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Représentations sociales & artistiques de genre dans les arts de la scène, Observation d'Uzeste Musical les années 2013 & 2014

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par Anna Legrand
Université de Bordeaux Montaigne - Master 1 parcours communication 2017
  

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ANNEXES

TABLE DES ANNEXES

1. CORPUS 121

1.1. Corpus principal 121
1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014 . 121 1.1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des équipes technique et

organisationnelle des Hestejadas de las arts 2013-14 121
1.1.1.2. Quantification des représentations hommes/femmes sur l'ensemble des représentations

artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par discipline et visibilité 122

1.1.2. Entretiens semi-directifs 123

1.1.2.1. Grille initiale des entretiens 124

1.1.2.2. Entretien avec Bernard Lubat 125

1.1.2.3. Entretien avec Juliette Kapla 143

1.1.2.4. Entretien avec Fabrice Vieira 167

1.1.3. Carnet de bord 183

1.2. Corpus secondaire 189

1.2.1. Focus groupe avec Margot Auzier, Louis Lubat, Diane Camus, Jaime Chao 189

2. DOCUMENTS ANNEXES 219

2.1. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014 217

2.2. Photographies du Théâtre Amusicien 217

1. CORPUS

1.1. CORPUS PRINCIPAL

1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des Hestejadas de las arts 2013 et 2014

Il y a deux buts à quantifier les représentations hommes/femmes des équipes organisationnelle et technique, puis dans les représentations artistiques des Hestejadas de las arts 2013 et 2014 :

- Le premier objectif est d'observer, de manière chiffrée, s'il y a bien une inégalité hommes/femmes du nombre de représentations.

- Le deuxième but est de comparer les chiffres locaux aux chiffres nationaux, pour pouvoir affirmer ou infirmer un lien entre le contexte national et le terrain.

Le comptage est réduit aux années 2013 et 2014, car le but n'est pas d'observer une évolution mais une situation actuelle. Aussi, parce que je n'ai connu que ces deux éditions, ce qui me permet d'avoir une observation qualitative complémentaire.

Ces chiffres sont produits uniquement sur les Hestejadas et pas sur l'ensemble des représentations des années 2013 et 2014, car les représentations de l'année présentent peu de turn-over, en raison de la ruralité du lieu. La surreprésentation des artistes de la Cie Lubat sur la saison artistique fausserait l'observation d'un lien potentiel entre local et national.

1.1.1.1. Quantification des représentations hommes/femmes des équipes technique et organisationnelle des Hestejadas de las arts 2013-14

 
 
 
 
 

Pour les équipes technique et organisationnelle, le compte est fait sur l'ensemble du festival (David Brunet, directeur technique des deux éditions est compté une seule fois chaque année).

Ces équipes changent peu d'une année sur l'autre.

Equipe

Equipe

 

TOTAUX

 

Statut

technique

 

organisation

 

H

F

 

H F

 

H F

 

Salarié es

17

1

1

3

18

82%

4

18%

77%

5%

5%

14%

2013

Bénévoles

1

2

2%

4%

18 3

13

25%

14

36

69%

39

14

32

38

27%

73%

 

Total par

discipline

 
 
 

43%

42

57%

86% 14%

26%

74%

 

Salarié es

16 1

1

2

17

85%

3

15%

80% 5%

5%

10%

2014

Bénévoles

1 -

3% -

17 1

6 25

19% 78%

7 27

7

24

25

22%

78%

 

Total par

 
 

28

 

discipline

94% 6%

21% 79%

46%

54%

Salarié úes

94% 6%

40% 60%

83% 17%

Bénévoles

50% 50%

24% 76%

24% 76%

17% 52%

121

Pour pouvoir comparer les chiffres nationaux et locaux, j'ai employé la méthode de comptage de Reine Prat1. Elle compte les représentations et non pas les artistes. Donc un?e artiste qui joue trois fois est compté?e trois fois.

Le festival d'Uzeste étant transdisciplinaire*, il n'est pas toujours aisé de classer une représentation dans une discipline. Ainsi, une même représentation peut être divisée dans plusieurs colonnes. Par exemple, un spectacle musical et théâtral de Juliette Kapla est compté 0,5 en musique et 0,5 en théâtre (c'est la raison de chiffres avec décimale).

122

1.1.1.2. Quantification des représentations hommes/femmes sur l'ensemble des représentations artistiques des Hestejadas de las arts 2013-14, par discipline et visibilité

123

1.1.2. Entretiens semi-directifs

Les entretiens semi-directifs faits avec Bernard Lubat, Juliette Kapla et Fabrice Vieira

ont pour but de faire ressortir les conceptions du genre de ces trois personnes clefs, et

d'entrevoir les points forts d'Uzeste Musical pour tendre vers un politique égalitaire.

Bernard Lubat est le directeur artistique du lieu, et fondateur d'Uzeste Musical. Fabrice Vieira est le guitariste, administrateur et technicien de la Cie Lubat.

Tous deux vivent à Uzeste.

Juliette Kapla est artiste associée de la Cie Lubat. Même si elle vit à Lille et non pas à Uzeste, elle est très présente dans les projets du lieu.

Fabrice Vieira et Juliette Kapla sont en couple. Tous trois sont amusicien?nes : viennent de la musique et mêlent les arts jusqu'à les confondre.

124

1.1.2.1. Grille initiale des entretiens

Cette grille a permis d'avoir un cadre commun aux entretiens, mais les situations et réponses de chacun?e en ont modifié l'ordre voire amené d'autres questions.

Es-tu militant?e ?

- sur scène, en dehors ? -sur quels terrains ?

Qu'est-ce qu'Uzeste pour toi ?

Quelle est ta place à Uzeste, comment t'y définirais-tu ?

De ton observation, quelle est la répartition homme/femme dans le secteur culturel ?

En musique, jazz particulièrement,

Marie Buscatto écrit : « Les chanteuses ont souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente et sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux»348.

Est-ce que tu t'es déjà senti témoin de cette bagarre ?

 

Marie Buscatto décrit, en parlant des musiciennes majoritairement en couple avec un homme du métier, un phénomène d'introduction de la musicienne dans le réseau de son conjoint. Situation bénéfice, car elle permet d'avoir un réseau, mais avec les inconvenants qu'elles restent dans l'ombre du conjoint et qu'il y a un vide si le couple rompt.

C'est un phénomène que tu as observé ? Est-ce que ça t'es déjà arrivé ?

Elle décrit aussi le besoin, en tant qu'artiste, d'être soutenu?e (moralement et dans la vie de famille s'il y a). Les femmes se retrouvent à porter ce rôle pour elle et leur conjoint, aux dépends de leur pratique personnelle.

Est-ce que tu es en accord/désaccord avec cette chercheuse ? Est-ce que c'est un constat que tu as aussi fait ?

Te sens-tu légitime à monter sur scène ? Depuis quand, comment ?

Pour toi, que signifie « féminisme » ?

 

Te considères-tu comme féministe ?

As-tu des influences artistiques féministes ?

D'après toi, est-ce qu'il existe un art féministe ?

Pour toi, qu'est-ce que le féminin et le masculin ?

 

Existe-t-il un art féminin ou masculin ?

Dans le travail, est-il plus intéressant de travailler dans des groupes mixtes ou non-mixtes ?

A Uzeste,

Où sont le masculin et le féminin ?

 

Où sont les femmes et les hommes ?

Comment te sens-tu vis-à-vis de cette situation ?

(Vieira et Lubat) Quelles responsabilités et possibilités en tant qu'organisateurs ?

348 BUSCATTO Marie, « Chanteuse de jazz n'est point métier d'homme », art.cit, p. 52.

125

En gras sont les citations utilisées dans le mémoire.

Les notes sont des ajouts des personnes interrogées après relecture.

1.1.2.2. Entretien avec Bernard Lubat

Le 10 février 2015, de 16h à 19h, 3h d'enregistrement

A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste Musical, salle de spectacle.

Bernard Lubat: Dans la représentation du show-business, c'est-à-dire la plus importante quantitativement, c'est le besoin de s'identifier pas au médium artistique, mais à la personne. C'est-à-dire, si j'anticipe, c'est de s'identifier au chanteur, c'est pas du tout .... C'est-à-dire que quand tu t'identifies, tu te nies quoi. Donc, tu achètes. Tu vois le chanteur, tu t'identifies, donc tu achètes. Tu te rassures. Mais c'est pas l'oeuvre d'art, c'est pas l'art que t'achètes. C'est pas le médium que t'achètes, c'est la personne. C'est la représentation de la personne. Tu t'identifies dans la personne. Par contre si tu écoutes Mozart, tu peux pas t'identifier à Mozart. T'es obligé de te poser la question de toi même.

Anna Legrand: Et est-ce que pour le coup, en tant que, mettons femmes noires, je pense aux deux jeunes filles qui étaient venues de Soweto, est-ce que je suis en mesure de m'identifier à ces jeunes hommes, riches blancs qui sont sur ces scènes en majorité.

BL : Oui, oui... Tu peux, tu peux t'identifier... Non. Par contre. Tu peux réfléchir ta condition à travers celle que tu découvres qui est montrée par ces jeunes femmes noires. Euh... Après... C'est-à-dire que ces deux femmes noires, que tu vas voir, ne te remplacent pas. Elles t'interpellent.

AL: Mmm. Mais je pensais plutôt si.... par exemple j'ai une amie qui est lesbienne noire, qui peuvent être perçus comme handicaps sociaux. Et j'ai été très étonnée dans une discussion de comprendre à quel point elle n'avait jamais réussi à s'identifier à tous les personnages de contes, de fictions, dans les films etc. jusqu'à finalement assez tard, aujourd'hui, où il y a quelques séries américaines qui montrent...

BL: Ah oui, ah oui...

AL: des femmes noires et très très rarement lesbiennes. Et, et...

BL: Oui, c'est ça oui. C'est-à-dire que... c'est l'effet inverse de ce dont je te parlais. C'est bien foutu les séries américaines, parce que ça te permet de t'identifier dans une société qui t'apparait respectable. Donc tout à coup le racisme passe à l'as, la problématique des genres revient au galop. Une lesbienne qui est filmée en tant que lesbienne, ça permet de s'identifier là-dedans donc de s'inscrire dans une société que l'on ne critique plus. C'est ça le paradoxe, si tu veux, d'être "intégré". On est intégré, mais dans quoi? En tout cas, pas dans la raison critique. On est intégré plutôt dans le troupeau. Attend bouge pas, je prends mes notes. L'identification c'est un drôle de truc. C'est un drôle de truc. Moi je sais que... les gens qui viennent m'écouter quand je joue, je pense qu'ils, 99% de ceux qui m'écoutent ne

126

s'identifient pas du tout à moi. Et je m'en occupe. Tu vois, je ne voudrais pas leur faire croire qu'ils sont moi. Mais je voudrais plutôt qu'ils découvrent qui ils sont eux.

AL: Et pourquoi?

BL: Parce que je suis pas un curé. Je suis pas... un prophète. J'ai rien à... j'ai rien à remplacer à personne.

AL: Après c'est vrai que toi sur scène, tu te présentes en tant que toi même.

BL: Oui

AL: En tant que Bernard Lubat, je suis là et...

BL: Oui, mais en tant que médium, en tant que ma personne. Ma personne elle est pas que là. Il y a ce que je joue avec ma personne qui est là. Et normalement ce que je joue doit mettre ma personne... (Siffle), en coulisses. (Silence)

AL: Et en même temps, moi j'ai cette impression, il y a des moments quand tu prends la parole sur du texte interprété, là tu n'es plus que toi parce que tu interprètes une autre voix, et en même temps, quand tu parles d'Uzeste, de problématiques qui te sont chères, etc. J'ai l'impression que c'est la même personne que je peux après voir dans les coulisses.

BL: Oui, c'est vrai. Mais...

AL: Est-ce que ça ne permet pas d'empêcher l'identification?

BL: Tout le problème est là. C'est que... "Artiste" ça pourrait être d'être identifié comme inidentifiable. Tu vois il faudrait pouvoir identifier l'incernable. C'est-à-dire quelque chose qui regarde tout le monde. Personne ne sait qui il est. Il n'y a que ceux qui croient. Tu vois je lisais toute à l'heure: (prend une feuille) "De plus en plus de gens replacent le "je pense" par le "je crois"." (Silence) Alors... On a perdu la pensée, enfin la liberté critique parce que croire c'est adhérer. Je crois à l'artiste, j'adhère. Je perds mon sens critique. Ma capacité critique. Ça ne veut pas dire que j'aime ou que j'aime pas. C'est-à-dire que... Il y a une question dans la relation entre artistes et publics qui est très compliquée parce que.... nous ne sommes pas des curés quoi. Nous ne sommes pas là pour professer de la vérité. On est là pour proposer une relation.

AL: Quelle est...

BL: Mais une relation critique. Et non pas de domination. Ni dominant, ni dominé. Donc pour avoir cette relation ni dominant/ni dominé, il faut proposer un médium. Et le médium, c'est le jeu. Le jeu musical, le jeu gestuel, le jeu théâtral, le jeu... c'est-à-dire le symbolique.

AL: Et en quoi le fait de jouer, c'est peut-être idiot comme question mais c'est pour reprendre les mots, en quoi le jeu effacerait la domination? Parce que justement il y a toujours des meneurs de jeu, etc.

BL: Oui je sais bien, bin c'est là qu'il faut être créatif quoi. Parce que celui qui joue à être adoré, celui-là il joue au dominant.

AL: Exactement, c'est à ça que je pensais.

BL: Voilà, donc il faut trouver un jeu... c'est pour ça qu'il y a de la créativité. Il faut trouver un jeu, c'est ce qu'on essaie de faire avec la compagnie, d'être critique en situation

127

critique. C'est-à-dire que... critiquer la musique. "On a un devoir envers la musique, celui de l'inventer." C'est Stravinski qui dit ça. (Silence)

AL: Et...

BL: Par exemple, pour un artiste, je veux pas lui dire "D'où tu viens, quelle est ta culture?" Je vais lui dire "Qu'est-ce que tu fais de ta raison et de ta liberté?". [Paraphrase] C'est ça qui m'intéresse, "Qu'est-ce que tu nous proposes?"

AL: Est-ce que dans cette vision-là, le fait d'être une minorité, au sens social, peut être un atout?

BL: Bin oui, c'est dire aux autres; je suis différent de toi, je suis différent de tout, donc... C'est la minorité. Et Deleuze disait; "C'est quoi être de gauche? C'est savoir que la minorité c'est tout le monde." Et je dis ça des fois sur scène, alors les gens se marrent. Et puis j'ai trouvé une réponse; après je dis: "C'est quoi être de droite?" Je demande ça au public alors il répond pas, il se méfie, tu vois... Parce que personne n'est de droite. Alors je dis: "C'est quoi être de droite? C'est croire que la majorité, c'est moi." Je dis "c'est croire" tu vois, alors que l'autre y dit "c'est savoir", "la minorité c'est savoir". Donc la relation de l'artistique à la société et aux publics elle n'est possible que contradictoire. (Silence) Sans ça c'est plus une relation. C'est du commerce. Du commerce d'argent, du commerce de bons sentiments, du commerce de goûts et de couleurs. Mais c'est du commerce.

AL: Et en même temps, tout artiste, même les plus engagés qui soient, sont confrontés au fait de devoir se vendre et de...

BL: Absolument. Léo Ferré il disait, il a dit un jour "j'arrête parce que j'ai l'impression de faire des messes." Il avait 2-3 milles adorateurs qui buvaient ces paroles. Il a dit j'arrête c'est pas possible.

[Digression à propos de La Télévison cérémonielle de Daniel Dayan et Elihu Katz] C'est pour ça je pense que l'artistique c'est l'inverse de ce que c'est devenu dans la liturgie libérale. C'est devenu une espèce de... plus c'est unique, moins les gens sont...débarrassés de leur capacité d'expression, de leur liberté d'expression, plus ils achètent celui qui est représentant de la liberté d'expression. Voila. Il faut une star pour deux millions de mutiques. [...] Ce qui explique aussi, qu'on aura beau faire des pieds et des mains, il n'y aura toujours que huit personnes, maintenant, qui viendront nous écouter. (Silence)

AL: Quand je t'entends sur scène, je t'entends comme un militant, en tous cas comme te décrivant comme un militant...

BL: Ouais

AL: Et je me suis posée cette question: "Sur quel terrain?"

BL: Militant de l'art. Militant de la liberté d'expression, militant de la liberté de la pensée. Militant de l'erreur, de... de l'expérimentation, de l'exploration, de... de la confrontation entre individuel et collectif. Militant de la poésie. Militant de l'art... Cette espèce de.... Je suis militant de ça parce que je pense que... on est tous né pour être capable de le penser, quoi, de l'exprimer qu'on est né, qu'on est vivant, que ça a un sens. Mais malheureusement, ça se

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passe pas comme ça quoi. Il y a des milliards de gens qui existent et qui survivent à condition qu'ils la ferment, et qu'ils obéissent. (Silence)

AL: Et est-ce que pour toi ce militantisme de l'art et aussi social ou il se réduit à la sphère artistique, si je peux dire ainsi?

BL: Il est social, pour moi c'est la guerre de l'art. J'ai renversé; de l'"art de la guerre", je passe à la "guerre de l'art". (Cherche citation dans les papiers)

AL: Pour moi le militantisme est lié à Uzeste, peut-être que je me trompe

BL: Ouais, tu sais quand je suis parti d'ici, Uzeste il y a... quand j'avais 15ans j'ai fui le monde rural qui était en déshérence, et parce que dans le milieu rural on était dans le servage quoi, on n'était pas libre. Et puis j'ai fait comme tant d'autres, je suis allé à la ville, dans une autre servitude. Pour certains c'était La Poste, chez Renault, moi c'était la musique. C'était la ville. Et puis là je suis tombé dans, dans une autre servitude : l'argent, le métier de musicien, de "musicos" comme disent les couillons de musiciens. Ils se traitent eux-mêmes de "musicos", "matos". Ça rime avec "matos"349. Et donc je suis devenu une espèce d'esclave de luxe quoi, bien payé. Pour fermer sa gueule. Pour jouer ce qu'il fallait jouer comme musique. Et donc [trouve une note dans ses papiers] Voilà; "C'est pas le pouvoir qui crée l'obéissance, c'est l'obéissance qui crée le pouvoir" Ça c'est la Boétie. Donc j'ai obéie. Ce qui fait qu'à force de tous obéir on fait la fortune des fabricants de tubes et d'idoles. Et puis, heureusement, parallèlement à cette vie à Paris, j'avais vingt ans et quelques, vingt-cinq, j'ai découvert la liberté la nuit. La nuit dans les caves, dans les caves enfumées, sous la terre. [...] Les caves à Jazz. Où là justement s'exprimait une espèce de tonitruante liberté de moeurs, de prè-68, c'était avant 68, de moeurs, de musiques, dangereuses pour la santé, truffées de poètes, de littéraires, de musiciens, d'artistes quoi, voilà, de politiques, de mecs douteux, de mecs en rupture de ban. Et j'étais, la nuit, là, sous la terre. Et puis la journée, à la surface, en plein air, j'étais avec... ouvrier spécialisé du showbiz, qui était en plein expansion. C'était l'apparition du microsillon, des chaînes stéréo, et tout ça, tu vois [...] c'est devenu une industrie mondiale. Et donc ça, ça a explosé à un moment donné. Et puis j'ai fait par hasard en 78 le premier Uzeste Musical, parce que je passais par là en tournée avec Michel Portal. Et puis à partir de ce premier truc en 78 d'Uzeste Musical, avec un village qui était désertique, plus de paysans, plus de cultivateurs, plus d'artisans, tout le monde était parti à la ville, plus ou moins au chômage, et donc, je me suis réinstallé dans une pensée écommuniste. Et je me suis dit; tiens il faut que je fasse quelque chose d'autre. De ma vie, de ma pensée, de mon imaginaire. Donc il faut que je me remette à apprendre. Et là je suis devenu fauché comme les blés. [...] Je me suis demandé quoi faire ici, et après, quoi faire à partir d'ici? [...]

AL: Et tu étais accompagné dans tout ça ou pas du tout?

349 "Matos" signifie "matériel" dans le jargon du secteur culturel.

129

BL: Oui. C'était la compagnie. C'est-à-dire que quand je suis arrivé ici, j'ai cherché qui était ici, quels étaient les artistes ici. Les musiciens. Je suis allé voir à Pau, à Bayonne, Bordeaux [...] Et puis c'est là que j'ai rencontré Auzier, Minvielle, et puis la mère de Louis, Laure avec qui j'ai vécu. Et puis petit à petit, c'est-à-dire c'est compliqué tout ça. Tout d'abord la compagnie elle est né à Paris, avec des musiciens de Paris, des comédiens... On était au Théâtre Mouffetard à Paris pendant un ou deux ans, ça c'était en 76. Et là c'était une compagnie punk, de déconstruction avant la lettre. Je faisais de la déconstruction sans le savoir. On démolissait tout, on démolissait la musique.

AL: Une question peut-être idiote mais c'est des mouvements musicaux qui sont liés quand même à la libération de 68, non?

BL: Oui, mais... Oui, oui, oui. Mais moi 68, tu vois... Oui ça vient de 68. 68 c'est énorme. C'est une explosion formidable. Moi 68 je jouais dans les boites de jazz. Par contre là, après 68 ils se sont tous précipités dans leur amour des Beatles, et des Rolling Stones, moi j'en ai rien à secouer. Moi ce qui m'intéressais c'était Jean-Paul Sartre, c'était Thelonious Monc, c'était John Coltrane, Mike Devis, enfin tu vois. C'était pas du tout l'anglo-klaxon, comme j'appelle maintenant. [...] Donc on a écumé les boites de jazz, avec la compagnie Lubat, oui, dans un esprit 68, punk quoi. Et puis j'en ai eu un peu assez. Et puis entre temps c'est les retrouvailles avec l'état dans lequel était Uzeste et surtout dans l'état dans lequel Uzeste était en moi. Le village de mon enfance. J'ai pensé que ma modernité c'était à partir d'ici quoi. C'était à partir de ce handicap d'être minoritaire parce que ruralisé. Tu vois ça valait pas un clou la ruralité. Ça vaut encore moins maintenant. Mais pour moi c'était... c'est ma poésie. (Silence)

AL: La question va peut-être paraitre bête mais elle me parait essentielle; quelle est ta place à Uzeste, comment est-ce que tu t'y définirais?

BL: Ma place à Uzeste c'est....euh.... (Tapote sur la table)... Ma place à Uzeste c'est des places, déplacées. Ma place. Uzeste. Je ne suis pas représentatif d'un lieu. Je suis représentatif d'un acte. Tu vois. Ce à quoi je participe ici est symbolique d'un acte, pas d'un lieu. Le lieu, n'est pas accessoire, mais il n'est pas premier. L'acte premier c'est la création artistique contemporaine. (Silence) C'est que quelque part pour des raisons historiques, être capable de créativité contemporaine en milieu rural, dans l'état dans lequel il est, c'est un paradoxe. Le milieu rural étant plutôt symbolique de la conservation. [...]

AL: C'est marrant, parce que quand je t'ai demandé ta place à Uzeste, comment tu t'y définirais, tu...

BL: Contre

AL: Contre Uzeste? D'Uzeste Musical, je parle

BL: Oui, oui, oui. Je suis contre. Je suis comme... Je suis contre ce qui ne bouge pas. Je suis contre. Je suis contre ce qui se suffit, je suis contre ceux qui croient. Euh... Voila. On écrit bien que contre. "On ne pense bien que contre" C'est Aragon qui dit ça. Voila. Donc ici, être contre, la raison critique, on n'a pas été éduqué à ça quoi. Alors il faut faire de la philo, il faut... Justement aller dans des grandes universités, alors, en général ceux qui accèdent à la raison critique, à la pensée critique deviennent profs de philos. Ils ne retournent

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pas dans leur... dans leur campagne ou leur village ou de l'endroit d'où ils viennent pour ouvrir des ateliers de philo quoi. Ils vont gagner leur vie où ils peuvent. Mais y en a qui le font. Bernard Stiegler par exemple, il le fait. Et c'est ce que j'essaie de faire, moi, avec l'art contemporain quoi. Et d'un point de vue écommuniste, je ne peux plus vivre en ville, parce que pour moi la ville, telle que c'est devenue, ces mégalopoles, c'est des pléonasmes. Ce sont des gros tas où il se passe rien, je sais pas pourquoi [...] il s'y passe rien, rien de grave! Que des drames. Y a plus de beauté, y a plus d'odeurs, de pensée, y a ... Ça me fait penser à des huitres moi, tu vois. [...] Pour moi les villes se sont devenues des troupeaux. [...] Parce que c'est ça le rural pour moi, c'est la confrontation entre nature et culture. Donc ici c'est nécessairement penser par soi-même, et par tous les bouquins qui m'aident. [...] Mais je trouve que la question de créer, de vivre, à partir du monde rural contemporain, c'est vraiment un challenge, heu, Beckettien.

AL: Et alors qu'est-ce qu'Uzeste pour toi?

BL: Qu'est-ce qu'Uzeste Musical ou Uzeste municipal? [...]

AL: Qu'est-ce qu'Uzeste Musical?

BL: C'est un point de friction. Qui s'est élaboré par lui-même. Par une conjonction de désirances, dont je ne suis qu'une étincelle. Un foyer quoi. Le feu a pris et c'est de la flamme. Ça brûle. Alors il faut mettre du bois tout le temps. Mais c'est ça. Donc tant que ça flambe... et bin ça existe. Je suis toujours étonné tous les ans que ça existe encore parce que je sais jamais si le feu va pas... s'éteindre. Et puis maintenant je suis un peu plus, comment dire, rassuré et joyeux parce qu'il y a Louis, parce qu'il y a tous les jeunes, tu vois, qui, qui vont peut-être savoir servir et se servir de cette flamme. Pour la trimballer ailleurs. Pour l'amener... [...] Si tu veux, à Uzeste je suis dans le troupeau, je fais partie du troupeau et je gueule contre le troupeau. Et je gueule contre nous en disant: "Ça suffit, on n'est pas un troupeau, nous sommes des individus qui devons apprendre à devenir chacun et à vivre ensemble. [...]

AL: Quelque chose qui m'a vraiment fait échos pendant les stages, en écoutant, en trainant mon oreille ici, c'est cette perpétuelle dichotomie entre peur et désir. Et, évidemment je me demande, quelque chose où j'ai des réponses différentes c'est ; où est la peur et où est le désir?

BL: Mmm. Bon d'abord, la peur, c'est la peur d'avoir peur. Premier étage. Une fois que t'as passé la peur d'avoir peur, il reste la vraie peur, la Peur. Et c'est là que ça se passe. Il faut franchir... D'abord t'as la peur de monter sur scène. Voilà. La scène mythique, la scène de la représentation de soi, de ses rêves, de ses espérances, de son imaginaire. Le public, c'est pour ça qu'il est assis dans sa chaise. Il est là, il regarde la scène comme un brasier, comme un bûcher: "j'ai la trouille d'y aller parce que si j'y vais je vais brûler!" Mais intérieurement, il sait pourquoi il y va pas, même si c'est pas conscient. [...] Et ensuite, alors, le désir. Alors le désir c'est quand, tu vois, je me souviens, ici. Voilà, l'exemple du désir. Ici, avant, y avait ma mère qui habitait derrière là (montre le fond de scène et les loges), tu vois, et il y avait une porte qui donnait sur scène. Et la première fois que Louis, il a joué sur scène, ici. Je sais

131

pas quel âge il avait, onze, douze ans. Il y avait du monde, enfin il y avait quand même une certaine ambiance tu vois. Et j'étais derrière lui, dans les coulisses et j'allais, j'étais prêt à le pousser pour qu'il y aille. La porte s'ouvre et, juste je fais ça (geste comme s'il allait pousser doucement quelqu'un dans le dos) il avance tout seul.

AL: Il m'avait raconté oui.

BL: Il t'a raconté ça ? Ça, c'est ça le désir. Le désir c'est quand tu le payes à toi. Quand d'un seul coup c'est toi le responsable. Et alors à partir de là, tu choisis la peur. T'es plus dans la peur d'avoir peur, tu choisis, tu fais le pas, tu montes sur scène.

AL: C'est marrant de mettre en lien le désir et la responsabilité. Je ne sais pas si tu as fait exprès? BL: Mmmm. Oui parce que je pense que le désir d'être, c'est une responsabilité sociale...collective. Ça fait chier les nihilistes.

AL: Je vais plus rentrer sur la partie genrée. Toi tu as quand même connu pas mal d'époques musicales, je pense, notamment entre Paris/ici, ça a quand même dû être des milieux différents. Et quel serait ton constat sur la répartition hommes/femmes et même noirs/blancs/arabes sur le secteur culturel, musical puisque c'est plus celui que tu connais mais pourquoi pas autres.

BL: C'est social. Le rebeu peut pas faire de classique. S'il vit dans son HLM, il peut pas faire de musique, il a pas un piano. Déjà, les grands frères des années 60, rebeus, martiniquais ou magrébins, ils jouaient de la guitare basse. De la guitare, de la guitare à des toumbas [genre musical et sortes de bal] ils faisaient pas du rap. Ils jouaient encore des instruments. Maintenant ils jouent plus des instruments les mecs. [...] Donc tout ça c'est social. L'histoire des femmes aussi. Dans le jazz il commence à y avoir des femmes qui jouent. Mais pendant longtemps les femmes, qu'est-ce qu'elles faisaient dans la musique? Chanteuse, danseuse. Chanteuse classique, y en a beaucoup. Comme par hasard, mais bourgeoises. Après chanteuse de variété, parce que l'image de la femme, évidemment tout ça... Mais par contre, il a fallu longtemps pour voir une femme jouer du saxophone, ou de la batterie, ou de la contrebasse. Ça commence, et y en a des très très bonnes. Donc c'est social. Y a pas de limite là-dedans. [...] Et puis l'éducation. A quoi on joue avec l'éducation. On joue toujours avec nos croyances. Je suis pas assez intelligent, enfin pas assez cultivé pour analyser tout ça, pour bien cerner tout ça. J'affronte tout ça, mais empiriquement. [...] Et Boulez il dit: "La nécessité conjointe des règles et de leur transgression." C'est-à-dire le Diable et le Bon-Dieu, le vrai/le faux.... Et je pense que là, c'est l'art qui ait la capacité de tout ça, parce que l'art c'est un intervalle, c'est un intervalle à ouvrir entre le vrai/le faux, le bien/le mal, le sûr/le pas sûr. L'art c'est la subjectivité. A mon avis il en faudrait beaucoup plus. Ça permettrait aux gens de comprendre qu'ils trouvent, qu'ils ouvrent par eux-mêmes ces intervalles. [...]

AL: Tu as parlé de reconnaissance et d'éducation, à des moments différents, et je sais que c'est des paramètres qui rentrent en compte pour parler de légitimité. J'en parlais notamment avec Juliette Kapla, et puis c'est aussi quelque chose qui revient beaucoup dans les recherches féministes, sur la nécessité d'être reconnue légitime et de se sentir légitime pour faire. Et est-ce que toi tu te sens légitime? Et comment, si oui, t'en es venu à te sentir légitime?

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BL: Alors, j'ai commencé à me sentir pas légitime du tout. Quand je suis parti à Paris, je me sentais légitimement inculte. Voilà, j'étais légitimement inculte. A Paris je m'en suis rendu compte que j'étais inculte. Et en même temps je me suis rendu compte qu'on pouvait gagner beaucoup d'argent en étant inculte. C'est-à-dire en restant où on allait, en étant cynique, commerçant. Justement c'est une condition sine qua none d'être inculte et de faire une brillante carrière. Et donc, à cette période où j'étais ouvrier spécialisé dans les studios de variétés à Paris, j'avais 25ans, j'ai pensé que j'étais perdu pour la musique. Après tout, bon, je me suis dit: "je serais jamais un grand musicien, je suis un petit musicien, je gagne bien ma vie, et puis voilà". J'ai failli l'accepté, pendant quelque temps. Et puis, euh, la liberté, par le jazz, l'art de l'improvisation, ça continuait à brûler quoi, au fond. Et puis, j'ai construit ma légitimité par Uzeste Musical. D'abord la légitimité de moi, dans mon miroir. Par Uzeste Musical j'ai retrouvé ma dignité. Là je me suis: tiens, je suis capable de quelque chose, je suis coupable de quelque chose. Parce que j'ai vu en effet, que je ne faisais pas l'unanimité. [...] Quand je suis arrivé ici, j'ai eu des gens pour, et rapidement tout le monde contre. Donc il a fallu que je la réfléchisse cette auto-légitimité. J'ai insisté, et petit à petit, Uzeste Musical a été reconnu, par ses pairs, par des critiques, par certains publics. Donc ça m'a requinqué. Et à partir de là, je me suis remis au boulot, de travail sur soi, de musique, de philosophie, à mon niveau, mais tu vois, tout le temps, tout le temps. Et j'ai changé de vie, et je me suis travaillé. Et, grâce à ce double mouvement; Uzeste Musical qui continue et moi qui me travaille, là je suis arrivé à une autre reconnaissance de mes pairs. De ceux que je considérais, moi, comme des grands musiciens. Et là j'ai eu la reconnaissance de ces grands musiciens. Je suis devenu, a priori, un grand musicien.

AL: Donc des personnes comme, alors je vais dire ceux que je connais d'ici parce que justement j'avoue que je suis une inculte de musique, des personnes comme Portal, Shepp ou Di Donato etc. sont des personnes qui t'ont connu d'Uzeste ou de Paris?

BL: Les deux. Parce que j'ai fait Uzeste avec eux. Uzeste ça s'est fait avec ces types-là. Qui étaient des alternatifs. Mais on s'est connu à Paris. Ce sont tous des immigrés qui sont allés à Paris, au théâtre de Bayonne tout ça. Et à Paris, on a fait le métier, on a fait du jazz, on a fait de la musique contemporaine, on s'est connu là. Et au fur et à mesure, je te dis le premier concert, qu'on a fait spontanément à Uzeste, c'était avec Portal. Portal est depuis 38ans ici, tous les ans. Et à travers tous ces évènements d'Uzeste Musical qui commençaient à être reconnus, moi je me suis reconnu moi-même. Comme un musicien qui pouvait devenir conséquent. Voila. Moi je pense que la reconnaissance ça passe par soi. D'abord. Parce que, ou t'es prétentieux, ou t'es un malade mental, ou t'es mégalo etc., mais tu te reconnais toi-même. Parce que si tu crois ce qu'ils te disent: non. Tu passes pas un tremplin là. Ça c'est le libéralisme qui te fait passer un concours. Tout ça c'est du pipeau. La reconnaissance, la considération psychologique elle vient de soi. Je suis une pointure, je veux devenir une pointure. J'ai de l'ambition. Je veux devenir quelqu'un, mais pas quelqu'un pour briller, non, quelqu'un pour me confronter à l'histoire de l'art. Tu vois, moi je voulais arriver à être capable de faire de la musique avec tous les mecs assis à côté de

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moi, Mozart, Bach, Beethov', tous les cadors, les morts, les vivants, et ils m'écoutent jouer.

AL: Et tous ces "mecs", tous ces copains, est-ce qu'ils étaient...

BL: Ils sont comme moi.

AL:... est-ce qu'il était pensable qu'il y ait une femme qui s'immisce dans tout ce groupe-là?

BL: Et beh, à l'époque non. Si y en a eu. Y a eu Laure. Y a Laure, qui s'est pas immiscée, qui était partie prenante de l'organisation qui a fait partie de la société. Mais qui n'était pas musicienne, mais par la comédie, par son intelligence, par... elle a fait de la scène, et puis. Moi je l'ai connu dans un film tu vois. Je l'ai connu, je faisais comédien dans un film, et elle était le rôle principal, et je faisais la musique du film. C'est comme ça que je l'ai connue. Y a eu elle. Et après y en a eu une ou deux autres mais pas du tout du même, avec la même... D'ailleurs ce qu'elle fait Laure, ça vient de-ci de-là, pas que de ça, mais... Le film qu'elle a fait, tu l'as vu?

AL: Non, pas encore.

BL: Tu verras, c'est du boulot sér..., c'est du boulot artistique quoi c'est... Et puis c'est pas fini. Maintenant il faut qu'elle réalise pleins de trucs, elle a l'âge, et le métier et la poésie. Elle a tout ce qu'il faut pour devenir une grande réalisatrice, elle l'est déjà. Donc on s'est fait les uns les autres comme ça. C'est pour ça que je j'aime bien ces artistes, parce qu'ils sont humbles mais fiers. Ils sont... C'est pour ça que la reconnaissance par l'extérieur ou la gloire c'est un épiphénomène pour eux. Ils s'en foutent. Ce qui compte c'est ce qu'ils savent eux, sur eux. Ce qui compte c'est ce qu'ils savent de ce qu'ils jouent. Comment je joue, à quoi je joue.

AL: Je vais recreuser sur Laure; tu as dit "Les autres n'avaient pas la même..." et c'est quoi ce "..."? [...]

BL: Oui, oui. Bin avec qui j'ai vécu. Y a eu Vanina Michel qui a fait de la scène avec nous, qui a participé, qui d'ailleurs est restée une artiste euh... Tu l'as entendu chanter déjà?

AL: Non ça me dit rien du tout.

BL: Vanina Michel, j'ai vécu plusieurs années avec elle, c'est une pianiste chanteuse et comédienne, qui était la vedette de HAIR (comédie musicale). A Paris, scandale, tu vois c'était après 68, ils étaient tous nus sur scène, ils chantaient la libération sexuelle, la libération féminine, machin, les mecs, les homos, enfin... Ils se faisaient canarder devant la porte du théâtre. Y avait des manifestations de chrétiens et tout. Monstrueux. Elle a joué partout. Mais à l'époque, y avait pas encore de musicienne, heu, y avait pas. Improvisatrice, y en a une à Toulouse, Vaudraska, elle a un peu joué avec nous, elle joue du piano free formidable. Mais c'est récent quoi. Elle a mon âge. Mais à l'époque ça existait pas.

AL: Et pourquoi?

BL: Parce que la société. Parce que les femmes jouaient pas free.

AL: Et pourquoi?

BL: Raaaah. Parce que c'était pas beau. C'était pas bien de voir une femme démonter le piano. Tu vois, jouer dans tous les coins. Qui chante une belle connerie, ou qui danse à

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la télé avec les trucs(geste pour indiquer les plumes de cabaret), ça une femme... ça c'est accepté, hein. Mais une femme... Alors qu'est-ce qu'il restait comme femmes acceptées; Edith Piaf, bon d'accord, tu vois c'est déjà une personnalité de la chanson. Le média compte, le médium compte. Eumm... Barbara. Mais, c'est tout euh... T'en avais pas mal, alors dans les orchestres classiques, symphoniques. Elles ont passées le concours. Pourquoi y en a? Parce que bourgeoisie, parce que tu fais pas de la musique classique si t'as pas des parents qui te paient un piano, un violon et que tu peux faire 5 ou 6 heures par jours pendant vingt ans

AL: Oui mais comme les hommes

BL: Oui mais, oui mais tu me parles de la place des femmes.

AL: Oui mais...

BL: Voilà. Donc c'est une façon de jouer de la musique qui correspondait à un état des femmes dans cette époque. Tu vois. Une femme qui chante comme Billie Holiday, une chanteuse de jazz hyper droguée et tout le merdier, déjà, black, c'est un autre monde quoi. Mais t'en as pas en France de Billie Holiday. T'as pas... T'as des chanteuses de variété, qui font les càcous. Alors petit à petit ça change. Mais j'attends de voir la grande chanteuse. Y a pas une nouvelle Barbara en ce moment, par exemple. C'est énorme sur scène! C'est whouaaa, de l'art quoi.

AL: Par contre j'ai vu Juliette sur scène.

BL: Je l'aime bien, mais j'aime pas trop la musique qu'elle fait tac-tic-tac-ti, mais elle a une gueule, c'est extraordinaire. Je l'ai connu toute petite, j'ai fait des milliards de studios avec son père. Et il me parlait d'la petite; "Tu sais elle chante la petite". Et elle est venue à Uzeste. Y a 25 ans. Mais je la veux pas avec son orchestre. [...] Moi je la veux, mais toute seule avec son piano. Et puis surtout, moi ce que j'adore c'est ce qu'elle dit entre les chansons. Entre les chansons, elle est géniale, elle envoie la purée, moi je l'adore. Mais les chansons des fois ça me gonflent un peu, tu vois ce côté vieilles chanson française. [...] Mais si je pouvais la faire revenir, mais ça a été difficile de la faire venir ici. Parce qu'elle aussi elle est rentrée dans le bidule. Parce que quand tu fais une tournée avec 20 musiciens, il faut qu'elle soit préparée deux ans à l'avance, alors il faut trouver les trucs, des producteurs, tu comprends, c'est ça (Trois coups sur la table). C'est ça le merdier. Alors l'histoire des femmes là-dedans... Alors par contre y en a une qui joue terrible du saxo, qui est lesbienne, qui est grosse, qui est mal dans sa peau, qui joue terrible mais qui va finir par se suicider quoi, je sais plus son nom, elle joue terrible, elle joue terrible. Y en a pas beaucoup qui jouent terrible. Y en a qui jouent, pas mal. Parce qu'aujourd'hui le jazz se classifie là. C'est la mode du jazz de chambre. Moi j'ai connu le jazz de chanvre, c'est pas la même. Tu vois, c'est pour ça que j'aime comment joue Louis, parce que je crois que je lui ai retransmis dans ma façon de jouer, comment il m'a vu jouer, il a quelque chose qu'il a reçu, un souffle qu'il n'y a plus beaucoup en ce moment. Tous les batteurs ils jouent plus du tout comme ça. Y en a très peu qui ont ce souffle-là, et des nanas qui ont ce souffle, ça y en a très peu. J'en connais en France peut-être 5 ou 6. Mais c'est tout. Alors pourquoi elles ont pas ce souffle-là, alors là je sais pas. Alors après dans la variété, dans la chanson, y a la fille d'Higelin, il parait que sur scène

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c'est une furie. J'ai écouté un disque mais... pas très... [...] Pour moi l'art c'est des minorités [...]

[Pause pour un café/thé]

AL: En relisant mes notes, je ne demandais, toutes les femmes qui sont venues à Uzeste sont liées à une des personnes de l'équipe?

BL: Ah non. Non, non. Là j'ai parlé de mes relations à moi, mais...

AL: Oui, mais je pensais aussi à Juliette, Martine....

BL: Ah Juliette, je sais pas comment ça s'est fait. Eh. Martine elle était instit' à Uzeste. Euh.

AL: Donc sinon y en a eu d'autres qui n'ont rien à voir avec...

BL: Non, non, et puis qui sont venues jouer ici quoi. Si oui. Puis y a eu des gens du bureau, des attachées de presse...

AL: D'accord oui.

BL: Au début, Mimi Sporni elle était attachée de presse. Puis des artistes féminines y en a toujours eues, justement. Mais pas facilement parce que y avait que des propositions de chanteuses de variété quoi. On en voulait pas nous. Après ils m'ont dit... J'ai été beaucoup critiqué pour ça. Mais moi j'en veux pas de la variété. Voila. Comment je m'en sors? Je leur dis "y en a assez ailleurs." Moi j'en veux pas. J'en veux pas parce que ce système c'est pas possible; de chanteuse ou de chanteur avec les larbins derrière qui accompagnent. C'est un vieux modèle, je trouve qu'il faut dégager ça. Et puis comme en plus les chanteurs ça baisse d'intérêt, plus les années passent. C'est plus Nougaro, c'est plus Bodi Lapointe, ça baisse quoi, c'est machin quoi. Ça baisse à tous les niveaux, on n'en veut pas à Uzeste. On en veut pas parce qu'on a des chantiers d'explorations et d'expérimentations, on peut pas faire de la programmation ici quoi. Comme partout quoi. Non, on se cherche des soirées pour la prochaine Hestejada, des soirées-concept, qu'est-ce qu'on va entreprendre là, les voix? Comment? A quoi on joue? C'est ça qui nous intéresse.

AL: Et est-ce que vous vous sentez quand même, ou pas du tout, responsable ou concerné par une forme de représentation de personnes qu'on a tendance à ne pas voir sur scène? [...]

BL: Si oui. Par exemple, on a été les premiers à mettre des mots en concert de jazz, on s'est fait sortir. Le premier, en 78, qui a parlé au milieu de la musique, c'est André Benedetto. Les gens gueulaient comme des veaux: "C'est pas du jazz!". On n'a pas arrêté de mélanger. Et du coup depuis les mots sont là tout le temps. Les comédiens, les comédiennes, on a mélangé ça. La danse ça s'est fait aussi, beaucoup, mais à la condition qu'ils acceptent d'improviser! Ça aussi c'est un os. Parce qu'on n'a pas les moyens de répéter, on n'a pas les moyens de recevoir des choses construites, on ne peut faire que de l'empirisme. [...]

AL: En même temps, en tant que jeune femme, je vois bien que j'ai beau mettre bataillée petite, parce que justement je me suis mise dans des groupes d'hommes, très rapidement. Donc j'ai été entrainée à la bagarre qui peut y avoir. Il y a aussi de la bagarre dans les groupes de femmes, mais c'est très différent, enfin en tous cas quand on reste dans des groupes sociaux larges comme le lycée ou le collège, après quand on rentre dans le milieu culturel ou certains

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secteurs professionnels c'est un peu différent. Mais, j'en parlais avec des improvisateurs qui parlent, qui sans s'en rendre compte, dans leur discours, systématiquement lorsqu'ils parlent d'improvisation ils parlent de bagarre.

BL: Mmm

AL: Ou de confrontations, et en permanence cette espèce de position de forces de plusieurs acteurs de l'improvisation. Et est-ce que cette permanente bagarre n'est pas un frein, ou du moins le fait de ne pas être éduquée en tant que jeune femme à la bagarre, n'est pas un frein à être improvisatrice?

BL: Ouais. Le problème de l'improvisation c'est que c'est pas par hasard que ça soit une bagarre. Parce qu'improviser ça veut dire sortir des sentiers battus. Et si tu veux sortir de ce que tu sais faire il faut se battre avec soi-même. Sans ça tu restes dans ce que tu sais faire.

AL: Alors est-ce qu'il ne faut pas apprendre aux femmes à se bagarrer?

BL: Bin si! Si! Il faut qu'elles apprennent à sortir de ce qu'elles savent faire. Tu vois, improviser c'est sortir de ses connaissances. C'est aller faire un tour dans son ignorance. Et improviser ça s'apprend, c'est pas inné. [...] Parce qu'au début t'es pas cultivé-e à être toi-même. Parce qu'au début t'es plutôt cultivé comme il faut que tu sois cultivé-e. Donc tu sais jamais qui tu es. Si qui tu es, tu vois "qui tuer", il faut tuer quelqu'un symboliquement. C'est ça l'histoire. Alors on peut faire une confrontation en douceur. C'est pas que violent une confrontation. Mais y a une dialectique. [...] Donc tout ça c'est de la culture de l'autre. C'est la culture de l'échange. Mais un échange qui nous change pas, c'est pas un échange. [...] C'est aussi la question du déconfort et du dé-conformisme.

AL: Oui mais il y a déconfort et mise à mal aussi. [...] ça ressort dans pas mal d'études que les musiciennes de jazz sont souvent des chanteuses, et rien que le chant est mal considéré dans le milieu jazz, donc déjà ça aide pas.

BL: Mmm

AL: Et ensuite, même celles qui sont uniquement musiciennes, sont, se trouvent tellement confrontées à des petites remarques, des tics permanents, qu'au bout d'un moment le fait de pouvoir sortir des sentiers battus, le fait de se bagarrer avec le fait, avec la musique n'est plus possible parce qu'elles sont obligées de se bagarrer avec l'autre.

BL: Oui mais qu'est-ce que tu veux. Il faut aussi qu'elles apprennent à se bagarrer avec la condition sociale, la condition humaine qui est faite à la femme dans ce siècle quoi. Parce que c'est elles, se sont les femmes qui vont se libérer. C'est pas les mecs qui vont libérer les femmes. [Paraphrase] Et par là peut-être elles libèreront les mecs. [Paraphrase] C'est pour ça que dans les ateliers je propose aux femmes de gueuler! De se révolter. De dire: "Merde t'as fini toi!" d'avoir ce genre de relations, de vraies relations et non plus, arrêter avec la soumission. (Silence) Mais c'est pas facile, mais bien sûr je sais bien. Mais tu sais le, la soumission, la difficulté des femmes elle existe, mais la difficulté des hommes je te dis pas quoi. La difficulté des hommes c'est gratiné parce que tu vois ils ne s'en rendent même pas compte. [...] Mais c'est difficile pour une femme aujourd'hui, pour des raisons de...de... c'est

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difficile pour une femme aujourd'hui de chanter n'importe comment, de chanter n'importe quoi, de faire des grimaces, de s'enlaidir, de foutre la merde. C'est difficile! C'est parce que soi-disant l'image de la femme ne supporterait pas... C'est pour ça que j'aime bien faire, quand il vient une Isabelle Loubère, quand elle vient jouer et chanter avec nous, elle s'accroche au micro et elle hurle punk/free; "Aarrrk!! vrr" chante en patois j'sais pas quoi. Au moins elle a un comportement de révolte. De rébellion à son état d'être. Et d'un seul coup ça produit artistiquement quelque chose de goulu, quoi! Et d'un seul coup on joue quoi ! D'un seul coup on est à égalité! On n'est pas là pour faire gaffe à pas lui... Non, non elle est là pim-pam-pim-pim. Je lui fous des accords elle se met à gueuler et, et voilà. C'est cette histoire, et Uzeste, l'improvisation c'est ça. C'est pas une bagarre pour la bagarre, c'est... Il faut qu'il y ait une relation... Écoutes, tu as vu comment il tape Louis sur une batterie, quoi. Pourquoi il tape comme ça. Il tape comme ça parce qu'il se bat avec lui-même, quoi. Et il faut que les filles elles se battent avec elles-mêmes. Faut se battre avec soi-même. Surtout.

AL: Le problème c'est que dans ce cas on en vient au solo quoi.

BL: Ah beh oui, pourquoi pas.

AL: Enfin le solo c'est bien mais que des solos...

BL: Qui interdit trois, quatre femmes ensemble en train de se... de s'inventer un truc inouï? Et mais y a pas que le solo. [...] Multiplier, si tu veux, les potentialités que procure l'expérimentation. [...]

AL: En fait là, depuis toute à l'heure je suis en train de me dire que je tique sur une phrase que tu viens de dire avec laquelle je crois que je ne suis vraiment pas d'accord. C'est "Les femmes doivent se battre pour avoir une égalité/liberté, les hommes ne vont pas la donner". Ça c'est vrai vu le système dans lequel on est. Mais si en veut pouvoir prétendre à des systèmes plus solidaires ou plus, justement, qui cherchent à travailler vers l'égalité etc. C'est complètement aberrant de penser qu'on peut pas... Enfin moi je peux pas attendre des Gojats, par exemple, qu'ils me donnent un peu de place?

BL: Oui mais moi je serais pour, que les hommes te laissent de la place. Mais ils t'en laisseront pas. Tant que tu ne leur casseras pas la gueule ils te laisseront pas la place.

AL: Je sais.

BL: Tu trouveras pas toujours un mec comme moi qui te dis: "Tiens viens là, viens jouer là". Parce que j'ai l'habitude de ça ici. Parce que le lieu le permet. N'importe quel théâtre, le mec aurait pas pu, même pas moi à ce moment-là, te dire: "viens là". Il a fallu que ce soit un long combat tu vois. Une architecture mentale, qui permette que tout ça soit possible. [...] Mais j'ai souvent fait, comme je t'ai fait une fois-là, monter sur scène, mais la fille est pas montée.

AL: Mais c'est aussi arrivé à d'autres personnes ou...?

BL: A d'autres filles, à d'autres mecs aussi. Y a des mecs y peuvent pas. Alors ceux-là, soit ils viennent en atelier, soit on en discute, qu'ils se préparent. Ça a était long hein! [...]

AL: Marie Buscatto, qui est celle dont j'ai fait référence, qui a beaucoup travaillé sur les musicienne de jazz, et elle a travaillé sur les réseaux de musiciens, comment les réseaux

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fonctionnent en musique et comment est-ce que souvent, le fait d'être en couple avec un musicien c'est un tremplin pour des musiciennes, qui la plupart du temps sont en couple avec quelqu'un du métier (agent, producteur, programmateur, musicien...),

BL: Un peu la maman quoi

AL: ...et comment elles, ça leur permet de s'introduire dans le réseau de leur compagnon, en même temps avec deux effets néfastes c'est qu'elles restent nécessairement dans l'ombre... BL: Ou alors elles quittent le mec et elles montent leur agence.

AL: Et elles n'ont plus rien.

BL: Ouh!! Si y en a une ou deux que je connais qui ont monté leur agence et qui font du placement de musiciens.

AL: Ah mais là je parlais de musiciennes.

BL: Ah oui! Elles, sont pas musiciennes.

AL: [...]

BL: Oui puis en étant avec un musicien elles ont pu pratiquer. Ce qui aurait pu être plus difficile si elles avaient été toute seule. [...]

AL: Mais toi tu t'es déjà senti, en étant en couple avec quelqu'un, d'une dépendance professionnelle de l'autre par rapport à toi. Ou l'inverse?

BL: Non. Non, je me suis... C'est-à-dire, par rapport aux couples, les femmes, les deux expériences que j'ai pu avoir, j'ai agi pour qu'elles jouent quoi. Pour qu'elles participent, à ce qu'il se jouait à l'époque. En tant que chanteuse, percussionniste, ou instrumentiste. Comme avec un mec hein. Parce que si elles avaient pas été capables, j'aurais pas fait avec tu vois. Parce que moi j'ai toujours fait des choses, monté des groupes pas qu'avec des professionnels. C'était moitié... J'ai toujours trouvé ça intéressant qu'il y ait plusieurs niveaux de débutant, le ruiné, le vieux... Parce que quand je suis arrivé dans les boîtes de jazz à Paris, c'était l'archi-mélange quoi. [...] Ca se mélangeait beaucoup. Je parle pas des femmes hein. Je parle des mecs, des générations. Les femmes, y en avaient dans les boîtes de jazz, mais elles chantaient le blues. [...]

AL: Quand j'ai parlé de ces musiciennes en couple avec des personnes du métier, tu as dit: "c'est la maman".

BL: Ouais

AL: C'est pourquoi? Dans ton vécu c'est des personnes qui ont...

BL: Bin souvent c'est elles qui s'occupent des affaires, des galas, des ... Non c'est... Ce que je dis c'est...

AL: C'est que, pareil Marie Buscatto fait le constat que les femmes musiciennes se retrouvent souvent à... que en tant qu'artiste on a besoin de soutien et reconnu, aussi par sa famille, et que souvent, autant les musiciens sont soutenus, autant les musiciennes soutiennent leur compagnon et se soutiennent elles-mêmes en fait.

BL: Inh-ouais

AL: Et pour le coup se retrouvent en... A moins être poussée, quoi.

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BL: Mais les musiciens soutiennent pas grand-chose. Et même pas eux-mêmes souvent. Tu vois, les musiciens masculins, ça a changé un peu, mais enfin, ne serait-ce qu'au niveau du parti Collectif là, à Bordeaux, il suffit de voir, dans quel état y en a. Tu vois, ils sont... pfff, encore à trois ans et demi. Alors donc, c'est une histoire de mecs aussi.

AL: Et là c'est une question d'éducation aussi.

BL: Ouais, bin ouais. C'est une question d'éducation, parce que tu vois dans la musique classique, y a beaucoup de violoniste, de violoncelliste, maintenant y a des hautboïstes, il commence à y avoir des cornistes... Et en même temps, quand on fait de la musique contemporaine avec ces filles-là, ces femmes-là, qui ont une technique terrible, qui savent lire la musique, bon bin on a des rapports... y a pas de rapport homme/femme quoi. C'est t'assures ou t'assures pas quoi. Voila. Alors pour ce qui est du jazz c'est différent parce que c'est de l'impro, et ça a un rapport à l'inconscient, alors l'inconscient de la domination masculine c'est peut-être pas le même pour l'instant que celui de l'état dans lequel est la femme aujourd'hui, ou de sa culture, d'où elle vient. Un peu comme, bon, y a la femme voilée, et y a le truc quoi. La femme elle subit ça aussi. Elle est pas voilée mais elle est voilée quelque part quoi. Donc il faut qu'elle se libère. Alors les mecs, alors y a des mecs qui ont solidaires, parce qu'ils sont lucides. Mais y en a d'autres, pas du tout, parce qu'ils ne sont pas lucides. Et nous ici, à Uzeste on a fait des débats là-dessus, on a parlé là-dessus.

AL: Oui parce qu'il y a la...

BL: Que ce soit par la CGT ou que ce soit par le jazz ou que ce soit par la politique ou la philosophie, on a traité de tout ça, tu vois. Mais je te dis, la difficulté... tu demandes à Fabrice, on a du mal à trouver des filles qui jouent, qui ont capables de... de venir dans notre situation délicate. Dans notre situation de pauvre. La fille qui vient jouer ici je peux lui dire: "on peut te payer un voyage, un cachet correct, et chambre d'hôtel. Donc on peut pas répéter. Donc, il faut que tu improvises." Et là, ça pose question.

AL: Et de celles qui a, de celles que tu m'as nommée, [...] pourquoi est-ce qu'il n'y en a pas sur la grande scène?

BL: Parce que tu, la grande scène c'est souvent des concepts, des concepts dangereux, des concepts de confrontation et puis parce que y en avaient qui n'étaient pas libres aussi. Par exemple, y en a une qui est capable de jouer avec n'importe qui et mieux que n'importe qui, elle s'appelle Laurent...

AL: Joëlle Léandre?

BL: Joëlle Léandre, s'en est une! Mais Laurent, pour moi c'est la pointure au-dessus. Géraldine Laurent, elle est très bonne. On va la faire venir cet été. Elle est lesbienne, mal dans sa peau, et en situation critique et elle joue terrible. Alors l'autre dont tu parlais, elle est problème, parce qu'elle peut pas tout jouer, elle a une grande gueule, elle est free mais elle a été très très méprisante avec le petit personnel. C'est-à-dire elle a une double facette. Tu demanderas à Martine comment elle l'a traitée. Pas terrible. Ce côté révolutionnaire féministe devant et derrière le petit personnel, il faut lui cirer les pompes. [...] Par contre tu remarqueras que des femmes comme Juliette, elle sont vachement importantes dans le festival parce que plutôt

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que de faire des après-midis où c'est pas terribles, elles font de la grande qualité. Voila. Et que c'est très important pour elles et pour ces copines, et pour Fabrice, et pour la tenue, d'Uzeste, du festival. Ce qui n'empêche pas que Juliette on l'a mise sur la grande scène, elle a fait un tabac. Mais toutes ne sont pas capables de faire ce tabac-là sur la grande scène. Mais un tabac pas pour un tabac, un tabac avec une particularité, une singularité artistique. C'est ça que j'attends, moi. Tu vois, si c'est faire un tabac pour me faire un truc jazz classique, je m'en fous de ce tabac. [...] Le principe actif, c'est celui-là d'abord. Il faut que les femmes et les mecs ils assurent ça d'abord. Si ils peuvent pas assurer ça... Je te signale que Régine Chopinot, attention! Moi j'ai fait des duos avec elle, je te dis pas. C'est quelqu'un. Elle finissait le truc elle me sautait dessus, il fallait que je la trimballe comme ça. Elle poussait des gueulantes. Après je la poursuivais avec le piano à queue en le poussant avec le ventre. Enfin des trucs! De la liberté, de la responsabilité, donc là, d'un coup, le féminisme il est artistique quoi! Il est pas que théorique ou idéologique. Il se retraduit sur le plan artistique. [...] (En parlant d'une chanteuse) elle propose pas de m'accompagner. Non, non. Elle propose, elle ne voit qu'une chose, c'est comme tous ces chanteurs, qu'on leur serve la soupe. Ils ont tous besoin d'infirmiers. [...] C'est pour ça que le concert qu'on a fait à Paris le centre est vide. [...]

AL: En parlant de Régine Chopinot, tu as dit: "c'est du féminisme artiste". Pour toi y a de l'art féministe?

BL: Elle, elle demandait l'autorisation à personne. [...] Une vraie teigne quoi. La vraie mauvaise foi artistique, ça elle l'a.

AL: Et en parlant d'artistes féministes, toi tu lis beaucoup, est-ce que t'as déjà eu des influences artistiques de, je pense notamment aux écrivaines féministes comme Nancy Huston, ou Judith Butler

BL: Non. Des chanteuses. Billie Holliday, et surtout l'autre, sud-africaine... elle m'a terrassé. Pour moi c'est la plus grande chanteuse artiste femme du monde. (Ne se souviens pas du nom)

AL: Comment ça se fait qu'à Uzeste la CGT organise des discours féministes?

BL: Parce que quand j'étais musicien à Paris j'étais au syndicat des musiciens, j'y suis toujours. Et le syndicat des musiciens c'est le syndicat CGT, et quand j'étais à Paris j'allais souvent dans les manifs. Et je défendais notre beurre quoi. Alors au début je ramenais des copains percussionnistes, je me faisais jeter par les militants: "Ah! Lubat tu fais chier! C'est pas un concert c'est une manif!" Puis maintenant ils défilent tous avec des... j'ai pas inventé ça mais avec le temps qui passe, ils défilent tous avec des cartons, des tambours, ils ont compris l'idée. Ça c'est le premier point. Après, je me suis trouvé à Bordeaux où je jouais dans une autre manif et puis j'ai rencontré Alain Delmas, qui était responsable syndical et puis je sais pas, on a fait un projet ensemble, comme ça, sur la route. "Tu viendrais pas jouer là -Si beh si". Et puis on est devenu très amis. Et puis à un certain moment, par rapport à Uzeste et au temps qui passé, j'ai eu quelques trucs douteux de confrontations avec les renseignements généraux, les flics. Y a eu des choses bizarres. Parce qu'Uzeste s'est né avant 81, avant

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Mitterrand, en 78. Et là, 79-80 y a eu des trucs bizarres. Il a fallu que je m'en mêle. Et donc j'ai pensé que si y avait des camarades syndiqués de la CGT qui venaient nous donner un coup de main pour l'accueil, la sécurité, l'aménagement dans le village et tout ça... C'est ce qui s'est passé, et ça fait 20ans que ça dure.

AL: Mais Lydie Delmas elle fait partie de la CGT non?

BL: Ouais, et du coup, la CGT fait pas que ça. En étant là pour ces raisons au début, je leur ai demandé de proposer des débats, des choses qu'ils avaient envie de faire avec la pensée, avec la pensée syndicale, etc. Le combat des femmes à l'hôpital et plein de trucs comme ça. Ils sont très précieux parce qu'ils sont nos représentations de la société, je trouve, vachement importantes. Et puis certains sont devenus des amis quoi. Et puis c'est faire passer vis à vis de la classe ouvrière, par l'art, autre chose que Jean Ferrat. Ils reconnaissent tous que, au début, quand ils sont arrivés ici, ils se bouchaient les oreilles. (Rigole) Et puis petit à petit ils ont appris à se les déboucher, puis maintenant ils apprécient, c'est vachement intéressant. C'est ce qu'ils disent. D'ailleurs à travers plein de films qu'ils ont fait, qui ont été fait par des gens de la CGT, qui ont fait des enquêtes sur le festival. [...]

AL: On a parlé plusieurs fois du féminisme, mais est-ce que toi tu te sens concerné par ça? BL: Ouais. Ouais. Oui parce que je vois pas pourquoi y aurait, dans l'absolu y aurait le pouvoir de l'un sur l'autre quoi.

AL: D'accord. Et en tant qu'organisateur?

BL: Beh je fais ce que je peux par rapport à la société telle qu'elle se trouve. Je fais ce que je peux pour essayer de critiquer cette situation de disparités.

AL: Mmm. Et c'est quelque chose qui m'a frappé dans les représentations que j'ai pu voir ou faire, c'est la facilité de pas mal de gens pour dire: "Ah ça c'est vraiment féminin - Ca c'est vraiment masculin".

BL: Oh ça c'est du pipeau.

AL: Est-ce que tu penses qu'il y a... que l'art est genré?

BL: Non, je pense pas, je pense pas du tout qu'il y ait... Pffff... Olalalaa. Non mais même je regarde le slalome des filles et le slalome des mecs qui skient. Est-ce qu'ils skient différemment? Euh, oui et j'en sais pas...Et quand je regarde le rugby féminin qui se passe en ce moment, est-ce que ça joue différemment des mecs? Je trouve qu'elles jouent moins bêtement que les mecs. Et qu'elles jouent des trucs vachement bien, c'est pas tout à fait pareil, mais en même temps c'est le même jeu. En football c'est pareil. Alors, y a des différences mais c'est pas des différences, comment dire... c'est plutôt des différences intéressantes je trouve. C'est pas additions ou soustractions quoi. Tu vois? Et puis je ne sais pas si y a une spécificité féminine et spécificité masculine. Alors sans doute culturellement, avec ce que c'est devenu. Mais je ne sais pas si, au départ, ou à l'arrivée, euh.. c'est fatal. Non. (Inaudible) déconstruction culturelle, intellectuelle. C'est comme, tu lis un bouquin, je sais pas si c'est un homme ou si c'est une femme qui l'a écrit... si on te fait passer l'examen pour savoir qui c'est qui quoi, je sais pas. Peut-être y a des différences, mais moi c'est pas ça qui m'intéresse.

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AL: Et à Uzeste, sur les répartitions genrées et hommes/femmes, est-ce que... quel serait le constat que tu pourrais faire et comment est-ce que tu te sens vis à vis de ça?

BL: Bin on n'a jamais joué aux quotas. On a plutôt joué à... à l'artistique.

AL: Je prends aussi en compte l'orga, la structure en générale.

BL: L'organisation ouais. Beh comme par hasard au bureau, sur trois y a deux femmes. Et puis... Ça aussi c'est une question de maman aussi... l'ordre, le désordre, maman qui met de l'ordre et le gosse qui fout la merde. Le garçon, parce qu'on lui a acheté un, une voiture et un fusil et puis à la fille on l'habille en rose et on lui file une poupée. Bon tout ça. Mais... les rencontres, tout ce qui existe ici se fait par l'engagement individuel de ceux qui participent. Moi j'ai jamais obligé personne, j'ai jamais obligé Fabrice à s'engager ici, tu vois. Fille, garçon, pareil. Je n'ai aucun présupposé-la-dessus. La seule chose que je peux voir c'est à quoi ça joue. Mais tu vois, c'est pas un hasard que dans le pC, y a pas une fille. A part toi. Enfin vous êtes deux, mais... tu vois y a bien... C'est comme dans la société quoi.

AL: Je sais bien. C'est bien pour ça d'ailleurs que moi ça me met en colère, primo.

BL: Je comprends.

AL: Et que... En fait, ce par quoi je voulais commencer mais on est tout de suite rentré dans débat, moi si j'ai fait cette recherche c'est parce que j'étais toujours prise de colère sur ces questions-là. Et euh... Je sais que j'ai besoin de m'armer de choses intelligentes, de réflexivité en tout cas.

BL: Moi, tu vois, la chose que je t'ai vue faire ici toute seule. Avec ton corps et ton verbe, les deux. Je trouve que ça vraiment c'est recta [droit/solide], ça. Je veux dire, parler de féminisme, de rapport entre hommes et femmes, tu fais ça, les mecs (geste signifiant "Ils se tirent" en sifflant) et les femmes aussi (re-siffle) à dégager quoi? Les femmes qui te regardent. Ah là les mecs ils en prennent plein la gueule. L'art c'est ça. Il faut qu'il y ait des femmes comme toi, qui soient capables de faire ça. A ce point, là comme ça. Avec tes gestes, ton truc, et puis paf la tchatche, l'intelligence et tout. Et alors là mon pote, démerdez vous! Retournez à l'école, tous. Moi j'étais là, je prenais des notes, tu comprends? Je te demande pas si t'es une nana ou un mec! J'en prends plein la gueule. J'en profite, ça m'interpelle, ça travaille mon cerveau, j'oublie de savoir de quel sexe tu es là. C'est plus fort que ça là. Y a quelque chose qui sort, de capacités d'expression, tu vois, de liberté d'expression, de singularité d'expression... On demande que ça à voir vite quoi.

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1.1.2.3. Entretien avec Juliette Kapla

Le 3 janvier 2015, de 19h à 21h, 2h d'enregistrement Chez Juliette Kapla & Fabrice Vieira à Uzeste, salon.

Anna Legrand: Je t'avais présenté mon sujet je crois; sur le genre en représentations sociales et

artistiques aussi, à Uzeste.

Juliette Kapla : Ah! En représentations sociales et artistiques? Qu'est-ce que tu appelles

représentations sociales?

AL: C'est notamment les représentations hommes/femmes. Que ce soit, les représentations que

l'on a des hommes et des femmes et en termes sociologiques, combien de femmes? Où? A

quel endroit?

JK: Mais on parle de l'artistique, du champ artistique?

AL: Aussi, on parle d'Uzeste musical en global.

JK: Public? Euh...

AL: Bin ça après si...

JK: Cuisine, bénévoles et compagnie ?

AL: Exactement

JK: Et on parle du festival, ou de tout le projet Uzeste Musical à l'année?

AL: Tout le projet. Et en fait moi, plus particulièrement ... Enfin... Là, je t'interroge toi, je ne

peux pas interroger Uzeste Musical...

JK: Oui bien sûr. Je ne représente que moi de toute façon.

AL : Tu ne représentes que toi, et si ça interpelle du vécu à Lille, dans tes «vies précédentes»,

ça n'est pas exclus parce que ça ne s'est pas passé à Uzeste.

JK: D'accord, ça risque de se produire en effet.

AL: Parce que ça va forcément... Notre vécu impacte sur ce que l'on est sur scène, donc je ne

peux pas exclure le reste, de ce que tu produis à Uzeste.

[Demande d'accord pour retranscription, anonymat...]

(JK nous sert du thé.)

Entretien

AL: Alors, est-ce que en général dans la vie tu te considères comme être militante?

JK: (temps de réflexion) Oui. Sur le plan... Sur tous les ... Sur les plans généraux ou sur le féminisme?

AL : Comme tu le sens.

JK: En fait oui, un peu, pas beaucoup. Mais je me sens militante sur deux plans. Sur le plan féministe, parce que je parle beaucoup de ça autour de moi. Non pas que je participe à des actions particulièrement euh... Ni montrer mes seins ni... j'sais pas quoi. Mais par contre je parle beaucoup de ça et aux hommes et aux femmes. Et ça me semble déjà être du militantisme. Et puis sur le plan politique, artistique... légèrement. Parce que j'estime que certains choix esthétiques ne sont pas très loin d'un militantisme politique.

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Notamment ceux que je fais, et notamment ceux que je fais dans le cadre d'Uzeste Musical, ou avec l'appui d'Uzeste Musical.

AL: D'accord, donc pour toi ce militantisme, entre guillemets, artistique, politique, se traduirait comment par exemple?

JK: Par du discours, par du contenu, par la forme que je choisis de faire. Par exemple choisir de faire une musique, ou un texte, ou une forme de spectacle qui ne soit pas normée. Ne pas chercher absolument à vendre ce travail-là dans des réseaux qui viennent soutenir une société que je ne cautionne pas, un système de marché musical, artistique que je ne cautionne pas, que je ne souhaite pas cautionner. Avec cette précision bien sûr, que de toute façon je n'ai pas les moyens de le cautionner ou pas puisque je ne suis pas en position d'être emmenée dans cette machine-là. Mais ce qui était au début de ma... j'peux pas dire « de ma carrière », de mon activité artistique, ce qui était subie, c'est à dire une forme de solitude, est maintenant choisie, c'est à dire que je ne souhaite pas produire un art qui soit, qui soit un art de marché. Et aussi, par mon activité pédagogique, parce que j'ai une assez importante activité pédagogique, et là j'ai la conscience... Je me pose très très souvent la question donc je suis tout à fait sérieuse quand je dis ça, j'ai conscience, du moins je crois, être subversive dans cette action pédagogique. C'est à dire que j'ai conscience que quand je fais des ateliers d'écriture à destination d'ados, ou d'enfants, ou d'adultes, ou des ateliers de mise en voix, la forme que je leur fais faire, et la liberté que j'essaie de leur donner, de les aider à trouver, est subversive par rapport à une société, notre société telle que je la comprends. Donc j'ai l'impression de m'inscrire contre ça. Et c'est ça que je pourrais appeler du militantisme avec un petit «m». Bon. Sinon bien sûr, je vais dans des manifs et tout ça, assez souvent, plusieurs fois par an. Peut-être dix fois par an. Mais je ne suis pas une grande militante sur le plan syndical par exemple.

AL : ... Ok.

JK: Moi c'est plus de l'action, dans, par mon métier, oui. Sauf sur le plan du féminisme, ou là, effectivement je me suis rendue compte ces dernières années que je suis devenue active... dans mes discours.

AL: Et pour toi c'est un... un besoin? C'est un besoin ou c'est par obligation, je dirai ?

JK: ...

AL : C'est pas très clair... Qu'est-ce qui... Qu'est-ce qui te motive à ça?

JK: Effectivement c'est un besoin. Donc ça peut être ramené à mon désir personnel, à mon intérêt personnel. Mais c'est plus qu' » obligation », moi je dirai « devoir » à ce moment-là. C'est à dire, si je me place du côté éthique de mon existence, de ma conscience, j'estime qu'il est de mon devoir de pratiquer, par exemple mon action pédagogique comme je la pratique c'est à dire dans un grand sérieux subversif et respectueux des individus, des personnes, et d'être... de mettre souvent sur le tapis la question du féminisme. Je pense que c'est une question qui est hyper importante! Pour différentes raisons que je peux, si tu veux je peux en parler maintenant. J'ai pas l'impression que notre société française aille très fort du côté de l'avancée, en termes d'égalité hommes/femmes. J'ai plutôt l'impression

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qu'on régresse un peu. Et j'ai plutôt l'impression que c'est pas à cause des islamistes dont on parle beaucoup mais que c'est à cause d'une bonne régression pépère, d'une vieille France de droite qui .... ne trouve pas utile... `fin je sais pas pourquoi d'ailleurs. Enfin, moi j'ai l'impression qu'on régresse sur ce plan là, voilà. Par rapport au moment où moi j'avais vingt ans j'ai l'impression... Moi je me suis émancipée. J'ai pris du... j'ai pris du... je me suis enracinée, j'ai évolué. J'ai pris de l'ancrage. Mais par contre, euh, je trouve que la société n'est pas moins machiste en tout cas, que quand j'avais vingt ans ou que quand j'avais cinq ans.

AL: Donc pour toi le féminisme est ton terrain de combat

JK: Un terrain, oui. Mais c'est pas un terrain dans l'artistique. C'est pour ça que je distingue les deux. C'est pas un sujet. C'est pas dans mon contenu artistique. Ça peut être un sujet parmi d'autres dans mon contenu artistique, mais je ne revendique pas de faire un art féministe par contre. Et même je revendique le contraire. Je refuse que l'on me dise que je fais un art féminin ou féministe.

AL: Pourquoi?

JK: Parce que, euh, j'ai besoin comme féministe de me positionner comme artiste, avant de me positionner comme femme. Après, si on me pose la question à l'intérieur... Je sais que j'ai, malgré moi presque, des propos féministes, des choix féministes dans mes contenus. De même que j'ai des choix altruistes, empathiques, gauchistes, etc., etc. Bien sûr mon contenu est gauchiste aussi par exemple. Y a un ancien consul en Irak, avec qui je suis assez copine, qui me dit ça tout le temps: «Ah vous êtes gauchiste! Et c'est bien.» Et je lui dis: «Comment faire autrement?» et il me dit «Ah, c'est bien. Non, non, mais vous avez raison.» Et voilà pour moi c'est un contenu parmi d'autres mais je ne veux pas poser comme préalable, d'être une artiste féministe parce que j'ai peur, euh, parce que j'ai besoin, en fait, d'une part j'ai peur que ce soit, que ça me condamne à n'être pas entendue. Et d'autre part, j'ai besoin de, d'afficher mon identité d'abord comme artiste de scène, puisque c'est essentiellement ça que je fais, avant que, avant qu'on me dise «Ah, mais tu es une femme qui fait quelque chose».

AL: C'est marrant parce que ça avance à la fin de mon entretien. Mais c'est très bien.

JK: Ah, pardon.

AL: Mais non, c'est très bien, ça veut dire que c'était...

JK: Mais on peut y revenir autant que tu veux... Ça c'est... un gros sujet.

AL: Ouais. Mais c'est très bien. Je suis ton, ta pensée. Donc je vais y aller là, avec toi. Et justement, moi je m'étais dit que, à Uzeste, il y avait des femmes qui, pour moi se présentaient sur scène... Euh...justement comme femme-artiste... euh... en pensant à toi et Sylvie par exemple. Sylvie qui est beaucoup plus marquée sur le discours féministe, je pense à Victoire, la fille du soldat inconnu. Et... Martine, en termes de réception me paraissait beaucoup plus neutre avec ça, alors peut-être aussi parce qu'elle interprète souvent des textes d'hommes. Finalement. Je me suis dit ça quand elle a fait son intervention disant qu'elle n'avait jamais interprété sa voix, sa propre voix... qui est une voix de femme. Euh... et après

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je me suis demandée est-ce que ça ne parait pas, est-ce que Juliette et Sylvie ne me paraissent pas être des femmes-artistes parce qu'elles sont à Uzeste, et que c'est une question qui est posée à Uzeste.

JK: Mm-m

AL: Euh, je ne sais pas si c'est vague, trop vague comme réflexion. Mais, tu vois, là le fait que tu parles de «gauchiste», euh, je ne me suis, j'avoue, jamais posée la question en voyant Bernard, qui l'est clairement par exemple, monter sur scène en me disant: «C'est un gauchiste-artiste», enfin « un artiste de gauche». Et .... Eum.... Est-ce qu'il n'y a pas une vraie, un ... -Mince. J'ai pas préparé cette question... une vraie stigmatisation, une vraie... un vrai manque dans le regard qui est porté sur une artiste, femme.

JK: Oui. Il y a un défaut primaire. C'est exactement pour ça en fait que je... ça me met un peu en porte-à-faux, hein, je me sens un peu con parce que en effet, je devrais pouvoir revendiquer d'être une artiste féministe. Mais en fait voilà, je suis très gênée par le fait que dans les milieux où j'évolue en général hein, mais à Uzeste aussi, on me renvoie très souvent, quand je fais un spectacle, le fait que je suis une femme. C'est quelque chose qui revient très souvent sur le tapis. Alors que, pour en avoir discuté avec d'autres, évidemment je parle en leur nom, c'est pas très honnête, mais pour en avoir discuté, notamment avec Fabrice, euh, lui on ne lui renvoie jamais qu'il est un artiste-homme. On lui renvoie qu'il est un artiste. Et, je sais pas si tu as lu Masculin/Féminin de Françoise Héritier, je crois que c'est au début, dans la première moitié du premier volume, parce qu'elle pose les bases des différenciations masculin/féminin et elle dit, euh, très simplement, cette chose que je crois vraie, qui est que le masculin c'est le 1 et que le féminin c'est le 2. Et tout est, moi ce que je vis, en ce moment et comment je le formule actuellement, c'est que le 1, c'est la norme. L'homme, enfin «l'homme»... L'homme c'est le 1, c'est la norme, c'est la neutralité. La neutralité est masculine. Donc un artiste masculin est neutre, on n'a pas besoin de préciser qu'il est masculin. Par contre, un artiste féminin est... euh, une artiste féminine, n'est pas neutre, elle se distingue. Et donc on va souligner le fait qu'elle est une femme. Et ça, ça me...fait chier. Voila. Ça ne me convient pas. Quelque chose me, quelque chose me tient prisonnière là-dedans!

AL: C'est vraiment, Simone de Beauvoir qui explique que tout est construit autour de ce masculin neutre et que la femme est reléguée à «l'Autre».

JK: Mm. Mm-m

AL: Et que l'Autre se voit. On a peur de l'autre. Et...

JK: Et je dirais sur scène, si je peux me permettre

AL: Bien sûr, tu peux tout te permettre.

JK: Je dirais que l'Autre, «l'Autre» selon Simone de Beauvoir, donc la femme, est suspect. Je vais te donner un exemple, j'ai, j'ai créé ici, pratiquement, un duo, avec une contrebassiste, Claire Bellamy, qui s'appelait le duo Free-songs, Des Free Songs partout, dans lequel [...] on est deux femmes. Euh, il y a plein de choses intéressantes dans l'expérience que j'ai avec elle. C'est ici que ça s'est produit, donc ça tombe bien, un artiste à l'époque de la compagnie

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qui n'est plus là depuis, qui est quelqu'un de très gentil que j'aime beaucoup, me dit... Alors voilà, dans ce spectacle, y a un texte qui s'appelle Mirabeau, je suis partie d'une phrase de Mirabeau qui dit: «Les hommes sont comme les pommes, quand on les entassent ils pourrissent». Et je dis: «Les hommes sont comme les pommes, quand on les regarde ils rosissent, quand on les soupèse ils rougissent, quand on est patiente, ils mûrissent.» Ça c'est peut-être la seule vacherie du texte. «Les hommes sont comme les pommes, quand on les croque ils rapetissent, quand on les oublie ils s'aigrissent, quand on les laisse ils se flétrissent. Mais là où les roule ils s'immiscent, quand on les suce leur jus glisse, la pulpe fermentée vous grise. Vue de près la chair n'est pas triste, ni celle des pommes, ni celle des hommes» etc., etc. C'est un texte hyper tendre. A part, «quand on est patiente ils mûrissent», qui est une petite vulgarité. Mais sinon, tout le reste est hyper tendre. Et ce gars vient me voir à la fin et dit: « Superbe duo. Mais qu'est-ce qu'on en prend plein la gueule nous, les mecs!». Je dis: « Ah bon? Où ça? Quand? Comment? «. Il me dit : « Ah mais... ton texte sur les pommes là». J'fais: «Pardon, je vais te le faire relire parce que là y a un malentendu.» Voila. Et ça c'est... Je me souviens de cette personne-là ce jour-là. Je ne dirai pas qui c'est, c'est pas intéressant. De toute façon il est même pas fautif. Si tu veux. Parce que ça s'est reproduit plus ou moins de la même manière, à d'autres endroits, par la suite. Donc on est perçue, parce qu'on fait une musique et qu'on a une attitude scénique assez virile, finalement, assez rentre dedans, même si on est très féminine. On est autonome, on est indépendante, on fait pas les... on fait pas les... Je ne sais pas, je pense pas qu'on rentre dans les clichés, en tous cas de la «douce femme qui reste à sa place». On ne reste pas à notre place, on prend la place de l'artiste sur une scène. Et donc il nous est renvoyé, la plupart du temps, je dirai 98% du temps par des hommes, que, nous sommes donc en revendication féministe. Ou en revendication anti-hommes, ce qui, pour beaucoup, est la même chose. Et ça, ça m'embête vraiment beaucoup. L'autre truc, c'est que, dans ce trio que tu as vu cet été350 euh... j'ai beaucoup entendu parler par la suite de «comme c'était bien votre trio de filles». Je m'y attendais, je le savais. Moi-même je le dis des fois, je dis «notre trio de filles». Or, si Fabrice avait fait un trio avec deux mecs, un à la harpe et un à la batterie, euh... peut-être qu'on aurait dit: «Oui, la harpe c'est quand même pas un instrument de mec» et encore... Mais par contre, personne n'aurait dit: «Votre trio de garçons il était bien.» Voilà. Il y a vraiment la norme, le neutre et y a le reste. Donc on est vraiment suspecte, quand je dis «suspecte» c'est «suspecte d'agression»...euh... suspecte d'agression ou de... ou de revendications, ou de méchanceté etc., etc.

AL: Après, en côtoyant les Gojats là, euh... Alors peut-être un peu moins maintenant, mais il y a une période où ils s'entendaient beaucoup, et régulièrement, reprocher le fait d'être que des hommes, que jeunes garçons en plus. Et ... Et finalement... Bon déjà s'en est toujours au

350 Comprendre un trio avec une batteuse, une harpiste et Juliette Kapla en comédienne-chanteuse.

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même point, c'est autre chose, mais... Est-ce que l'on ne tend pas, quand même, à une critique inversée là-dessus aussi?

JK: Le jour où l'on aura, au sortir des conservatoires, des jeunes nanas, qui font des groupes, sans qu'on leur renvoie que ce sont des nanas et sans qu'elles doutent de leurs capacités à faire ça. Avec des potes. Des potesses. Euh, je pense que l'on pourra vraiment arrêter de critiquer les groupes d'hommes. Je comprends en plus. Je crois comprendre pourquoi y a que des hommes, des jeunes gens, enfin des garçons dans ces groupes-là. C'est aussi que les choses se font par affinités. Et que à certains... Et à tous les âges, on est en affinité, pour certaines activités, avec les gens du même sexe que soi. Bien souvent. Enfin, dans les conservatoires... Enfin c'est pas vraiment vrai ce que je dis parce que moi j'ai eu beaucoup de potes, justement. Je suis très attachée à l'amitié virile. Mais...Mais même dans ce cadre-là c'est pas évident pour une nana d'avoir exactement la même place que les garçons. Voila. La même place n'est pas évidente à trouver. Et dans les conservatoires de jazz, y a des nanas mais y en a pas beaucoup. Et dans les directions des ONJ351, par exemple, y a pas une seule nana pour l'instant. Et dans les conservatoires classiques y a plein de filles, mais aux directions d'orchestre y en a pratiquement aucune. Et ainsi de suite, enfin, tu connais tout ça mieux que moi... Mais... Y a quelque chose-là qui est quand même de l'ordre de la légitimité.

AL: Ah!

JK: (Rires) Question n°6!

AL: (Rires) Oui c'est un peu ça. Je reviendrai.... ouais, je reviendrai là-dessus mais, tout est lié et je pense que tu m'as beaucoup...influencée dans mes questionnements, puisque tu vas sur les questions que j'ai prévues. Notamment celle de la légitimité, qui était une question que tu avais soulevée quand on était en train d'écouter la table ovale...

JK: Ah oui!

AL: Voilà. Et... Où voilà, il faut le dire tu avais la rage parce qu'il n'y avait que des gars qui étaient là. Dont certains on pouvait se demander, justement, s'ils étaient plus légitimes ou non que toi à être à cette place. Enfin, en tout cas, moi c'est la question que je me suis posée. Parce que dans la légitimité, y a les notions aussi de... Il y a la notion de la compétence, fortement, mais aussi les notions d'âge, d'expérience, il me semble. Et... Donc voilà, ça me la posait sérieusement. Et justement... pour toi qu'est-ce que c'est qu'être légitime? Comment est-on légitime? Te sens-tu légitime? Comment?

JK: Il y a être légitime et se sentir légitime. Et je pense que c'est des choses différentes. Évidemment, je ne peux pas dire si je suis légitime, mais je ne me sens toujours pas légitime, par exemple sur le plan musical. Ça c'est assez intime, mais j'en subi des conséquences ici, à Uzeste.... Des conséquences que je m'inflige moi-même. Là, aucun des acteurs d'Uzeste Musical n'est responsable de ça, je crois. Par contre, si tu veux, je viens d'une famille de cinq enfants, on est trois garçons et deux filles, et... mes frères ont tous fait de la musique, un petit peu ou beaucoup. Ils étaient inégalement doués. Moi je crois que j'ai fait un mois de piano à

351 Orchestre Natiinal de Jazz

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cinq ans. J'étais beaucoup trop petite, et c'était beaucoup trop chiant. Et je n'ai plus jamais fait de musique, alors que j'en émettais le désir. Je suis une pure autodidacte. C'est à dire que j'ai appris un instrument qui est la flûte à bec, parce que j'avais une flûte à bec, et qu'à la fin du collège il n'y avait plus de cours de musique, et donc ma prof de musique m'a permis d'acheter une méthode, dans laquelle j'ai appris à lire au-delà des quatre notes qu'on nous avait apprises en quatre ans, pour travailler cet instrument. Et pour moi, la musique, même au sein de ma famille, alors que je suis la seule musicienne professionnelle de ma famille, euh... je ne me sens pas légitime, par exemple à parler de musique avec mon petit frère qui lui, a fait des études de batterie...très sérieuses, poussées.... professionnalisantes, certes, mais il n'est pas professionnel. Il n'a pas une pratique de scène. Je me sens toujours moins légitime à parler de ça. Par exemple. Et j'ai toujours l'impression, autre chose dans mon histoire, j'ai commencé à chanter avec des boppers, à Lille, qui... Moi je voulais chanter des chansons, que j'écrivais et puis le jazz m'intéressait aussi donc je chantais avec eux les deux. Des mecs à fond bebop, qui ne juraient que par Charlie Parker. Ce qu'il y avait avant les intéressait, ce qu'il y avait après...un peu moins. Tout ce qui était free-jazz... Bebop, hardbop; ok. Le reste les intéressait très peu. Ils étaient assez élitistes dans leurs façons de travailler, avec tout le monde. Et moi je me suis entendue dire... Euh, très exactement; «Tu ne peux pas improviser, car tu ne sais pas improviser. Tu improviseras quand tu sauras improviser.»... Donc j'ai cessé d'essayer d'improviser puisque je n'étais pas légitime. Et là, je pense que bien sûr, j'avais pas d'instruments j'étais chanteuse, donc les chanteurs, ils ne savent pas improviser, les chanteurs, ils ont pas de culture musicale, les chanteurs-ci, les chanteurs-là... Et résultat, j'ai été coincée, mais à mort! Et je suis toujours ultra-complexée, je n'oserai, je pense jamais de ma vie, chanter, improviser sur une grille de jazz devant Bernard Lubat. Alors que je sais le faire. Alors que j'ai appris à le faire. J'ai appris, grâce à Fabrice, qui m'a dit: «Vas-y, tu sais faire. On s'entraine.» Voila. Donc la légitimité elle vient de l'apprentissage aussi. Tout simplement. Pour dire tout ça.

AL: C'est intéressant ça. Je trouve ça intéressant, parce que quand je vois... Eum... Thomas, Louis, Jules, qui sont des «purs produits», on va dire, du conversatoire352, même si maintenant Thomas est au conservatoire, eum... Louis se sent totalement légitime à parler de musique alors qu'il est conscient et il sait qu'il n'a pas de technique musicale. Ou qu'elle est vraiment... enfin, il est incapable de déchiffrer une rythmicité à la voix et les notes il les connait à peine. Et pourtant, il se sent même plus légitime que beaucoup de musiciens, à parler de musique, alors pas forcément, techniquement, même pas du tout techniquement, mais justement sur une sorte de philosophie de la musique. Parce que, il se revendique comme amusicien. Toi qui est amusicienne, du moins c'est ce que je pense, est-ce que tu.... là tu m'as parlé finalement d'un discours d'être légitime à offrir un discours technique sur la

352 Jeu de mot entre le conservatoire, institution de formation académique en ville et le conversatoire, création de Beranrd Lubat pour expliquer son travail de transmission à Uzeste Musical.

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musique et à monter sur scène pour la chanson, mais avoir un discours sur ce que peut être l'art de la musique...

JK: Non. Je ne me sens pas vraiment légitime à ça, non plus. D'ailleurs, je suis à mon avis, beaucoup trop peu cultivée pour faire ça. Alors ça c'est pas forcément très passionnant. Que je sois, ou que je ne me considère pas assez cultivée pour avoir un avis. Mais ce qui est intéressant peut-être c'est de savoir d'où vient cette légitimité. Bon, tu parles de Louis, la légitimité, à mon avis, elle vient quand même souvent de la famille. C'est vrai que moi je ne suis pas d'une famille de musiciens. Donc n'étant pas d'une famille de musiciens je n'ai pas déjà cette légitimité-là. Ensuite, y a l'apprentissage sur papier, la connaissance technique, que je ne possède pas non plus, ou très peu. Même si je me suis formée après parce que c'était important. Je me débrouille. Mais j'ai une technique, quand même, qui est très sommaire. Et, après y a la légitimité sexuelle. Et je pense... «Je pense», mais alors là! Je prends des pincettes parce que je ne voudrais pas faire la victimisée, la «gonzesse», tu vois, à tous les coins de phrases. Mais je me dis que peut-être, aurais-je été un garçon... Enfin, je postule que si j'avais été un garçon les....mon apprentissage de la musique d'abord, aurait été facilité, je l'aurais sûrement réclamé. Beaucoup plus clairement que je ne l'ai fait. Et puis je me serais beaucoup plus euh, et je m'exprimerai beaucoup plus, sur la valeur de ce que j'entends. Bon, dans mon cas en plus, je suis comédienne et chanteuse. Et ce que je crains ici, par exemple en ce moment, c'est qu'on me, et parce que j'ai joué à ça, qu'on me glisse du côté de la comédienne est qu'on oublie le coté chanteuse, donc musicienne. Une chanteuse, un chanteur, c'est un musicien. Tu vois, il y a plusieurs couches. Y a la couche tu-fais-pas-que-ça-donc-on-sait-pas-ce-que-tu-fais, donc qu'est-ce que tu es exactement? Est-ce que tu ne serais pas plus auteure ou comédienne finalement? Alors que je suis vraiment chanteuse (coups sur la table qui appuient le propos), ça maintenant c'est admis pour moi et clair. Et je revendique en étant chanteuse d'être musicienne. Ce qui n'est pas gagné pour tout le monde. J'ai eu souvent cette discussion aussi avec de gens. Y compris des gens très féministes d'ailleurs, (sourire espiègle) donc ça n'a rien à voir, qui disaient: «Oui mais y a les chanteurs et les musiciens, c'est quand même pas pareil.».

AL: Y a Marie Buscatto qui a beaucoup travaillé dessus, sur les chanteuses de jazz. Qui elle-même est chanteuse de jazz et en fait, qui a travaillé sur les musiciennes de jazz et les chanteurs de jazz, où elle met chanteurs et chanteuses dedans. Et, ce que tu dis, revient dans ces textes, sur la mise à l'écart de ceux qui ne savent que chanter, et souvent les chanteurs maitrisent aussi un instrument, ce qui les met moins à l'écart. Elle fait des analyses, comme ça, qui peut-être t'intéresseront.

JK: Ouais, ça m'intéresserait beaucoup, oui.

AL: Et justement, sur, pour le coup, quand il y a des femmes, comment sont-elles considérées dans le jazz? Ça pose aussi cette question-là. Et ici, on est quand même dans des... avec des musiciens qui viennent pour certains du jazz, ou du moins qui y sont très attachés. Est-ce que ça pourrait jouer, penses-tu?

JK: Cette hiérarchisation?

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AL: Sur la considération de la chanteuse...

JK: Oui je pense, oui, oui. Oui, moi je parle aussi, plus ou moins, du milieu du jazz, hein. Parce que de toute façon dans la chanson, c'est encore plus pervers. C'est à dire que le chanteur c'est à la fois le patron, la star et le rien du tout. Voilà, j'en ai entendu beaucoup, y compris les musiciens avec qui je travaillais qui parlaient d'autres chanteurs en disant, ou chanteuses, en disant: « Elle est pas intéressante, elle sait rien faire, mais voilà, elle trouve des plans». Mais voilà, y a quelque chose, y a une hiérarchie qui est très... [Téléphone sonne, vérification que l'enregistrement a fonctionné] Oui donc dans le jazz, la légitimité, et des chanteurs et des bonnes femmes... quand t'es les deux tu cumules les handicaps.

AL & JK : (Rires)

AL : Eum.. Toujours sur Marie Buscatto, celle dont je te parlais, elle dit que les chanteuses de jazz, justement, ont souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente, sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux. Toi, là, c'est ce que tu...

JK: C'est ce que j'ai vécu un peu. Sauf que je me suis échappé du système puisque je suis devenue une chanteuse d'autre chose que de jazz. Mais oui. Mais oui. Y compris dans le son tu sais. J'ai souvenir de... ouais, même dans les chansons. J'ai le souvenir avec les mêmes gens, qui étaient plutôt mes potes hein, pourtant, fin même carrément, de m'être bagarrée en disant: «-Là, je ne m'entends pas, on ne m'entend pas. On va monter le son de la voix. -T'as qu'à chanter plus fort! « Et là, pour moi c'est complètement absurde! C'est à dire y a une guitare qui est amplifiée, y a une batterie qui joue fort et une basse qui est amplifiée. Moi j'ai un petit micro et on me dit : «T'as qu'à chanter plus fort». Pour moi, le sous discours, si j'interprète un tout petit peu, c'est : «T'as qu'à avoir une plus grosse bite, connasse.» Tu vois. C'est limite ça. Bon ça t'es pas obligé de le reproduire dans l'entretien si jamais ça se produisait mais, tu vois, c'est limite « T'as qu'à avoir plus de gros muscle. Moi j'ai des gros muscles. j'te bats au bras de fer. Tant pis pour ta gueule.» Je l'ai perçu directement comme ça à l'époque.

AL: Oui, je peux comprendre.

JK: Et oui oui, y a une bagarre. Et puis donc y a une bagarre sur la technicité, oui sur la place. Mais je pense que c'est une bagarre qui se mène aussi avec toute la société. Là aussi je vais te donner un exemple, quand j'ai fait un truc dont je ne suis pas fière sur le plan éthique. (Rires gloussés) J'ai joué quelques dates avec le casino de Lille. Un casino Barrière a ouvert à Lille, y a des années de ça. Et, ils ont appelé un mec, je sais pas ils ont dû le trouver dans l'annuaire parce qu'en plus c'est un mec qui fait un free, un free jazz très free quand même... il truc [marmonnements] quand même, et il joue pas du tout les standards, ou très peu. Mais c'est un prof de musique en collège et ils ont appelé ce mec en lui disant : «Est-ce que vous pouvez nous proposer trois soirées, ou plus éventuellement, avec des chanteu... il nous faudrait un trio de jazz, vous faites des standards de jazz et il faut une chanteuse sexy.» C'était ça la demande : «une chanteuse sexy». C'est à dire, «un trio», pour que ça coûte que tant, et que ça fasse pas trop de bruit. Parce que pour avoir fait ces dates, effectivement fallait pas faire de bruit. «De jazz» parce que le jazz c'est, c'est devenu, et ça c'est un autre sujet

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mais ça me révolte, une musique d'ascenseur et de chicours, et de bourges. Alors que c'est quand même une musique de rébellion absolue et de revendications politiques et raciales hyper importantes. Et, «une chanteuse sexy»! On s'en fout qu'elle chante bien ou mal. Ce qu'on demande à une chanteuse, d'abord on n'a pas demandé un chanteur, ce qu'on demande à une chanteuse c'est d'être sexy. (Silence) Alors bien sûr c'est le casino. Mais ... y a ce truc là aussi. Le public ne va pas forcément considérer la chanteuse ou le chanteur comme... en tous cas a fortiori la chanteuse comme une égale des musiciens.

AL: Mmm... Et... Bin je m'inspire de cette femme-là parce qu'elle travaille sur les chanteuses et que c'est ta situation. Tu vois, je te considère comme chanteuse (Rires). Et elle travaille sur les réseaux de musiciens aussi. Elle a constaté un phénomène que je trouve assez inquiétant pour les générations à venir. Et elle parle des musiciennes qui sont, de jazz, qui sont, pour la plupart avec un conjoint du métier. Que ce soit agent, musicien, programmateur. Pas nécessairement sur scène quoi. Et elle décrit un phénomène d'introduction de la musicienne dans le réseau de son conjoint. Euh... Qui est bénéfique sur le, sur le court terme, puisque ça permet d'avoir des dates, d'être incluse dans un groupe sans forcément ... avoir les problèmes de séductions et...et ses problèmes qui peuvent être dans un groupe où l'on est la seule femme. Mais ça... Elle analyse un phénomène négatif, où elles restent dans l'ombre de leur homme. Que, qu'elles sont dépendantes de lui sur ce réseau. Et que s'il y a rupture, elles perdent ce réseau. Est-ce que toi c'est une crainte que t'as pu déjà avoir? Dans ta vie d'artiste?

JK: (du tac au tac) Oui. Totalement. (Silence) Euh... totalement. Et pourtant j'ai travaillé, enfin j'ai commencé à travailler avec quelqu'un qui était mon compagnon. Bon, dès qu'on a travaillé ensemble, on s'est séparé, c'était mieux. (En allant remuer le feu et remettre une bûche) Mais on travaillait quand même ensemble. Et c'est vrai que ça a été une crainte immédiate de ...

AL: Attends, pars pas.

JK; 'scuse moi. Ah oui, c'est vrai y a le... Ça enregistre.

Oui donc euh... Je l'ai vécu, il y a longtemps. Au tout début de ma vie de chanteuse. Et... et j'ai travaillé pourtant à prendre les réseaux moi-même. C'est à dire à prendre la tête des choses. J'ai un fort besoin d'indépendance, ça c'est dans mon tempérament. Je pense que c'est une question de survie aussi. Et j'ai absolument besoin de ne pas dépendre des autres et particulièrement pas de mon conjoint. Mais bien sûr je dois reconnaître que la chance que j'ai de participer aux choses qui se passent à Uzeste Musical, c'est parce que j'ai rencontré Fabrice Vieira, que je fais ça. Bien évidemment. C'est à dire que je ne me serais pas pointée (claque la table), au culot, voir Bernard Lubat et lui dire : «Ecoute, j'ai vraiment trop envie de faire des choses chez toi... Laisse-moi essayer s'il te plait. « Peut-être qu'il aurait dit oui. Mais j'aurais pas fait ça.

AL: Pourquoi?

JK: Parce que.. je pense une part de personnalité. Parce que je suis trouillarde, orgueilleuse. Que j'me, mais mais que j'me sentais pas du tout capable de faire un truc pareil. Fin, c'était

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pas ma place. Je ne me supposais pas une seconde que je trouverai ma place ici. Par contre, quand j'ai rencontré Fabrice, j'ai mis du temps à travailler ici. Pour des tas de raisons qui ne méritent pas d'être explicitées ici. Mais, parce qu'il y a aussi des raisons personnelles d'interventions d'autres personnes qui étaient malveillantes donc c'était... compliqué. J'ai regardé ce qu'il se passé ici. Je connaissais déjà la compagnie Lubat, je les avais vu sur scène, j'écoutais leurs disques. Mais d'un seul coup je me suis dit, peut-être qu'en effet je pourrais proposer quelque chose. Et donc à ce moment ça je l'ai fait. Mais je serais quand même curieuse de savoir... si vraiment on allait voir à l'intérieur de la tête des gens, sans qu'ils se, sans qu'ils essayent d'être aimables ou politiquement correctes, combien de personnes qui gravitent autour de cette compagnie pensent que je suis là parce que je suis la femme de Fabrice. Ou combien pensent que je suis là parce que je suis une bonne artiste qui mérite d'être là et qui apporte quelque chose. Et si l'inverse s'était produit, si j'étais déjà dans la compagnie et que Fabrice m'avait connue et pris cette place là ici, cette demi-place que j'ai en fait. Euh... Je n'ai pas la réponse à la question suivante : est-ce qu'on se poserait autant la question? Est-ce qu'on se dirait : «Il est là parce que c'est le mec de Juliette.»?

AL: C'est une très bonne question... Parce que finalement là on ne le voit pas, donc je ne pourrai même pas le traiter dans mon sujet... J'y ai pensé. Mais je... Même Martine, son conjoint est écrivain, il est pas sur scène, c'est une situation un peu particulière encore. Et... je n'ai pas d'exemple à travailler qui pourrait.... éclairer un peu cette question.

JK: Oui, puisqu'on n'a pas en fait de femme qui gravite autour de la compagnie Lubat qui ne soit pas associée... sexuellement, à quelqu'un qui est déjà associé à la compagnie Lubat. Puisque Alain, le mari de Martine est président de l'association si je ne m'abuse.

AL: Ah! Je savais pas.

JK: Il est au bureau en tout cas.

AL: Ah.. ok.

JK: Je crois que c'est le président. (Silence) Alors je ne pense pas qu'il... que... je postulerais que les choses ce sont faites dans l'autre sens. Mais j'en suis pas sûre.

AL: Bin ce sera une question à poser.

JK: En tout cas, la plupart des nanas qui se sont trouvées ici... Un peu durablement, sont entrées ici par heu.... par le couple.

AL : Et finalement, est ce que ça ne pose pas la question de notre légitimité...

JK: Bien sûr! ... Ca la pose. C'est une des raisons pour lesquelles on ne s'estime pas légitime. Par ce qu'on arrive toujours grâce à quelqu'un, par l'entremise de quelqu'un et en seconde de quelqu'un.

AL: Et en même temps, toutes ces femmes qui gravitent autour d'Uzeste Musical, fin, y en a beaucoup qui ne font pas pa, pas plus, qui ne font ... plus que graviter autour d'Uzeste. Elles sont carrément dedans. (Silence)

JK: Oui. Oui là je parlais artistiquement en fait. C'est vrai que j'ai tendance à...dissocier l'artistique et les cuisines par exemple. Et je devrais pas.

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AL: Parce que tu vois si... si on prend ... bah ce qu'à pu être Joël & Marie... Martine. Même on peut aller à Martine et Diane finalement...

JK: Bien sûr.

AL: ... sur Uzeste. Et puis en effet, artistiquement, toi aussi. 'fin... Je crois, si j'en regarde les programmations, tu fais partie maintenant des artistes d'Uzeste. Des récurrentes.

JK: Oui, des récurrentes. Mais je me demande, si je me fâchais très fort avec Fabrice et qu'il ne soit pas élégant, je pense qu'il aurait les moyens de m'évacuer. Des programmes. Et que moi je n'aurais pas de moyens de l'évacuer des programmes, si tu veux. Voilà. On est pas du tout égaux. Fabrice c'est particulier, évidemment. Puisqu'il se trouve que, mon compagnon, est une personne qui est influente à Uzeste Musical en plus d'être acteur. Donc c'est un peu délicat. Mais clairement le numé... Et pour moi aussi, le numéro 1, c'est lui. C'est son projet. Moi j'ai d'autres projets.

AL: Et est-ce que, à Lille, la situation est inversée?

JK: Non, parce que je ne le fais pas vraiment travailler en fait. J'ai pas tellement l'occasion de lui donner du travail. Mais c'est vrai, qu'il y a un contexte dans lequel je l'embauche, heu, pour un spectacle qui m'a été demandé par la CCAS-EDF-GDF, qu'on a joué pas mal de fois. Et là c'est moi qui ai les contacts et effectivement il dépend de moi dans ce cadre-là. Si je suis vraiment honnête oui. Il dépend de moi

AL: D'accord, donc là finalement, euh, la question du réseau est en ta faveur.

JK: Oui.

AL: D'accord. Donc là finalement, l'intégration dans le projet l'emporte sur le genre.

JK: Exact.

AL: On est d'accord

JK: Et une petite chose là-dessus quand même. Une petite précision. Je ne sais pas comment font les autres femmes musiciennes mais, il est clair que pour moi, ça fait quinze ans que j'exerce, que j'ai cette pratique artistique. J'ai travaillé activement, et je continue à travailler à, d'une part être indépendante et d'autre part, à avoir le leader-chip. C'est à dire que, c'est presque maladif, chez moi, d'avoir mes réseaux. Et d'avoir la relation directe [Téléphone sonne] Allô? Oui, Clément353, je te la passe. (chuchote) Je voudrais pas que tu rates le spec...

AL: Oui Allô? -Tu en es où? -Euh, bin j'ai pas fini du tout. Donc c'est pas grave, je serai spectatrice ce soir. - D'accord- Allé, bisous. [...] Non, non, y a pas de...

JK: Alors on parle de la thèse des femmes dans le spectacle et parler de ça, fait que tu vas devoir passer à côté d'une représentation où tu serais actrice.

AL: Et oui...

JK: Trop les boules!

AL: Orf! Déjà je commence à y aller, c'est pas mal.

JK: Oui. Oui, c'est bien... Mais voilà je travaille aussi à ça parce que j'ai une trouille bleue de me retrouver dépendante, euh, d'autres et notamment de, d'un compagnon... et des hommes.

353 Clément, membre du parti Collectif qui joue le soir même.

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C'est à dire je garde, j'ai mes réseaux et je les soigne. (Silence) Je les partage mais je les soigne.

AL: Alors pour le coup là j'avais une question, euh, si! Qu'est-ce que, qu'est-ce qu'est Uzeste pour toi?

JK: Mmmh! (Silence) Bon plusieurs choses bien sûr. Là tout de suite parce qu'on est en hiver, un grand labo. Pour moi c'est un endroit où l'on peut essayer des choses. Où l'on peut apprendre en faisant. Et c'est hyper-important! En fait je pourrais dire après, c'est un endroit de réalisation artistique, de, d'innovation artistique. Je pourrais parler des autres. Mais si je parle de moi, moi, c'est l'endroit où j'ai trouvé des choses parce qu'on m'a laissé essayer des choses.

AL: Mmh! (Silence) Ok.

JK: Et c'est aussi un endroit de nourriture. Ça c'est important aussi en fait. De ressourcement et de nourriture. Je viens me réchauffer ici quand j'ai trop mal à ma politique, aussi.

AL: «A ta politique»...

JK: A... à mon muscle politique.

AL: Ah oui?

JK: Quand je trouve que le monde est trop moche et trop dur, ça me fait du bien de me replonger un coup dans Uzeste. Pendant des années ça a bien marché, quoi.

AL: Pourtant en termes de mise en face des réalités c'est pas mal.

JK: Oui, mais c'est sain.

AL: Mmh

JK: Tu sais, c'est comme d'avoir mal quelque part et d'aller voir son kiné quoi. Avoir un geste sain par rapport à la réalité.

AL: Et...Alors ça tu en as parlé, tu l'as évoqué mais peut-être pourras-tu être plus incisive, quelle est ta place à Uzeste, comment tu t'y définirais?

JK: Je pense que... Je ne suis pas qualifiée comme ça sur le site mais je crois qu'il n'est pas à jour. Moi ce que j'ai... Ce que je...Comment je m'y rêve en fait, j'aimerais qu'on me qualifie d'artiste associée. Quelque chose comme ça. Qu'est-ce que ça serait un artiste associé? Ça serait quelqu'un, qui a un pied dedans, un pied dehors. Et qu'on invite à faire des choses. Ensemble. Et qu'on invite à faire des choses tout seul. (Silence) Ce qui est pour moi une position absolument idéale, parce que j'ai ma vie ailleurs, une vie ailleurs, enfin une activité professionnelle, et que j'apporte de l'extérieur, ce que.. la légitimité que je vais chercher ailleurs, le travail que je fournie ailleurs, les choses que j'invente ailleurs. Mais ici, je peux être avec les autres, et toute seule. (Silence) Peut-être que j'apporte une couleur. (Silence)

AL: Le rouge?354

AL & JK: (rires)

354 Référence à sa robe rouge de scène.

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AL: (Silence) Eum, et justement tu parlais de... euh... (Silence) A Uzeste on parle souvent de peur et de désir, enfin je trouve... Déjà est ce que c'est un constat que tu partages.

JK: Mmm-m (approbateur)

AL: Et pour toi, où est la peur? ... Tu l'as même évoquée plusieurs fois là et, et justement je me demande en tant que, que dedans/dehors, où peut-être la peur?

JK: (Silence) Elle est partout en fait. Elle est dans... Sans hiérarchie hein, sans ordre de préférence, elle est dans le déplaire au milieu, ici, c'est à dire au maître des lieux, c'est à dire à Bernard. Malgré tout, elle existe cette peur. Elle n'est pas la chose la plus importante mais elle existe. Je me rends compte qu'elle est devenue insidieuse. Au début elle était réelle et consciente, maintenant elle est insidieuse. déplaire au milieu, ici, c'est à dire au maître des lieux, c'est à dire à Bernard. Malgré tout, elle existe cette peur. Ça c'est dans les, p't-être c'est pas dans la peur, 'fin si c'est la peur empêchante. Euh. Y a la peur de...Boh, la peur normale de planter. C'est à dire d'être dans une merde telle que je doive abandonner le plateau en disant : «désolée, j'y arrive pas». Évidemment ça arrive pas souvent ça. Mais c'est quand même une peur. Tu sais c'est comme la peur, j'espère que j'aurai jamais d'accident de bagnole, mais quand je prends ma bagnole j'ai peur d'un accident. Voilà, bin c'est pareil. C'est la peur d'avoir un accident de représentation. Et puis, là ce qui est assez nouveau parce qu'Uzeste m'a quand même fait goûter une drogue très dure qui est le...le repoussage des limites. La jouissance du repoussage des limites. «repoussage» faudrait trouver un autre mot mais... de l'extension des limites disons. Ou de l'exploration simplement, parce qu'elles sont pas forcément plus loin mais en tout cas j'y touche. Et ça c'est une jouissance qui est ultra-forte. Et je suis devenue dépendant de cette chose, cet état. Un état de liberté tel que j'ai l'impression d'être au milieu d'un brasier ardant! Un truc, c'est vraiment de la drogue. C'est à dire c'est d'une puissance! Enfin je dis «c'est vraiment de la drogue», je prends pas vraiment de drogue donc je sais pas vraiment ce que c'est. Mais c'est addictif d'une part et, je vais justement y revenir, et c'est d'une puissance énorme quoi. C'est vraiment très puissant cette chose-là. Quand je touche ça du doigt, je suis hyper-heureuse pour des semaines. Ma peur, en ce moment, c'est de ne pas retrouver ça.

AL: Pourquoi?

JK: Parce qu'on trouve pas à tous les coups. C'est la peur d'être sèche. C'est la peur de monter sur scène de faire un p'tit truc où j'aurais capitalisé ce que je sais faire et... ça peut être très agréable hein de capitaliser, mais pas ici. Ici ça ne m'intéresse pas de capitaliser. Ici ça m'intéresse de jouer avec la plaie et de voir où ça en est de la cicatrisation, de la... je sais pas quoi. Y a quelque chose qui est de l'ordre du, qui est un peu... C'est pas du masochisme. Je pense vraiment pas que ce soit du masochisme, même si je parle de blessure et tout ça, mais c'est de l'ordre de la jouissance un peu limite. Peut-être.

AL: (rires) (Silence) Et euh... Je suis désolée pour le coup je vais revenir sur quelque chose dont on a parlait parce que ça a tellement sauté que j'ai pas pu suivre mes...mes feuilles. Mais c'est très bien. Et, toujours Marie Buscatto, elle décrit quelque chose que je trouve intéressant; le besoin en tant qu'artiste d'être supporté-e d'être soutenu-e, euh, notamment par

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le conjoint. Tu parlais de la famille pour la légitimité. Et... Donc, et puis, donc voilà. Moralement, mais aussi sur la vie de famille si y a bin des enfants ou des parents à s'occuper, enfin ces choses-là. Et elle remarque que les femmes se retrouvent souvent à porter ce rôle pour leur conjoint et pour elle, ces femmes musiciennes puisqu'elles sont en général mélangées (sous-entendu «avec des musiciens», voir antérieurement dans l'entretien). Et au fur et à mesure des années, le conjoint se retrouve à progresser plus qu'elle qui se trouve dans ce double rôle de... de femme d'un musicien et de musicienne. Dilemme qui, apparemment, pour elle, n'est pas chez les hommes. Est-ce que toi tu peux avoir ce sentiment-là? Puisque vous êtes tous les deux musiciens, ça me questionne.

JK: Je l'ai pas du tout. D'abord j'ai pas d'enfant. Donc la question ne se pose pas. Ensuite on a chacun, même si on est ici chez nous deux, et qu'à Lille on est chez nous deux aussi, on a chacun un espace de prédilection. Et y a une égalité, euh, une égalité maximale entre mon compagnon et moi. Enfin moi j'en suis très satisfaite. Je ne mets jamais mon... Le boulot pour moi est très important. L'amour est très important mais le boulot est très important aussi. Et je ne mets jam... Je ne fais jamais de choix anti-professionnel pour le servir lui, ou pour servir le couple, une idée du couple. D'ailleurs il me l'a interdit formellement, plusieurs fois. Et ... je pense lui avoir interdit aussi plusieurs fois mais... C'est à dire on a mutuellement, je crois, un respect de l'autre et de la progression de l'autre qui est, qui est aiguë. Par contre la question se pose tout le temps, je pense dans tout couple. On serait un couple homosexuel, ce serait la même chose. Je pense que là y a un, y a toujours la question de la progression, et pour le boulot, et pour le couple, il est pas inutile de progresser, pas en même temps parce que c'est impossible, mais d'être attentif, euh, pas laisser l'autre sur le côté, surtout pas se laisser soi sur le côté. Mais vraiment la question domestique, pour moi c'est une question dont je suis absolument indemne. Je suis vraiment pas une femme d'intérieur en plus. (rires)

AL: Ok. Euh... ok. Et... Pour toi, qu'est-ce que signifie le féminisme? Là je vais rentrer sur des globalités.

JK: Mmm. J'ai peur de dire des conneries. Le féminisme pour moi c'est une nécessité, euh, sociale. C'est à dire c'est une action qu'il faut mener afin de s'approcher de cet idéal qui pour moi est impossible à contester, qui est l'égalité entre les Hommes, en général, entre les humains en général. Et que le féminisme, c'est un des points ultra-chauds de cette avancée-là. C'est à dire que le machisme, ou la misogynie, ou le patriarcat, sont des freins à l'égalité entre humains. (Silence)

AL: Et pour le coup, est-ce que pour toi il existerait un art féministe?

JK: Peut-être qu'il en existe. Je.. Je ne le connais pas. (Silence) Il y a la réalité telle que je la perçois, et il y a ce dont je rêve. Alors bien sûr j'ai tendance à parler de ce dont je rêve. Je pense qu'en effet, je produis un art féministe en partie. Contrairement à ce que j'ai dit au début de cet entretien. De fait, mon art est forcément, comme je te disais, à la fois gauchiste et à la fois féministe par exemple. Parce que ce sont pour moi des choix, éthiques et politiques incontournables. Ce sont mes choix. J'espère que si j'étais un

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homme je ferais aussi le choix du féminisme. Vraiment! Sincèrement je l'espère parce que je pense que c'est très important. Pour le respect de tous. Et... Je pense, du coup oui, y a du féminisme dans mes, dans ma pratique, dans mon discours, dans mon art. Est-ce qu'il y a un art féministe? Je pense qu'il y en a plein. En fait y a plein d'arts faits par des femmes. Mais encore une fois, par contre, parler de ce que je souhaite et de comment j'ai envie de lire le monde pour pas péter un plomb. Euh, je ne souhaite pas regarder l'art des femmes comme un art... forcément fait par des femmes ou forcément à revendication féministe. Je ne souhaite pas ça parce que je trouve que c'est nous cantonner à une fonction, à un état, et quiconque est cantonné est inférieur.

AL: Donc si je comprends bien, si... on ne cantonne pas les femmes, euh, à un art féministe, on peut supposer que toutes les femmes ne produisent pas un art féministe et que donc des hommes peuvent produire un, un art féministe?

JK: Je pense que oui.

AL: Est-ce que tu en aurais un exemple ici par exemple?

JK: Alors, des hommes qui produisent un art féministe...

AL: Ici ou ailleurs, d'ailleurs.

JK: Ici euh... J'allais dire Bernard Lubat pour rigoler mais bien sûr je rigole... totalement (rires). Euh... Un Art féministe! Quelle bonne question. Il faudrait que je réfléchisse à ta question. Que je me cultive un peu. Je suis sûr que ça existe. Mais c'est vrai que quand tu poses cette question j'ai tendance à chercher du côté des hommes qui ont soutenu leur femme artiste. Tu vois. C'est à dire, à repasser quand même par le couple et le domestique.

AL: Mmm-mh

JK: Bon j'ai rencontré y a quelques années, dans un concert à Paris, un chanteur québécois, qui fait des chansons pas mal du tout. Et qui lui se revendique comme féministe. Mais il n'est pas, euh, ses chansons ne sont pas spécialement féministes. (Silence) Mais dans la mesure où il est féministe, j'aimerai bien, j'aimerai me dire que quiconque, alors à ce moment-là ok, quiconque est féministe produit un art féministe? (Silence) J'ai pas de réponse à ça.

AL: Eum... Et, dans l'entretien tout à l'heure tu as parlé d'art féminin, que l'on te décrivait comme un art féminin, enfin comme une artiste féminine. Euh, tu l'as évoqué à un autre moment... Sur de la création mais pas la tienne. Et donc, pour toi est-ce qu'il y a une définition d'un art féminin, d'un art masculin?

JK: Vraiment non. Et je, je, en tout cas je travaille à ne pas faire, à ne pas cautionner ça. Là je, quand je dis ça vraiment je parle des autres. C'est à dire, on m'a souvent renvoyé, on me renvoie souvent que ce que je fais est féminin. Par exemple, quelqu'un - qui est une femme d'ailleurs hein, de très aimable, de très fin aussi euh, m'a dit cet été après le trio avec les... la batteuse et la harpiste, maintenant j'évite de dire les filles, je l'ai dit au début, maintenant j'ai arrêté (rires). Enfin «au début», y a six mois. Eumh - m'a dit : «Mais c'était très féminin ce que vous avez fait». Bon là j'ai sorti les griffes, les dents, tout ça, les lasers dans les yeux. Elle m'a dit: «Mais non, c'était très féminin parce que vous vous écoutiez beaucoup. Et que dans les groupes de musique improvisée -parce que c'était de la musique

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improvisée qui est quand même un domaine un peu réservé aux hommes. Encore. Donc - que dans les groupes de musique improvisée y a souvent, pas cette écoute-là». Je sais pas si elle a raison. J'espère qu'elle a tort. Mais encore une fois, voilà, on était des femmes, on était, on avait des énergies féminines, euh, des beautés féminines. On nous a parlé de notre aspect, de notre beauté, d'à quel point c'était chouette de voir trois belles femmes qui jouaient. Je sais qu'un ami d'une amie qui est venu a dit, bien sûr c'est des blagues, hein Anna, c'est pas... Mais j'entends, euh, une copine de Lille qui connait un musicien qui était là cet été qui m'dit: «Ah bin oui, machin m'a dit», «J'ai dit à machin que t'étais contente qu'il soit venu te voir toi plutôt que le groupe qui joue en face qui étaient ses potes.» J'préfère pas nommer en l'occurrence. Et... Et il lui a répondu: «Ah mais tu sais comment j'suis moi, si y a trois belles gonzesses qui jouent, j'préfère aller à ça plutôt qu'aller voir sept barbus». Et moi je l'ai mal pris. Ça me fait chier. J'croyais, peut-être avec raison d'ailleurs, il a, c'était surement une vanne, mais j'croyais que c'était vraiment par curiosité qu'il était venu nous voir. Voilà. Je crois ça. Toujours. En plus j'ai.. Je me suis beaucoup éloignée de ta question...

AL: Euh, non je demandais sur, euh...

JK: Ah oui! L'art féminin.

AL: Ou l'art masculin.

JK: Ou l'art masculin. En fait, quand je dis que je m'empêche, que je refuse de fonctionner comme ça, ça me demande un effort aussi. C'est à dire, je ne peux pas moi-même m'empêcher. Et je me bats contre ça! De, d'ouvrir un bouquin, et si c'est écrit par une femme, d'en attendre un peu moins, ou d'en attendre des préoccupations un peu plus gnangnan, bidule, je sais pas. Tout un tas de schémas de merde comme ça. Je suis sujette à des schémas débiles dans ce genre-là. Et je les combats. Je vois pas d'autres solutions. Ils sont là. Ils m'ont été inculqués, et j'essaie de m'en sortir. De la même façon, quand une femme joue de musique. De la même façon quand une femme, sans doute réalise un film, mais je ne suis pas très, euh, cinéphile. Voilà. Il y a toujours une suspicion. Une suspicion. je reprends ce mot parce qu'il me semble important. Quand la femme est artiste, une suspicion née, soit de ce «sale féminisme» qui serait contre les hommes. Alors que non, «féminisme», comme beaucoup de gens, n'est pas du tout contre les hommes, il est pour tout le monde, je le souligne. Heu. Soit de, bin de faible qualité artistique. Parce que je suis quand même le produit de ce monde d'hommes. Je suis quand même le produit, par exemple j'ai lu énormément de littérature. Je suis d'abord une littéraire avant d'être une musicienne, chronologiquement. Et je n'ai lu presque que des bouquins d'hommes! Parce que dans l'histoire, et pour la musique classique c'est la même chose, des compositions masculines! Et pour la peinture, je me suis dévorée de la peinture aussi quand j'étais ado et jeune fille, eh, tous les musées où je suis allée y avait toujours plus d'hommes. Et je me voyais, à dix-huit ans ou à vingt ans, quand je suis arrivée à Lille, face à des oeuvres de Sonia Delaunay, qui est une femme de, du, plus qui je crois était originaire du nord, au LaM, Musée d'art moderne de Lille. Qui est un beau musée. Et je me voyais face à Sonia Delaunay, en train de

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me dire, où à Marie Laurencin, qui était la chérie d'Apollinaire, si je ne me trompe pas. Enfin qui a était, qui était une copine en tout cas de, c'est, elle était dans le coup. De me dire «Oh quand même, c'est un peu nunuche ces pastels et ces machins»! Alors peut-être de c'est un peu nunuche Marie Laurencin, j'trouve ça un peu nunuche. Mais, Sonia Delaunay, non! (Silence)

AL: Oui, puis est-ce que tu t'es posé la question sur, euh, les, les nénuphars de Monet...

JK: Absolument pas! Tu as raison. Absolument pas. Enfin si peut-être mais... Non, non mais bien sûr. C'était la suspicion d'abord. Après, ce que l'oeuvre donne à voir ou pas, c'est presque pas important en l'occurrence.

AL: Et est-ce que, par conséquent, eum.. Enfin là tu dis qu'on en attend moins, c'est ce que tu as dit si je ne me trompe pas, donc ces femmes...

JK: Mmm-mh, on attend que ce soit moins bien

AL:On attend que ce soit moins bien et pour le coup, est-ce qu'il faut pas qu'elles fassent mieux qu'un mec? Pour que ce soit apprécié?

JK: Mmh. On dit beaucoup ça. On dit beaucoup ça par exemple. Ou dans l'entreprise. On dit : «Pour qu'une femme accède à un poste égal à celui d'un homme elle a besoin d'en faire, d'être deux ou dix fois meilleure. Pour l'art, euh, ouais j'pense aussi. J'pense que pour la musique de jazz par exemple, j'pense que les filles qui se débrouillent là-dedans... peut-être... doivent être un peu meilleures sur le plan technique peut-être. Mais je suis pas si sûre, je suis pas si sûre.

AL: Et toi en tout cas est-ce que tu t'es autorisée à...

JK: Est-ce qu'il a fallu que je sois meilleure, non. J'ai... Ce que j'ai trouvé c'est un, une niche où il n'y avait pas trop, où j'étais à la croisée des chemins et où ça n'était pas spécifiquement féminin ou masculin. C'est à dire que, par exemple j'ai monté un solo, dans ce solo, j'ai écrit le texte, j'ai fait la mise en scène. Voilà. Dans la mesure où j'ai tout fait toute seule, on ne me dit pas, alors peut-être qu'on me dit: «C'est féminin», on me le dit. On me le dit. C'est quelqu'un qui me semble un peu fou qui m'a dit ça donc j'ai pas accordé beaucoup d'importance. Mais, mais voilà. Je touche aux domaines masculins et féminins. Je suis à la fois la chanteuse, et puis l'auteure. Mais on m'a demandé souvent qui avait écrit mon texte. Je ne sais si on m'avait demandé ça si j'étais un homme. Comme je suis parano, j'ai tendance à le penser. Parce qu'en fait quand j'ai commencé à chanter, j'écrivais mes textes. Et, les gens, croyaient, ah «les gens» tu sais! Les gens croyaient très souvent que c'était le guitariste avec lequel je travaillais qui avait écrit les textes. Et ça c'est! Voilà, la virilité, c'est l'intellect. Du côté de l'homme est l'intellect. La puissance c'est le texte. Moi, je, j'avais ma p'tite voix, j'savais pas super bien chanter à mon avis. J'avais ma personnalité, ma gestuelle, mon truc. Mais on me disait: «Dis donc, ils sont vraiment bien tes textes. C'est lui qui les écrit hein, c'est ça?» ou «Qui est-ce qui les écrit?». Et, à la fois je jouissais de dire: «Mais c'est moi. » Et à la fois, j'étais, je pleurais de devoir dire que c'était moi. Euh, je voulais dire un autre truc à ce propos. Ça ça a était, en fait, ça était une de mes premières prises de conscience du problème féminin

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dans l'art. Cette question du texte. Parce qu'en effet, du côté de l'intellect, du sérieux est l'homme. Peut-être que je m'éloigne mais je vais aussi te raconter cette anecdote. Donc je joue avec Claire Bellamy qui est contrebassiste. La contrebasse c'est un instrument, assez viril. Y a pas mal de femme contrebassiste au fond, enfin moi j'en connais pas mal. Mais c'est quand même un instrument qui est connoté virilement. Il a une forme de corps féminin si l'on veut. Il demande de la force, de la taille, euh, de l'attaque. Et Claire a une énergie à part. Dans son apparence, elle est plus brune que moi, elle a plus de sourcils que moi, elle a un visage plus découpé que le mien. Elle est moins féminine. Elle dégage une énergie moins féminine. Je ne dis pas qu'elle est moins féminine que moi, c'est faux. Mais elle, elle, elle a l'air plus rentre-dedans, plus, donc plus masculine. Et il s'est produit aussi plusieurs fois, que quand on faisait un gig355 toutes les deux, les responsables disent: «Donc pour la facture je m'adresse à Claire, hein, c'est elle qui s'occupe de l'administration.» Or c'est moi qui m'en occupe. Mais elle avait la gueule de l'emploi, du côté de la plus virile. C'est elle qui a l'air la plus cash, la plus sérieuse, la plus virile, la plus. Je sais pas. Je m'exprime pas très bien, c'est pas très net pour moi ça. Mais j'ai ressenti très fort à ce moment-là aussi que du côté, tout ce qui était sérieux, donc les chiffres, tout ce qui était finalement puissant aussi, et pas délirant et pas poum-poum-poum-vous-avez-fait-le-spectacle-vous-êtes-sympas, c'était du côté de celle qui avait, qui possédait le plus de caractéristiques masculines.

AL: Et pourtant si on regarde dans le domaine du spectacle en général, l'aspect administratif est souvent relégué aux femmes.

JK: Absolument. C'est pour les femmes. Mais, en l'occurrence, c'est pour ça que je dis, bon moi c'était vraiment un ressenti hein, parce que c'était le moment où on allait parler de fric, donc parler de choses sérieuses. Voilà c'est juste pour ça. J'ai eu la sensation... En fait parce que je me suis demandé: «Pourquoi est-ce qu'ils pensent que c'est Claire qui s'occupent de ça?» Peut-être parce que c'est le vrai boulot aussi. je sais pas. Enfin moi je l'ai pris de manière, euh, je l'ai pris un peu mal.

AL: Mmh. Parce qu'en plus c'était toi qui était en contact avec eux directement?

JK: Oui!

AL: Ah oui, donc ça n'avait aucun sens.

JK: En plus c'est arrivé de nombreuses fois. Tout venait de moi, le, le contact était des mien. Ouais... Bizarre.

AL: Et, tu as cité, euh, Françoise Héritier, est ce que tu as lu d'autres livres qui ont pu t'inspirer sur le féminisme? Ou, et notamment, je pense à Judith Butler qui a pas mal parlé et qui a inspiré pas mal d'artistes. Et je me demandais si ça avait pu, toi te questionner.

JK: Et non, j'ai pas du tout lu ça. En fait j'ai très peu lu sur le féminisme.

AL: D'accord.

JK: J'ai lu deux bouquins de Françoise Héritier parce qu'elle posait tellement bien la question de dire: «Maintenant on va chercher, en deux volumes, à savoir pourquoi la domination

355 Note de JK : « (Argot) Spécialement en jazz, terme de l'argot des musiciens qui désigne un engagement occasionnel généralement sans enjeu artistique. Source wikipedia ! »

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masculine, pourquoi? Pourquoi rationnellement? Pourquoi? Sociologiquement, ethnologiquement... Et, qu'est-ce que. Les seuls trucs que j'ai lu qui pouvaient se rapprocher de ça c'est Journal de la création de Nancy Huston. Qui parle de cette question de la création et de la procréation. Elle postule que la procréation, si j'me souviens bien, est censée être réservée aux, comme elle est réservée aux femmes, la création doit être réservée aux hommes. Et qu'on ne peut pas faire les deux. Et en fait elle écrit cet essai alors qu'elle est enceinte. Y a pas mal de chose. Elle parle beaucoup d'une chambre à soi dans ce bouquin là aussi, si je ne confonds pas avec un autre. Euh... Mais non en fait, j'ai pas beaucoup lu. Je serai curieuse de... Donc si tu pouvais me donner des références je serai curieuse de les lire.

AL: Avec plaisir. Ok. Du coup, tchouc tchouc. Eum... C'est génial en fait parce que, il y a plein de choses sur lesquelles je peux passer parce qu'elles sont déjà dites. Dans, dans tes projets, enfin moi je t'ai toujours vue quasiment en solo ou invitée, ce qui donne quand même une place particulière, et entre mixité et non-mixité, pour toi, quels sont les projets, les productions en tout cas, les, qui te paraissent nécessaires, ou du moins les plus intéressantes?

JK: Je ne comprends pas la question.

AL: Eum. En fait, je me suis posé pas mal la question sur ces ateliers non-mixtes des, des, de groupes féministes, qui ont permis à des femmes de prendre une parole qu'elles n'avaient, qu'elle n'arrivait pas à prendre quand un homme, euh, monopolisait la parole. Et, même s'ils étaient de bonne volonté de venir dans ces groupes de paroles féministes, mais de, force est de constater que s'il y en avait un, il parlait une demi-heure sur une heure. Et, euh, d'ailleurs c'est comme ça que les groupes non-mixtes se sont faits, au MLF par exemple. Et au fur et à mesure, ça a été un constat qui a été conservé et donc une solution qui a été gardée.

JK: Mmmh-m

AL: Et finalement, quand on voit les productions artistiques, il y a des non-mixités qui ne sont pas forcément intelligées de cette manière. Mais, euh, néanmoins, il y a des fois on est amené-e à jouer que entre femmes, que entre hommes ou mélangés. Qu'est-ce qui est intéressant? Est-ce que ça présente des avantages, des inconvénients? Est-ce que, justement, ça pose la question d'un langage qui serait plus féminin, un langage qui serait plus masculin? Tu parlais d'écoute, de concours à la technique, euh, tu vois, de bataille... Est-ce qu'il y a, est-ce que ça peut-être enrichissant ou au contraire handicapant, les deux?

JK: Euh...(Silence) Euuuuuh! (rires) Je ne. Actuellement je ne fais pas toujours la différence, entre les groupes mixtes ou non-mixtes. Si on ne me la fait pas noter en fait. Si on ne me la met pas sous le nez. Eum. Par contre, quand même, pour moi c'est une maturité, en fait ça a été avec une, un gain de maturité, ça a accompagné un grain de maturité pour moi de commencer à travailler avec des femmes. Puisque longtemps je n'ai travaillé qu'avec des hommes. Et j'étais donc la chanteuse, l'écrivain, ou la fille qui trouvait des plans ou tout ça en même temps. D'ailleurs souvent tout ça en même temps. Ou alors je jouais dans des pièces de théâtre, donc on était... pas toujours en mixité d'ailleurs. Mais la distribution était, dans un cas par exemple, on était deux femmes sur scène et un musicien mais qui avait un rôle second, secondaire. C'était l'homme qui écrivait et une femme qui

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mettait en scène. Dans un autre cas, extrême où on était dix comédiens sur scène également en nombre hommes et femmes. Le scénographe était masculin et le metteur en scène était masculin. Euh. Mais j'me suis pas trop posé la question. Ça s'est produit comme ça. Après, y a eu un moment où j'ai choisi, sciemment de jouer avec des femmes. Quand j'ai rencontré Claire, je me suis, j'ai, je me suis consciemment poussée à lui poser la question, en disant: «Est-ce que tu veux bien intégrer mon groupe?» On était déjà quatre, elle a fait la cinquième. Et très rapidement: «Est-ce que tu es d'accord pour qu'on fasse un duo?» Et je me suis sentie très bien de travailler avec une femme. Ça m'a beaucoup reposée en fait. J'ai eu l'impression qu'il y avait un tas de rapports de force qui n'existait plus. Euh... Et puis qu'il y avait un sérieux aussi, qui était, ça, ça m'embête toujours un peu de parler comme ça mais tant pis je vais le dire. Je trouve que, les femmes que je fréquente dans le domaine musical me semble, heu, un peu plus que les hommes, sérieuses et aimer le risque. Je trouve qu'elles vont loin. Les deux personnes avec qui j'ai fait ce spectacle qui s'est joué cet été, c'est des, c'est des filles qui prennent des risques. Elles n'ont... Elles y vont quoi. Et j'ai l'impression que... Et c'est peut-être ça! C'est peut-être la réponse à ta question de toute à l'heure. Est-ce qu'il faut être meilleure pour y arriver. Peut-être que c'est ça. Peut-être que les femmes qui font ça prennent un peu plus de risque que les hommes et qu'elles bossent un peu plus sérieusement. En tout cas moi ça m'a reposée et puis maintenant je m'en fous. J'ai un duo là avec un pianiste qui m'a, que, c'est Minvielle qui m'a recommandée à ce gars-là qui est un type très intéressant. Euh. Je. C'est un bonhomme plus âgé que moi certes. Mais je ne sais pas si ça le désexualise pour autant. Je n'ai pas du tout conscience de jouer avec un homme ou avec une femme. Je m'en fous, je joue avec quelqu'un. Et j'aspire à ça maintenant. J'aimerai bien y arriver. (Silence)

AL: Eum. Alors, j'aurais ma dernière question à la fin. Mais je voudrais juste voir si je n'ai pas oublié des choses parce qu'on, c'était très riche. Et je sais qu'il y a des choses qui sont passées un peu à la trappe. [Pause thé] Oui, par exemple je te demandais où était la peur. Et.. Tu m'as répondu de manière très intéressante d'ailleurs. Et je ne t'ai pas demandé où se trouvait le désir, chez toi.

JK: Mmm!!

AL: Quand même.

JK: Oui! Le désir! Aie, aie, aie. C'est super, c'est devenu, en fait ça a toujours était très important. Bon alors, pareil. Pas d'ordre croissant ou décroissant. Y a le désir d'être aimée, c'est sûr. Mais c'est un «désir de», pas un désir pur. Y a le désir de me rencontrer. Ce qui va avec cette jouissance et la peur de ne pas la trouver. Hein, le désir de trouver, d'aller en face de quelque chose, qui est au-delà du bien et du mal.

AL:Mmmh.

JK: Pour ne citer personne et sans rapport avec Nietzsche vraiment mais. Oui ça en fait. C'est au-delà du bon et du mauvais, y a un truc qui brûle est qui réchauffe. Et ça je désir ardemment me rapprocher de cette chose-là. Et peut-être le désir d'avoir peur aussi. Mais le plus important je crois que c'est le deuxième que j't'ai dit. C'est vraiment le désir d'aller chercher!

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Le désir d'être dans cet état de concentration flottante aussi. Le dés... En fait, cette chose brûlante et chaude dont je te parle c'est à la fois, euh, un état et quelque chose. A la fois un état et un... et un objet. Mais c'est aussi un état. Un état à la fois de flottement et d'extrême concentration. Qui est... Je sais pas je pense que les, je pense qu'on peut devenir fou avec ça. Je pense pas que ça me guette. Je pense que les grands mystiques doivent avoir ce genre de plans. 'fin, tu vois, j'ai, j'mets ça très loin quoi. Pour moi ça se passe très loin.

AL: Ça a été très théorisé en danse ça. L' «awarness», ils appellent ça. Où, très rapidement en fait en danse ils se sont mis à fermer les yeux. Et donc il fallait avoir une conscience de l'autre et donc une concentration extrême pour, en fermant les yeux, savoir où est l'autre. En fait, être en mouvement, réussir à ne plus, à être tellement conscient de l'extérieur et de soi, que le mouvement n'est plus empêché. C'est à dire que si je ferme les yeux et que je suis pas attentive, je suis obligée d'aller doucement sinon je me cogne à la table. Alors que je si je suis dans un tel état de concentration etc. je sais où elle est et je l'évite. Et donc je ne suis pas obligée d'être lente.

JK: Mmmh.

AL: C'est comme si j'avais des yeux. Et ça a été pas mal théorisé et c'est très intéressant.

JK: Et donc ça ouvre les limites. C'est bien. C'est super ce que tu dis. D'une part ça m'intéresse aussi beaucoup, de lire si t'as des choses là-dessus.

AL: Faut que je retrouve. Oui, mais j'ai ça.

JK: Mais en plus, y a l'idée encore une fois des limites. De la liberté. Parce que la liberté c'est ça aussi. La liberté c'est cette chose qui est si désirable. C'est d'un seul coup de se dire: «Tiens bin ça j'en ai plus rien à foutre!». Et t'as l'impression de te débarrasser de sales peaux quoi. Et en plus parfois c'est définitif. Je ne pense pas que l'on monte sur scène pour se soigner; Je pense que c'est un peu risque de penser ça. Mais on nettoie quand même des choses. (Silence) Mais pour moi, le désir va avec le courage dont Bernard parlait hier soir aussi, tu vois, mais j'suis assez d'accord sur les [mot parasité par le tintement de l'église], et l'importance du courage. C'est un mouvement. Pour moi le désir c'est un mouvement. C'est actif. C'est une motion quoi.

AL: Ils appellent ça en danse aussi, la «motion». Ok, je vérifie juste encore au cas ou. Ok, c'est super. Et puis peut-être qu'en réécoutant après, y aura des choses sur lesquelles je voudrais revenir plus tard.

JK: Oui, oui. T'hésites pas hein, même par mail si tu veux. Je peux te répondre par écrit aussi, ou par Skype, ou par téléphone.

AL: Et pour le coup, juste ma dernière question; à Uzeste, pour toi, alors... Tu m'avais dit qu'il n'y avait pas d'art masculin/féminin, mais, euh, est-ce que tu penses qu'il existe quand même du féminin et du masculin?

JK: En général?

AL: Oui

JK: Oui.

AL: Alors pour le coup, pour toi à Uzeste, où serait le féminin et le masculin?

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JK: (Silence) Je pense que le féminin et le masculin sont, inégalement répartis chez les personnes, chez les individus. Partout. Et je pense que c'est la même chose à Uzeste qu'ailleurs. C'est à dire qu'y a, si on parle des individus, y a du féminin chez, à peu près, j'pense tous les musiciens que je connais à Uzeste ont une part féminine importante. Ouais je dirai même «importante». Et je pense que les... Pour les autres femmes qui interviennent à Uzeste, je dirais presque «à part toi» mais je peux pas te compter dans le truc puisque tu es l'intervieweuse.

AL: Si, si, parce que...

JK: En tout cas moi, j'me définis, et j'pense que toi aussi, comme quelqu'un qui a une part masculine importante aussi. Moi, en tout cas, je me perçois comme quelqu'un qui a une part masculine importante dans l'action, dans les choix, dans le positionnement. Donc, pour moi c'est des choses, c'est des natures. C'est comme si on disait: «Bon alors le blanc est féminin et puis le noir est masculin. Les yeux bleus sont féminins, les yeux noirs sont masculins. Les cheveux blonds sont féminins, les cheveux noirs sont masculins... A ce moment-là on dirait: «Fabrice Vieira, qui a les cheveux foncés, les yeux foncés, la peau foncée, est masculin ». Et moi qui ai les cheveux clairs, la peau claire, les yeux clairs, suis féminine. Sauf que ça n'a aucun sens. (Silence) Et puis qu'ils y a des hommes qui ont les cheveux clairs, et ainsi de suite. Enfin mon exemple est pourri. Mais tu vois ce que je veux dire.

AL: (rires)

JK: Pour moi c'est juste des couleurs qu'il y a chez les gens quoi. Y a des... Et ça peut changer hein, ça peut bouger, mais. Mais en fait si je regarde bien, les personnes qui sont permanentes à Uzeste, des permanents à Uzeste: Bernard; il a une part féminine importante pour moi. Pas dominante mais importante. Louis; je le connais très peu, mais il me semble que oui. Jules j'en suis sûre. Thomas; je pense que c'est assez équilibré. Enfin quand je dis que c'est «équilibré» c'est pas mieux que ce soit équilibré. Fabrice; je sais qu'il a une part féminine importante. J'oublie personne... Et après si je vois, Paolo, Matis, tous les autres...(Silence)

AL: Et, pour toi où sont les hommes et où sont les femmes à Uzeste Musical?

JK: Pfff... J'vais dire un truc horrible mais je dois le faire quand même; les hommes sont sur scène et les femmes sont à la cuisine. Et à l'organisation. Pas mal. C'est pas suffisant de dire ça, bien sûr. Mais ça reste un peu ça. Quand je dis «ça reste» c'est que bien sûr je souhaiterais que ce soit un peu moins, eum, un peu moins distribué comme ça, un peu moins tranché. Euh... Voilà. Les hommes sont aux décisions. Et les femmes sont aux participations. Ce qui est pas si mal, hein. (Silence) J'ai envie de dire, les hommes sont chez eux et les femmes sont invitées, mais ça ne concerne que moi ça. Je pense. Parce que c'est pas forcément vrai de Martine, ni de Laure d'ailleurs, tu vois.

AL: Oui c'est vrai qu'il y a eu Laure qui a été des fondatrices et qu'on ne voit plus. Alors que, finalement elle est plein de fois sur les photos, c'est une des rares femmes d'ailleurs qui est sur le mur de l'Estaminet, artiste, je compte pas Marie Lubat.

JK: Mais tu as l'intention de l'interviewer Laure?

AL: Oui, mais pas en...

JK: Ce serait intéressant j'pense.

AL: ...pas en discours analysé. Mais oui, oui. Mais après je l'ai déjà fait. Enfin, j'avoue que je me suis basée aussi sur elle, sur des questions où, elle m'a apporté dans mes réflexions.

Post Entretien

[Discussion sur la place d'AL à Uzeste]

JK: Je pense que, souvent, les femmes sont dehors, les hommes sont dedans, quoi!

AL: C'est marrant parce que domestiquement c'est plutôt l'inverse.

JK: Oui, à l'intérieur ouais. Mais dans le coup, dans le truc social, dans le coup quoi! Moi quand je vois un groupe de mecs comme j'ai vu hier sur scène356, moi j'me disais, putain, j'irai bien. Mais y avait quand même chez moi, encore chez moi à mon âge Anna! Un truc qui disait: «J'suis pas dedans, c'est pas ma classe». Bon c'est pas mes potes. C'est vrai. C'est pas mes potes. Des potes j'en ai d'autres. Mais quand même! D'ailleurs, ton positionnement physique sur scène était très flagrant à cet égard. C'était la file qui regarde les garçons jouer. Avec tout ce que ça véhicule aussi, de clichés et de réalités de, 'fin moi je voyais ça.

AL: Qui jouaient, mais qui jouaient les enfants.

JK: Oui, ils faisait les cons. Enfin ils étaient... C'est ça qui était beau d'ailleurs, c'est que tu les regardais avec la maturité d'une adolescente qui regarde des adolescents. Je sais que tu n'es pas une adolescente, ce ne sont plus des adolescents. Mais y avait ce, pour moi cet éclairage-là de «sont vraiment trop cons», «C'est pas possible d'être aussi cons», «Qu'est ce qu'ils font? je comprends pas.»

AL: Ah c'est marrant, c'est pas du tout ce que je voulais mettre au point.

JK: (Incompréhensible)

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356 parti Collectif, collectif de jeunes artiste bordelais, très majoritairement hommes.

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1.1.2.4. Entretien avec Fabrice Vieira

Le 17 mars 2015, de 15h à 17h, 1h40 d'enregistrement

A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste Musical, salle de réunion.

AL: Est-ce que en général, dans la vie ou sur scène, tu te considères comme militant?

FV: Euh, ça oscille. Parce que dans "militant" moi j'entends une forme de combat. Et que y a des fois j'suis militant et y a des fois, je cherche; Je ne suis pas tout le temps militant, je pense pas. Mais ça dépend effectivement des actions qu'on mène. Mais j'essaie. J'essaie d'être militant au maximum des actions que je peux faire.

AL: Et ce serait sur quel(s) terrain(s) dans ce cas des combats?

FV: Euh... Après il faudrait s'entendre sur ce terme "militant"? Toi, t'entends quoi par "militant"? Moi, j'entends quelque chose d'engagée. Donc quelque chose qui lutte contre autre chose que l'on dénoncerait. Et je ne suis pas tout le temps dans cet état que l'on pourrait dire révolté ou assez insurrectionnel... Je... je ... y a un moment ou... peut-être pas comme tout un chacun, mais y a des moments ou moi je, je, je faiblis aussi sur certaines choses et j'ai l'impression de chercher le militant à certains moments. Donc ça serait plutôt ça ma définition du militant. Donc dans ça quand est-ce que je milite? L'endroit, l'endroit le plus militant pour moi c'est effectivement l'endroit social du travail, en général, que je suis le plus militant. Et est-ce que ça me prend le plus large de mon temps... Et c'est ce qui me passionne. C'est, c'est... de cet état social du travail, multiforme, de trouver les moyens de changer, ou de militer, donc de changer et de me changer aussi en même temps quoi. [...]Mon militant il n'est pas axé que sur une seule chose. Il est presque multiface, pour tenter d'améliorer la compréhension et une certaine... liberté, égalité... Voilà. [...] Militant ça va être par exemple euh, d'un point de vue organisationnel d'un évènement, c'est comment chacun peut trouver sa place... sociale, comment il peut gagner sa vie et le mieux possible dans des conditions de travail meilleures. Après, d'un point de vue artistique, c'est trouver, il faut que chaque personne puisse développer et s'émanciper à l'endroit même, au maximum de ce qu'il veut et ce qu'il peut quoi. [...] Si je voulais rapprocher un terme vague et en même temps qui préciserait c'est plutôt de lier le militantisme avec l'humanisme au maximum. [...]

AL: Là, tu viens de parler de trouver sa place, pour toi quelle est ta place à Uzeste, comment est-ce que tu t'y définirais?

FV: Euh, je ne sais pas comment je pourrais la définir sur Uzeste. Ca fait plus de 20 ans que je travaille à Uzeste. J'ai un peu, en 20ans, balayé un nombre incalculable de places. Du strapontin à la technique, à tout un tas de choses. Mais par choix! C'est pas du tout subi. Par choix et puis par volonté, justement, de trouver, de trouver ma place tout en aidant d'autres à trouver la leur. Et en servant un processus au maximum de ce qui pouvait servir le processus. Donc ma place de maintenant elle est un peu faite de toutes ces places-là. C'est à dire comme j'ai balayé un peu, un... beaucoup nombre de places, je me retrouve un peu, dans un endroit que j'avais pas prévu, de responsabilités autant administratives, que techniques, que artistiques. Qui bougent entre elles. A certains moments ce doit être plus certaines positions qui doivent être mises en valeur etc. Mais c'est

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un peu toutes ces contradictions et en même temps toutes ces diversités qui s'affrontent... dans ma place. Donc je me suis laissé découvrir des places... depuis tout le temps. J'ai pas une place calculée que j'avais en arrivant ici, à part la volonté d'être artiste. Ça c'est la place que je veux, mais en général dans la société quelque part. Que j'apprends ici d'ailleurs. Cette place là c'est une place de .... Après la place ici elle découle de l'ensemble des problématiques que j'ai découvert... Mais, moi au centre, c'est l'artistique. A partir de là, prendre le relai pour que l'artistique soit toujours le sens de l'activité ici. [...] Donc ça se traduit par des choses concrètes comme, effectivement, quand les administrateurs ont tous fuis, se retrouver à faire l'administrateur, chose que je n'avais pas prévu de faire, du tout. Ou directeur technique, quand je suis arrivé, les premiers mois, le directeur technique est parti et tu te retrouves à faire directeur technique alors que t'y connais rien en fiche technique et en... et en technique.

AL: T'étais pas technicien avant?

FV: Non. J'avais fait beaucoup de scène, donc j'avais un rapport avec la scène, donc je connaissais les termes etc. mais comment marchait une fiche technique en relation avec un théâtre professionnel, des équipes professionnelles etc. Donc j'ai repris des documents qu'avait laissé le... et puis j'ai appris. Mais il fallait le faire parce qu'il y avait, de toutes façons, un vide, et ce vide il, il, y avait personne d'autre qui était là pour le faire. Donc il a fallu quelqu'un pour le faire. [...]

AL: Et pour toi qu'est-ce que c'est Uzeste Musical?

FV: Euh.... grande question! Déjà c'est une sacrée aventure, qui dure donc depuis plus de 38ans. Moi ça fait pas 38ans que j'y suis, 20ans à peu près. Pour moi ça a été un choix... Euh faudrait remonter à mon cas personnel, je ne sais pas si c'est trop le sujet du mémoire. (Signe d'y aller de ma part) Moi je suis en région parisienne, je suis né en région parisienne. Je fais de la musique. Je fais partie d'une chorale qui est à l'époque qui est euh... un peu reconnue à Paris. On fait des tournées d'été. On fait du jazz en chorale. Et un moment on doit faire un concert avec la Cie Lubat, donc j'ai 13ans. Et, et à l'occasion de ce concert-là, donc on fait une rencontre la veille du concert avec la Cie, un atelier pour faire le final. [...] Et là je suis tombé amoureux, en tout cas cette musique-là m'a secoué, et elle a changé absolument tout, les choses. Et à partir de là je suis resté en contact, surtout avec André Minvielle. Et on s'est vu souvent, j'ai essayé de venir ici, j'ai travaillé ici comme bénévole comme ça, un été, après je suis reparti parce que c'était compliqué... à cet âge-là. Et de fil en aiguille, Uzeste Musical ça a été un peu une façon de voir le développement personnel artistique, très tôt pour moi. Même si j'étais pas de cette région et quelque part avec aucun lien qui ferait que je pourrais m'investir là quoi. Donc je suis venu pour les premiers Uzestivals, je faisais l'aller-retour à Paris les week-ends, je venais jouer. J'avais plutôt 17ans.

AL: Tu venais jouer sur la scène de...

FV: Je venais faire les bals ici. Et je venais écouter les concerts tous les week-ends. C'est les premiers Uzestivals, ça doit dater vers 90, 91. Pas les premiers, y en a eu en 85, mais pour

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ma part c'était plutôt 90. Et la Cie, dès qu'elle pouvait me faire jouer, dans les bals, en région parisienne etc., etc., donc il s'est tissé comme ça, sur le long-court une, une sorte d'amitié, en tout cas d'échange. Même si j'avais pas encore décidé d'être artiste à ce moment-là, ça a toujours guidé mon parcours comme un exemple que, de toutes façons, je voudrais suivre, dans cette capacité à créer un lien social, un environnement, un labo, et en plus essayer de peser sur la société, sur ces choix militants de la société. On rejoint le militant. C'était une façon de découvrir ce militant, de découvrir la politique, de découvrir... euh, c'est quoi de se mêler de la cité. [...] Après, Uzeste Musical, tel qu'il se transforme, je pense que c'est un labo. Un labo émancipation pour tout... Les artistes ici peuvent créer, ils peuvent se tromper, comme il existe, à mon avis, très peu maintenant en France. Je dis pas qu'il en existe pas ailleurs [...]. Mais ici, effectivement on peut créer des spectacles, on peut prendre le temps de se tromper. On peut prendre le temps de créer des spectacles, de proposer des choses qui font que l'artiste change... littéralement. Donc c'est un vrai labo, un vrai lieu d'expérimentations, voilà. Pour moi c'est ça Uzeste Musical. Du point de vue de l'artiste. C'est à dire, c'est l'artiste et l'artistique au centre [...]. C'est pas le cas de beaucoup d'endroit où l'on te demande de tout de suite être performant, de calibrer un projet, ou de rentrer, de tout de suite demander des coproductions avant de créer [...] Après Uzeste Musical pour moi c'est aussi une euh, comme je venais de région parisienne, plutôt milieu rural, c'était une façon de, face à ce que je voyais se développer un peu partout en France, aussi une façon de repenser ce que les gens appelaient la décentralisation culturelle et la politique du territoire. C'était aussi allier un projet qui met l'artiste au centre de la société comme activiste, comme acteur de la société, et en même temps pouvoir être force de proposition d'un point de vue écologique, au sens large de "vie" dans la cité, et après d'un point de vue social et politique de vie aussi, pouvoir peser etc. Bon ça j'ai un peu, pas déchanté mais, je me rends compte que c'est très très difficile. Mais pour moi ça reste ça Uzeste Musical. Même si ça parait comme un échec cette histoire-là, politique, sociale et écologique, je pense que c'est pas Uzeste qui est l'échec, c'est plus tout ce qui est autour qui a rendu ça échec. Mais les plans, les potentialités de changements, de réinventer une ruralité moderne, de réinventer une décentralisation culturelle, de réinventer une politique, réinventer le mot politique etc., y a eu plein de pistes qui ont été envoyée par Uzeste Musical. Et pour moi ça c'est central aussi dans ce qu'est Uzeste Musical. [...]

AL: A Uzeste, j'entends souvent parler de désir et de peur, comme une espèce de dichotomie, ou de duo/duel. Et je me demandais, pour toi, où est la peur et où est le désir.

FV: ... La peur, la seule peur que je connaisse ici c'est le moment de monter sur scène. Et d'ailleurs, si ça devait disparaitre, ça peut sembler un peu con parce que tout le monde dit ça, mais, mais des fois ici on ressent vraiment, on le ressent vraiment quand... parce que quand y a pas grand monde des fois en face, mais même quand y a du monde... La peur c'est ça quoi. Le désir c'est, je pense que c'est... Le désir personnel c'est de se voir avancer, de se voir toujours apprendre des choses nouvelles quand même, même si des fois il faut se remuer, des fois c'est long...héhé. C'est pas très gratifiant, d'apprendre comme ça. Après le désir ça

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pourrait être quand je vois que d'autres y arrivent, et que d'autres s'emparent de tout ça, voilà. Surtout le désir je trouve qu'il est bien quand il est partagé. Quand c'est juste, si ça devait être juste mon désir, je... Quand le village vit, que tu as pu participer à lancer des idées ou à proposer des choses qui fait qu'à un moment donné, y a un lieu de vie qui s'anime, y a des gens, y de la joie, y a du commerce, y a tout un tas de choses. Tu vois, quand tu réactives, ça c'est du désir de réactiver un peu, euh, la vie. L'été, ça fonctionne, y a quelque chose que t'aurais du mal, d'un point de vue désir, que ça s'arrête. [...]

AL: [...] En revenant sur des choses plus générales, pas forcément à Uzeste, là j'interroge plutôt une culture de la Culture, finalement, pour toi quelle serait la répartition hommes/femmes dans le domaine culturel.

FV: Un état des lieux?

AL: Ouais.

FV: Alors euh... D'un point de vue musicien, je vois que c'est.. c'est.. c'est un milieu très masculin. Je connais pas le milieu classique, mais je vois que dans le milieu classique ça a l'air d'être pas du tout pareil. En lien à la formation je pense. En lien à la formation des conservatoires avec une, un travail d'excellence qui est fait qui est plus ouvert. Le milieu administratif et très féminin, pour le coup, en culturel. Pas beaucoup dans les directions, les directions des grandes maisons sont rarement des femmes. C'est surtout des directions, c'est des hommes. Souvent t'as beaucoup de secrétaires de direction femmes. T'as un peu un reflet de la société, en tout cas dans l'administration, t'as un peu des fois un reflet de ce qu'est la hiérarchie, de ce qu'on pense être une hiérarchie d'entrepreneuriat, ou je sais pas, hein, c'est ce que je pense. Euh, dans le milieu de la danse, je pense qu'effectivement y a une représentation aussi équitable ou équilibrée si on peut appeler ça comme ça. Mais qui est encore due à la formation. Et dans la musique qu'on pratique nous, la formation s'est drôlement développée depuis une dizaine ou une quinzaine d'années, y a un équilibre qui est en train de s'opérer, avec de nombreuses femmes qui, qui, qui trouvent leur place dans l'histoire de cette musique...jazz, improvisée, jazz et musiques improvisées quoi.

AL: Là tu me parle d'une avancée vers un équilibre, tu penses que ça s'opère par quels moyens?

FV: Par la formation je crois. Surtout. Par les écoles qui ont donné... et en plus, comme souvent c'est des jeunes filles qui ont fait des écoles depuis très tôt, depuis très tôt elles ont trouvé leur façon d'évoluer à côté de leur génération de garçons. Et souvent elles sont, de toutes façons elles sont aussi capables et elles sont, après, aussi fortes à la sortie de ces écoles que beaucoup de garçons. Après, en ce moment elles bénéficient d'une no-men's, d'une phase un peu de... de grâce; comme elles sont pratiquement les premières, ou elles sont une nouvelle génération de premières... Euh... C'est drôle parce que des fois on en fait...les programmations, les théâtres, en font beaucoup sur elles, elles en font des fois beaucoup moins sur des garçons autant capables. Y a un espèce de renversement dialectique un peu volontariste aussi qui s'éprouve. Pour moi c'est la formation qui a changé beaucoup de choses. La formation et les écoles, mais c'est aussi la démocratisation des écoutes. On accède

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de plus en plus facilement à de l'écoute de musique, donc à pouvoir se... à pouvoir complètement être immergé dans... On peut découvrir des choses de plus en plus rapidement, et ça amène aussi un équilibre de formation, pas que par les canons de l'école, par le biais de l'école mais vraiment par cette écoute, par cette euh...[...]

AL: J'ai fait le choix de prendre des citations de Marie Buscatto qui a beaucoup travailler sur les musiciennes, les chanteuses aussi mais surtout les musiciennes, de jazz. Et je trouvais ça intéressant puisque, ici vu qu'il y a un choix qui est fait un peu à l'encontre des chanteurs/chanteuses...

FV: Ouais.

AL: ... avec une envie pour la musique, que ce soit incarné par des musiciens ou musiciennes. Je me suis intéressée à son travail sur les musiciennes de jazz.

FV: Oui.

AL: Donc par exemple je cite: "Les musiciennes de jazz ont souvent le sentiment de devoir mener une lutte permanente sans cesse renouvelée avec les musiciens pour s'imposer à eux". Est-ce que toi tu ressens cette bagarre dans d'improvisation, en général, même en tant qu'homme? Et est-ce que tu t'es senti témoin, euh... d'une particularité envers ou pour les femmes dans cette bagarre-là?

FV: Alors moi je me sens me sens pas du tout dans cette bagarre-là. Par contre elle a existé effectivement. C'est plus une ancienne génération de jazz qui, euh, et peut-être aussi une ancienne génération de chanteuses, qui étaient dans un modèle qui se reproduisait. Et la chanteuse c'est quand même souvent elle qui avait l'affaire, elle qui avait trouvé l'affaire. Et les jazzmen ils étaient... ça c'est vraiment pas le jazz du début, c'est vraiment le jazz des années, je dirais 90 etc, ce que j'ai connu, voilà, et les jazzmen étaient un peu dans une nostalgie d'une époque qu'ils ont pas connu dans les années 60, de... d'un laissé aller et d'un... Et en même temps, comme c'était une femme qui avait l'affaire, qui est la chanteuse, c'est elle qui trouve l'affaire, c'est elle qui va devant, c'est elle qui parle, qui... Ils étaient un peu dans une défiance de... je dirais un peu sociale quand même, avec la femme qui, quand même, prend tous les risques et à un moment. Eux n'acceptent pas cette domination, pour certains, mais pour beaucoup, de mémoire. Avec des noms. Mais on va pas le faire... Mais en même temps, ces même mecs-là, face, des fois, à un autre directeur, pas forcément chanteur mais trompettiste ou saxophoniste, ils étaient pas dans les mêmes dispositions. Et à chaque fois l'argument c'est: "T'y connais rien à la musique.", "Toi t'es une chanteuse, tu n'y connais rien à la musique". Donc évidemment y a des anecdotes ou le mec change la tonalité, elle comprend pas la tonalité ou des choses comme ça, certaines chanteuses. Bien sûr y a tout un tas de choses. Mais je pense que c'est un rapport, quand même, de domination, où le, souvent la chanteuse dans ces orchestres c'est elle qui menait l'orchestre, et y avait un peu une défiance à la meneuse. Maintenant je pense, que euh, il reste encore des reliquats peut-être de ces histoires-là, mais c'est vraiment, ça existe plus.

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AL Mais la critique de, si on reprend l'archétype de La chanteuse, c'est quelque chose qui est encore très courant.

FV: Oui, qui est très courant, mais en même temps c'est plus que dans le jazz, ça peut être aussi dans la variété, ça peut être dans le classique. On retrouve le... Mais là, spécifiquement dans le jazz, y avait des chanteuses qui, d'ailleurs des chanteuses qui faisaient l'affaire (qui trouvaient les dates de représentations, géraient les contrats, s'occuper de faire jouer le groupe), mais qui se retrouvaient à gérer un peu des... des gens qui prenaient pas d'initiatives pour faire avancer. Voilà ils étaient là au service minimal derrière la chanteuse. Je pense que c'était une défiance de celle qui avait l'affaire. Alors qu'avec un saxophoniste, dans le milieu spécifique du jazz, c'était pas du tout le même, le même rapport quoi. [...] Mais je pense que ça ça disparait de plus en plus. Parce que y en a qui... parce que y a des chanteuses qui ont beaucoup évolué aussi. Qu'ont développé, d'un point de vue esthétique autre que le jazz, d'autres propositions qui sont dans un rapport avec... l'improvisation en fait, a fait complètement exploser le cadre de ça,[...] L'improvisatrice remet, du fait de cette histoire de l'improvisation, une forme d'égalité.

AL: [Parle des improvisatrices souvent dans des spectacles de non-musique (danse, théâtre, cirque..)]

FV: Et puis je pense que c'est pas que les femmes, je pense que les garçons de cette générations sont aussi dans ce rapport-là. Je pense que le jazz n'a pas su faire évoluer, en général, même si y a des cas particuliers différents, on a pas su faire évoluer son modèle de domination et son modèle de fonctionnement. C'est à dire y a toujours la recherche d'un leader, qui fait quand même le double du boulot des autres, c'est à dire qui écrit, qui trouve les plans et les autres derrière ils servent de sidemen, ou les suiveurs. Y a cette mythologie-là aussi de l'histoire du jazz aussi et des affaires du jazz. Et ces affaires n'existent quasiment plus, il existe des reliquats de tout ça mais ça ne marche plus comme ça. Et y a beaucoup de musiciens qui, ne trouvant pas de désir justement, dans ce modèle-là, ils inventent complètement un autre modèle. Et à partir de là, s'ouvre à eux, pas qu'une esthétique ou pas qu'un milieu, s'ouvre à eux un champ entier de l'artistique. [...]

AL: Avec Juliette j'avais discuté, une fois, à la table ovale notamment, elle était à côté de moi et je lui ai demandé: "Si tu y étais, tu aurais parlé de quoi?" Et elle m'avait parlé de la légitimité. Et en faisant des lectures, la légitimité est un sujet qui revient régulièrement, sur le...

FV: Tu tombes très bien! Parce que c'est mon sujet favori. Parce que je pense que c'est pas qu'un sujet féminin, c'est un sujet central de la vie. Je pense, encore une fois en étant né en banlieue parisienne même si un peu rurale, j'étais en lycée dit à haut potentiel de garnements (Rires). Et pour moi le sujet central c'est la légitimité des êtres. Y a des moments où c'est la grande inégalité qu'il faut combattre, mais on peut combattre que par, justement, impulser de l'égalité. Y a des gens, pur des raisons X-Y, et c'est comme ça, y a des gens qui naissent avec de la légitimité et y en a d'autres, ils ne peuvent que le découvrir qu'ils ont de la légitimité. Et c'est un combat. Moi pour ma part, ça a été un combat aussi, de me sentir

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légitime à dire à un moment donné: "Je veux faire de l'artistique", ou "Je veux...", voilà, c'est un combat à mener. C'est un combat qui n'est jamais gagné d'avance, il faut toujours repousser les limites de ça. Dès que ça n'existe plus c'est qu'on se trompe, c'est qu'en fait-on... Voilà, pour moi, c'est une façon d'être militant aussi. [...] Y a aucune loi qui peut donner ça. Y a aucun quota qui peut donner ça. C'est comment faire comprendre à tout le monde qu'il est légitime. Justement, du moment qu'il a le désir d'apprendre et de franchir des étapes, tout le monde peut arriver à quelque chose. Mais pour ça il faut l'impulsion nécessaire minimale, et cette impulsion nécessaire minimale j'ai l'impression qu'elle s'appelle "Légitimité". Voilà, c'est le cadre général. Pour plein de jeunes gens en ce moment, je pense qu'on leur dit pas assez qu'ils sont légitimes, de faire, de penser et donc on se réfugie dans plein de choses. [...] A un moment donnée, tu nés, tu es légitime. Le vivant est légitime. A partir de là, on peut tout se permettre. C'est à dire y a un espèce de socle d'existence, où t'existes quoi.

AL: Après quand tu dis "Aucun quota ne peut "...

FV: C'est exagéré, effectivement.

AL: Nan mais sur le moment je peux comprendre que la personne qui est choisie pour remplir le quota ne se sente pas légitime-à, parce qu'elle peut considérer que c'est pour remplir le quota. Mais est-ce que, en tant qu'enfant, si mettons moi y a 10 ans, je vois que sur les listes électorales y a une grande diversité de sexe, mais aussi d'âges, de races, est-ce que si moi je suis... une jeune femme noire, ça ne eut pas me... me permettre de me penser si ce n'est légitime, mais au moins potentiellement légitime à ...

FV: Oh c'est sûr.

AL:...accéder à ces postes-là?

FV: Si, si. C'est sûr. C'est sûr. Et d'ailleurs je sais que pour les dernières nominations dans les théâtres nationaux y a eu une volonté légitimiste, je sais pas si on peut appeler ça comme ça, en tout cas y a eu un vrai volontarisme d'inscrire des femmes en tant que directrices. C'est comme ça qu'à Bordeaux y a Marnas au TNBA, et que là y a eu un grand combat par rapport à des hommes qui, toujours pareil, qui disent: "Mais pourquoi on va changer de député alors que ceux qui sont là, y sont déjà, font bien leur boulot. " Donc pourquoi est-ce qu'on changerait ce truc conservateur et qu'on ferait entrer les femmes par la loi obligatoire alors que les autres font bien leur boulot. Mais le sujet n'est pas là, effectivement. Le sujet il est dans une, dans donner du symbole, je te rejoins effectivement, de donner du sens au mot légitimité, ou égalité pour le coup.

AL: [...]

FV: Mais là-dessus je suis toujours en bisbille parce que je... je sais pas si le quota est bon, si, enfin tu vois, je m'interroge toujours là-dessus quoi. Je vois tout de suite le côté positif, politique, c'est à dire pour accélérer les choses, et je sais très bien qu'à chaque fois dans ça, y a quand même un revers de la médaille. [Digression sur les quotas des universités brésiliennes] En ça je trouve que les élections qui se profilent maintenant [départementales], je trouve que l'idée d'imposer un binôme est quelque chose d'intéressant. Parce que ça prend

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la place de personne. C'est pas l'élu qui, qui, j'ai réfléchi ça y a pas longtemps, c'est pas l'élu qui représente le canton, en gros c'est un binôme. Et c'est un binôme homme/femme. C'est à dire que la femme n'a pris la place de personne, par contre elle est l'égale de l'homme à cet endroit-là. Là je trouve que c'est intéressant comme proposition électorale.

AL: Oui et puis ça va permettre à beaucoup de femme de se former à ces jeux politiques, certaines qui n'y verront aucun intérêt et d'autres qui y prendront goût comme leurs homologues.

FV: Et je me disais dans la représentativité politique, ce serait pas mal d'avoir, à plein d'endroits, un binôme. Plutôt que de nommer un homme ou une femme. Après faut voir les endroits où y a une responsabilité... mais y a des endroits comme les départements, les député-es, ça pourrait être, hein, peut-être moins de député-es, mais un vrai binôme sur le territoire plutôt que... Enfin sur le territoire on a UN député, c'est homme, UN député c'est une femme. Avec tout ce que ça trimballe comme, comme conservatisme et comme, de toutes façons comme reliquats de la domination de l'homme depuis longtemps sur ces sujets. Voilà, je trouve que pour sortir de ça c'est presque l'égalité, l'égalité de traitement, l'égalité des chances et puis l'égalité peut-être symbolique du pouvoir. Pourquoi le pouvoir serait détenu par, soit un homme, soit une femme? [...]

AL: Après, faut espérer que le département ce ne soit pas, les hommes qui vont aux réunions régaliennes, économiques, agricoles etc. et les femmes qui aillent à la santé...

FV: ...culture et la famille.

AL: Ouais voilà.

FV: Mais pour l'instant c'est comme ça. Et évidemment ça sera encore comme ça partout. Tout ce qui est finance, y a aucune femme qui tient les finances. De mémoire, je ne vois pas de ministre des finances en France femme.

AL: Dans le genre, y a la garde des sceaux. [...]

FV: L'histoire des quotas, c'est troublant pour moi parce que c'est toujours euh... Le problème c'est que quand on parle de quottas j'ai l'impression qu'on parle de "prendre la place", si tu veux. Et donc on déstabilise quelque chose quoi. Y a pas une transition qui se fait. Mais en même temps, comme arme politique d'accélération du temps, y a pas mieux, ça c'est clair.

AL: Et après, à Uzeste, si on réfléchit en terme de quotas, en plus y a la "chance " d'avoir différentes scènes. C'est pas parce que sur la quantité on met autant d'hommes que de femmes, ou de black que de blancs, qu'ils sont forcément aux mêmes endroits. On peut garder des "têtes d'affiche" qui vont bien, qui font ramener du monde, sur les grosses scènes, parce qu'il y a aussi l'enjeu économique. Faut que vous surviviez. Mais... Tu parles de faire des quotas sans que personnes ne soit évincé, de toutes façons dans les programmes y a toujours des personnes qui sont évincées...

FV: Oh bin oui.

AL: Ne serait-ce que par les calendriers des uns et des autres. Euh... Est-ce que c'est déjà un débat que vous avez pu avoir ici?

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FV: Non. Par rapport à Uzeste c'est souvent la critique justifiée et/ou injustifiée, je sais pas, ça dépend d'où elle vient aussi cette critique, de qui, qu'il n'y a pas assez de femmes. Voilà. Euh... Quand on fait les programmes, ou même la plupart des gens quand ils font leur programme, ils ne réfléchissent pas en tant que sexe. Tu vois dans la programmation, ça revient à ça, je pense que ça deviendrait une erreur si on réfléchissait par quota pour le coup. Parce qu'on passerait à côté du vrai choix et du vrai échange artistique.

AL: Nan mais je me dis, pas que là-dedans...

FV: Peut-être que c'était pas la question.

AL: Si, si, c'est ça. Mais, j'essaie de te pousser.

FV: (Rigole)

AL: C'est à dire que je prends là le modèle que tu viens de me décrire en politique, où tu dis que justement, ça permet à des femmes notamment d'acquérir des compétences parce qu'elles sont mises devant le fait de faire. Et que, notamment la prochaine génération, pour le coup, elle se retrouvera à devoir se battre autant que leurs congénères, sans forcément discrimination positive...pour accéder à des postes qui auront été acquis par quota. Est-ce que le fait de... Si là demain, pour l'Hestejada, y a autant d'hommes que de femmes, même si les femmes sont moins compétentes à l'heure actuelle, mettons, supposons, sur la musique, est-ce que le fait de pratiquer et de se retrouver confronter dans ces scènes-là avec les personnes-là, parce que c'est aussi ça qui fait progresser les uns les autres, ça ne leur permettrait pas d'aller vers les termes que tu me disais; égalité, équité, liberté.

FV: Ouais, ouais, ouais... Nan mais t'as raison. (Silence) Si, mais je ne vois pas comment on pourrait le... C'est là qu'intervient la notion qu'on essaie de faire, effectivement il faudrait inviter des artistes... Il faudrait changer la méthode de représentation des choses aussi. Je pense qu'il faudrait inventer des choses. Pour avoir une égalité parfaite, presque avec un quota, c'est par exemple, il faudrait dire: "Bin on fait un spectacle là, le but du spectacle, le principe actif c'est l'improvisation, ce qui fait que tu peux prendre 4femmes, 4hommes". Là tu peux le faire. Tu peux faire un spectacle comme ça, tu choisis 4 improvisatrices que tu trouves compétentes, 4 improvisateurs que tu trouves compétents ou plus. Et puis tu fais comme ça et tu leur dis: "Voilà. Maintenant c'est "égalité" vous le faites". Ça c'est possible. Mais c'est la mode de... c'est le mode de jeu des uns et des autres qui doit évoluer aussi pour que on puisse rendre actif cette histoire-là. Je sais pas si je suis clair. Ça pose un problème de représentation et d'un spectacle euh.... de quel spectacle on écrit quelque part. Et nous comme on écrit pas de spectacles, on est plus dans des jeux, d'inventer des gens qui sont dans l'art d'improviser, donc qui sont capables de fournir eux-mêmes quelque chose très rapidement pour échanger avec l'autre ou pour jouer quelque chose. Je dis pas que les femmes sont pas capables de ça. Mais c'est qu'il y en a encore, à mon avis, y en a mais y en pas tant que ça. C'est en train de changer, ce rapport à l'artistique, y a des femmes formées sur des métiers artistiques, de l'excellence, très bien. Mais sont-elles toutes capables de jouer à ce jeu-là, y en a-t-il beaucoup qui jouent à ce jeu-là? Je sais pas.

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Voilà. Et on les connait pas encore. Il faudrait les connaitre pour pouvoir jouer à ce

truc, qu'on a découvert avec certains qu'on pouvait jouer sous multiples-formes à ça. AL: Parce que j'ai l'impression qu'ici ça apprend à jouer en jouant aussi, avec les autres. FV: Ouais, ouais.

AL: Et je suppose qu'il y a déjà dû avoir des challenges où l'on dit: " tel danseur et tel musicien, vous ça peut être intéressant, donc faites quelque chose, là, à la grange Chao"...

FV: Ouais, bien sûr.

AL: Et sur ce genre de challenge qui font progresser...

FV: Oui mais, pardon je t'ai coupé.

AL: Non, vas-y.

FV: Pour ça il faudrait qu'il y ait plus de jeunes filles. Voilà. Et ça... Quelque part ça va se passer avec une nouvelle génération ce truc-là. Ça se passe avec l'ancienne génération y en a qui ont pris, y compris sur Uzeste, y en a les gens avec qui ont a des parcours depuis longtemps, qui sont des comédienne par exemple, qui ne sont pas... qui n'ont pas plongé dans l'art d'improviser. Ca ne veut pas dire qu'elle n'excelle pas dans leur domaine, mais elle n'ont pas choisi ce truc-là. Surtout les comédiennes pour le coup. Juliette par rapport à ça, Juliette elle a senti le truc en disant: "Maintenant, je pars sur l'idée découverte avec Ducom [poète d'improvisation qui propose des stages à Uzeste] de poésie improvisée, de poésie orale improvisée. Ce qui fait qu'à partir de là, évidemment, ce genre de pratiques tu peux la confronter avec d'autres gens instantanément. A partir de ce moment-là tu es une artiste qui peut jouer sur l'instant. Mais parce qu'on parle d'ici. Ici c'est un cas particulier parce que l'improvisation est au coeur du projet artistique, pour revitaliser l'art de la création. C'est pas vrai partout ça.

AL: Mais je vois par exemple cette expérience assez douloureuse pour certains du... de quand on était 5 du parti Collectif, avec Bernard, toi et les autres de la compagnie.

FV: "Douloureuse" je sais pas, mais peut-être que tu l'as vécue douloureusement. (Rigole)

AL: Ah non, moi ça allé. Mais je pense qu'il y en a certains qui se sont trouvés à rien savoir faire en fait...

FV: Ouais, et là on été à égalité, c'était un garçon ou une fille. Enfin là c'était surtout des garçons parce que du parti Collectif y avait que toi comme fille.

AL: En termes de quantité oui. Ouais. Mais tu vois cet évènement-là qui a été douloureux pour certains, leur a permis de se... de se dire, j'ai encore du chemin à faire, il faut que je travaille l'improvisation aussi dans ce cas scénique-là.

FV: Ouais.

AL: Et là c'est une chance qui leur est donnée, et en effet, ce sont des jeunes hommes qui ont cette chance-là.

FV: Voilà.

AL: Et pourtant c'est pas par leur compétences qu'ils arrivent là, c'est par... Là, ce qu'ils ont produit c'était pas une demande de compétences particulières, c'était une mise en situation, en fait.

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FV: En imagination, oui.

AL: Oui, "mise en imagination". Qui aurait pu être demandé même à une comédienne non-habituée à l'improvisation, ...

FV: oui, bien sûr.

AL: ... et qui aurait pu justement être un déclencheur à cette production. Est-ce que ça ça ne pourrait pas être une aide...

FV: Si, si...

AL: ... vers l'égalité?

FV: Si, pour moi c'est... D'ailleurs on le voit dans la musique parce que l'idée d'improvisation dans la musique, pas forcément dans tous les conservatoires, mais de plus en plus, on apprend de plus en plus la musique avec une approche de l'improvisation. C'est rentré. C'est à dire que ces jeunes filles qui arrive à un niveau professionnel ou reconnu d'artistique dans ce milieu de musique jazz contemporaine etc... Elles ont été confrontées à l'improvisation, elles ont un langage, que le classique n'a pas, d'autonomie sur la rencontre, sur l'égalité. Donc ces filles-là elles sont... Voilà, des femmes comme Joëlle Léandre, c'était une des premières à se charger de ce genre de trucs, et y en a d'autres en Europe parmi elles, mais elle elle était une des premières à le faire. Elle joue avec plein de gens, dans plein de projets différents. Voilà, mais y a des générations maintenant qui arrivent qui savent très très bien faire ça. Et ça a été parce que c'est à l'endroit de la formation qu'il faut agir. Après il faut des scènes comme ici qui soient capables de faire transpirer cette formation. C'est pour ça que ça interroge les quotas, parce qu'au-delà des quotas y aurait... pas un quota mais presque une obligation, et c'est ce qui se passe ici, par l'impulsion volontariste de Bernard, mais parce qu'il sait pour quoi, de forcer les gens à y aller. Il faudrait que des endroits comme ici soient multipliés par beaucoup et qu'à un moment, comme dans ces écoles ou dans ces conservatoires, y a souvent autant de femmes que d'hommes , qu'il y est une espèce de mise en situation immédiate pour rendre la légitimité à tout le monde de pouvoir agir, même si t'es pas la première ou premier de la classe. [...]

AL: Je retourne sur le sujet. Toujours Marie Buscatto, elle travaille sur les réseaux de musiciens, et elle s'est rendu compte que beaucoup de musiciennes sortent des formations en couple, ou lorsqu'elles se professionnalisent se retrouvent en couple avec quelqu'un du métier, un homme du métier en général, programmateur, musicien, agent... et elle décrit un phénomène d'introduction de la musicienne dans le réseau du compagnon qui peut être très bénéfique sur le moment, puisque ça lui permet de jouer, de ne pas être dans des rapports de séduction par rapport aux autres de musiciens, ou quoi...

FV: Ouais

AL: ... mais par contre qu'elles restent toujours un peu à la remorque du compagnon, suivre les projets, sauf s'ils les mènent vraiment ensemble. Et que si y a rupture, c'est elles qui se retrouvent exclues du... du réseau.

FV: Oui je connais très bien le truc. Oui parce que le milieu, le milieu de la musique en général et tenu par les hommes. Et je ne connais pas de directeurs de festivals qui soient une femme,

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il doit y en avoir, mais je connais pas. Euh... elles sont toujours, encore une fois, en deuxième rideau ou elles sont... elles existent mais elles sont... Euh, des directrices d'orchestres femmes, y en a pas beaucoup. Donc le milieu est tenu par les hommes. Ça veut pas dire que les hommes sont mauvais... C'est des hommes qui héritent aussi d'un héritage social. Et donc après, le mélange entre cet héritage social et les histoires amoureuses, c'est détonant! Évidemment. Et donc la femme, comme c'est l'homme qui détient le milieu, et que tout ou tard ça passe par... des circuits que l'homme fréquente aussi, c'est très difficile pour la femme. Et y a autre chose qui est très difficile pour la femme musicienne, c'est le fait de décider d'avoir un enfant pas exemple. Tu vois. Au-delà du statut et tous ces régimes intermittents qui posent problème, y a aussi, moi j'me rappelle d'une copine contrebassiste qui explique ce que c'est que d'avoir un enfant et que quand tu es contrebassiste et que tu travailles dans plusieurs orchestres. C'est à dire que, à un moment t'as toute la période avant d'avoir l'enfant, ou c'est très dur physiquement, t'as une période où tu as l'enfant, tu te fais remplacer, et souvent si ça se passe bien avec un garçon, y a au moins six mois où t'es pas accessible pour le métier. Si ces six mois-là t'avais des grosses dates ou des grosses tournées, tu trouves un remplaçant qui prends ta place et qui pour la suite du projet garde la place. Et après y a toute cette période de reprise où tu allaites l'enfant, où elle dit à un moment donnée: "T'es en train de jouer, t'as des montées de lait, t'as ton costume qui est un peu... (Geste autour du sein) tu vois". Et ça c'est une réalité de faits. Voilà qui rend, là pour le coup, une femme qui décide d'avoir un enfant dans ce milieu c'est très difficile parce que physiquement, ce milieu est très exigeant quand-même. Et c'est excluant aussi. Ça explique pour y a autant de femmes qui décident de ne pas avoir d'enfants dans ce milieu-là. Parce que c'est un arrêt, un arrêt qui peut être fatal dans le développement. [...]

AL: Elle analyse aussi le fait qu'en tant qu'artiste on a besoin d'être soutenu-e, moralement, psychologiquement, sur les compétences, la légitimité d'être sur scène etc., et aussi dans la vie de famille [...] et que beaucoup de femmes se trouvent à jouer les mamans, à soutenir leur homme aussi bien logistiquement que moralement et elles se soutiennent elles-mêmes quoi. Et que pour le coup ça privilégie aussi une ambition plus forte pour le conjoint que pour la conjointe. Toi t'analyses ça aussi?

FV: Alors, ouais, mais j'avais une autre copine qui avait fait une étude. Elle, elle... c'était la soeur de Thierry Madiot qui est un musicien. Elle avait fait une étude sur la vie du musicien en banlieue parisienne, et qu'il y avait 80% des musiciens de jazz qui étaient mariés avec une institutrice [...] [A propos des difficultés d'emplois du temps, de vie]. L'homme on lui accorde peut-être (claque des doigts) la légitimité de sa liberté d'office, dans la vie. Mais une femme est-ce, dans la société pour qu'elle se retrouve à être aussi, à avoir un emploi du temps aussi intensif alors qu'elle n'est pas une executive-women de l'industrie ou de la banque etc., je sais pas si c'est bien accepté dans la société. [...]

AL: Pour toi qu'est-ce que ça signifie "féminisme"? Et est-ce que tu te sens concerné?

FV: Bin pour moi le féminisme c'est le combat de l'égalité femme/homme, donc sans toutes les ramifications qu'il peut avoir. Moi je me sens autant féministe qu'une femme. Et je pense

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que je suis féminisme. Je suis pour l'égalité homme/femme dans les responsabilités, dans l'égalité salariale, dans l'égalité d'inventer les lois qui iront avec, les lois qui tiennent comptent de la différence. "Féminisme" égale pas "l'homme égale de la femme", euh... pas dans l'égalité mais dans la conformité quoi. On n'est pas conforme. [...] Les lois servent à... abolir l'indifférence de la différence. Pour moi c'est ça. Être féministe c'est ça. Effectivement, on est différent. Tenons compte de cette différence pour... dans les lois qu'on construit. Mais avec le principe de dire: "Faut qu'on aille vers une égalité" [...]

AL: Et est-ce que tu as eu les influences artistiques féministes... dans tes recherches?

FV: Non. J'ai vu des spectacles, j'ai vu des... ma compagne qui m'a montré des choses, j'ai entendu des émissions de radio qui m'ont ramené sur des combats comme ça. Par exemple sur la compositrice Nadia Boulanger, sur tout ce qu'elle a du faire pour qu'elle mérite de gagner le concours d'Europe. C'était une émission comme ça... [...] Au cinéma, des choses comme Camille Claudel, qui te marquent quand même dans cette histoire-là. Ça tombe bien puisqu'il y a un film de Tim Burton qui est sur cette histoire-là. Un homme qui récupère la peinture de sa femme et signe tous les tableaux après quoi. Des femmes qui n'ont pas été publiées, ça c'est Juliette qui me l'avait donné, et qui ont pris un pseudo-homme et qui ont été publié tout de suite et qui ont été complètement anoblies par la critique357. Voilà, des exemples comme ça, y en a dans l'histoire, ça te révolte. [...] C'est pas une question d'être féministe, c'est qu'à un moment donné tu traites un être humain comme ça! C'est à dire, t'es dans un traitement de choses qui est complètement illégitime quoi.

AL: Et des débats de la CGT, je ne sais pas si t'y est allé..

FV: Pas tous.

AL: Et ça t'apporte quelque chose là-dessus? Ça te nourrit?

FV: Euh... Si, si j'suis honnête j'aurais l'intention de dire non. Mais je ne les ai pas, à mon avis, assez bien suivis pour dire oui ou non.

AL: Et pour toi est-ce qu'il peut exister un art féministe?

FV: (Silence) Je pense qu'il y a des femmes qui sont tellement confrontées à l'opposition, qu'elles ont dû inventer forcément une révolte qui parle de leur condition de femmes. Donc ça doit exister. Et je pense que ça existe. Mais intégralement féministe, non. Peut-être qu'il y aurait quelque chose de l'ordre de la révolte qui serait féministe, où le moteur. En ça je pense à l'exposition de Niki de Saint Phalle à Paris, pour le moment elle a une performance qu'elle fait, où elle a des tableaux, avec des... de la peinture emprisonnée dedans, des fois c'est des corps de femmes, des morceaux... [...] C'est pas un art féministe, mais un art qui revendique un combat là-dessus, sur ça. Je pense que les femmes en parlent différemment que les hommes. En ce sens on peut-être parler d'art féministe. Mais pas d'un point de vue militant politique mais symbolique de révolte et d'interrogation.

AL: Et dans le même sens, que signifierait pour toi "masculin" et "féminin"?

FV: En art?

357 Note : Je pense que c'est une référence au livre Le Journal de la création, de Nancy Huston où l'écrivaine retrace l'histoire de plusieurs femmes écrivaines. Juliette Kapla y fait aussi référence dans son entretien.

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AL: En général...

FV: Je sais pas parce que, moi qui suis, ai une éducation un peu, comment dire...catholique, j'ai toujours été un peu outré de cette histoire de la naissance de la femme, si tu veux, dans la cuisse de l'homme. C'est de... c'est absolument terrifiant ces histoires-là. Dès le départ t'as un espèce de truc qui s'installe. Qu'est-ce qu'un homme, une femme, euh... J'en sais rien en fait. Je découvre à chaque instant, vraiment j'avance avec les yeux bandés là par rapport à ça, j'en sais rien. En fait, plus j'avance, plus j'abandonne des vieux modèles par contre ou des pseudos certitudes sur le sujet, que l'homme serait plus entreprenant et tout un je-sais-pas-quoi de, tout un tas de choses que je gomme qui sont quand même soit donné par ta famille, ton environnement, soit pas tout ce qu'on injecte de... Je ne sais plus ce que c'est. Plus ça va, plus je ne vois dans les relations, que de l'égalité en fait. [...]

AL: Est-ce que sur des travaux professionnels mixtes ou non-mixtes, qu'est-ce qui a été pour toi le plus difficile ou le plus intéressant, le plus facile. Quelles sont les... Est-ce que le fait de travailler avec des personnes du sexe opposé change la donne, apporte autre chose?

FV: Ça dépend dans quel contexte on travaille aussi je crois. C'est pour ça que les contextes les plus ouverts possibles et les plus... les moins sûrs d'eux possibles, amènent des relations différentes. Hélas, après dans mon expérience c'est quand même... Quand tu travailles, par exemple, dans un orchestre où tout est écrit, tu tombes souvent, bon même si y a une femme dedans, t'es dans une espèce de hiérarchie où tu... tu joues la musique d'un mec et y a pratiquement aucun rapport avec les gens parce que t'es dans un rapport de boulot, et y a qu'un rapport de compétition sur les moments de solo où chacun serait en train de se jauger par rapport à d'où il vient, quelles opportunités il a, donc là y a pas vraiment d'échanges. Mais les mêmes mecs... ou.... les mêmes mecs ou les mêmes femmes, mis dans un vrai processus créatif, je pense que c'est riche indifféremment. Je ne sais pas si c'est si c'est plus riche de travailler avec une femme qu'avec un homme, je pense que ça dépend du contexte dans lequel on travaille et avec qui on travaille. Et j'ai trop peu d'expérience dans des milieux différents pour vraiment pouvoir tirer des conclusions sur ça. Mais j'ai l'impression de ça en tout cas.

[...]

AL: Sur Uzeste particulièrement, pour toi où seraient les hommes et les femmes?

FV: Mmmh ouais. Alors là je pense qu'on est toujours lié à l'histoire aussi d'un lieu et on hérite toujours d'une histoire et d'un lieu. Je pense que ce lieu... C'est deux personnes qui l'inventent au départ; Alban et Bernard, euh, "Alban et Bernard" justement, Alban et Marie. Et que, comme dans toute histoire y a des choses qui s'installent. Eux, ce qu'ils avaient installé était peut-être un schéma qui existait, voilà où Marie s'est consacrée à la cuisine, à l'accueil des lieux, à l'épicerie, à beaucoup de choses, Alban il s'est... Il a donné une autre dimension, celle de la politique, de... Ils ont hérité aussi d'un fonctionnement, homme/femme qui existe assez classiquement, qu'ils ont essayé de bousculer à mon avis, mais qui... des fois t'as des choses qui sont plus fortes que toi. Et on est un peu héritier de cette histoire-là. Et je trouve qu'à l'heure actuelle on retrouve un

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peu ce schéma, qu'on essaie d'interroger tout le temps. Mais y a quand même ce schéma aussi qui est autant des hommes et des femmes, des fois la femme va directement aux choses telles qu'on pense qu'elle doit le faire etc. C'est là qu'il y a un combat qui est à mener, c'est pour ça qu'il est à mener autant par les hommes que par les femmes, et qu'il y a des choses à interroger. Même si, le fait qu'on... Notre sujet est l'artistique, elle remet en cause et en crise toutes ces situations. Mais dès qu'on fait plus attention on retourne sur des situations de l'historicité, de, d'où ça vient. Parce qu'en même temps c'est l'historicité du rapport homme/femme, à mon avis. Donc c'est un combat, enfin une vigilance. Il faut être vigilant pour qu'on réinterroge les vieux, les vieilles formes pour, pour, pour les interroger, pour voir si c'est vraiment un choix ou si on est en train de reproduire un modèle.

AL: Et toi tu te sens comment, presque affectivement, par rapport à ça?

FV: Ah bin je me sens troublé parce que... parce que c'est une situation qui me va aussi. Si tu veux en tant que... je sais pas, quel enfant ou je sais pas quoi, mais, cette situation que je laisse des fois s'installer, aussi, personnellement, et que je ne le remets pas en branle. C'est là où je parle de vigilance.

[...]

AL: [...] Sauf si tu as d'autres solutions, propositions en tête mais on a déjà évoqué les histoires de quotas, de formation...

FV: Non, non... Après je ne sais pas si on a fait le tour des questions. Après, des fois quand les gens disent qu'artistiquement y a pas assez de femmes, c'est le problème aussi du public, qui... le public en général j'ai l'impression qu'il est attiré vers les artistes hommes beaucoup aussi. Et que.. Ou alors des femmes qui... Y a aussi le public qui doit évoluer, dans ces milieux-là je pense. Dans sa façon de reconnaitre la femme, dans ses prises de risques et pas dans ce qu'il attend de la femme. J'ai l'impression que la femme des fois est plus attendue au tournant que les hommes. Les hommes peuvent se permettre plus de libertés artistiques. Alors que, même, on est au coeur d'un projet qui revendique l'improvisation et une forme de liberté. Quand je disais que le public est bienveillant, c'est vrai, le public est bienveillant, mais quand même, je pense qu'il est, si y a un degré à trouver, plus bienveillant avec les garçons en général qu'avec les femmes.

AL: Mmm... Tu penses qu'il y a ce...

FV: Et qu'une femme a un moment donné...a plus de défi pour convaincre qu'un homme des fois.

AL: On serait presque dans la formule d'entreprise: "Une femme doit faire mieux qu'un homme pour pouvoir faire les mêmes choses"?

FV: J'ai l'impression, j'ai l'impression. Et que quand elle fait, tout simplement, des fois on voit pas, aussi.

[...]

FV: A l'inverse des fois je connais des jeunes filles musiciennes qui sont gênées de leur succès... parce que des programmateurs mecs vont absolument vouloir programmer une femme. Et il

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programme la seule femme et ils vont en faire des tonnes et euh.. tu vois, ça c'est le revers de la médaille. Je sais pas si c'est bien ou pas bien en fait. En plus, quand je dis ça, je juge que c'est pas bien, mais je trouve que quand on fait ça on remet la femme face à s'interroger sur sa légitimité. "Est-ce que je suis vraiment légitime d'être programmée en tête d'affiche alors que mon copain de formation, qui est aussi bon que moi il ne sera jamais programmé en tête d'affiche.

[...]

FV : Donc se pose très tôt, après la question de la compétitivité des uns et des autres, de la concurrence des uns et des autres par rapport à ça. Donc dès qu'on touche à cette histoire d'inégalité homme/femme qui a une influence directe sur la concurrence, t'actives tous les vieux démons puissance dix. J'ai l'impression. Plutôt que de vouloir les régler, tu les réactives. C'est... c'est peut-être faux ce que je dis mais j'ai l'impression de ça.

AL: Ouais... En même temps je pense qu'on poserait exactement les mêmes questions, qui sont en train de se poser d'ailleurs, sur l'égalité des chances sociales financières, ça choque pas pareil.

FV: Ouais...

AL: Tout ce qui est bourses au mérite, tout ce qui est...

FV: Ça pose pas pareil, effectivement. Alors qu'il y a une inégalité qui sera là évidement. AL: [...]

FV: Et puis je pense qu'il faut faire évoluer ce système de concurrence effrénée à quelque chose où on se pose la question de donner du travail à tout le monde à un moment.

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1.1.3. Carnet de bord

Observation immersive

Pourquoi est-ce que la ségrégation horizontale persévère à Uzeste Musical ?

Est-ce que le discours féministe continuerait au sein d'Uzeste si cette égalité était obtenue ?

Quels moyens, modes de pensées sont mis?es en place pour ouvrir des places aux femmes ? (Porte fermée ? Porte déloquée ? Invitation/incitation à leur égard/ discrimination positive ?)

Uzestival automnal

Objectif : m'assurer du soutien des acteur?trices d'Uzeste Musical.

J'ai demandé l'accord de chaque personne liée à ma problématique, pour mener cette recherche. Il y a eu, en globalité trois types de réponses positives :

Toute recherche sur les activités d'Uzeste Musical intéresse. (Fabrice, Louis, Bernard, Laure)

La question du genre m'intéresse/ me trouble. (Juliette, Jaime, Martine, et d'une certaine manière Diane avec qui les discussions se sont accentué sur le genre et non pas sur le terrain.) « Bien sûr que je te soutien » (Jules, Mona...)

La problématique du genre, ne serait-ce qu'énoncée, enclenche des débats avec les personnes ayant répondu des deux premières manières. (Laure qui remarque que les femmes artistes qu'elle connait travaillent souvent seules - écrivaine, peintre, scénariste. Louis questionne sur la perte des repères de genre, est-ce que c'est sain ? Martine raconte des souvenirs d'enseignante ; des différences de comportements des parents envers leurs enfants selon leur sexe. Jaime aussi ouvre un débat.) Le terrain est propice à la germination des questions de genre.

Résidence du parti Collectif à Uzeste Musical, automne 2014

Observation immersive du 29 octobre au 2 novembre

Les lieux :

- L'Estaminet = Théâtre Amusicien dans le bourg d'Uzeste

- Le Moulin = Chez Louis Lubat et sa mère, à Uzeste mais hors du bourg. La plupart des artistes du parti Collectif y dorment durant les résidences uzestoises.

29 octobre 2014

Tanguy, Paolo, Louis, Simon et moi sommes déjà à Uzeste (chez Louis « au moulin »,

plus exactement). Les trois premiers vont à la pêche. Simon et moi restons au Moulin. Louis a impulsé l'envie de soigner l'accueille des «copains », autres artistes du collectif. Il est donc prévu que nous fassions le ménage ensemble, rendez-vous 17h à l'Estaminet. Simon et moi

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faisons le ménage. Nous attendons les autres pour déplacer les instruments et autre matériel de spectacle.

En attendant, nous en venons à discuter de mon sujet de mémoire. Simon pointe qu' « on [leur] dit souvent qu'il n'y a pas de filles dans le pC. Au CAPC par exemple. [Il a] répondu qu'il y en avait derrière, en pensant à [moi]. Et puis y a Mona pas loin. Mais c'est bizarre». Il ressort de cette discussion un intérêt pour le sujet de cette recherche, et pour des solutions.

Paolo et Simon se lance dans l'installation du nouvel écran de fond de scène. J'aide à ouvrir l'échelle et explique la contrainte des perches de ce théâtre. Mon expérience en tant que bénévole technique dans ce lieu me permet d'être entendu sur un point technique (masculin).

Jules, Paul, Clément, Jaime, Fabrice et Thomas nous retrouvent en fin de journée à l'Estaminet.

Le soir, plus ou moins tout le monde participe aux tâches ménagères.

30 octobre 2014

Premier jour de résidence.

Matin

Rendez-vous à 10h... qui sont devenues 11h.

Le travail s'est tourné vers la technique de deux morceaux, mené par Thomas. Louis et Jaime, absents ce matin, ont l'envie de questionner d'autres arts que la musique et l'influence pour mettre le laboratoire en exécution. Clément et moi tendons vers cette envie là, mais avec moi de suivi, ou du moins nous supposons sans suivi. Faut-il que la compétence musicale soit prouvée pour être influent?e/leadeur?se ?

Le midi, Amaro fait rapidement des pâtes pendant que deux vont chercher des chanterelles. Pour les autres, c'est un temps de pause.

Après-midi

Travail des morceaux de bal.

Nous sommes deux filles sur 15 présent?es. Deux non-musiciennes.

La réunion de fin de journée pour définir le programme du lendemain se transforme en débat sur le chemin artistique à prendre pour l'association. Pour le lendemain, la question est de savoir si c'est la technique du bigband qui doit être travaillé ou s'il est plus intéressant d'expérimenter.

Pro-technique : Il y a besoin d'une base sur laquelle se greffer, une base à travailler. Pour pouvoir sortir de ce cadre, il faut être à l'aise dedans.

Pro-expérimentation : La « base » n'est pas la même pour tout le monde. La base doit être transartistiques et donc se travailler ensemble.

Le débat se clôt dans un compromis : le bigband répétera le matin, et on expérimentera l'après-midi.

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31 octobre 2014 Matin

Répétition du Bigband. Mona n'est pas là : que des hommes.

Après-midi

Exercice d'improvisation : solos autour de la consigne « Je ne sais pas jouer de mon instrument »

Sur 14 personnes, une femme (moi), aussi seule non-musicienne.

Tout le monde a fait un solo, sauf Jaime et moi ensemble.

Après deux solos, j'ai pris la parole sur la nécessité d'entrer dans la lumière. Proposition d'un exercice de théâtre pour sentir la lumière les yeux fermés. Les deux solos qui suivent prêtent plus attention à la lumière : mon propos est entendu => terrain favorable à des échanges de compétences.

A la suite de mon intervention, Jaime m'a proposé de monter sur scène (personne n'y allait). Se levant en même temps, il propose gentiment de m'accompagner. J'y vois la proposition d'un duo, exercice intéressant, j'accepte.

Déroulé du duo improvisé Jaime & moi:

Jaime improvisa des textes proches de l'écriture de Falk Richter, dans leur découpage, et à Rodrigo Garcia, sur les sujets empruntés type TV réalité, etc.

Lui très directif : « Reste au centre, dans la lumière. Cherche la lumière ». Malgré la référence à un propos de ma part, la relation était de domination. Boris en tant que spectateur atteste : « très rapidement un rapport homme/femme s'est créé, avec une domination de type marionnette de son côté ». Ce fut mon ressenti aussi, exacerbé par les recherches du mémoire.

J'ai tenté de sortir de son discours, aller à l'inverse, sortir de son rythme frénétique. Je suis montée sur la chaise devant laquelle il statuait. J'ai essayé de le mouvoir, résistance de sa part. Jeu de lolita sur la chaise358. Encore des indications type TV-réalité, mais il s'adressait au public, et par continuité à moi. Je le pousse en dansant. Volonté : inverser les instruments. N'a pas pris le mouvement, j'étais trop petite pour le micro, et puis j'y suis incompétente. J'en suis sortie, il a repris le micro, le schéma s'est reproduit. 359

Donc je fus bien « accompagnée » et non pas « en duo » puisqu'il n'était pas au coeur du problème avec moi. 1) Il n'a pas joué la consigne de ne pas user de son instrument puisqu'il est manieur de mots, et s'est mis au micro. 2) Il s'est positionné en fond de scène, observateur du centre. 3) Il ne se positionnait jamais en fonction de mes propositions (continuité ou rupture), mais imposait le chemin qu'il avait choisi.

Ce n'était pas un duo, donc il n'était pas dans l'envie de se confronter à mes propositions. C'était un accompagnement, donc une assistance, un contre-point pour donner de la valeur à ce

358 Entrée dans le piège, installer un schéma en voulant le dénoncer.

359 Note au 16 novembre : Je regrette encore de ne pas avoir réagi sur le moment, sur scène. Arrêter cette situation que je vivais comme spect-actrice d'une domination que je cherche à dénoncer. J'aurais dû m'arrêter au moment même où j'ai réalisé que nous n'étions pas dans une rencontre saine, à égalité.

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qui était accompagné. Pourquoi ? Pourquoi avec moi mais pas avec un nouveau du collectif ? Pourquoi l'accompagnement et pas le duo ?

Hypothèses :

- Considération de la danse comme non-autonome, à l'inverse de la musique. Et particulièrement dépendante de la musique (donc des musicien?nes). 360

- Jaime avait vu la prestation moyenne, voire mauvaise aux vues de l'échelle de valeurs d'Uzeste Musical, faite par Sarah Meunier et moi il y a deux ans. Il a pu vouloir proposer un soutien, une mise en valeur pour aider une défaillance.

- Une envie de tester une autre relation dans le duo que la rencontre d'égal à égal?e.

Nb : N'étant pas bordelaise, ni musicienne, c'était la première opportunité pour moi de sortir du rôle d'administratrice aux yeux des autres membres du collectif, pour enfiler la casquette d'artiste. Il y avait donc un double-enjeux pour moi : m'affirmer comme multifonction dans l'association et proposer une approche de la scène sans musique. C'est-à-dire, affirmer la transdisciplinarité de la structure en questionnant la dominance de la musique.

Indice de réponse(s) :

Au repas je questionne Jaime sur son intention de départ : « M'as-tu accompagnée ou on

a fait un duo ? ». Le choix des pronoms n'est pas anodin : « tu » ou « on » était acteur ? Il y avait bien « la proposition d'accompagner au début.

Pourquoi pas les autres ?

Les autres, ils ne débutent pas en impro361. (Regard autour de la table) Ah si certains. »

Je crois qu'il s'est rendu compte à ce moment-là de son traitement de faveur. L'idée venait de Louis, il reconnait à la fin de la conversation qu'il aurait dû l'envoyer paitre.

L'idée venant de Louis Lubat, je le questionne sur le pourquoi de cette initiative : « J'avais peur que t'y aille pas toute seule. C'est dur devant les copains... qui sont pas habitués à voir des choses comme ça, ce travail du corps. »

En résulte : une reconnaissance positive de l'intérêt du travail corporel sur scène, et me considère362 comme capable de représenter ce travail. Mais aussi une mise à l'écart des bénéficiaires du volontarisme de discriminations positives.363

Ceci pose une autre question, au-delà du sexisme bienveillant, comment partage-t-on une expérience artistique avec quelqu'un?e considéré?e moins compétent?e. Dans le cas présenté

360 La danse attribuée au féminin considérée comme dépendante de la musique. La musique classique, considérée plus féminine que les plupart des autres danses, est dépendante de la partition... écrite par des hommes. (Cf. Rapport 2006 de Reine PRAT)

361 Ayant pratiqué 3 ans d'improvisation en danse contemporaine, 8 ans de théâtre avec exercices réguliers d'improvisation, plusieurs expériences de spectacles en cirque, danse et théâtre improvisés au dernier moment pour raisons diverses en solo ou duo, l'idée de « débutant?e » semble plus être un préjugé qu'un constat.

362 « Considère » et pas « préjuge » puisque Louis Lubat est le seul du collectif à m'avoir vue sur scène peu de temps avant. Jaime m'avait vu 3ans avant, en difficulté technique (rééducation d'une déchirure musculaire) et artistique (je n'étais pas prête, psychologiquement, à remonter sur scène à cette période).

363 Cette mise à l'écart, encore aujourd'hui en mai, est douloureuse car elle fût vécue comme du sexisme bienveillant.

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précédemment, la réponse fut directive, autoritaire et non poreuse. C'est-à-dire que le dominant s'est affirmé dans cette position en donnant des directives, les imposant si elles n'étaient pas suivies, et n'a pas absorbé de propositions de la part de la dominée. Exemple : Lorsque celle-ci est venue envahir l'espace du dominant, il n'a pas modifié son comportement (ses mots, mais pas son action), lorsqu'elle l'a mobilisé corporellement, il n'a pas absorbé/répondu au mouvement. Lorsqu'elle l'a forcé à sortir de sa place au micro, il n'a pas cherché à construire avec la nouvelle situation => a récupéré sa place. Chacun de ces choix sont des partis-pris qui peuvent très bien se justifier dans une relation en duo. Mais cette relation est uniforme sur toute la durée de la performance, produisant une relation de domination.

Lorsque l'on accueille quelqu'un e de moins expérimenté e, il y a aussi la possibilité de considérer l'autre comme son égal e, moins expérimenté e. Le jeu va alors être de faire ressortir la potentialité des propositions -souvent timides chez un e débutant e. Il s'agit donc de se monter hyper poreux se, et d'enrichir les esquisses proposées. Cette pratique est particulièrement exploité dans les cours de danse contemporaine contact, dont le principe actif est la porosité. Ce procédé met le la novice en situation de réussite, propice au sentiment de légitimité.

Samedi 1 novembre 2014

Préparation d'une sortie de résidence le soir-même.

Matin

Nous allons tous au marché. Après un détour au café, la place est investie d'instruments

et de nos tracts artisanaux. Les musiciens courent partout. C'est drôle, c'est frais. Mona n'ose pas y aller.

Après-midi

Répétition du Bigband. Les non-musicien nes de la formation se trouvent un rôle : Jaime

au mapping vidéo, Clément à la régie son, et moi à la lumière.

Sortie d'Uzine

Le spectacle est passé vite. Au menu : Sortie de trompettes du bar, Bigband classique puis

dissonant, mutinerie contre le chef-d'orchestre, problème post-révolution et coup de théâtre. Les musicien nes ont proposé autre chose que de la musique, mais être musicien ne était une condition sine qua non à la montée sur scène.

Dimanche 2 novembre 2014

Présent es : Martine, Bernard, Fabrice, Louis, Jaime, Paolo, Simon, Mona, Matis,

Clément, moi, Martine Amanieu, Sylvie Gravagna

Débriefing de Sortie d'Uzine

Bernard Lubat a pris le temps de poser les mots sur l'évènement de la veille : « Ce que

j'ai vu hier, c'est l'extension du noyau dur de la Cie Lubat ». Il ne marche pas ses mots : « [la musique était catastrophique, mais il y avait de belles choses]», « ça s'est planté, mais ça s'est

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planté bien ». Puis en parlant de l'Estaminet, il nous ouvre à tous la porte de son lieu et son expérience. Il parle d'un « lieu éduquant collectivement », et nous propose de nous faire jouer si nous venons à Uzeste. Par l'investissement dans le collectif, nous ouvrons des possibilités de réseaux. (Cf. Groupe de pote comme réseau)

Réunion pour l'Uzestival du nouvel an

Bernard Lubat propose diverses choses, plutôt mixte avec les deux comédiennes

présentes.

Un tour de table des propositions du parti Collectif se fait : solos et duos se dessinent. Louis invite Mona en classique, elle accepte. Je me propose aussi, encouragée par Bernard. Discrimination positive/coup de pouce.

Uzestival du nouvel an / 28 décembre 2014

Cabaret philos'autres Poésie : 2 hommes

Théâtre : 4 femmes et 1 homme

Musique : 7 hommes et 1 femme

Danse : 2 femmes

Vidéo : 2 hommes

Les tendances semblent bien similaires entre les chiffres nationaux et le terrain. A

approfondir avec les chiffres des Hestejadas.

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1.2. CORPUS SECONDAIRE

1.2.1. Focus groupe avec Margot Auzier, Louis Lubat, Diane Camus, Jaime Chao

Le 16 mars 2015, de 19h à 22h, 2h40 d'enregistrement

A l'Estaminet, Théâtre Amusicien d'Uzeste Musical, salle de spectacle.

Anna Legrand:[...] D'abord, est-ce que un par un vous pourriez me dire quelle place vous pensez avoir à Uzeste et comment vous vous y définiriez ? (Silence)

Louis Lubat : Vas-y Jaime, on fait le tour de la table.

Jaime Chao: D'accord, «quelle est ma place à Uzeste?». Déjà ma place elle est dans la maison, que j'habite, j'habite sur place, maintenant je vote sur place aussi. Et rue Faza, en descendant ma rue, j'ai la chance d'avoir l'Estaminet, où j'ai appris beaucoup et j'ai un rôle d'apprenant. Que ce soit artistiquement, sur scène, au niveau de la voix et des instruments ou que ce soit technique avec tous les chantiers lumières et de sonorisation que je mets en place. C'est une espèce de lieu centre pour moi. Ça me définit, et je m'y définis, en fait, par Uzeste quoi, par ce qui se passe pour moi, ici.

AL: Diane?

Diane Camus: Moi j'ai grandi à Uzeste, donc c'est mon foyer, c'est mon chez moi, c'est ma famille. Mais quelle est ma place dans Uzeste Musical, euh, elle est en évolution permanente. Je suis passée par plein de stades. Enfants on était dans le théâtre donc un peu les artistes, petits artistes, voilà, du festival. Tous les adultes étaient autour de nous et voilà, on était dans une émulation, oui, artistique. Après j'ai été bénévole pendant des années. J'ai été pendant trois ans en cuisine. J'ai aidé Marie Brunet [à faire la cuisine] pendant je sais pas combien d'année pour les stages. Après là je viens de faire trois ans d'administratif, enfin d'organisation du festival, la régie un peu générale de tout le festival. Et là je suis un peu dans une phase d'évolution parce que ce qui m'intéresse c'est, c'est lier mon activité à Uzeste avec ma formation, ma formation d'architecte. Et donc pourquoi pas travailler plus sur la question de la scénographie. C'est là-dessus que j'ai envie de travailler. Puis même sur les problématiques qui m'intéresse qui sont la ruralité et la place d'un équipement comme Uzeste et d'une activité comme Uzeste comme dynamique territoriale. [...] Ma place elle est dans l'évolution, j'apprends à Uzeste, je suis passé par tous les stades. Et y en aura d'autres.

JC: A toi Loulou.

LL: Donc, euh, moi aussi j'apprends à Uzeste...

JC, LL: (Pouffent de rire)

JC: Entre parenthèses: «Rires».

Tous: (Rires)

LL: Donc moi aussi j'apprends à Uzeste. Donc je suis dans la Cie Lubat. Ma place à Uzeste c'est d'être musicien dans la Cie. Moi je pense que j'ai une place spéciale aussi, enfin «spéciale»... euh, si particulière quand même, parce que je suis le fils de Bernard. Mais je

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pense que je suis dans le même cas que Jaime et Diane c'est à dire que j'apprends à Uzeste et j'apprends à monter sur scène, on apprend aussi à organiser même si c'est pas formuler. J'ai pas un titre de directeur de quoi que ce soit. Mais ça fait longtemps que je programme dans l'Hestejada, qu'on programme tous ensemble. Donc je suis dans une place intermédiaire. Enfin bon...pff je sais pas comment définir. Je suis d'accord avec la définition de Jaime d'apprenant, mais ça je pense que c'est le cas de tout le monde à Uzeste. Sinon on y reste pas très longtemps. Voilà, et d'apprenant faiseur quoi. Le truc c'est on apprend et on fait en même temps. Voilà.

Margot Auzier: Moi ma place, pareil, y a une histoire de... d'enfance. Moi j'ai grandi ici, c'est ma base. J'ai appris à marcher par ici, comme beaucoup de gens ici. Et ma place elle est... C'est très fusionnelle, c'est dans les entrailles quoi. Mais ma place, mon existence à Uzeste elle est absolument pas acquise, même si ce terme ne me plait pas du tout... Je pense que mon existence c'est à moi de grandir encore à Uzeste et, parce que j'en ai envie, et besoin. Et j'apprends, pareil. Mais je pense que parler d'existence c'est pas défini quoi. Sinon je vais vous parler mon complexe de tripes, quoi.

AL: «de tripes»? C'est quoi ça?

MA: Pas d'«OEdipe» mais «des tripes». Ouais, c'est très fusionnelle cette aventure pour moi. Ça vient de loin, c'est très profond. Mais je pense que mon existence elle est, qu'il y a rien qui est écrit, et que je grandi, et on va voir comment j'existe au milieu de tout ça quoi.

AL: Et pour le coup c'est quoi ton «trip de tripes»?

MA: Je transforme le complexe d'OEdipe en complexe de tripes, des entrailles. Voila, parce que je parle des entrailles en parlant d'ici parce que c'est vraiment très, y a beaucoup de fusion et c'est très fort. Donc mon existence pour l'instant, je grandi. Voila.

AL: Et vous deux (Louis, Margot), quand je parle de vous comme «héritiers» ça vous parle ou pas du tout.

LL: «Héritiers» je trouve ça bizarre comme mot.

MA: Moi, je ... si je comprends et je suis d'accord. Totalement.

LL: Mais ça à un sens royal que j'aime pas.

MA: Oui, voilà.

AL: Oui, mais y'a des phrase sur le mur de l'Estam, ou même là, tu vois : « On a que ce qu'on hérite », ce genre de phrase. La notion d'héritage elle est, je pense que je l'ai rarement entendu autant qu'ici.

LL: Bin, parce qu'en plus ça vient pas que de là, c'était même avant. Enfin, tu vois je sais que mon père, avec sa mère et son père c'était déjà très important pour lui avant même qu'il y ait des enfants.

DC: Mais, moi je sais pas si... Je me permets juste. Est-ce que l'héritage, ce que défend Bernard, l'héritage il est pas juste de sang, l'héritage il est culturel... à ce sens-là, on est autant, Jaime et moi qui ne sommes pas à proprement dit des fils-de, mais on est aussi dans l'héritage. Parce qu'on apprend. Parce que ça fait plus de 15 ans qu'on est ici aussi. J'ai l'impression que

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l'héritage il est beaucoup plus large, il n'est pas que filial. Moi je le ressens aussi comme un

héritage.

MA: Ouais, je suis d'accord totalement, mais je pense que cette notion que tu as Anna, elle est

vraie. Je pense que c'est pas évident de s'appeler Auzier tous les jours à Uzeste, ou Lubat.

Bon je dis ça au premier degrés, absolument mais artistiquement, intellectuellement,

psychologiquement je pense que c'est pas rien quoi. Et que, à ce moment-là on peut parler

d'héritage ouais. Mais je suis totalement d'accord avec Diane.

LL: L'héritage euh.... sanguin, c'est pas tellement entre nous, c'est plutôt par rapport aux gens

de l'extérieur que ça....

MA: Oui c'est ça que je dis.

LL: Après, tu vois avec mon père on a décidé de le jouer à fond, qu'on joue tous les deux.

[Référence à Complexe d'oedipe, spectacle en duo.]

MA: Mais moi je me rends compte que j'ai pas le choix, que c'est comme ça.

DC, LL: Point barre/ Oui oui bien sûr.

LL, DC, MA:[...]

LL: Non mais y a un truc particulier si tu veux. Si tu veux à Uzeste dans le jus, effectivement

ça se voit et ça se voit pas... ça dépend sur quoi. Mais après Diane aussi, je sais pas si il faut

le dire, mais Bernard c'est aussi un beau-père pour toi.

DC: Ah bin oui.

JC: Pour moi y a relation filiale aussi.

LL: Puis y a aussi une relation euh...

JC: Et puis l'éducation parce que «relation» c'est «transmission» en fait. «Héritage» c'est

transmission en fait.

MA: Mais autant tous les deux (Jaime et Diane). Enfin j'ai envie de dire...

DC: Oui mis par exemple, dans l'enfance, quand on avait 10ans...moi je, face à Margot et

Juliette (Minvielle, fille d'André Minvielle), j'étais pas, je me sentais pas légitime. Parce que

oui. Et face à Sarah aussi. J'étais là parce que j'étais pièce rapportée. Parce que ma mère était

avec Bernard, mais j'étais pas, j'étais pas légitime.

MA: Tu veux dire que ça a duré beaucoup d'année cette...

DC: Ah oui: Oui oui .

JC: (Voix entre réel intérêt et mime de psychothérapeute) Et c'est encore le cas maintenant?

DC: Bin non.

LL: Oh le relou!

LL, JC, (DC), MA: (Rires)

AL: Mais c'est intéressant ce qu'elle dit parce que la question de la légitimité elle est

extrêmement présente, dans tous les travaux d'accès à des métiers clefs : comment est-ce que

tu te sens légitime? A monter sur scène, à diriger... [...]

MA: En même temps si tu arrives et que tu te penses légitime parce que tu t'appelles Auzier,

t'as absolument pas compris ce qui ce passe.

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DC: Non mais c'est des ressentis qui sont, enfin, à aucun moment dans mon enfance on m'a dit:

« T'es pas légitime ».

MA: Oui, oui, nan mais je comprends bien hein.

DC: C'est juste du ressenti personnel. Même Margot et Juliette, à aucun moment de notre

enfance elles... la question s'est posée . Donc c'était vraiment mon propre regard de personne

extérieure puisque j'étais pas complètement dedans. Enfin j'étais pas née, comme vous,

dedans et, où la question se pose pas. Vous êtes là, vos parents sont là, font ça. Moi j'étais,

mine de rien, une pièce rapportée.

AL: (à Jaime) Et toi pareil t'as aucun rapport euh... et tu te sens légitime?

MA: Enfin Jaime t'es là quand même... on a des...Il a appris à marcher...

DC: Son père était déjà présent avant sa naissance.

JC: Ah non, non. Enfin je pense pas. Moi les premières années j'avais quoi, 5-6ans.

MA: Oh si. Attends, dans le 7ème swing, (à Louis) c'était en quelle année le 7ème swing?

LL: Je sais pas, enfin ça fait très longtemps.

JC: Ouais, ça fait très longtemps; On peut dire oui, c'est comme si j'y étais né.

AL: (à Diane) Toi t'es arrivée...?

DC: Moi j'suis arrivée, euh... Bernard et ma mère se sont mis en... quelle année? J'avais 5 ans,

5 ou 6 ans. [...]

JC: Ouais on avait le même âge, à peu près.

LL; Oui mais Jaime il habitait pas ici.

DC: Jaime il habitait pas ici.

JC: Je venais que les étés, ou les Uzestivaux.

AL: Bin oui, alors justement, comment est-ce que toi tu te sens plus légitime, enfin peut-être,

je sais pas c'est là la question, à y aller? Comment est-ce que tu en es venu à te sentir légitime,

si tu te le sens, sur scène?

JC: Alors avant d'aborder cette question, y avait deux trucs que je voulais aborder. Diane, par

rapport à ce que tu sentais, moi c'est une question que je me pose souvent hein, parce que je

fais confiance à mes sensations aussi. Surtout à mes sensations d'enfants, parce que t'as

beaucoup d'empathie, tu sens les choses. Peut-être que même si consciemment, tu vois, vous

vous disiez pas ça, y avait pas des rapports de forces ou de hiérarchie des fils-de ou des

pièces rapportées? Est-ce que inconsciemment y avait pas aussi ces relations forces? [...]

DC: Moi je pense que c'était que du ressenti.

JC: Ouais mais un ressenti...

DC: Mais profond.

JC: Ouais d'accord, mais il tire ces racines quelque part. Il rebondit sur du réel, même s'il est

non-dit, s'il est intériorisé... je sais pas.

DC: Oui sans doute.

JC: Oui et je voulais aussi nuancer un peu la notion d'héritage, parce que même si...en fait

qu'est-ce que c'est l'héritage ici, en fait pour moi c'est l'aventure uzestoise tu vois. Cette

aventure autour de l'Hestejada, de la Cie Lubat. Et tu peux en hériter très facilement au désir.

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Et j'en vois plein qui viennent, qui partent, etc, depuis 40ans. La Cie Lubat a toujours été, enfin avec Bernard, quelque chose de très généreux, et très transmissif, transmissive-expérience. C'est pas pour rien qu'il parle de ça tu vois. Mais nous on a eu un coup de plus, et ce coup de plus il est important, tu vois parce que Bernard Lubat il a eu un fils, comme lui il a été fils de Alban, quoi tu vois, un fils unique, et on a eu, moi je pense, la chance de faire partie de cette aventure artistique plus facilement et plus simplement parce qu'on était dans les âges, tu vois, assez près de celui de Louis. Donc moi je sais que ce tremplin-là c'est parce que j'ai une amitié avec Louis, qu'on était assez proche d'âge. Et c'est ce qui fait que, alors qu'il y a eu des générations de musiciens hein, d'artistes avant, tu peux voir Corneloup, tu peux voir les Lassus's, tu peux voir, tu vois, même Fabrice qui est resté mais il s'est accroché, bin nous ça a été plus simple d'avoir le pied à l'étrier. On nous a vraiment poussés. Et moi je pense que ce truc-là de... y a pas eu de régénération spontanée, mais la naissance de Louis a aidé à ce qu'il y est toute une cohue-bohu autour de cet âge-là.

LL: C'est à dire qu'il...

DC: Et puis aussi une phase dans la vie Bernard qui est... . Il a fait des choses, voilà, et il arrive un moment où il veut transmettre. Et par le biais de son fils, c'est aussi..

JC: Moi je pense qu'il a toujours transmis. C'est pour ça que je nuance mais ça mets un petit plus.

DC: Oui, oui, il a toujours transmis mais souvent de manière aussi inconsciente. Sa volonté, son travail vraiment sur la transmission ça a quoi, 8 ans?

LL: Non mais c'est à dire qu'il a commencé à le dire avec nous.

DC: Voilà, c'est ça. A le formuler, à en faire une ligne directrice, ça fait 8 ans.

LL: Oui, une dizaine d'années.

JC: Voilà, j'ai fait les 2 points que je voulais faire, je reviens à ta question. [...]

AL: Pour le coup je te la reposerai plus tard. Tant qu'on reste sur la transmission, (à Margot) pour le coup, Auzier comment il t'a transmis, toi? Enfin, Patrick (son père).

MA: Bin moi j'ai vraiment grandi en partant faire les chantiers l'été comme si je partais vacances quoi.

Autres: (Petits rires)

MA: Donc j'ai commencé toute petite à faire ça. Et je comprenais pas. Enfin si je comprenais très bien, mais j'ai commencé vraiment toute petite à mon échelle. On me faisait faire du travail très minutieux, 'fin... Mais à 6ans je commençais avec un cutter à découper du scotch. Donc ça été vraiment, au départ, je partais en vacances, on faisait la route la nuit, il y avait beaucoup de feux d'artifices, c'était vraiment... J'adorais ça. Le travail, y avait une équipe, c'était super. Et puis en grandissant j'ai vraiment aimé ça quoi. Donc au fur et à mesure tout le monde m'apprenait. Et puis avec Patrick [son père] on a toujours été très... très proche dans le bricolage et tout ça, donc du coup plus je grandissais plus il m'apprenait, et plus j'aimais ça. J'avais ça dans la poche, pour moi c'était normal, et puis, et puis en grandissant un peu plus je me suis faite rattraper par le reste et j'ai compris que j'avais envie de faire ça

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en vrai, dans la vie, d'essayer de, de raconter des choses avec des pétards, aussi. Mais c'était pas du tout prévu. Pas...

DC: ...prémédité.

MA: Ça m'est un peu tombé dessus...

LL: Mais ça moi c'est pareil.

MA: Ouais.

LL: Enfin je pense que mon père il voulait que je sois musicien mais c'était pas... moi j'avais pas prévu non plus. [...]

MA: Moi c'était vraiment quand j'étais ado j'amenais mes copines sur les chantiers à chaque fois. Diane est venue.

DC: (Rires)

MA: On avait une chambre d'hôtel, c'était la teuf. Pour moi c'était....

AL: Mais ta soeur aussi, pour le coup ou pas?

MA: Et ma petite soeur pareil ouais.

AL: D'accord, qui elle, par contre, a tergiversé sur autre chose.

MA: Bin, qui est en train de grandir je pense. Mais qui vient avec nous dès qu'elle peut, qu'adore ça. Ouais.

JC: C'est important je pense, parce que tu vois, dans les deux cas, tu vois le terme que tu employais toute à l'heure... les «héritiers»...

MA: Et c'est pour ça j'envie de dire, pardon je te coupe, cet héritage qu'est-ce qu'on en fait quoi? C'est pour ça que j'ai du mal à parler d'existence, de mon existence à Uzeste, parce que mon existence, de par l'héritage, si c'est un peu ça la question, j'ai juste à dire qu'est-ce que j'en fais et qu'est-ce que je suis en train d'en faire. C'est pour ça que je parles, que c'est pas défini quoi.

JC: Mmm. C'était pas un héritage obligé quoi. Tu vois, même de la part des héritiers, c'était pas comme le fils et le père de notaire, il reprend l'étude, il a pas le choix quoi tu vois. Y a pas d'autres strates à accéder dans la société. Non, là je pense que ça a été un bain-marie, avec Alban et Marie, un bain-marie, on l'a connu. Donc on a grandi là-dedans, on avait le choix, tu vois, libre à nous de nous inventer comme on peut. Mais je crois que, comme on s'est construit par rapport à ici, on a senti le souffle, je sais pas, philosophique, d'une espèce d'ambition de vie qui peut se construire à partir d'ici quoi. Donc le lieu il est vraiment important, et petit à petit on s'est dit: «Putain, mais c'est là quoi, c'est là que je me construis, c'est là que je me définis» pour revenir à ta première question. De plus en plus, moi je sens l'importance de ce lieu Uzeste.

MA: Ouais.

[Pause pour se servir café/thé]

Tous: [...]

DC: Pour moi j'hérite complètement de, d'Uzeste, aussi de Bernard de... Pour moi c'est pas un héritage de nom, ni de... ni de lieux ou quoi c'est un héritage d'esprit, une prise de position dans la société, une manière de voir le monde, et pour moi, c'est mon héritage. Ca suffit pas

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juste d'hériter de la chose c'est... et c'est là où on peut parler de l'évolution . Qu'est-ce qu'on en fait, c'est quoi la suite? Parce que c'est pas reproduire ce qu'on a appris, c'est se nourrir de ce qu'on a eu, de ce qu'on a hérité pour proposer d'évoluer et de faire autre chose. [...] Certes, Bernard il est arrivé en 76 ou 78, mais la révolution, la prise de position dans la société elle a commencé en 37, avec Alban qui a décidé de dire: «Bin je ne suis plus métayer, et je deviens propriétaire d'un lieu, et j'ai toujours voulu être musicien et je vais faire de la musique, ma femme me suit. Donc déjà la réflexion sur les conditions sociales et comment proposer une nouvelle manière de vivre elle a commencé bien avant Bernard, elle a commencé avec la formation de ce lieu, et c'était en 37. Donc voilà, l'héritage il est long et l'histoire elle est dans le temps.

JC: Voilà peut-être, alors je vais faire un zoom sur un moment qu'elle a dit, voilà peut-être que comme ça tu auras un axe où trancher c'est; Alban qui a décidé de sortir de la métairie, tu vois, l'homme d'action, tu vois, et après, sa femme qui le suit. T'as vu, Marie, elle est, même si tu veux pas le faire hein, parce qu'on sait qu'elle a une importance capitale, mais voilà, c'est la femme qui suit. Mais c'était encore d'autres raisons sociales. Tu vois c'était la France moitié du XXème... première moitié c'était quand même... Mais c'est un héritage, y a cet héritage là aussi. Et je pense que après on peut le retrouver en décortiquant. Je pense que tu vas nous amener vers ces questions-là aussi mais tu vois, je pense que c'est pas rien. «C'est la femme qui suis».

AL: Et là tu en vois aujourd'hui des...

JC: Nous fais pas un, comme ça, saut temporel dans le mémoire.

AL: Mais si, c'est pas l'ordre du mémoire, peut-importe, tu amènes sur cette discussion, donc c'est bien que là ça te trotte. Et tu aurais une analogie actuelle à faire avec ça?

JC: Non. Je pense pas. Pas ce rôle-là, tu vois. Ils sont bien plus centraux maintenant, ils sont partagés, et surtout cette nouvelle génération, tu vois, elle a que le désir à mon avis que ça se passe ensemble.

AL: Tu parles de désir, toute à l'heure tu as parlé de désir de transmission, etc. Moi souvent ici quand je viens j'entends parlais de désirs et de peur, un peu comme une espèce de grande dichotomie permanente. Pour vous, où serait la peur, et où le désir?

LL: C'est pas opposé. Bernard quand il parle de la peur, il parle de la peur de la peur. En fait la peur c'est sain. Enfin moi pour parler de scène, c'est ce qu'il nous dit tout le temps, enfin ce qu'il nous dit c'est qu'il faut avoir peur de monter sur scène, mais il faut pas avoir peur d'avoir peur de monter sur scène. Donc la peur et le désir pour moi c'est très lié, parce que quand tu as envie de de faire quelque chose d'un peu ambitieux, ça c'est pas que sur scène, t'as un peu peur.

DC: Moi je commence à apprendre, et dans mes expériences ces dernières années j'ai appris que toutes les meilleures expériences que j'ai pu vivre, à chaque fois ça commencé par de la peur. Pour moi tout commence par de la peur. Si y a de la peur c'est qu'il faut y aller, c'est bon signe c'est que ça va aller, ça va être une expérience qui va m'apprendre à me surpasser, à aller toujours plus loin et à apprendre.

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MA: Moi la peur et le désir, je peux en parler artistiquement, mais je peux en parler aussi humainement, personnellement. Je sais pas... le duo peur/désir... Je pense que c'est là (monte son ventre).

AL: Et toi comment est-ce que tu t'es sentie légitime à faire péter les feux? [...]Et dans les Gojats vous avez senti des trucs comme ça, où ils y en avaient qui pouvaient ne pas se sentir légitimes à venir avec vous ou...

DC: Ça c'est chacun qui peut dire. Regarde Margot elle, je lui avais jamais dit.

AL: Oui, mais là ils sont, ils vivent encore beaucoup ensemble.

JC: C'est une aventure de groupe aussi. [...]

LL: Après tu sais la légitimité dans los Gojats c'est la même chose dans los Gojats par exemple que dans Uzeste. Parce que ceux qui se sentent le plus légitimes dans los Gojats c'est ceux qui se sentent le plus légitimes à Uzeste. C'est pas un hasard si tu veux, c'est pas qu'à Uzeste qu'il y a ça, c'est qu'à un moment ceux qui se sentent légitimes c'est ceux qui réfléchissent à la question et qui ont envie de s'y investir. Donc dans les Gojats y en a certains qui, même dans les discussions entre Gojats, prennent pas beaucoup la parole. Pour diverses raisons, y en a par exemple qui, comme ils ne réfléchissent pas à la question, quand la discussion arrive, c'est eux-mêmes qui se mutent. Des fois ils ont tort d'ailleurs.

JC: Mm-Mh

LL: Tu vois c'est pas qu'une légitimité qu'on leur donne, c'est une légitimité qui se donne à eux-mêmes. Tu vois, même par l'implication, si tu veux. Par exemple Jaime, qui maintenant est régisseur de la Cie Lubat (petits rires), ingénieur lumière (rires)

JC: Oh, j'y crois pas trop encore. [...]

LL:[...] et Jaime il vient avec nous. Pour ses capacités de mots, de parole et de scène aussi. Moi ça fait longtemps que je voulais qu'il vienne, je l'ai dit à Fabrice, je l'ai dit à Bernard. Mais c'est pas ça qui les a convaincu. C'est de le voir ici tout le temps, travailler. Donc la légitimité elle est aussi dans l'implication et le désir que t'y mets. Donc si tu veux dans les Gojats les problèmes de légitimité face à Uzeste c'est les mêmes problèmes de légitimité face à eux même, si tu veux, pour moi. [...]

AL: Là ce que je trouve intéressant c'est qu'il y a deux légitimités qui se confrontent. Moi je parle de la légitimité que tu ressens, qui fait que oui ou non tu peux agir, monter sur scène, monter un festival etc. Ou celle qui t'est reconnue par d'autres. Mais je sais pas, dans les Gojats, certains...

LL: Moi je que je remarque ici c'est que c'est souvent la même. C'est que souvent y a une ambiance si tu veux, si tu sens que t'es pas légitime: tu la fermes. Enfin j'ai l'impression quoi. Ce que je veux dire qu'en général les gens légitimes sur scène qui se sentent légitimes sont légitimes. Tu vois y a souvent une espèce de truc comme ça où y a pas... C'est pas que y a une objectivité de la légitimité mais si tu veux y a... Enfin, normalement ici si t'es intelligent et sensible, tu sens le truc, par exemple Paolo qui parle pas beaucoup, en réunion parfois il vient, il parle jamais. Quand y a mon père et tout ça. Parce qu'il est pas bête. Qu'il sent que si il parle d'un coup beaucoup, ça va être bizarre quoi parce qu'il est pas souvent ici, il est

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pas très impliqué encore dans tout ce qui se passe, un peu mais pas complètement. Et tu vois, personne a besoin de lui dire: «Écoutes, t'es pas légitime, t'as pas droit à la parole.» C'est lui qui se l'impose à lui-même.

DC: Mais moi je trouve que cette question de légitimité, moi, elle était, c'était du ressenti d'enfant. Mais à la fois je la trouve débile. Je m'en veux de m'être pas sentie légitime parce que ça veut dire quoi? Légitime vis à vis de qui? Légitime vis à vis de quoi? Enfin je veux dire... C'est pour ça que c'est intéressant ce que tu dis sur le fait que si tu t'impliques, quoi que tu fasses, si tu dis réellement ce que je fais, forcément tu seras légitime. Et la place à Uzeste, on nous donne pas notre place, la place on la prend. On la prend et on travaille et on agit, et c'est à partir de là. On se dit pas: «Bon bin moi maintenant j'ai envie d'être à Uzeste » donc voilà c'est dit, c'est fait. Bin non, c'est juste pendant les premiers temps tu vas passer le balai, tu vas aider à droite à gauche et puis petit à petit les gens ils vont voir que t'es toujours là et que tu proposes ton aide et bien ils vont te demander de faire ça, ça, ça et tu fais de plus en plus et à la fin tu deviens un... un rouage indispensable au fonctionnement de voilà. C'est le fait qui est important. C'est pas le dire ou le vouloir. Si, y a ça aussi. [...]

AL: Là, ce qui est intéressant c'est que tu définies toute une hiérarchie de tâches jusqu'à un sommet, et pourtant, enfin, moi j'ai l'impression de voir beaucoup des «copains» qui sont amenés sur le plateau sans justement passer par tout ce processus.

LL: Ils ont aucun pouvoir de décision sur rien. Ils sont sur le plateau.

AL: Enfin le plateau c'est quand même une responsabilité.

LL: Bin ici c'est une responsabilité différente d'ailleurs. Parce qu'on n'est pas dans un truc de programmation. [...] [En parlant d'une artiste invitée à l'Hestejada mais pas impliquée dans le fonctionnement] Demain on aura une discussion sur l'Hestejada avec Fabrice et Bernard; elle vient elle dit un truc personne ne l'écoute quoi. Comme les copains du parti Collectif

JC: En même temps ça c'est du protectionnisme un peu bête. Je sais qu'il nous sert, mais si y a des gens à une table, autant que, si ils ont des idées, qu'ils les exposent et que ça puissent être pris.

DC: Oui! Oui mais bien sûr!

LL: Oui nan mais ça je suis d'accord. Nan mais tu l'écoutes, mais ce que je veux dire c'est que si t'as pas, moi si j'ai rien d'intelligent à dire, ou d'extraordinaire à dire, je peux donner mon opinion sur, tu vois. Après si y a quelqu'un qui a une très bonne idée, qui la donne, on l'écoute. [...]

DC: On demande pas à tout le monde, que l'on fait jouer, d'être impliqué. [...]

MA: Moi je le suis pas du tout par exemple. Dans tous les quatre là. Absolument pas. J'suis là à côté. Je fais péter les pétards etc. Mais...

LL: Oui mais si tu veux t'as un rôle... un rôle...

DC: Bin un rôle de partenaire.

LL: Un peu plus si tu veux, parce que...

MA: Mmm... Non je ne me sens pas partenaire. Absolument pas. Sans être impliquée dans le coeur de la logistique et tout ça, je me sens ...

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DC: Oui mais par exemple tu sais très bien que...

LL: Mais regarde, y a un truc d'identité avec toi aussi. Y a un vrai rôle d'identité artificière,

parce que, tu vois, on va pas faire un feu avec d'autres artificiers

DC: avec d'autres artificiers

MA: Oui nan mais moi je me sens impliquée totalement, mais pas par la logistique, organisation

interne etc. [...]

AL: Oui je pensais à des personnes du parti Collectif qu'on a amené sur scène directement, sans

qu'ils aient été spectateurs ou quoi. Ça les positionnements en tant que artistes directement.

Ils ne sont pas passés par tout le processus des Gojats ou...

DC: Oui mais on peut pas tous passer par là.

LL: Nan mais y a deux choses, tout le monde à pas conscience de ça parce que les copains qu'on

amène, moi je serais pareil si on m'amenais j'aurais pas conscience de tout ça. Et ensuite ils

ont la place d'artistes mais après ils se prennent une bonne pétée et ça les calme. [...]

AL: J'ai vraiment l'impression qu'il y a deux générations, entre guillemets, des filles, vous, qui

avaient été au théâtre...

JC: J'y été aussi moi.

MA: 'fin, moi avant ça, avant cette génération, y a la génération Juliette (Minvielle), Louis et

moi, tous petits.

JC: Même Lucie (Minvielle)

MA: [...] Je parle de 1ans, 2ans , 3 ans. Moi je me rappelle, j'ai beaucoup de mémoire par rapport

à ça. [...]

[Jaime, Margot et Diane se remémorent comment le théâtre est venu à Uzeste par leur création

spontanée, en jeu d'enfants, d'une pièce de théâtre inspirée de la découverte d'une souris

morte. S'en suivront 3 pièces autodidactes de ces enfants]

AL: En fait je me demande comme cette séparation entre les filles et les garçons s'est faite, sur

scène notamment. Comment est-ce qu'on se retrouve avec un groupe de sept garçons et les

filles. Souvent j'ai eu cette histoire qui m'est venue, cette histoire de théâtre. Les filles

faisaient du théâtre, elles ont arrêté au lycée.

DC: Moi je suis d'accord sur cette question des générations.

LL: Y avait des garçons au théâtre.

DC: Oui, mais ils étaient minoritaires. On était une sacrée troupe de filles. Y avait les Daudet,

y avait Sarah, y avait toi [MA], y avait les Deletrez, y avait Lison Lavaud ...

JC: On était trois garçons.

MA: Antonin, Yassine et Jaime quoi.

DC: Y avait donc une bonne génération de filles. On était pas forcément du même age, mais on

était dans cette génération. Et Nathalie nous a pris sous son aile, et c'est avec elle qu'on a fait

du théâtre.

JC: Donc tu vois, Nathilie Boiteau, maintenant Dalila, tu vois un peu comédienne et liseuse de

texte dans la Cie Lubat. Et qui en parallèle, tu vois faisais un chantier éducatif.

DC et MA: Non!

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MA: Elle faisait ses études d'infirmière avec ma mère, avec Myriam. Elle a fait du théâtre avant

de lire des textes pour la Cie.

JC: Elle a fait du théâtre avec nous, avant de ...

MA: Parce qu'en fait c'était notre nounou à Juliette et moi et quand elle nous a vu faire tout ça

elle a dit: «Bin moi je vais m'occuper de vous les enfants».

DC: Elle s'est occupé de nous et après...

MA: C'est comme ça qu'elle s'est mise à faire du théâtre Dalila. Elle a fait du théâtre quelques

années avec nous et après on a monté Uz & Coutumes, et Dalila est entrée dans la Cie

quelques années après quoi. [...]

LL: Ce qu'il faudrait demander à Diane et Margot c'est pourquoi vous avez pas continué à faire

du théâtre par exemple.

MA: Bin on a arrêté de faire du théâtre parce qu'on était plusieurs générations dans cette troupe

et que les plus grands sont partis dans les lycées à la ville, parce que y a cette ruralité qui est

importante. Et c'est vrai, tout le monde est parti, justement, faire des études à la ville, lycées

option théâtre...

AL: Mais les Gojats aussi avec les lycées et conservatoires.

JC: Y a un truc spécial avec les Gojats, c'est qu'au début c'était trois personnes à qui on a

transmis la musique. Enfin c'est même pas qu'on leur a transmis la musique, c'est qu'on les

a posé sur scène, et après fallait qu'ils se débrouillent. Alors pourquoi on n'a pas posé les

filles sur scène puisque pendant les vacances elles étaient là les filles aussi...

DC: Mais...

JC: Donc ces trois personnes, c'était Thomas Boudé, dont on n'a pas parlé encore mas qui

est très important parce que lui il est né à Uzeste. Y a Louis Lubat et y a moi. Au départ

on avait un trio qui s'appelait BLC,

LL et JC: Boudé, Lubat, Chao

JC: Donc tu vois, c'est le trinôme de base qui a après formé les Gojats par agrégats.

DC: Par la suite. [...]

DC: Et après y a quelque chose d'essentiel à dire, c'est Bernard. C'est que, Bernard, c'est

à ce moment-là qu'il a mis tout en place, sa volonté et sa ligne directrice de la

transmission. Y en a toujours eu, mais là il en a pris conscience et qu'il en a fait un

travail primordial.

AL: Et vous vous aviez déjà arrêté le théâtre à ce moment-là?

DC: Nous euh... on avait déjà arrêté le théâtre. Et que lui est pas... voilà...

MA: Nous on avait déjà arrêté le théâtre depuis quelques années.

DC: Il est musicien

LL: Y avait deux choses, y avait le médium.

DC: Mmm. C'est le médium.

LL: Et puis y avait aussi moi quoi.

DC: Oh bin beaucoup.

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MA: Ouais parce que y avait cette histoire de, que t'étais tout petit et qu'il te faisait faire de la

batterie, on s'en rappelle.

LL: Mais ça, ça peut être aussi avec Thomas par exemple.

MA: Ouais. [...]

AL: Mais y avait déjà la notion de transdisciplinarité, notamment par Laure ou d'autres...

LL: Mmm, oui.

DC: Un peu moins.

LL et DC: Très différemment.

LL: Le terme d'amusicien par exemple, était pas encore arrivé. Mon père avait jamais fait un

solo. Donc c'était moins...

DC: C'était aussi un tournant dans la Cie Lubat.

LL: [...] C'est pour ça que mon père a fait un solo à un moment parce que y avait presque plus

de gens dans la Cie.

MA: J'allais parler de ça aussi.

LL: Donc il a fait un solo. Et après si tu veux, en nous il a aussi vu l'occasion, après Jules qui

est arrivé quand on était au collège ici, il a aussi vu une occasion de, au lieu de recruter des

gens, beh de les former directement. De faire un centre de formation de...

JC: Ce qu'il appelle le Conversatoire.

AL: Et pour le coup, hypothétiquement, si à ce moment-là, à cette époque-là, la

transdisciplinarité, le croisement, notamment avec du théâtre était déjà présent, vous pensez

que...

LL: Le croisement il est... C'est à dire que pour bosser bien avec mon père, faut faire de la

musique.

DC et MA: Ouais. Dalila elle est pas restée longtemps.

DC: Et nous on faisait de la musique. Mais Bernard s'est jamais occupé de nous.

MA: C'est vrai.

DC: [...] et après y a eu Emeline et Raphaëlle, elles, elles ont fait du piano. Elles en n'ont jamais

fait avec Bernard, elles ont fait avec Cadillac.

MA: [...]

AL: Donc même avec cet apprentissage musical, vous n'avez pas été à Uzeste.

MA: Nan, parce que c'est vrai que Bernard a commencé tout ça quand Louis a commencé à

grandir. Et moi, c'est vrai qu'il y a cette époque où la Cie s'est... y a eu un gros clash, y a

beaucoup de gens qui ont partis. [...] Et on a arrêté le théâtre pas longtemps après. [...]

JC: Cette aventure de laquelle t'as été retirée. Alors que t'habitais à même pas... 9 km. [...]

AL: Ça vous a pas donné envie, plus tard de, d'intégrer le groupe Gojats qui était en train de se

former?

LL: Ouais, j'pense que c'est une question d'âge aussi.

MA: Ouais, j'pense que y a cette histoire de génération et puis aussi...

DC: Bin non je pense pas parce qu'on a le même âge.

JC: Jules il est plus âgé.

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LL: Nan nan mais d'âge que quand t'as 13ans, tu joues pas avec des filles, enfin...

MA: Ouais, j'pense qu'on est toutes parties en ville faire nos études et qu'on s'est, qu'on a un peu décroché.

DC: Moi j'ai rien à faire, enfin pour moi j'ai rien à faire sur scène. Et je n'ai toujours rien à faire sur scène.

LL: Si quand tu fais les présentations [de son travail en architecture].

DC: Ouais, mais...non. [...]

AL: Mais l'autre jour tu m'avais proposé... [Proposition de création avec jeu de rétroprojecteur et danse en duo AL et DC]

DC: Oui, mais maintenant, aujourd'hui avec... pourquoi pas essayer. Mais c'était pas une fin en soi. Moi j'ai fait de la musique parce que j'étais obligée. Bernard il me faisait chier, j'étais obligée de faire des rythmes sur la table. [...]

AL: Et vous les gars? Je sais que la question des filles elle s'est posée plus tard pour vous mais... LL: [...] Paolo c'était un camarade de Thomas. Et quand t'es en 5ème, t'invites pas une fille, toute seule, chez toi, dans ta chambre...

DC: Oui c'est vrai.

MA: Et ouais. C'est vrai y a ça.

LL: ... pour jouer avec tes copains! Alors que t'invite ton copain Paolo. Tu vois, là y a pas de problème. Moi je pense que c'est important ça, c'est pas une connerie.

MA: Ouais, moi j'suis d'accord.

LL: C'est à dire que la formation, le moment où ça s'est agrégé ensemble, [...] à un âge où tu pars pas même jouer, tu vas pas dormir dans une même chambre qu'une fille. Enfin, tu vois, pour moi c'est des trucs qui... qui sont aussi important de cet âge-là quoi.

MA: Et nous, toutes les filles on était parties quoi.

LL: Voilà. Et après on en a rencontré d'autres, au lycée ou à Bordeaux, plus tard.

AL: Et ça, ça vous a pas donné envie de...

LL: Et après y a aussi un problème de... de filles musiciennes. [...] Nous, on été en classe musique à Camille Julian, avec Thomas et Paolo. Et si tu veux, dans la classe c'était classique, et y a des filles qui jouaient classique mais ceux qui voulait jouer jazz, par exemple Matis, y avait que des mecs quoi. Donc après on avait pas encore l'instinct de faire l'effort aussi. Tu vois, là avec Mona maintenant, bin j'ai envie de faire l'effort. Pas que parce que c'est une fille, mais parce qu'elle est là, parce qu'elle donne quoi. Et si tu veux je sens que, comme c'est une fille, elle est un peu en retrait, donc j'essaie de faire le petit effort que j'aurais pas fait y a 5 ans. Parce que j'avais pas ces questions-là en tête et parce que même, ça me faisait chier à 17ans de partir en voiture avec des meufs quoi. Nan mais c'est vrai. C'est le truc de l'âge, de...

JC: C'est l'adolescence quoi. Tu vois, où ça te titille encore et donc c'était moins possible.

MA: Bin ouais, ouais.

LL: Tu fais pas un groupe avec des filles. Et puis même, les exemples que t'as si tu veux, c'est un truc à la con, mais nous tous les exemples qu'on avait, y avait pas de filles dans les groupes

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quoi. Moi je sais qu'on y pensait pas du tout. Enfin moi j'y pensais pas du tout. Jusqu'à mes

18ans je me posais pas la question: pourquoi y a pas de filles?

DC: Après y a un truc auquel je pense et qui est assez important c'est que c'est avant tout une

aventure de... de bande de potes quoi.

LL: Bin oui.

DC: C'est ça aussi. Donc avec leur âge, t'es entre mecs...

MA: Ouais c'est ça

AL: Oui enfin toi (Diane), t'as connu le fait d'être une nana dans une bande de potes, moi aussi.

On sait que c'est possible.

DC: Ouais, enfin tu vois, même nous le théâtre... Le théâtre c'était une sacrée bande de potes et

on faisait n'importe quoi.

MA: Oh, si tu regardes la génération... Ouais, je sais pas.

DC: Et on était quand même... y avait trois mecs quoi, c'était pas non plus énorme.

MA: Mais parce que y en avait pas à Uzeste quoi. C'est vrai.

LL: Et après y avait juste Thomas, moi et Jaime.

DC: Et ils venaient, et ils se faisaient bizuter parce que c'était les petits.

MA: Pas moi.

[Souvenirs d'enfants]

LL: [Retour sur l'exemple de Thomas qui invitait Paolo à dormir chez lui] T'invites pas une fille

comme ça toute seule. Tu fais jamais ça de ta vie à 13 ans quoi.

MA: A 13 ans, t'invites pas une copine à dormir.

AL: Finalement il est là le problème, dans cette éducation...?

DC et MA: Bin oui.

LL: Ouais après, bon, ça on peut discuter, mais moi à 13 ans je..j... Je sais pas si c'est malsain

que ça.

AL: Pourquoi? Sain ou malsain mais quel est le problème?

LL: Moi je pense qu'il y a un problème à ce moment-là de l'adolescence si tu veux où...

MA: Non moi je pense qu'il y a pas de problème mais c'est un moment où t'es en train de grandir,

t'es en pleine ébullition, tu comprends des trucs sur ton corps, ce que tu provoquer, procurer

etc. Et je pense que de part tout ça et tout ce qui peut se dégager dans les hormones etc., ils

passent un truc entre les garçons et les filles où: les filles et les filles, les garçons et les

garçons, tu vois y a un truc qui se passe. C'est là est c'est hyper normal quoi. [...]

JC: Mais on revient à l'héritage. Et qu'est-ce que nous on a vu comme artistes sur scène, on a

surtout vu des artistes masculins...

DC et MA: Ouais.

JC: ... prendre le lead, tu vois, prendre le micro, même être sur scène. Moi j'ai rarement vu de

filles, j'ai rarement vu de filles dans les Hestejadas...

LL: Oh si...

JC:... envoyer un gros chorus de saxophone ou être batteuse quoi. Tu vois.

LL: Ah oui en musicienne.

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JC: Après, on va dire que les femmes, les femmes qui ont été admises sur scène ici, ont toutes été des compagnes, des compagnes d'artistes. Donc, moi je vais prendre l'exemple de Vanina Michel, première compagne de Bernard Lubat, (Rires de Louis) tu vois, qui lui a donné l'idée de créer le festival d'Uzeste. (Rires de Louis) Il a eu de la chance Louis, parce qu'il est le fils de Laure Duthilleul qui a été aussi sur scène, qui a fait partie de cette aventure-là. Des femmes, j'en vois peu d'autres.

MA: Dalila, qui a été à la Cie.

DC: Mais c'était la compagne de Fabrice

JC: Et même dans l'aventure de la Cie Lubat, même avant Uzeste, Mouffetard, ils étaient pas... c'était pas des adolescents. Ils avaient 25-30ans, Bernard c'était un musicien accompli. C'était peut-être encore moitié du 20ème siècle, donc des choses ont changé déjà depuis, mais y avait pas de filles dans l'aventure. Et ça on l'hérite aussi, même si on part de l'adolescence. C'est des pourcentages d'explications, et les uns cumulés aux autres, y a des faits.

LL: C'est aussi un fait que quand ils parlent des boites de jazz, par exemple, y a jamais de meufs qui jouent.

JC: Même qui rentraient dans ces cafés à l'époque.

LL: Tu vois il parle jamais de musicienne avec qui il a joué...

JC: Non.

LL: ... parce qu'il y en avait pas.

DC: Mais des maitresses, ça oui!

LL: Oui d'ailleurs, faudrait qu'il arrête de m'en parler. Tu vois il parle de chanteuses dans les Double six, si dans les Double Six y avait des musiciennes, c'était des chanteuses mais, c'était pas des chanteuses, euh... c'était pas la blague quoi. Les mecs aussi, les chanteurs, y avait un truc. Mais c'est le seul groupe dont il me parle, où il joue avec des filles. Après, ça empêche pas les maitresses.

DC: Dalida aussi.

JC: Non mais un groupe où il joue avec des filles quoi, où il met un intérêt, où il nous en parle avec intérêt.

AL: Ca, dans les pourcentages, les études ça ressort vraiment. Mais je me dis, un lieu comme ici où, où justement y a les enfants-de, garçons ou filles, est-ce que t'as pas envie que ton gamin il y aille, même si c'est une gamine...

LL: Oui sauf que son gamin il est arrivé après les filles. [...] Et puis quand je suis arrivé, que je suis venu m'installer ici, il a arrêté de fumer... du shit. Donc je pense que ça aide aussi à la lucidité, d'une certaine manière, et à éduquer des gens. Pour moi ça participe à tout ça. [...]

LL: Après y a peut-être un truc plus profond, c'est vrai que de voir que moi et Thomas, et toi (Jaime), j'ai revu les images dans le film de ma mère, on a huit ans on est sur la grosse scène de l'Hestejada à jouer de la caisse claire. Trois garçons. Non mais, tu vois.

DC et JC: Ouais, ouais.

JC: Moi c'est là que je vois un [inaudible]

LL: Je sais pas si c'est parce que c'est mes copains,

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JC: Moi je pense que c'est dans le choix aussi de ceux qui nous ont donné cette chance-là, vient un choix même s'il est inconscient qu'on va prendre les garçons, parce que les petites elles jouaient du saxophone, certaines...

LL: Jaime, moi je pense que c'est un mélange.

JC: C'est un mélange, bien sûr.

LL: Moi et Thomas on réclamait d'y aller. Elles c'est pas ça.

JC: Ouais mais parce qu'elles ont pas cet apprentissage de réclamer, tu vois de...

DC: Mais ça aurait été intéressant aussi d'avoir Raphaëlle. Parce que Raphaëlle il l'a beaucoup poussée. C'est une fille et il l'a énormément poussée, énormément. [...]

MA: Ouais, mais par exemple Lucie qui est la fille de Minvielle, qui est la plus vieille, elle a été forcée toute son enfance à faire de l'accordéon et elle aimait pas ça et elle est pas musicienne aujourd'hui quoi. Tu vois.

AL: Alors que Juliette (cadette de Lucie Minvielle), si.

MA: Alors que Juliette, si.

LL: Mais pas vraiment par ici. [...]

JC: Comme y a eu schisme avec Minvielle, on peut pas vraiment avoir l'exemple de Juliette qui aurait incorporé les Gojats. Parce que ça aurait pu être une éventualité.[...] Et en même temps, les seules fois où on a fait des trucs ensemble, j'ai senti que c'était pas évident pour elle. Pas pour elle, j'ai senti qu'elle était pas à l'aise, dans ce truc-là. Et en même temps c'est compliqué d'arriver dans ce truc-là, surtout on était adolescent encore, un peu plus jeune. [...] On n'arrive pas à faire du long terme, mais on arrive pas à se souder.

DC: Mais, Margot tu la connais plus que moi, mais tu penses que c'est parce que c'est vous ou que c'est que Juliette a mis aussi du temps à assumer et à vouloir être sûre que c'est ça [devenir musicienne]. Je l'ai juste vue avant qu'elle parte, et voilà, elle part au brésil parce qu'elle a dit: «J'assume, je veux faire ça». Je pense que ça a été aussi un peu long pour elle, de dire je fais/je fais pas, j'y vais/j'y vais pas. [...]

DC: Après t'as dit un truc toute à l'heure, ça change de sujet mais ça m'intéresse; t'as dit, sur la question qu'il y a peu de femmes et effectivement sur la scène française ou dans la musique y a peu de femmes. Et tu disais: «Oui mais justement dans un lieu comme Uzeste, pourquoi y a pas?». Et... moi c'est un argument qui m'énerve un peu. Je rencontre beaucoup de gens qui critiquent, qui aiment bien Uzeste et qui attaquent souvent sur la question de la femme. J'en ai beaucoup parlé avec Juliette (Kapla), à plein de reprises parce que elle elle est vachement là-dedans. Moi je t'avais dit que j'étais pas trop dedans mais en fait je me suis un peu posé la question de «pourquoi on voudrait absolument que Uzeste, certes c'est militant, certes y a Bernard qui a un engagement politique très fort, mais euh... on lui demande. .. on lui demande depuis des années d'intégrer les femmes, de tout ça. Et il essaie de trouver, maladroitement il te fait une journée de la femme (Rires de Louis), il te fait un concert... et tout le monde lui casse du sucre sur le dos. Quand il avait fait sa soirée de la femme, toutes les femmes l'avaient incendié. Après il fait un autre truc, on lui reproche...'Fin, je pense qu'on demande à Uzeste que y ait des femmes, que tout ça mais euh... Bernard, c'est pas son combat

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. Et on peut pas lui reprocher, c'est pas une femme. Et, et il est très féministe à sa manière. Voilà, il a rien contre les femmes et tout ça, mais il est maladroit dans tout ce qu'il fait quand on lui demande d'intégrer plus les femmes, tout ça. Et je pense que ce combat, c'est à d'autres de le mener. C'est aux femmes de le mener , et lui... Si les femmes étaient force de proposition et qu'elles arrivaient et qu'elles proposaient un truc et tout ça. Je pense que Bernard il serait pas contre. C'est, c'est...

LL: Même pour.

DC: ...c'est pas son combat. Il aimerait, mais il peut pas le mener.

AL: Moi je suis à la fois d'accord et pas d'accord là-dessus. C'est à dire que, d'ailleurs le fait que ce soit maladroit ou non, euh, déjà le fait qu'il y ait une démarche, moi je trouve ça très intéressant. C'est comme le fait de critiquer le fait qu'il y ait la journée de la femme nationalement, ça sous-entend, c'est vrai, que toutes les autres journées sont des journées de l'homme. Mais mine de rien, ça fait une journée où tous les bilans sur le plan de l'évolution des égalités hommes/femmes sont mis en avant sur les médias, ce qui ne serait pas fait. Donc tu vois, c'est ce genre de choses qui en effet sont critiquables et sont critiquées d'un point de vue symbolique, mais qui peuvent avoir des effets aussi réellement concrets. Donc ça après, moi, j'ai bien envie de mesurer ça.

LL: Ça c'est possible, mais tu vois, on l'avait fait une fois une journée de la femme à Sort. Et c'était bien, à part [Nom] y avait que de la qualité quoi.

DC: Mais Bernard il c'était fait mais...

LL: Il s'est fait défoncé!

[voix mêlées]

LL: Pour te montrer combien il est maladroit aussi, une fois dans le programme de l'Hestejada, il voulait mettre tous les noms des femmes d'abord. Non mais pour lui c'était, 'fin c'était sincère quoi. C'était pas, pas...

JC: Pas de la com, quoi.

LL: C'était pas de la com. C'était pas pour dire on a des femmes.

AL: C'était pour les mettre en avant.

LL: Voila! Tu vois. Et Martine lui a dit: «Attends Bernard, c'est pas possible.» [...]

MA: En même temps, j'ai juste un truc à dire c'est qu'il y a beaucoup de mecs sur la scène mais ayant grandi ici, y a eu beaucoup de femmes dans les bureaux aussi quoi. Uzeste c'est pas que...

AL: Voilà, mais justement. C'est aussi ce qu'on appelle la ségrégation horizontale, c'est à dire le fait que, par éducation, c'est toujours ça le problème, on se réparti, on se prédispose, on ambitionne, des métiers, des fonctions qui semblent disposées à notre âge, notre sexe, notre «race», etc. Et...

LL: Y en a beaucoup des artificières?

MA: Non.

AL: Justement. Justement, c'est hyper intéressant, c'est que tu vas, [...], c'est que symboliquement, tu vas, tu es professionnellement contre-genre.

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MA: Mais totalement.

AL: Professionnellement un technicien euh, un artificier, c'est masculin. Et tu viens mettre un sexe féminin là-dedans. Je dis pas forcément de la féminité, parce que je sais pas si tu es féminine, masculine ou quoi, et puis qu'est-ce que ça veut dire être féminin, masculin et tout. Mais, en tout cas, physiquement parlant, biologiquement parlant, t'amènes ça.

LL : Mais même artistiquement. 'Fin moi j'ai vu la différence entre plusieurs feux que j'ai fait avec Patrick et le feu de l'an dernier qui était écrit, pas que par toi mais par toi et par Guillaume, et c'était, je ne sais pas si je vais être maladroit comme mon père, mais c'était plus féminin, plus sensible en tout cas, je sais pas si le féminin c'est le sensible, mais en tout cas c'était assez différent que quand c'était que ton père qui faisait les plans de tirs. J'ai l'impression.

MA: Ah ça a rien à voir. On écrit pas du tout pareil.

LL: Voilà, donc pour moi y avait une vraie différence aussi sur le rendu artistique, c'était pas que symbolique si tu veux.

AL: Et justement, est-ce que ça amène pas à l'envie de... de, professionnellement, artistiquement, mêler avec des visions de femmes, vos travaux?

LL: Tu prends l'exemple du parti Collectif, tu vois à Bordeaux, nous on fonctionne, tu le sais très bien, sans audition. Moi je propose à tout le monde. Et il se trouve qu'il y a des femmes dans, dans... tu vois quand je vais au conservatoire, dès que je vois un musicien je lui dis: «Viens». J'dis «musiciens», alors qu'il y a des musiciennes aussi. Après y a un vrai défi dans le jeu, tu vois de... par exemple la seule fille qui est pour l'instant vraiment sur scène avec nous, qui est Mona-trompette, à la faire jouer quoi. Tu vois y a une vraie difficulté à la faire jouer quoi. Alors qui est pas liée qu'à son sexe à mon avis, qui est liée à beaucoup de... à son origine, au fait qu'elle fasse du classique, elle cumule une certaine euh... Tu vois, j'ai regardé une fois Jaime il l'a forcée à jouer devant tout le monde. Il l'a chopée, elle était-là, en scène...

JC: Vraiment hein.

LL: ... il lui a donné la trompette, il a dit: «Allé, c'est à toi ». Tu vois, elle était super mal. Et elle a fini par le faire

JC: Avec humour hein, j'avais un rôle à jouer aussi. Je suis pas aussi... J'aimerai que voilà, les gens qui vont écouter ça après, professeurs de Anna, sachent que je ne prends pas des décisions comme ça, voilà. J'suis pas autoritaire.

LL: Nan, mais tu l'aurais peut-être pas fait si c'était un mec.

DC : Ooh!

LL: Nan, mais je sais qu'on a cette discussion entre nous, avec Jaime aussi sur elle, tu vois, où elle est là et on a envie...

JC: Nan , ça a été son... pas « rite de passage », j'aime pas parce que y a pas... Mais il fallait qu'elle le fasse quoi. Il fallait crever l'abcès. [...] Il fallait crever l'abcès de cette jeune fille là, tu vois, marocaine, classique, seule fille du parti Collectif, et qui à un moment, devant quatre personnes dans la boîte de nuit à Lormon, y avait pas un vrai danger à se mettre en scène, et beh c'était le moment. Et moi j'avais un rôle à jouer de faux organisateur de soirée

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danseur, tu vois, un peu chiant avec son micro à côté de la bouche, je sautais partout etc. dans un désert en fait. Et voilà, elle était là, elle faisait partie du seul public quoi, et à un moment, voilà, je l'ai forcée à improviser avec la trompette, et personne savait qu'elle jouait de la trompette. [...] Et ça a été le premier moment où elle est montée sur scène.

DC: Mais après elle est seule, c'est dur hein.

LL: Ouais, mais bien sûr que c'est dur. Mais, c'est pour ça...

DC: Mais c'est là où j'en viens, c'est peut-être méchant, je sais pas, mais c'est...il faut que...on soit, en tant que femme, source de proposition aussi.

AL: Oui, mais après... Je vais revenir sur ce que tu disais avant; «Bernard c'est pas son combat» etc., euh... en fait je suis à la fois d'accord et pas d'accord. En l'occurrence, j'suis d'accord parce que lui il a fait un choix de se battre artistiquement etc., mais à partir du moment où tu es dans un discours pour combattre des inégalités, notamment sociales, en passant par de l'éducation populaire, forcément tu te retrouves confronté au fait que dans certaines zones géographiques, tu es moins cultivé que, par exemple, dans le 7ème à Paris. Et que comme ça t'as des populations qui sont ségréguées culturellement. Et que, à l'intérieur de ces populations là, y a la moitié de la population qui est aussi confrontée, enfin tous, on est tou tes confronté-es à de la ségrégation professionnelle, que ce soit d'une manière positive ou négative. Et ça, si tu te mets dans un combat contre les inégalités, forcément, que tu dois quelque part te confronter à l'idée que...

JC: Mmh. J'suis d'accord ouais.

AL: ... y a la moitié de la population qui a peut-être même pas conscience du fait qu'elle est mise en retrait, et que ça passe par... par du discours quand t'étais petit, et de te dire: «Mais non, mais t'en as pas la force ma chérie.»

DC: Nan mais, je suis... Je suis entièrement d'accord avec toi mais en ayant beaucoup parlé avec Bernard, il arrive pas à se mettre à la place des femmes. Et je le comprends tout à fait. Il a conscience de cette inégalité-là. Pour lui c'est injuste tout ça, et, et quand il dit: «Il faut se mobiliser», il essaie. Il fait une journée de la femme. Et ça tombe à l'eau parce que c'est un combat parmi 1000 que lui il mène, et que c'est sa ligne de... de front, c'est ailleurs. Il essaie, il essaie. Mais pour moi Uzeste c'est des pluralités, on est nombreux, chacun apporte, chacun mène son combat aussi et je pense que ce combat du féminisme, à Uzeste, je pense que ça peut être mené par quelqu'un d'autre que par Bernard.

LL: C'est ça. Mais parce que je pense que le combat du féminisme à Uzeste il est mené en fait. Tu vois Lydie Delmas,

DC et LL: Sylvie, Juliette.

LL: Martine, voilà. Après y a deux choses différentes [...] Effectivement y a une différence entre le fonctionnement du lieu et aussi des combats qu'on mène. C'est ça aussi, y a une dichotomie aussi. Entre comment on fonctionne, et la réalité. Et c'est quoi qu'on met en avant parce que si tu regardes le programme de la dernière Hestejada, le féminisme il est mis en avant. Alors c'est pas des gens qui travaillent au jour le jour à Uzeste, mais c'est des gens qui travaillent depuis très longtemps. Lydie Delmas par exemple, je veux dire ça fait 20ans

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qu'elle vient à Uzeste cette femme. Et ça fait 20ans qu'elle porte ce rôle. Toutes les femmes qu'on invite, les philosophes, en fait, on invite des femmes. On invite les femmes qui existent aussi.

MA: Y en a des femmes qui sont passées : des danseuses, des...

DC: Ah mais sur les 180, ça serait intéressant de faire le compte des 180 derni...

AL: Je fais que 4 programmes.

DC: Ah bin voila

MA: Y a quand même, y a quand même pas mal de femmes.

LL: Mais y a aucune musicienne presque.

JC: Joëlle Léandre, Joëlle Léandre c'est la seule que j'ai vu.

DC: Oui mais c'est la seule qui est, qui est venue, mais c'est vrai aussi, ce que tu dis, on fait venir les femmes qui existent, qui... voilà. Y aurait des...

LL: Par exemple en philosophe y a plein de femmes qui viennent. C'est là que je pense qu'il y a une volonté de faire ça, mais y a aussi une... une incapacité quoi. Bon Géraldine Laurent ça fait deux ans que ça chie pour des histoires de calendrier, de dates, mais en jazz c'est la seule fille que je voudrais inviter quoi. Y en a quelques-unes, mais moi c'est la seule qui m'intéresse, que je connais. Y en a sans doute que je connais pas, 'fin ça c'est un autre débat, j'ai pas...

JC: Ça c'est les invité-es extérieur-es de l'Hestejada, et après on parle de nous sur scène? Parce que nous on joue pas qu'au jazz, on joue un truc impur, qui demande aussi de faire des grimaces sur scène, et ça, ça commence à être le cas, mais c'était pas...enfin la fille elle a pas été construite comme ça par l'homme, pendant des millénaires. Comme espèce de femme objet, et beh elle était belle, elle était pomponnée depuis le début de sa naissance, on l'a formatée dans ce rôle-là, et ça ça fait très peu de temps en France, moi à mon avis ça fait moins de 50 ans, mais ça tu peux mieux en parler que moi, et le déclic il a eu lieu juste dans la génération de Bernard. Donc même si c'est pas un mec misogyne, et très au courant de tout ça, il est ancré dans l'actualité, lui il l'a hérité ce poids-là, sociétal. Et même s'il le remet en question, notre génération, c'est notre front à nous à tous. Donc ça ne sera pas qu'une histoire de filles. Mais nous on est pleinement conscient de ça...

LL: Ah oui

JC: ... et on a envie que ça change. On se rend compte...

LL: Oui, nan mais c'est pour ça qu'on en parle sur scène et qu'on se fout de notre gueule aussi souvent. On dit par exemple sur scène, quand y a Rita par exemple, et qu'on dit: «Y a Rita et 15 mecs autour quoi.»

AL: Mais là c'est elle qui est mise en avant.

LL: ... Oui.

AL: En termes de hiérarchie c'est elle qui est devant.

LL: Oui, oui c'est vrai.

AL: Et quand tu parlais de la CGT pour vous ça a eu un impact moralement, mentalement, intellectuellement de réflexion sur euh...

209

DC: Ah complet.

MA: Bin ouais.

DC: Ça fait partie d'Uzeste. Uzeste ça fait 25ans qu'ils sont là.

AL: Je parlais des débats féministes, Lydie.

DC: Oui mais ça fait 27 ans que... qu'ils sont là.

MA: Mais moi je l'ai pas ce... Enfin bien sûr qu'il y a cette question que les Gojats c'est que des

mecs, le parti Collectif, la Cie etc. Mais moi je fais des feux d'artifices et je... je travaille

dans un milieu où y a que des mecs et que des gros bourinasses. J'exagère mais... Et j'ai

absolument pas ce problème ou ce questionnement. Je l'ai eu, mais je pense que ...

LL: Mais c'est là que je pense que l'héritage rentre en jeu aussi quand même. Enfin t'as pas

l'impression de ça, du rapport des autres qu'ont à toi? Que si, enfin je sais pas c'est peut-être

un peu cru, mais que si t'étais pas la fille de Auzier ils seraient aussi accueillants ou aussi

pas accueillants?

MA: Bin ça je le vis, tu sais, parce que je travaille pas qu'avec Auzier justement et... y a plein

de gens qui m'attendent au tournant. Mais...

LL: Mais je pense que du fait qu'ils t'attendent au tournant, ils t'attendent. Alors que si t'étais

une fille et...

MA: Ah mais totalement!

LL:... et pas Auzier. Ils te verraient pas. Je pense qu'il y a aussi ça qui joue.

MA: Ah mais c'est sûr. C'est pour ça que je disais toute à l'heure que c'était pas rien.

JC: Si il te voit dans ta manière d'être. Et ça peut-être que tu as le nom, ça s'appelle «existe-

corporel» ou un nom comme ça quoi, c'est ce que tu dégages. De comment tu te comportes

à l'endroit où tu es. Et toi quand t'es sur un champ de feu,t'es à ta place. Et le mec vite fait,

qu'il soit misogyne ou pas, il sait que toi t'es à ta place.

MA: Voilà, c'est que que j'allais dire.

JC: Quand Louis monte sur scène et se met à la batterie, on sait qu'il est à sa place.

DC: C'est là qu'elle est la légitimité. [...]

LL: Mais moi je pense que si j'étais une fille, m'appeler Lubat ça me servirait. Plus que... que

je suis un garçon.

JC: Mouais c'est possible.

LL: Ce serait dur mais en même tant je serais repérée tout de suite.

DC: Nan, moi j'pense que ce serait moins dur.

LL: Oui c'est ce que je dis. Je pense que ce serait moins dur.

MA: J'suis pas sûre hein. Je suis pas sûre et je pense que de toutes façons c'est très con de...

Mais je suis pas sûre hein.

LL: Nan mais j'essaie de voir...

JC: C'est le truc de la discrimination positive de la fille qui reprend à la batterie le truc.

MA: Ouais je comprends pas là. Regarde moi j'ai bien pris une tenaille quoi.

DC: Une fille batteuse qui s'appelle Lubat.

MA: Ah!

210

LL: Mais même pas que dans le comparatif du fait que je sois un mec. Juste de dire une fille qui arrive comme ça dans le jazz, c'est très dur, c'est très dur!

JC, MA et AL: Mm, c'est sûr.

DC: Mais si elle a un nom...

LL: Et je pense que si elle a un nom, là se serait plus... Si tu veux, moi des fois dans ma vie personnelle, je préfère m'appeler Lubat. Enfin je suis très content de m'appeler Lubat quoi. Et dans le milieu du jazz, ça me dessert plus que ça me sert. Parce qu'ils me connaissent, mais ils me connaissent du... tout de suite je vois dans leurs yeux l'apriori. Alors qu'une fille qui arrive dans le jazz, c'est très très dur, c'est beaucoup plus dur que pour un mec, je pense qu'encore aujourd'hui c'est comme ça, et que si elle a un nom, même pas Lubat, c'est plus facile pour elle parce qu'elle est repérée plus vite. Y a un truc comme ça que je veux dire. Et je pense qu'il y a plus d'indulgence qu'avec moi.

JC: Ouais, je sais pas...

LL: Nan mais je l'ai vu avec Raph, Raphaël Quenehen, il était au CNSM (Conservatoire National Supérieur de Musique et de danse de Paris) avec une batteuse qui s'appelle Anne Paceo, moi j'aime pas du tout. On en parle une fois, y avait Paseo qui passait à la TV la veille et j'dis: «C'est quand même de la merde» et dit «Ah ouais mais en même temps, elle a passé 5 ans, tout le monde se foutait de sa gueule au CNSM.

JC: Putain...

LL: Nan mais c'est horrible. Mais y a le truc, c'est pas méchant, mais il fait de la, je sais pas comment dire, de la discrimination. Il m'explique qu'il aime pas ce qu'elle fait, mais...

MA: Et que comme c'est...

DC: ...mais qu'elle mérite parce que...

LL: Voilà. Moi je ne suis pas d'accord avec ça. Mais c'est juste pour donner un exemple aussi de... de comment on représente le truc quoi. [...] Nous on se sert du réservoir des gens qu'on voit et qu'on regarde. Et quand je regarde le réservoir philosophique des philosophes, quand je regarde des réservoirs comme ça, tu te rends compte qu'il y a pas mal de femmes qui viennent. Mais le problème c'est que quand tu regardes le réservoir des musiciens, bin c'est un réservoir de musicien, c'est pas un réservoir de musiciennes. [...] Et je mon père, il peut être autant féministe qu'il veut, l'exigence artistique il transige pas avec ça. Et il fera jamais du volontariat si sur scène ça passe pas.

AL: Et dans votre travail de construction des réseaux professionnels, vous vous êtes déjà senties valorisé-es ou dévalorisé-es par des éléments symboliques comme l'âge, le sexe, le nom, en dehors de ce que l'on peut connaitre de votre travail concret? [...]

MA: Bin totalement. Quand je suis cheffe de chantier et que c'est moi qui écris le feu d'artifices etc. et que j'arrive dans une ville où je dois tout à coup rencontrer le service technique de la ville...

LL: De Mézin (ville où une date devait être partagée entre Pyr'Ozier, les artificiers et los Gojats) JC: Ouais c'est clair.

MA: ...pour voir les lieux et tout ça.

211

LL: Mézin c'était la folie.

MA: Et bin les mecs du service technique, là, quand il voit une petite nana de 23 balais arriver

en face d'eux avec une tenaille à la main, ils rigolent quoi, tu vois. Ils te regardent pas tous

dans les yeux. Ils ont pas tous compris que c'était toi qu'allais leur expliquer quelques trucs...

C'est vraiment...

LL: Là tu sors la bombe à kérosène.

MA: Et le pire c'est que ça m'arrive très souvent que... que c'est après le feu d'artifice, au

démontage que les mecs ils viennent comme des fous me voir quoi. Tout à coup... Parce

qu'ils ont vu que j'étais pas en train de leur raconter des conneries, que je...

JC: Ça c'est de l'éducation populaire!

MA: Très souvent quoi!

DC: Moi ça me l'a fait la première année que j'ai fait Uzeste. C'était hyper dur avec euh... les

techniciens. Parce que euh, c'est pas une gamine de 22ans qui va leur apprendre le métier.

Et c'était pas évident. Et là par contre, euh, j'aurais pas étais la belle-fille de Bernard Lubat...

j'aurais pu aller me brosser.

JC: Mm.

LL: Mais là je pense que c'est plus le fait de l'âge que du sexe.

DC: Oui.

LL: Parce qu'en prod y a beaucoup de femmes.

DC: Là c'était la question de l'âge.

AL: Oui mais la prod et souvent considéré comme le travail de la maman.

LL: Oui nan mais je suis d'accord avec toi. Mais ils...

DC: Ils voulaient me marcher dessus parce qu'avant y avait Marie, Flora...

LL: C'est une femme, mais les techniciens ils ont l'habitude d'avoir un interlocuteur féminin.

[...]

MA: Ouais, mais moi en m'y confrontant énormément, je trouve ça chiant parce que je trouve

ça inadmissible, mais je trouve ça plus chiant parce que pour le coup j'ai envie de lui, de lui

dire: «Allé, viens avec moi quoi. Prend ta visseuse et viens mécher, viens et on va voir

comment ça se passe. «. Et du coup ça me fait plus chier parce que je trouve ça tellement

aberrant et tellement présent partout que... que j'ai pas envie que ce soit tabou comme,

comme, comme, j'sais pas, comme les mecs qui supportent pas les homosexuels. Parce que

c'est super réel quoi. Donc on est là, tout ça ça se passe, très bien bin on y va quoi.

JC: Généralement c'est qui les agresseurs? C'est des gens de plus de 30ans? 40ans? Non? Qui

se permettent?

MA et DC: Ouais, totalement.

JC: Et maintenant, la génération de maintenant c'est beaucoup plus rare quoi.

AL: Je sais pas. C'est plus pernicieux.

JC: A Mézin moi j'ai trouvé ça affreux. La manière dont ils t'ont reçu là. j'étais avec Tanguy, je

trouvais ça mais super violent. J'étais furax. Et en même temps si tu veux que ça se passe, tu

peux pas leur rentrer dedans.

212

MA: T'étais avec moi quand on a fait le repérage, non?

JC: Non.

MA: C'était pire.

LL: Tanguy ils nous a raconté.

JC: Ah c'était pire? Parce que là, rien qu'autour de la table, comme ça, avec les mecs qui te reçoivent avec les petits mots d'enculés là. Putain, ça...

MA: Ah non mais c'était rien ça pour moi.

JC: Ah ouais? J'ai horreur de ça moi déjà.

[...]

MA: Mais tu sais, moi la première année à Roquetaillade, où j'ai pris le relai de l'Opéra Liberté là, en 2013, j'avais les talkies. C'est moi qui avait le talky, j'étais cheffe de tir, j'avais le talky relié à toute l'équipe des techniciens et toute l'équipe de la sécurité (service d'ordre assuré par la CGT). Et bin après le feu d'artifice, Delmas, le grand Delmas de la CGT, il est venu taper dans l'époque de Patrick Auzier (son père), comme un taré en lui disant: «Putain ta fille, elle avait le talky! Elle a géré!!» Et en fait parce qu'ils étaient super flippés quoi. Ils ont halluciné, ils sont venus me voir à la fin: «C'était super!», me parler de la sécurité, tout ça.

LL: Mais ça pour moi c'est l'âge aussi.

MA: Et voilà je pense que ça, mais totalement. [...]

LL: Je pense qu'à Uzeste, je me trompe peut-être, je pense que c'est plus l'âge. A Mézin, par exemple, je pense que t'aurais été un mec du même âge, ça aurait été complètement différent. MA: Non mais Mézin, le repérage a été immonde quoi. [...]

JC: Moi, au terme de «ségrégation horizontale», je vais opposer le terme de «ségrégation verticale». [...] En tout cas, ici dans ce lieu et en résonance avec toutes les activités qu'on mène, dans l'association parti Collectif ou d'autres trucs, y a l'importance du musicien, l'importance de l'artiste. Je dirais pas qu'il y a un ascendant sur le reste, mais qu'il y a un rôle capital. [...]

AL: Dans les recherches que j'ai pu faire, y a un constat qui m'a touché et que je trouvais intéressant, c'est : déjà la plupart des femmes artistes ou du métier culturel sont en couple avec une autre personne du secteur culturel. Surtout l'exemple qui... (MA désigne LL et AL) Oui je sais, nous sommes un excellent exemple. Euh, à la base c'est surtout sur les musiciennes de jazz, qui sont pour quasiment la totalité en couple avec un musicien, un agent, un chargé de com, technicien etc. Et ça crée deux problèmes : la dépendance au réseau du conjoint et le problème du soutien. Puisque c'est quand même des vies qui ont besoin d'un soutien physique, mental, etc. Et souvent, ils se rendent compte au fur et à mesure que la conjointe soutient le musicien au détriment de elle, sa carrière. Et souvent quand un enfant arrive, la carrière s'arrête, au bénéfice de celle du musicien. [...] Je me demande si vous, vous avez pas cette crainte de dépendance aux réseaux d'ici, du lieu et aussi du conjoint, conjointe.

LL: Euh, je pense que la dépendance aux réseaux des parents on peut l'évacuer tout de suite parce que, si tu veux, moi j'ai pas peur qu'elle s'envole, parce que je pense pas que je vais couper tous les ponts avec mon père...

213

JC: Tu vois, contrairement à ce qui pourrait t'arriver à toi (AL), par exemple.

LL: (Petits rires) T'es vraiment un **** toi [...]

MA: Mais moi par exemple...

DC: Après dans le milieu archi (de l'architecture) c'est pareil hein. C'est que les couples, ils se

forment et t'as le mec qui devient une grande star et la femme qui a fait ses études d'archi. ...

MA: Elle s'occupe de la baraque!

DC: Non, c'est encore pire que ça. Elle devient secrétaire. Et après elle est cocue avec une

collègue, évidemment [...] et du coup elle s'occupe de l'agence avec les cocus et voilà.

JC: Tu rigoles!?

DC: Nan, nan, c'est énorme. La plupart des secrétaires des grands archi. c'est des femmes

d'archi.

MA: Moi par exemple je suis en couple avec un artificier

JC, DC et LL: (Rires)

MA: On est tombé amoureux en se soutenant, en plus, énormément dans notre métier. Et euh,

on a un réseau qui est très lié mais on a aussi un réseau qui est très différent, dans notre

relationnel du milieu. Donc ça se rejoint beaucoup mais on a aussi chacun nos, nos axes. Et

on se soutient énormément mais on a chacun notre écriture. [...]

AL: Donc si dans un an c'est fini, tu ne te retrouves pas sans réseau en fait.

LL: Oui mais parce que tu en avais déjà un avant. Tu t'es pas construite que par lui.

MA: Nan. On s'est rencontré dans ce milieu-là en ayant chacun nos réseaux et en ayant aussi

du réseau commun quoi, forcément. Et non j'ai pas peur d'arrêter ma carrière en ayant des

enfants. [...] Toute en étant consciente de la dangerosité de la fusion et en faisant attention

quoi.

DC: Moi j'espère ne pas être secrétaire.

Tous: (Rires)

JC: Mais t'as pas eu beaucoup d'amoureux archi. ?

DC: Nan. Nan mais justement c'était une règle, pour moi.

MA: Ouais mais tu sais la règle...

DC/ Oh, pour l'instant je la respecte bien.

LL: Toi (MA) t'avais une règle comme ça? Tu voulais pas...?

MA: Nan, mais c'était pas une règle, mais je pense que ça te tombe dessus. [...]

LL: Mais attends, y a des règles hein, toi [A]) tu voulais pas être avec un mec des Gojats au

départ.

AL: Mmmh.

JC: Tu rigoles?

LL: C'est un échec. [...]

[Retour sur la CGT et les débats féministes]

DC: Mais on en a déjà parlé Anna. Pareil, moi cette préoccupation du combat féministe, je l'ai

eu très tard. Je l'ai depuis six mois. Que avant, j'ai jamais été confrontée à.... Peut-être

inconsciemment, mais jamais consciemment. J'ai toujours été, beaucoup travaillé avec des

214

hommes, en permanence, même à l'école. Et j'ai toujours eu, pas porté la culotte, mais j'ai

toujours eu ma place et jamais faite écrasée.

AL: Et qu'est-ce qui c'est passé y a six mois?

DC: Y a eu ces entretiens à St Medard en Jalles (entretiens sociologique sur les habitants des

HLM) où j'ai vu que...

JC: Ouais que c'était un problème.

DC: Beh que c'était réel. [...]

DC : Mais voilà, y a une réalité aussi sociale. On avait rigolé de Marie Lubat. Marie Lubat qui

euh, on est trois soeurs : Ariane, Raphaëlle et moi. Et Marie adorait Ariane parce que c'est

celle qui faisait des études. Donc elle était à Bordeaux pour faire des études, c'était important.

Raphaëlle c'était l'artiste, la danseuse. Et bin moi j'étais faite pour faire à manger, repasser

le linge, et surtout, éduquer Louis. Donc je me faisais engueuler quand Louis ne disait pas

bonjour à Jeannette, que il faisait du boudin etc. C'était: «Non mais Diane, ça va pas du tout,

qu'est-ce que vous faite...». Après je me faisait engueuler parce que je faisais pas la sauce

salade comme il fallait, que je savais pas plier le linge comme il fallait... Y a aussi un....

LL: Oui, un truc horrible qui se transmet.

MA: Ah oui, oui, oui...

DC: Voilà. Qui est inconscient. Mais voilà. Moi je l'analysais pas comme ça à l'époque. Mais

voilà, ça me fait rire.

AL: Mais ça reste quand même ancré.

DC: Ça reste ancré. [...]

AL: Quel constat vous feriez à Uzeste, non pas seulement sur la répartition hommes/femmes

mais aussi masculin/féminin?

LL: Ouais mais ça faudrait que tu définisses un peu parce que là....

DC: Ouais

JC: Pour que cette rencontre nous serve aussi j'aimerai bien que tu définisses «genre» et «sexe»,

la différence est pas... [...]

AL: Mais en fait j'avais plutôt envie de vous demander à vous, de définir le masculin et le

féminin.

LL: Ah, bin quelqu'un a une définition? Jaime?

JC: Bin pour moi le masculin c'est la force... l'esprit aventurier...

Tous: (Rires)

JC: C'est la puissance de décision et d'action. C'est le leader-chip. Et puis, (rires) le féminin se

serait plus, tu vois, la douceur, la gentillesse, le côté familial.

Tous: (Rires)

JC: Euh (se rapprochant de l'enregistreur), je m'appelle Louis Lubat.

Tous: (Rires)

AL: Finalement t'as pas si tort que ça. Le féminin et le masculin c'est ce qui va être construit

culturellement comme étant attribué à l'homme ou à la femme. [Présentation du schéma des

opposition de Pierre Bourdieu]

215

DC: Du coup on les présente comme des oppositions?

AL: Alors, c'est là le problème. Notre génération... Enfin. Moi j'étais plus dans l'idée que c'était

plutôt, par exemple la force qui correspondrait aussi bien au féminin qu'au masculin c'est

juste c'était pas les mêmes forces, «force féminine», «force masculine».

JC, DC: Mmh. Ouais.

AL: A l'heure d'aujourd'hui, moi je me dis qu'il n'y a pas de féminin ni de masculin.

JC: Moi j'suis d'accord plutôt.

DC: Moi c'était plutôt là-dessus.

JC et MA: Ouais, moi aussi.

DC: Je me disais: «C'est peut-être ma vision architecte de mes deux, sans poésie, sans rien»,

mais pour moi c'est... C'est des mots vides de sens.

LL: Moi j'suis d'accord avec toi mais en même temps c'est des mots, par exemple au feu de l'an

dernier [fait pas MA], que je me suis dit. Tu vois. En facilité de langage bête...

MA: C'est ce que tout le monde a dit d'ailleurs. Moi j'ai beaucoup entendu ça.

LL: Tu vois. Le feu de l'an dernier où c'était plus féminin.

DC: Mais ça veut dire quoi?

MA: J'suis pas d'accord hein. Mais je comprends.

LL: Non, non mais je sais. Mais tu vois sur le cliché de ce que t'as dit quoi, de la douceur. Tu

vois, où Patrick ça envoie du pâté beaucoup, c'est un peu l'image du mec aussi. Peut-être pas

dans la vie de tous les jours...

MA: Mais de par les moeurs, je comprends très bien ce que ça veut dire quoi. Mais après, de par

mon être et ce que je veux...

JC: C'est bizarre quand même, même ces mots qu'on emploie, même si on est pas d'accord on

les emploie, quand même quoi. Moi des fois quand je les dis, je m'analyse en train de les

dire quoi. C'est pour ça que j'ai rigolé un peu là-dessus, mais Louis il a ces mots-là,

«féminin», ...

LL: Nan mais que je sens qui est pas juste hein.

JC:...parce qu'on a pas les mots pour aller plus loin. Parce qu'on est dans une période charnière

où on est en train de se dire qu'il n'y a plus de masculin, plus de féminin alors qu'est-ce qu'il

y a quoi? Y a des mots, mais faut pas qu'ils soient vides de sens, il faut les remplir.

DC: Pour moi ça s'arrête à la grammaire.

MA: Moi je pense que pour moi c'est devenu une histoire de sexe. Et je pense que je me sers de

mon métier et de mon milieu pour dire ça. Mais je comprends, par exemple à la fin du feu

cette année, que tout le monde me dise que c'est beaucoup plus féminin et tout ça. Sauf que,

je comprends, mais ça me parle pas.

LL: Toi tu le conçois pas comme ça, quand tu l'écris...

MA: Pas du tout! Et en plus, cet espèce de milieu où je suis là, où c'est très bourinasse mais en

même temps il peut y avoir énormément de douceur, euh, et qui est un milieu très masculin,

et bin pour moi ça veut plus rien dire. Enfin c'est pas vrai parce que toute l'histoire fait que

ça veut dire beaucoup de choses, mais que je, pour moi je suis, en faisant tout ça, en train de

216

le démonter et... et je trouve pas ça... et je trouve ça plus.... j'y trouve plus de sens en tout

cas.

AL: Alors j'ai pas compris pourquoi tu dis que c'est plus une histoire de sexe?

MA: Parce que tu nous disais: «Pour vous, suite à ce débat c'est quoi le féminin, c'est quoi le

masculin?» Et bin moi je dirais que c'est une histoire de sexe quoi. Après je pense pas que...

AL: Je comprends pas ce que tu veux dire.

MA: Et beh que le masculin c'est le sexe masculin et le féminin pareil quoi.

AL: Donc y a pas de qualités...

JC: Y a pas de genre pour toi?

MA: Si y a un genre, mais que tu te définis, mais que...

LL: Oui pas intrinsèque au sexe que t'as quoi.

MA: Voilà C'est pas [...] Mais si là tu me demandes «féminin/masculin» je te dis: «un homme

et une femme» quoi.

LL: Mais ça veut dire qu'un homme et une femme, ils ont des qualités et des défauts différents?

MA: Bin ça veut dire qu'une femme peut être très très forte et très brute et un homme très doux,

très sensible.

LL: Donc y a du genre.

MA: Ah mais y a du genre! Mais cest à dire que moi j'ai pris la question au premier... Pour moi

la question c'est pas: «qu'est-ce que c'est le genre masculin et le genre féminin», c'est:

«qu'est-ce que c'est le masculin et qu'est-ce que c'est le féminin». Comme ça là, brute de

pomme, et bin c'est l'homme et la femme quoi.

LL: Donc accepter sa part de féminité. Mais c'est un demi-cliché ça. Enfin moi j'pense. Parce

qu'en même temps, tu vois ton feux l'an dernier, dans les clichés, il a les attributs du féminin.

Dans les clichés, on est même pas obligé d'utiliser le mot.

MA: Mais peut-être que tu dis ça que par exemple y avait du rose. Tu vois, c'est hyper con ce

que je suis en train de dire, mais c'est vrai quoi.

LL: Ah non, mais peut-être.

DC: Mais pourquoi on doit utiliser ses termes là? De féminin et masculin? Pourquoi on peut

pas dire que le feu de Margot, et moi c'est ça que j'ai pensé, c'est que je l'ai trouvé sensible.

JC: Ouais c'est ça.

LL: Ouais, mais dans le cliché, sensible c'est féminin.

DC: Peut-être, et bin luttons contre les clichés et nommons les sentiments qu'on a eu. [...]

2. DOCUMENTS ANNEXES

3. Sociogramme d'Uzeste Musical - années 2013-2014

autres

Musiciens

Myriam

Roubinet

Théâtre Feux d'artifice Musique Cinéma A-musique Communication

Feux d'artifice Musique Production Danse

Margaux

Auzier

Auzier

Juliette

Minvielle

Andrè

Minvielle

Laure

Duthilleul

Bernard

Lubat

Diane Camus

Martine

Camus

Raphaëlle

Camus

Louis Lubat

Chatet

A-musique

Rousseau

217

A-musique A-musique

Anna

Legrand

 

Mona

Chavanne

 
 
 

Michel Portal, Sclavis et

Cirque/ recherche A-musique

Légende

Lien familial (couple, parenté)

Patrick

Ancien lien de couple

Lien d'amitié

Fondateurs d'Uzeste Musical

Actuels acteurs de la Cie Lubat

Acteurs occasinels de la Cie Lubat

Jules

Paolo

3.1. PHOTOGRAPHIES DU THEATRE AMUSICIEN

Vue extérieure du Théâtre Amusicien durant la Marche pour la culture. L'enseigne

« Estaminet » disparaît au fil des ans.

Juliette

Kapla

Fabrice

Vieira

Joël Boudé

Marie

Boudé

Sylvie

Gravagna

Antoine

Chao

Matine

Amanieu

Alain

Amanieu

A-Musique A-musique Régie

Administration

Cuisine Théâtre Radio Uz Théâtre Ecriture

membre du bureau

d'Uzeste Musical

Thomas

Boudé

 

Jaime Chao

Polack

A-musique

A-musique A-musique

Los Gojats

Membres du parti Collectif (Bordeaux)

Bernard

A-musique

218

Camille

Georges

Photographie

+ vingtaine de jeunes artistes bordelais? es

Mathis

Tanguy

Vue intérieure du Théâtre Amusicien, depuis le balcon. Les chaises ont été poussées sur les côtés pour laisser place au bal. Sur scène, Los Gojats et la Cie Lubat. Hestejada 2013

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci