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Représentations sociales & artistiques de genre dans les arts de la scène, Observation d'Uzeste Musical les années 2013 & 2014

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par Anna Legrand
Université de Bordeaux Montaigne - Master 1 parcours communication 2017
  

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CONCLUSION

Du fin fond des Landes girondines, l'équipe d'Uzeste Musical tient un petit théâtre dans un village de trois cents âmes... le village des « irréductibles gueulard?es ». Contre les normes, les catégories, l'économie urbaine, et les inégalités qui en résultent, ils?elles cherchent à inventer leurs propres économies du travail et de l'esthétique. Cependant, le discours qui est diffusé par Uzeste Musical, comme tout média, est dépendant des contextes de production, de diffusion et de réception. Ces trois instances demandant un travail colossal d'analyse, la présente étude s'est resserrée sur les instances les plus favorables à une évolution féministe dans le cas de ce terrain, c'est-à-dire la production et la diffusion.

Le contexte de production d'Uzeste Musical est lié aux viviers artistiques nationaux. Avec 36% de femmes artistes, 70% d'administratrices de compagnies, 8% de musiciennes, 24% d'auteures de théâtre, 68% de danseuses, etc., le secteur culturel est marqué par le genre. La moyenne générale des représentations de femmes est diminuée à Uzeste par la dominance de la musique, mais les proportions internes aux disciplines reflètent, dans l'ensemble, une situation nationale.

Imposer des quotas n'est certainement pas bonne solution. Cela traiterait les chiffres, mais pas le problème profond de discrimination. Celles qui seraient mises en difficulté sur scène ne bénéficieraient pas d'un discours bienveillant (« il y a du travail à faire, mais l'idée est bonne », « on peut se tromper, ça sera mieux la prochaine fois »), mais d'un discours discriminant « elle a été imposée par le quota » et ne valorisant plus les compétences réelles.

Par contre, l'improvisation peut-être un moyen d'inviter plus régulièrement des femmes artistes, et ainsi multiplier leur représentation. La mise en place de rencontres improvisées que permet l'Hestejada de las arts peu aussi permettre aux improvisateur?trices d'investir de nouveaux réseaux. Le nombre de musiciennes étant particulièrement faible, augmenter la proportion de représentations d'autres arts aurait pour effet d'augmenter le poids de vivier plus féminin. L'intérêt grandissant pour la transdisciplinarité, notamment avec le cirque de Louis Lubat va en ce sens.

Le parti Collectif, collectif de jeunes artistes bordelais affilié à Uzeste Musical, pourrait être un groupe de potes privilégié pour l'insertion de jeunes femmes à Uzeste. Cette association propose divers projets où les compétences demandées ne sont pas arrêtées. De plus, la problématique de la féminisation de la profession musicale est déjà (d)énoncée dans les discussions officieuses. Chercher à atteindre le ratio de 33% proposé par Reine Prat pourrait

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être un objectif commun et assumé qui aurait le double avantage d'aider des musiciennes à la professionnalisation et de féminiser les représentations à Uzeste Musical. Le ratio proposé présente l'avantage d'être le « seuil à partir duquel le groupe minoritaire n'est plus perçu comme tel344 » et d'être inférieur (donc plus facile à atteindre) à la proportion de musiciennes en écoles, vivier déjà exploité par l'association. Il faudrait alors sortir des discussions informelles pour assumer une politique féministe (même si elle n'est pas énoncée ainsi).

Une politique professionnelle féministe, au-delà d'objectifs chiffrés, peut aussi se réfléchir en termes de sécurité d'emploi. Le fait que les femmes instrumentistes soient majoritairement en couple avec des hommes du métier doit aussi être pris en compte. La situation conjugale des individus ne doit pas être une condition sine qua non de perspectives professionnelles. « Le privé est public » pour reprendre un vieux slogan toujours d'actualité. La précarité des femmes artistes peut aussi être réduite par une réflexion autour de la parentalité, et le rôle l'aide que les structures professionnelles peuvent apporter (à la Grainerie de Toulouse, par exemple, se réfléchit actuellement une crèche collective pour les employé?es et les artistes). La haute fonctionnaire d'Etat Brigitte Grésy propose de réfléchir la gestion du temps professionnel dans l'articulation « bonne performance d'une entreprise », et « bien être des salariés », avec notamment les questions d'égalité et de parentalité345.

Il est donc évident que les ségrégations par discipline s'observent dans les chiffres d'Uzeste, via les viviers nationaux. Cependant, Uzeste témoigne aussi d'une ségrégation verticale, avec une réduction du nombre de représentation de femmes avec l'augmentation de la visibilité : elles produisent 24% des représentations à moindre visibilité, mais seulement 13% des représentations les soirs, sur la grosse scène. Cette réduction est en partie due à la prédominance de la musique sur la scène à plus grande visibilité ; mais pas uniquement, puisque toutes les disciplines rendent compte de cette ségrégation en interne. Uzeste Musical privilégiant des têtes d'affiche pour cette scène, le plafond de verre national se retrouve sur le local. Le plafond de verre rassemble en une notion les éléments qui mettent les femmes en situation de handicap pour accéder à des fonctions valorisées, que ces éléments soient externes ou internes à la personne (comme le sentiment d'illégitimité).

344 PRAT Reine, op.cit, 2006, p.47.

345 AN Performance, Entretien avec Brigitte Grésy : Sexisme ordinaire et diversité [en ligne], youtube, [ https://www.youtube.com/watch?v=FvKqSM9f1e4], consulté le 10 juin 2015, 5 :20.

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Les acteur?trices d'Uzeste Musical invitent néanmoins des artistes inconnu?es sur la grosse scène, en défendant des concepts de soirée. Il est donc totalement envisageable de représenter les femmes sur cette scène, à proportions égales des scènes moindres.

La question des ségrégations verticales et horizontales mériterait des objectifs quantifiés, définis par Uzeste Musical. Reste, après avoir fixé les objectifs, la difficulté de suivre ces comptes. Il peut être envisagé d'adapter les fonctions d'un logiciel comme celui des fiches de paie, pour pouvoir produire ces chiffres au fur et à mesure des années.

Si le phénomène des ségrégations verticales et horizontales est visible par les chiffres, il faut creuser le passé, la construction de l'histoire de l'art et les mythes qui nous en restent. La période après la Révolution française a largement réduit l'accès des femmes à la création artistique. Le 19ème siècle a ainsi développé des dichotomies de genre comme le créateur et la créature, le génie et la muse, l'artiste et la dilettante. Ces structures binaires ont affirmé un modèle d'artiste masculin. La construction de l'histoire des arts, elle-même produite dans des contextes peu enclins à donner de la valeur à des productions de femmes, les a effacées ou dévalorisées. Les productions qui font aujourd'hui histoire, patrimoine, et références esthétiques, c'est-à-dire les canons artistiques, favorisent la reproduction d'oeuvres androcentrées.

Pour Pollock, historiciser les canons permet de remettre en question les valeurs esthétiques et tendre à vers une multiplication des canons, voire, à la subversion des échelles de valeur. La multiplication des représentations qui subvertissent la binarité du genre pourrait donc permettre de transformer le canon, mais aussi de rompre la construction -la performativité*- binaire des genres.

Nous pouvons retrouver certains mythes historiques à Uzeste, notamment celui du génie par Bernard Lubat. Celui-ci est décrit dans les discours internes et externes à la structure comme prodige instrumentiste, génie incompris et autodidacte. En effet, l'autolégitimation dont il a fait preuve lui a permis d'accomplir des choses pour lesquelles il n'était pas reconnu. Néanmoins, son genre lui a permis de s'insérer sur des parcours, comme les boîtes de jazz, où il aurait été moins admis en tant que femme. Juliette Kapla, en tant que chanteuse, a surtout souffert de la réputation des chanteuses, comme relevant d'un jazz plus commercial. Le stéréotype des chanteuses incompétentes produit un préjugé négatif envers Juliette Kapla. Ce qui peut, par passage à l'acte, créer des attitudes comportementales discriminantes. Lutter contre les discriminations est un enjeu personnel pour cette musicienne. Les retours qui lui sont fait l'enferment régulièrement sous l'étiquette d'art féminin, qui se distingue, non pas d'un art

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masculin, mais de l'art, en général. L'enjeu de ne pas être identifié?e dans la binarité des genres n'est pas anodin, puisqu'il s'agit de sortir d'une hiérarchie genrée des pratiques sociales, et par la même de la hiérarchisation des individus346.

Fabrice Viera propose quant à lui un autre modèle, à l'encontre de la spécialisation du travail tayloriste. A Uzeste, l'art est au coeur du mouvement, il est le mouvement. Les tâches artistiques sont donc en haut de l'échelle symbolique des valeurs de travail, au-dessus de la technique et de l'administration. Cependant, Fabrice Vieira superpose les tâches, créant une image trouble, sans valeur homogène. Cette multiplication des identités de travail subvertie un modèle, défendu par le capitalisme, de repartions de tâches spécifiques à chaque employé?e. Dans une structure à l'échelle d'Uzeste, avec moins d'un dizaine de permanents, une amplification de ce modèle de polyvalence est possible. Il s'agit donc, plus techniquement, de prendre en compte toutes les tâches (du haut en bas de l'échelle de valeurs symboliques, de la scène au ménage), et de les répartir, en ayant pour but une égalité des valeurs symboliques entre les emplois de chacun?e.

Ces diverses propositions -objectifs quantitatifs, discrimination positive envers des potentielles membres du parti Collectif, répartition équitable des valeurs symboliques de travail, et remise en question des valeurs canoniques-, nécessitent un débat collectif pour être mise en place sans reproduire des discriminations. Le but étant que tous les individus soient acteur?trices de ses changements.

Enfin, le discours médiatique d'Uzeste Musical, celui produit sur scène, cherche à rassembler politique et artistique. Pour ce, la parole est employée à la critique des situations d'inégalités actuelles. Mais la subversion artistique de ces artistes réside surtout dans la forme, dans la subversion esthétique. La capacité réflexive du?de la spectateur?trice est accrue par distanciation, en faisant se contraster des moments dramatiques -de fiction- et des temps où le public ne peut se projeter dans l'espace scénique. La fusion de plus en plus accrue dans leur pratique tend à les rendre indescriptibles, sauf peut-être en rendant leur singularité adjective : « à la kapla » ou « lubatienne ». En cela ces artistes s'approprient des pratiques pour en faire autre chose, au-delà des catégories. Ils?elle exploitent les marges, sans se soucier des limites, ce qui, pour Fédéric Villemur, revient à être queer347. Par la multiplication de ces formes hors définitions, ces artistes participent à la subversion des canons, projet de Griselda Pollock pour déconstruire les valeurs en art.

346 GRESY Brigitte, op.cit.

347 VILLEMUR Frédérique, art.cit., p. 153.

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