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La chose contrefaite

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par Nicolas Monteil
Université Paris I Panthéon - Sorbonne - Master 2 Droit Patrimonial approfondi 2010
  

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Conclusion générale

BIBLIOGRAPHIE

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PRINCIPALES ABREVIATIONS

Act. Actualité

ACTA. Anti-Counterfeiting Trade Agreement

Al. Alinéa

Art. Article

CA. Cour d'appel

C.ass. Code des assurances

Cass.ass.plén. Assemblée plénière

Cass.1re Civ. Cour de cassation, première chambre civile

Cass.2e Civ. Cour de cassation, deuxième chambre civile

Cass.3e Civ. Cour de cassation, troisième chambre civil

Cass.Com Cour de cassation, chambre commerciale.

C.civ. Code civil

C.cons. Code de la consommation

Cf. Confère

ch. Chambre

Chap. Chapitre

chron. Chronique

coll. Collection

comp. Comparer

CPI. Code de la propriété intellectuelle

D. Recueil Dalloz

déf. définition

Defrénois. Répertoire du notariat Defrénois

éd. édition.

Gaz. Pal. Gazette du Palais

JO. Journal officiel

Pré. Précité

Rappr. Rapprocher.

Rec. Recueil

Rev. Revue

RTD.civ. Revue trimestrielle de droit civil

RTD.com. Revue trimestrielle de droit commercial

somm. sommaire

V. voir

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Introduction

1.- Statut particulier de la chose contrefaite et économie - En augmentation constante depuis la fin du XX ème siècle, la contrefaçon représente aujourd'hui environ 10% du commerce mondial. D'une ampleur économique considérable, les marchandises contrefaisantes suscitent de nombreuses incertitudes sur le plan juridique. Récemment considérées comme hors du commerce par la Cour de cassation en matière de vente1 , elles ne semblent pas pour autant échapper à toute activité juridique. Au même titre que les marchandises authentiques, les marchandises contrefaisantes font l'objet d'actes juridiques dont le contexte, bien souvent international, complexifie l'analyse.

Les marchandises contrefaites se sont répandues de manière spectaculaire au cours de ces dernières années. Parallèlement, les moyens de lutte contre la contrefaçon se sont intensifiés sans vraiment parvenir à endiguer le phénomène2. La contrefaçon est aujourd'hui un fléau mondial qui a un coût incommensurable et difficilement estimable pour les économies3. D'un phénomène local et artisanal, touchant d'abord les industries du luxe, le domaine de la contrefaçon s'est étendu depuis le milieu des années quatre-vingt-dix pour devenir un phénomène de fraude global, n'épargnant aucun secteur de l'économie, ni aucun produit et utilisant toutes les voies d'acheminement possibles, dont internet. La contrefaçon représente un chiffre d'affaires de plusieurs centaines de milliards d'euros, qui la place au deuxième rang des fléaux criminels, juste après le trafic de drogue4.

1. Cass. com 24 septembre 2003 n° 01-11.504 Publication :Bull. 2003 IV N° 147 p. 166. Une marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente. Arrêt rendu au Visa des articles 1128 et 1598 du Code civil; Solution réitérée même Visa Cass. com 20 mars 2007 n° 05-13074 arrêt non pub.

2. Traité international ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement), le texte fixe les orientations de la politique de lutte contre la contrefaçon . Les Etats tiennent une ligne réprésive.LEMONDE.FR le 24 mars 2010

3. La contrefaçon en chiffres, note Mikaël ROUDAUT, Questions d'europe n°86 14 janvier 2008 «contrefaçon en Europe: le vent en poupe - Les saisies de contrefaçons et d'articles piratés effectuées dans l'Union européenne s'élevaient à 75 millions en 2005 et 250 millions en 2006, soit une augmentation de 330%entre 2005 et 2006 et 1 000% entre 1998 et 2004; En France, les saisies douanières sont passées de 200 000 articles en 1994 à 6 millions en 2006 (soit une augmentation de 3 000%); Le chiffre d'affaires de la contrefaçon était estimé en 2004 à 500 milliards d'euro par soit 7 à 10% du commerce mondial;

4. Séminaire européen sur la lutte contre la contrefaçon Mercredi 26 novembre 2008

2.-

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Définition de la contrefaçon - La contrefaçon doit être entendue largement. Elle est caractérisée comme la violation d'un droit de propriété intellectuelle, c'est à dire comme la reproduction ou l'utilisation totale ou partielle d'un brevet, d'un dessin, d'une marque, d'un modèle ou d'un droit d'auteur sans l'autorisation de son titulaire. Le Code pénal ajoute sous ce même vocable les atteintes portées au sceau de l'État, aux pièces de monnaie, aux billets de banque et, aux effets public5. De surcroît, bien qu'une liste exhaustive des actes de contrefaçon soit dressée à l'article L613-3 du Code de la propriété intellectuelle, ces derniers sont déterminés largement, de sorte qu'on ne peut pas imaginer des actes portant atteinte aux droits qui ne soient pas compris dans la liste6. La loi ajoute que l'importation de produits contrefaits est assimilée à leur fabrication7. La contrefaçon s'apprécie selon les ressemblances et non selon les différences. Elle consiste à reprendre un ou plusieurs éléments qui, pour un acheteur d'attention moyenne, risquent de prêter à confusion8.

Son domaine et son importance considérables sont autant de facteurs de nature à compliquer l'appréciation du statut de la chose contrefaite.

3.- Le domaine diversifié de la contrefaçon - La chose contrefaite embrasse des réalités très diversifiées qui compliquent l'appréciation de son statut. Il s'agit tout autant de jouets, de produits textiles, de logiciels, d'oeuvres littéraires, musicales et cinématographiques (piratage), de médicaments de monnaies et billets de banque, de produits alimentaires (dentifrice, eau minérale, pomme, thé, alcools divers...), de parfums et produits cosmétiques, d'appareils électriques que de pièces détachées de véhicules, de cigarettes ou de biens technologiques de pointe (téléphone portable, scooter station-service, ou même -très récemment- l'« iPad! »9).

La contrefaçon de médicaments10, est une illustration récente de la diversité de l'industrie contrefaisante. Le médicament fait l'objet d'un intérêt croissant de la part des criminels. Les experts considèrent que le faux médicament présente moins de risques pour les

5. « Contrefaçon », Vocabulaire juridique de G. Cornu, 7e éd. p. 231.

6. Par exemple: l'utilisation du produit breveté, l'importation, la mise dans le commerce, l'utilisation et détention à des fins commerciales , les actes qui proposent de conclure des contrats sur des procédés contrefaisants, et généralement chaque fois que le cocontractant du breveté, et spécialement le licencié, ne respecte pas les limites posées par le contrat, il est lui-même contrefacteur.

7. L.335-2 al 3 du CPI sanctionne des mêmes peines que la contrefaçon proprement dite l'exportation et l'importation d'ouvrages contrefaits

8. SCHMIDT-SZALEWSKI (J.), Pierre (JL.), Droit de la propriété industrielle 4e éd., Litec., Paris : 2007

9. L'iPed chinois copie la tablette d'Apple, cinq fois moins coûteuse que l'original, LEFIGARO.FR, par Marc Cherki, mercredi 2 juin 2010

10. note préc., Mikaël ROUDAUT. IV des enjeux de santé publique patents: l'industrie du faux médicament pose un grave danger pour les consommateurs. Chaque année, de nombreux décès rappellent cette évidence (ex:1995, Niger : épidémie de méningite : plus de 50 000 personnes reçoivent de faux vaccins provenant d'un don d'un Etat les croyant sûrs. Bilan : 2 500 morts (Voir LE MOCI n° 1637, 12 février 2004 spéc. pp. 47-8.)

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criminels que le trafic de stupéfiants, tout en étant plus rentable. On estime ainsi qu'un kilogramme d'héroïne rapporte 200% de profit, tandis qu'un kilo de principe actif de « Viagra » acheté en Inde permet d'effectuer plus de 2000% de profit.

4.- La mise hors du commerce de la chose contrefaite - La majeure partie de la doctrine considère que la chose contrefaite est hors du commerce depuis l'arrêt rendu par la chambre commerciale le 24 septembre 2003, au visa des articles 1598 et 1128 du Code civil11. Certains auteurs ont toutefois souligné que la marchandise contrefaite n'avait pas été proclamée expressis verbis hors du commerce par la Haute juridiction, comme cela fut le cas pendant près d'un siècle pour les clientèles civiles12.

5.- Hétérogénéité de la catégorie des choses hors du commerce - Le terme de chose est très vague13. Le plus vague de la langue française selon M. Carbonnier14. Qui plus est, la notion de commerce juridique ne fait l'objet d'aucune définition unanime en doctrine. En outre, la catégorie des choses hors du commerce est elle-même difficile à saisir. Les choses qui composent cette catégorie laissent entrevoir plus de disparités que d'unité15 et ne sont appréhendées par le Code civil qu'à travers leur régime16. En effet, l'article 1128 du Code civil ne définit la chose hors du commerce qu'à travers un effet juridique qui lui est attaché, à savoir que cette chose ne peut pas faire l'objet d'une convention.

Une approche compréhensive de la catégorie des choses hors commerce permet ainsi de voir en son sein une extraordinaire diversité d'objets. On y trouve des objets proches de la personne humaine dont la circulation porterait gravement atteinte à sa dignité comme à sa liberté, tels que les produits et les éléments de son corps, le nom patronymique17, les tombeaux ou les sépultures, les souvenirs de familles et, de manière plus générale les droits de la personnalité. Par extension, la catégorie des choses hors du commerce absorbe aussi tous les objets dont la circulation porterait une atteinte grave aux principes fondamentaux d'une

11. ref précité n°1

12. RTD Civ. 2004 p.117, obs. sous Cass; com.24 sept.2003 n°01-11. 504 note REVET (T.), ex arrêt rendu Cass.3 juillet 1986 «les malades jouissant d'une liberté absolue de choix de leur médecin, la clientèle qu'ils constituent, attachée exclusivement et de façon toujours précaire à la personne de ce praticien, est hors du commerce, et ne peut faire l'objet d'une convention»

13. Locutions latines du droit français Roland (H); Boyer (L.) Litec 4è Edition. P 420 RES/ chose: désignation indeterminée de tout ce qui existe.

14. Cité dans MALAURIE (Ph.),- AYNES (L.),-STOFFEL-MUNCK (Ph.), Les obligations 2e éd., Defrénois

15. RTD Civ. 2000 p.47 Typologie des choses hors du commerce. Note LOISEAU (G.), Il y a une incertitude sur l'inventaire de ces choses que rien a priori ne rapproche sinon leur soustraction commune aux actes juridiques. Les choses les plus diverses peuvent ainsi être recensées dans cet étrange archipel ; JCP n°51, 22 decembre 1999, I 191, LOISEAU (G.)

16. art. 1128Cciv; art.1302 Cciv; art. 1598 Cciv; art. 1878 C.civ; art 2260 du Cciv; art. 2397 Ccivil.

17. GHESTIN Com. 12 mars 1985, Dalloz, 1985, D., 1985.471,.

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société démocratique, comme les mandats électifs ou au bien public comme la cession des offices ministériels.

De surcroît, la catégorie des choses hors du commerce accueille aujourd'hui des objets que l'on retire de la circulation juridique pour les soustraire du marché en raison du danger qu'ils représentent. L'article L.221-1 du Code de la consommation, à travers le principe général de la sécurité des produits et des services offerts aux consommateurs, ouvre un champ pratiquement illimité à cette catégorie juridique18. Outre la nécessité de soustraire du marché les produits contrefaisants en raison de l'illicéité fondamentale qui les frappe, l'entrée des marchandises contrefaisantes dans la catégorie des choses hors commerce ne surprend pas au regard de cette dernière hypothèse: les marchandises contrefaisantes, notamment les médicaments, sont sources de risques importants19.

6.- Évolution de la catégorie des choses hors du commerce - Historiquement la chose hors commerce a une origine romaine20. Le droit civil ne pouvait concerner que les choses dans le commerce. La notion avait un caractère religieux: res divini juris (sacrae, religiosae, sanctae). Cette catégorie de choses était soustraite au pouvoir des hommes, car elles étaient soumises à celui des dieux (par exemple, les temples , les sépultures, les limites de Rome et des champs). Elle ne pouvait, de manière absolue, faire l'objet d'actes juridiques21.

Le contenu du commerce juridique évolue avec le temps. Dans l'Antiquité romaine, certaines personnes pouvaient faire l'objet de conventions au même titre que les choses. Aujourd'hui la notion de commerce juridique permet de mettre en oeuvre une véritable politique économique en sanctionnant par une nullité absolue les conventions relatives à certains objets. Alors que la notion de sacré est en recul, et même en voie de quasi-disparition, au bénéfice de réalités économiques, s'ajoutent à la catégorie de nouvelles choses mises hors du commerce, comme les immeubles comportant de l'amiante dans les faux plafonds parce qu'est en cause la santé des personnes.

La marchandise contrefaite fait également partie des nouveaux entrants dans la catégorie des choses hors du commerce.

18. Art.L221-1:Les produits et les services doivent, dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions raisonnablement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes

19. RTD Com. 2004 p.304 note. GALLOUX (J-C.)

20. Le commercium du droit romain, le commerce du Code civil de 1804, ne sont pas le commerce au sens vulgaire, mais aussi juridique du terme. Ce dernier y est certes contenu: une chose ne peut être hors le commerce et être dans le marché.

21. MALAURIE (P.) , AYNES (L.), Les biens 3e ed. Les chose hors du commerce

7.-

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Définition de l'extracommercialité dissociée de l'illicéité - Il convient de distinguer les choses hors du commerce et les choses hors du marché. La distinction se déduit du sens donné au mot commercium, qui ne désigne pas seulement les opérations commerciales stricto sensu mais vise le commerce juridique lato sensu, c'est-à-dire l'ensemble des actes juridiques dont une chose peut être l'objet. Il en résulte que si une choses hors du commerce est nécessairement hors du marché, à l'inverse, une chose hors du marché n'est pas forcément hors du commerce si elle peut faire l'objet de convention à titre gratuit.

La chose hors du commerce n'est que rarement une chose illicite en soi. En réalité l'illicéité atteint moins la chose objet de la prestation que la prestation objet de l'obligation. C'est parce que la chose a été mise hors du commerce par le droit objectif que la prestation qui s'y rapporte devient illicite. L'objet de l'interdit n'est pas la chose, mais le commerce. L'extracommercialité doit donc être entendue comme l'impossibilité pour une chose de circuler selon les moyens contractuels, ou plus précisément, comme signifiant essentiellement qu'un bien ne peut pas valablement circuler d'un patrimoine privé à un autre22.

Il semblerait, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, que l'interdiction23 dans le marché de la circulation des marchandises contrefaisantes ne soit pas suffisante. Selon certains auteurs, cette position jurisprudentielle démontre la volonté ferme de la Haute juridiction de combattre avec efficacité ce fléau que constitue la contrefaçon24.

8.- Degrés de commercialité - Entre la pleine commercialité et la pleine extracommercialité, il existe des degrés et des gradations. Une chose peut être soustraite à certaines actes juridiques seulement. Par exemple, les conventions sur les produits du corps humain sont prohibées lorsqu'elles sont faites à titre onéreux; mais elles peuvent être valables si elles ont été conclues à titre gratuit et ont une justification thérapeutique25. Qui plus est, l'extracommercialité ne peut concerner que des personnes déterminées. Cette situation se rencontre par exemple, lorsqu'il est nécessaire que les parties soient des personnes habilitées à contracter dans un domaine déterminé.

22. Contribution à l'étude de la valeur en droit privé des contrats. pref J.Ghestin, LGDJ, 2002. thèse Paris I Ph.JOUARY n°357 et s.

23. Article L716-9 CPI: «Est puni de quatre ans d'emprisonnement et de 400 000 euros d'amende le fait pour toute personne, en vue de vendre, fournir, offrir à la vente ou louer des marchandises présentées sous une marque contrefaite.a) D'importer, d'exporter, de réexporter ou de transborder des marchandises présentées sous une marque contrefaisante. b) De produire industriellement des marchandises présentées sous une marque contrefaisante.c) De donner des instructions ou des ordres pour la commission des actes visés aux a et b.»

24. LPA, 28 mai 2004 n° 107, PARANCE (B.)

25. note préc., RTD Civ. 2000 p.47 Typologie des choses hors du commerce. note LOISEAU (G.),. Thèse I.MOINE, Les choses hors commerce. Une approche de la personne humaine juridique, LGDJ 1997 préf., E. Loquin

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D'un point de vue dogmatique, il y a extracommercialité seulement lorsque aucun acte juridique n'est autorisé sur la chose. Mais les différentes études démontrent que, en réalité, les choses qui sont recouvertes par la notion précitée se définissent essentiellement par une impossibilité de circuler selon les moyens contractuels26 ou même pour un auteur, la commercialité de l'article 1128 du Code civil doit être réservée à la circulation d'un élément patrimonial entre deux patrimoines27.

Dans tous les autres cas, la chose n'est que partiellement hors commerce. L'immense majorité des choses se trouvent dans une situation intermédiaire. L'examen du droit positif nous enseigne plutôt que la spécificité de ces choses, liée par exemple à leur dangerosité comme les médicaments et autres produits stupéfiants, commande seulement de soumettre les conventions s'y rapportant à des règles particulières.

9.- Une exception au principe de la liberté des opérations juridiques sur toute espèce de choses - La chose contrefaite entre dans la catégorie des exceptions au principe de la liberté des opérations juridiques sur toute espèce de choses. Valeur économique jugée centrale, le principe de libre circulation des biens est posé par le Code civil. Celui-ci protège le commerce juridique et la commercialité des biens en posant le principe de la libre disposition des biens appartenant aux personnes de droit privé28. C'est pourquoi il est nécessaire d'appréhender les choses hors du commerce comme des exceptions, lesquelles ne cessent de diminuer dans une époque aspirant à la liberté des échanges29. Le cas de la sortie des clientèles civiles de la catégorie des choses hors du commerce illustre cette tendance. La cession de celles-ci n'est pas illicite à condition que soit sauvegardée la liberté de choix du client30.

26. Pour certains auteurs l'extracommercialite s'entend pour la chose de l'impossibilité de circuler selon les moyens contracturels laquelle n'est pas une simple qualité mais le fondement même des véritables choses hors commerce. I.MOINE (I.) , Les choses hors commerce, Une approche de la personne humaine juridique, LGDJ 1997 préface E. Loquin.

27. PAUL (F.), Les choses qui sont dans le commerce au sens de l'article 1128 du Code civil, LGDJ. 2002, préf. J. Ghestin.

28. Zenati-Castaing (F.), Revet (T.), Les biens 3e ed. P 71; art 537 du Code civil. Les particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent, sous les modifications établies par les lois.Les biens qui n'appartiennent pas à des particuliers, sont administrés et ne peuvent etre aliénés que dans les formes et suivant les règles qui leur sont particulière

29. Un auteur y voit la renaissance de l'extracommercialité sous les traits d'une économie de marché, la protection d'un travail, valeur fondamentale. PLA, 28 mai 2004 n° 107, P. (2 commentaires: E. TRICOIRE B. PARANCE)

30. La clientèle civile n'était pas dans le commerce selon une solution plus que centenaire. Désormais la clientèle civile fait l'objet de transactions. Civ. 1.re, 7 nov. 2000, cession de clientèle médicale: principe de licéité. Notamment Defrénois 2001. 431,note LIBCHABER.

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10.- La chose contrefaite n'est pas un sanctuaire de non-droit31 - Il est difficile d'imaginer que des marchandises contrefaisantes ont une extracommercialité totale. D'une part, parce que la notion d'extracommercialité est élastique32 et laisse souvent la place à certains actes juridiques valables. D'autre part, parce que l'aspect économique de la chose contrefaite, l'isole au sein de la catégorie classique des choses hors du commerce. En effet, la chose contrefaite a pour singularité d'avoir une réalité économique, et d'être le plus souvent identique à la chose authentique. Ces marchandises sont peu ou prou des biens comme les autres, elles sont physiquement appropriables, elles ont une valeur, une utilité, elles ne se distinguent en rien de celles qu'elles contrefont.

La chose contrefaite ne nous semble pas bannie du champ du droit, contrairement à ce que pourraient laisser entendre les règles visées par les magistrats de la Cour de cassation dans l'arrêt de principe précité. Loin de constituer un sanctuaire du non-droit, les marchandises contrefaisantes semblent pouvoir faire l'objet de certaines conventions. Certes, la chose contrefaite semble avoir été boutée de la sphère de la commercialité par la jurisprudence; pour autant, il n'est pas certain que la marchandise contrefaisante échappe à toute activité juridique. Bien que hors du commerce, la chose contrefaite peut par exemple, faire l'objet d'une saisie contrefaçon33. Il nous semble évident que, tout comme la limite relative à la personne humaine, les exceptions à l'extracommercialité sont nombreuses ou du moins existent. En effet, d'une part, un auteur a souligné l'incertitude concernant la question de la validité des contrats portant sur une chose contrefaisante qui ne réalisent pas de mutation patrimoniale34. D'autre part, une partie importante de la doctrine refuse de réduire l'extracommercialité à l'inappropriabilité35.

31.CARBONNIER, Flexible droit, 10e éd., LGDJ., Paris 2004 Chap2. L'hypothèse du NON-DROIT, p.2 Le non-droit est l'absence du droit dans un certain nombre de rapports humains où le droit aurait eu vocation à être présent. Il ne désigne pas le vide absolu de droit, mais une baisse plus ou moins considérable de la pression juridique.

32. Thèse MOINE (I.) préc., Pour cet auteur, certaines choses, les substances dangereuses, les chose appartenant au domaine public, peuvent relever d'un régime comparable à celui des choses hors du commerce, sans pour autant être définies comme telles. Elles sont simplement hors du marché.

33. n°212 SCHMIDT-SZALEWSKI (J.), Pierre (JL.), Droit de la propriété industrielle 4e éd., Litec., Paris : 2007, la loi organise au profit du breveté un moyen de preuve privilégié, consistant dans la saisie-contrefaçon L615-5 al 2 et 3 du CPI) C'est une procédure d'une grande efficacité dont le rôle est exclusivement probatoire.La saisie est effectuée par huissier. Il procède a la description des objets suspects suivie de leur saisie réelle si elle a été autorisée

34. Revue des contrats, 01 avril 2004 n°2 p.263 note STOFFEL-MUNCK (P.)

35. Note préc. REVET (T.)

12

En l'absence de décisions sur ces questions en droit positif, les solutions sont incertaines et discutées. Il ressort néanmoins de ces analyses doctrinales et de la jurisprudence que la chose contrefaite a, sans nul doute, un statut particulier. Afin de rendre compte pleinement de cette singularité, il conviendra d'envisager la portée de l'extracommercialité de la chose contrefaite au regard du droit des contrats (chapitre I), avant d'envisager sa patrimonialité et ses implications au regard du droit des biens (chapitre II).

13

Chapitre I. L'extracommercialité de la chose contrefaite et ses incidences au regard du droit des contrats

11.- L'article 1128 du Code civil exprime une restriction apportée par le droit à l'emprise du contrat pour certaines choses qui sont soustraites à la circulation juridique entre les personnes. En principe, les conventions portant sur une chose hors du commerce sont annulées par le juge (Section 1).

Cependant la nullité des conventions ayant pour objet des marchandises contrefaisantes n'est pas si facilement acquise. La chose contrefaite, fait nécessairement l'objet de certains types d'actes ou contrats a priori valables. Ces contrats échappent, ou devraient échapper, à la nullité dans certaines situations (Section 2).

Section 1. Le principe: la nullité

12.- La Chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré pour la première fois dans un arrêt rendu le 24 septembre 2003 que la marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente36 au double visa des articles 159837 et 1128 du Code civil (§1). En raison de la portée générale de l'article 1128 du Code civil, cette solution doit être étendue dans son principe aux autres actes juridiques ayant pour objet des marchandises contrefaisantes (§2).

§1 La nullité du contrat de vente

13.- La marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente - La chose contrefaite n'est pas susceptible d'être vendue. Le fondement de cette affirmation a pu être discuté en doctrine. En effet, les deux articles visés par les magistrats de la chambre commerciale, pris isolément, sont susceptibles de justifier la sanction de la nullité du contrat de vente qui porte sur une chose contrefaite. Une partie minoritaire de la doctrine rejette la

36. En l'occurence, une société exerçant l'activité de vente de prêt-à-porter avait fait l'acquisition auprès d'une autre société d'un lot de vêtements qui s'avérèrent contrefaits. Condamnée à indemniser de son préjudice la victime propriétaire des modèles contrefaits, la société acquéreur sollicita donc l'annulation de la vente conclue avec son fournisseur contrefacteur, mais fut déboutée, motif pris de ce qu'il n'était pas établi que le vendeur eût commis des manoeuvres frauduleuses pour persuader sa cliente de lui acheter des vêtements contrefaits, ou que celle-ci eût commis une erreur sur la propriété du modèle. Cette décision est censurée par la Haute juridiction qui souligne, au double visa des articles 1128 et 1598 du Code civil, que «la marchandise contrefaite ne peut faire l'objet d'une vente ».

37. Art. 1598 code civil.. «Tout ce qui est dans le commerce, peut être vendu lorsque les lois particulières n'en ont pas prohibé l'aliénation.»

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qualification de chose hors du commerce de la chose contrefaite en raisonnant, d'une part, à partir de l'article 1598 du Code civil et d'autre part, en s'appuyant sur l'analyse doctrinale des choses hors du commerce.38 Ce n'est pas pour autant que la sanction de la nullité du contrat est écartée. Celle-ci peut être fondée sur les lois particulières envisagées à l'article 1598 du Code civil qui prohibent l'aliénation de la chose qui se trouve dans le commerce.

La majorité de la doctrine a considéré, rarement avec réserve, que la Haute juridiction avait fait une utilisation contemporaine de la catégorie des choses hors commerce, pour y inclure les marchandises contrefaisantes. Le contrat de vente n'est pas valable en vertu de l'extracommercialité de son objet, lequel est de surcroît illicite39.

Ainsi, la catégorie des choses hors du commerce permet de mettre en oeuvre une véritable politique économique en sanctionnant par la nullité absolue les conventions relatives à certains objets.

A. Fondement: l'illicéité de l'objet comme inaptitude à la commercialisation

14.- Le fondement de la nullité du contrat de vente: l'illicéité de l'objet- Le caractère contrefaisant suffit en soi à justifier l'anéantissement du contrat. Il n'est pas nécessaire, d'après l'arrêt, de prouver s'être trompé ou avoir été trompé par le vendeur sur la légalité de la chose. L'acquéreur qui agit en nullité de la vente est fondé à obtenir en conséquence la restitution du prix versé. La chambre commerciale fonde la sanction de nullité sur l'illicéité de l'objet du contrat de vente.

La Cour de cassation rend sa solution au visa de l'article 1128 du Code civil qui dispose: « il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions ». D'où il convient déduire que les marchandises contrefaites sont hors du commerce. Afin d'asseoir cette motivation de droit commun des contrats sur un texte spécifique à la vente, la Cour utilise 1598 du Code civil qui, non sans redondance, précise que « tout ce qui est dans le commerce peut être vendu » . Il en résulte que les contrefaçons sont insusceptibles d'être vendues, ce qui entraîne la nullité du contrat. L'illicéité qui imprègne la marchandise contrefaite interdit sa circulation. Cette solution civiliste n'est pas nouvelle en droit de la propriété intellectuelle. En effet, cette discipline a toujours interdit la circulation des contrefaçons.

38. JCPE n°4, 22 janv.2004, 114 Comm. CASTETS-RENARD. (C.)

39. notamment, note préc., Revue des contrats, 01 avril 2004 n°2 p.263 obs. Philippe STOFFEL-MUNCK

15

B. La sanction: la nullité absolue

15.- La nature de la nullité: une nullité absolue- Les choses hors du commerce représentent à strictement parler un interdit infranchissable, une source certaine de sanction judiciaire. La nature de cette nullité de la chose contrefaite semble être absolue, c'est-à-dire, invocable par tout intéressé. La majeure partie de la doctrine souligne que les contrats portant sur des marchandises contrefaites sont nuls en raison d'une illicéité objective40. L'objet du contrat apparaît comme une source d'illicéité certaine qui fait l'objet d'une appréciation in abstracto. Autrement dit, toute convention portant sur une telle chose, quelles qu'en soient les circonstances, quelle que soit la cause qui a guidé le consentement des parties ou quelle que soit la manière avec laquelle ce consentement a été obtenue, est nulle.

L'atteinte à l'ordre public justifie pour ces auteurs la sanction de nullité. En effet, l'objet du contrat doit être conforme à l'ordre public41. Or la contrefaçon est un délit pénal et la Cour de cassation juge que l'existence de sanctions pénales prévues en cas de violation de la règle confirme son caractère de règle d'ordre public42.

Néanmoins, une partie de la doctrine43 estime qu'il s'agit d'une nullité relative qui peut donc être couverte par l'assentiment à l'acte du titulaire des droits intellectuels initialement bafoués.

Ainsi, l'extracommercialité des marchandises contrefaites, permet d'atteindre le contrat lui même indépendamment de la bonne ou de la mauvaise foi des contractants. En pratique, le débiteur condamné n'a pas d'action récursoire contre son propre fournisseur, lorsqu'il est lui-même de mauvaise foi car il connaissait le caractère contrefaisant des objets acquis. Désormais la voie de l'annulation lui est ouverte sans que sa bonne ou mauvaise foi soit à considérer44

16.- Une sanction dans la continuité de la jurisprudence antérieure- La Cour de cassation avait déjà considéré comme illicite la vente de procédés permettant d'établir des copies non protégées d'un logiciel original dès lors qu'une copie de sauvegarde avait été fournie45. En outre, la solution énoncée ici s'induit déjà nécessairement d'un arrêt de la Chambre commerciale du 26 octobre 1999 déniant au détenteur de telles marchandises la

40. TRICOIRE (E.), et PARANCE (B.), obs.sous Com.24 sept.2003 n°01-11. 504 , LPA 28 mai 2004 n° 107

41. n° 181 et suiv. DELEBECQUE (P.), PANSIER (F.), Contrat et quasi-contrat 4e éd., Litec-JurisClasseur (LexisNexis) 2007

42.V. par ex. Cass. 1re civ. 30 juill. 1994, Bull.civ. I, n°261, p.190; RTD civ. 1995,p.101,obs. MESTRE 43. GALLOUX (J-C.), Action en contrefaçon: questions de procédure, RTD Com. 2004 p.304

44.V. POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004 p.284 arrêt 24 septembre 2003; 45. V.not. Com. 22 mai 1991, JCP 1992. II, n°21792, note HUET

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faculté d'invoquer un quelconque droit de rétention sur celles-ci, « dès lors que leur caractère illicite interdit leur commercialisation ». Cet arrêt est important car il lie clairement l'illicéité de la chose et son inaptitude à la commercialisation. On savait que son caractère illicite interdisait qu'elle fasse l'objet d'une sûreté réelle.

C. L'efficience du droit commun des contrats

17.- L'instrumentalisation de la catégorie des choses hors du commerce - La doctrine a souligné à plusieurs reprises que la catégorie des chose hors du commerce était étendue depuis longtemps par la jurisprudence au-delà de son champ naturel. Initialement le champ des choses hors du commerce était déterminé par la protection des aspects essentiels à la défense de la personne humaine, de la famille et du domaine public46. Il a été élargi par la prise en compte de toutes sortes de choses qui ne sont pas, par nature hors du commerce, mais dont la négociabilité est restreinte ou interdite ponctuellement. Comme ont pu le relever Planiol et Ripert, « la notion de choses hors du commerce absorbe tout le champ des conventions à objets illicites »47: Or l'article 1128 du Code civil implique que les choses hors du commerce ne peuvent être l'objet de celles-ci.

Ainsi un auteur souligne que l'article 1128 du Code civil est une règle de police des échanges48. En effet, cette disposition est le moyen de faire peser dans le champ de l'objet, et au gré de certaines choses spécifiquement envisagées, des considérations tenant à l'ordre public ou aux bonnes moeurs. La règle de l'extracommercialité sert à mettre des choses à l'écart des autres choses lorsqu'il est jugé nécessaire pour des raisons d'ordre social ou moral que sa circulation soit empêchée.

En réalité, cette entrée dans la catégorie des choses hors du commerce semble répondre à des objectifs politiques et économiques. La décision adoptée par la Haute juridiction est importante, elle prouve que le droit commun des contrats et le droit de la vente peuvent contribuer efficacement à la lutte contre la contrefaçon indépendamment du droit de la propriété intellectuelle49.

46. th.pré., MOINE (I.)

47.Traité de droit civil, t. VI (1930), par Esnein , n°224 ,cité par M. POLLAUD-DULIAN (F.) RTD Com. 2004 p.284 arrêt 24 septembre 2003

48.LOISEAU (G.), La contrefaçon est hors commerce, PLA, 12 févier 2009 n°31, p. 69

49. D 2003 p. 2683 note. CARON (C.), les marchandises contrefaites sont hors du commerce.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand