, parcours psychomoteur, temps sensoriel libre puis temps calme. Ces temps sont signifiés sur un schéma avec des pictogrammes.

Durant les séances de psychomotricité, je prends rapidement une place active dans l'accompagnement des jeunes sur les activités.

2.3. Première rencontre

Je rencontre Jamil pour la première fois au sein de son unité à l'IME, sur le temps d'accueil puis sur un temps de goûter juste avant de descendre en séance de psychomotricité. Jamil est un enfant d'origine arabe, il a le teint hâlé et les yeux marrons, ses cheveux sont sombres et légèrement bouclés. Il est plutôt fin, et a les traits du visage assez doux. Jamil semble plein d'énergie et difficile à poser. Il ne parle pas, mais peut produire des sons comme des cris lorsqu'il s'ennuie ou qu'il est dans l'excitation.

Jamil comprend bien le langage oral lorsque les phrases sont simples, il ne présente pas de déficience intellectuelle marquée. Il dispose d'un classeur avec différents pictogrammes qu'il peut prendre et montrer aux professionnels pour formuler des demandes. Jamil se saisit bien de cet outil pendant les temps de repas par exemple, où il est capable de demander un fruit ou du pain.

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3. Les séances de psychomotricité

3.1. Une agitation psychomotrice marquée

3.1.1. Première séance : incapacité à rester immobile

Lors de la première séance où j'assiste au groupe, nous expliquons aux enfants la nouvelle structuration de la séance et plaçons le schéma au mur. À chaque étape nous prenons le temps de montrer le pictogramme qui correspond.

Le premier pictogramme correspond à l'action de retirer ces chaussures. C'est une action qui était déjà réalisée en début de groupe, elle est donc bien intégrée par Jamil et les autres enfants.

Après avoir retiré ses chaussures, Jamil se dirige seul vers le placard pour aller chercher la balançoire. Il avait pour habitude d'utiliser cette balançoire sur le temps de groupe lorsque la monitrice-éducatrice l'animait seule. Nous lui indiquons que non, ce n'est pas encore le moment pour la balançoire, mais qu'il pourra l'avoir plus tard en fin de séance, comme récompense. Il accepte de ne pas avoir la balançoire, mais ne parviens pas à rester en place. Il court dans la pièce, avec un tonus élevé et grimpe sur l'espalier. Son agilité me surprend, il semble réaliser les mouvements de manière automatique, avec une bonne dissociation des membres et une maîtrise de son équilibre. Cependant, il ne semble pas réellement présent à ce qu'il fait. Lorsqu'il redescend, il saute, se jette presque au sol. Cela me surprend encore une fois, et j'éprouve une volonté d'aller le rattraper, comme s'il allait se faire mal. Il se réceptionne pourtant correctement sur ses deux jambes, malgré un impact assez fort qui le pousse à les plier. Tout cela se déroule très rapidement, Jamil me semble plein d'énergie et je me sens presque dépassée par sa vitesse.

Le temps suivant est un temps d'accueil, où nous nous passons une balle les uns aux autres en nous disant bonjour. Jamil a du mal à se calmer sur ce temps, son agitation est très présente : il court dans la pièce, sautille et escalade des agrès. Son tonus est encore une fois très élevé, dans ce qui semble un trop plein d'énergie. Il pousse aussi quelques cris d'excitation. Lorsqu'il a la balle dans les mains et qu'on lui demande de la donner à un autre enfant, il la lui jette sans vraiment regarder la direction de son geste. Son regard est porté sur son objectif suivant : l'espalier, vers lequel il se dirige au moment même où il lâche le ballon.

Puis nous entamons des échauffements, qui consistent en des déplacements dans la pièce : course, quatre pattes, ramper... Courir avec Jamil est possible et amène encore une fois de

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l'excitation, qui est ensuite difficile à contenir. Il va s'échapper alors que je suis avec lui pour l'accompagner et filer très vite à l'autre bout de la pièce, vers l'espalier, qu'il escalade encore une fois. Je lui dis de descendre, et le ramène assez aisément à l'activité en cours. Les déplacements au sol sont plus difficiles à réaliser, j'essaie de lui montrer, de le guider au sol, mais il ne le fait pas. Je me demande alors si c'est une question de compréhension ou d'envie, d'intérêt qu'il ne trouve pas dans le fait d'aller au sol. À ce moment, Jamil s'échappe à nouveau pour aller grimper sur les agrès, chercher à nouveau de la hauteur. Il me paraît alors insaisissable, comme s'il me « glissait » entre les mains, qu'il était impossible de le garder présent avec nous.

Nous prenons ensuite le temps d'installer un parcours psychomoteur. Ce temps de transition permet à Jamil de grimper à sa guise, sous notre surveillance. Je ressens cependant le besoin de toujours le surveiller. En effet, il est capable de se mettre en danger en escaladant les agrès, dans des positions de déséquilibre. Ce besoin d'être toujours vigilante à ce qu'il fait est présent durant toute la séance, alors que je le rencontre à peine.

Il vient ensuite s'intéresser au matériel que nous sortons et nous aider à l'installer. Nous installons une poutre en mousse, des barres à enjamber, des plaques sensorielles au sol, un tunnel ainsi qu'une planche d'équilibre. Jamil semble aimer nous aider à installer le matériel. Je porte alors sur lui un autre regard, son agitation laisse place à un enfant curieux. Il aide à placer les barres dans les plots, mais se trouve en difficulté pour les placer correctement dans les trous, car son regard n'est pas fixé sur ce qu'il fait. Cependant, pour la première fois de la séance je me sens « avec » lui, et non plus « autour » de lui.

Il est difficile de faire suivre le parcours à Jamil, il va commencer puis partir au milieu du parcours pour aller grimper sur l'espalier à nouveau. Nous le ramenons au parcours, pour qu'il le finisse, et aussitôt finit il retourne escalader les agrès. J'observe à chaque fois que lorsqu'il doit redescendre il ne prête pas attention à la présence d'un autre objet, d'une personne en dessous de lui, il se lâche afin de retrouver le sol.

Durant le parcours, Jamil parvient à aller au sol dans le tunnel, et s'y déplace à quatre pattes. Je suis étonnée, lui qui ne va pas au sol lors des déplacements accepte de le faire quand l'objectif est de traverser le tunnel. Je me questionne alors, la nature contenante du tunnel a-t-elle aidée à ce qu'il accepte de se déplacer au sol, ce qu'il n'a pas l'habitude de faire ? Ou la présence d'un but, traverser, le motive-t-elle à accepter un déplacement qui n'a d'habitude pas de sens, d'utilité pour lui ?

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Nous rangeons ensuite le matériel du parcours et sortons des éléments pour le temps sensoriel libre. Jamil nous aide encore une fois à ranger le matériel et montre de bonnes capacités de mémorisation : il est capable de replacer les objets dans le placard au bon endroit, sans que nous ayons à le lui indiquer. Sur ce temps sensoriel, Jamil demande à utiliser la balançoire, il la prend par lui-même et la place en dessous de la fixation, puis essaie de la soulever pour l'accrocher, mais n'atteint pas la hauteur de la fixation. C'est une balançoire à assise circulaire en tissu épais avec trois points d'attache qui se rejoignent en une fixation en haut. Une fois la balançoire attachée, j'observe Jamil se jeter dedans sans aucune considération pour son environnement ou du danger possible pour lui-même ou les autres. Il se balance très fort, très haut et ferme les yeux et place sa tête en arrière.

Ses comportements d'escalade que j'ai observés pendant la séance, mis en lien avec ce balancement durant le temps sensoriel, me questionnent sur un éventuel besoin de sensations vestibulaires chez Jamil. Il semble apprécier et rechercher les stimulations vestibulaires fortes.

Nous éteignons ensuite les lumières et jouons une comptine sur un téléphone afin de proposer aux enfants un temps calme. La comptine offre une enveloppe sonore et la baisse de luminosité permet de réduire les stimulations visuelles, offrant un espace d'apaisement sensoriel. La psychomotricienne, la monitrice-éducatrice et moi-même restons très disponibles durant ce moment. Nous offrons des stimulations tactiles avec des balles à picots ou un appui dos pour les enfants qui le veulent. Jamil apprécie la baisse de luminosité, mais il ne se pose pas dans cet espace, même avec les stimulations tactiles qui lui sont proposées. Il continue ses comportements d'escalade, de course et pousse même des cris qui semblent liés à une excitation.

À l'issue de cette séance, je m'interroge sur l'agitation que j'observe chez Jamil. Il me semble que l'immobilité lui est très difficile à atteindre, et que dans son mouvement il recherche une certaine hauteur et des éléments sensoriels vestibulaires. Son tonus axial est élevé, comme dans une recherche de grandissement et peut-être de sensations proprioceptives. Revenir au sol est difficile pour lui, malgré nos encouragements et nos démonstrations. Je fais l'hypothèse que revenir au sol n'apporte pas les sensations proprioceptives et vestibulaires que Jamil recherche, il n'y trouve donc pas d'intérêt. En effet, Jamil semble apprécier le déséquilibre, ce qu'un déplacement au sol apporte peu.

Ces comportements d'escalade et de course semblent le couper du monde et des conséquences de ses actions, Jamil est peu présent au groupe et aux activités qu'il réalise. Je l'observe, mais nos regards ne se croisent pas, il est absorbé par ses sensations. La relation avec Jamil ne semble pas trouver d'attache.

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Il est malgré tout relativement aisé de le ramener à l'action présente, lorsqu'on lui donne la consigne de descendre il le fait. Néanmoins, son besoin d'escalader revient rapidement et nous le « perdons » à nouveau. Ces conduites me paraissent très envahissantes au cours de la séance.

Je me demande alors si cette agitation est influencée par le changement que nous apportons au groupe, autant par la présence de deux nouveaux adultes que par le changement du dispositif. Cette agitation, proche d'une hyperactivité, me pose aussi une question sur l'éventuelle présence d'un TDAH associé. Après vérification auprès de la psychomotricienne, le diagnostic de Jamil n'inclut pas de TDAH.

L'aspect sensoriel me paraît dès le début assez présent dans le fonctionnement de Jamil et me questionne. Un profil sensoriel serait pour moi important à réaliser pour tenter de comprendre ce qu'il se joue pour lui.

Je me questionne aussi sur l'état de vigilance qu'il me fait vivre, mon attention semble accaparée par Jamil. Est-ce alors un moyen pour lui d'attirer, de maintenir l'attention sur lui ?

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera