II - L'interdiction de sortie du territoire national avec
l'enfant
163. Ici le demandeur, opposé à la
circoncision, craint que l'autre parent n'emmène l'enfant à
l'étranger (dans son pays d'origine) pour le faire circoncire. Il saisit
le juge en vue de faire inscrire sur le passeport de l'enfant une interdiction
de sortie du territoire national sans l'accord exprès des deux parents.
Il est intéressant de voir que les arguments utilisés par les
demandeurs sont souvent les mêmes (notamment celui des « mauvaises
conditions d'hygiène » dans le pays en question).
164. L'article 373-2-6 du Code civil, dans son troisième
alinéa, permet au juge aux affaires familiales de prononcer une mesure
d'interdiction de sortie du territoire d'un mineur sans l'autorisation de ses
deux parents et prévoit l'inscription de cette mesure au fichier des
personnes recherchées105. Cette mesure permet de
prévenir un éventuel enlèvement international d'enfants.
Ainsi, le parent craignant que son enfant soit emmené à
l'étranger par l'autre parent pour le soustraire à son
autorité parentale, peut recourir à une procédure
d'opposition (OST) ou d'interdiction de sortie du territoire (IST). Ces
procédures sont règlementées par l'article 1180-4 du Code
de procédure civile et par la circulaire du 20 novembre 2012 relative
à l'opposition et à l'interdiction de sortie de territoire des
mineurs.
165. A la lecture du contentieux, il apparaît qu'une
crainte de circoncision ne permet pas à elle seule de prononcer une
mesure d'interdiction de sortie du territoire avec l'enfant. Cette crainte doit
être appuyée par d'autres éléments permettant de
conclure à la mauvaise foi du parent subissant la mesure, ou à
son mépris pour les règles de l'autorité parentale.
104 Pour reprendre l'expression de Petr Muzny, préc., page
427.
105D. n° 2010-569, 28 mai 2010 relatif au fichier
des personnes recherchées : Journal Officiel 30 Mai 2010.
166.
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Ainsi dans plusieurs décisions, les cours d'appel, ont
rejeté de telles demandes (CA Toulouse 16 juillet 2008* ; CA Poitiers 17
décembre 2008* ; CA Amiens 20 mai 2009* ; CA Nancy 5 octobre 2009* ; CA
Versailles 10 février 2011*). Dans le même sens, une Cour d'appel
a prononcé la levée de l'interdiction faite à la
mère, de sortir l'enfant du territoire national, malgré la
crainte de circoncision évoquée par le père en
première instance (CA Paris 12 juin 2008*).
167. Quelques motivations intéressantes
méritent d'être relevées. La Cour d'appel d'Amiens, le 20
mai 2009* a énoncé que « Mme ne rapporte pas la preuve
que le père aurait le projet de s'établir durablement à
l'étranger en emmenant les enfants avec lui au mépris tant des
droits des enfants que de ceux de la mère ». Dans une autre
affaire, une mère s'appuie sur le fait que le père est d'origine
marocaine, et qu'une propriété familiale existe au Maroc. La Cour
d'appel de Versailles, le 10 février 2011*, juge que « le
risque d'enlèvement de l'enfant et par suite, de non
représentation de celui-ci n'est pas avéré.
Considérant par ailleurs, que le prononcé d'une telle mesure ne
peut être ordonné aux motifs que l'un des parents aurait des liens
avec un pays étranger, ce qui, par principe, constitue un
élément connu de l'autre
parent depuis le début de leurs relations (...)
»
168. Cependant, trois autres décisions ont
été rendues en sens contraire. Dans un arrêt rendu en date
du 23 avril 2008*, la Cour d'appel de Grenoble a eu à se prononcer sur
les droits parentaux d'un père alcoolique et drogué,
qualifié d'incapable de s'occuper de son enfant. La requérante
craignait l'enlèvement de l'enfant en Algérie et sa circoncision
là-bas. Elle a par ailleurs apportée la preuve de nombreuses
menaces émanant du père (menaces d'emmener l'enfant en
Algérie pour le faire circoncire). Au vu du comportement
général du père, la décision de la Cour, lui
interdisant de sortir l'enfant du territoire national sans l'accord
préalable de la mère, paraît justifiée.
169. Une réserve doit cependant être
émise quant à la motivation énoncée par la Cour :
« Si l'on peut effectivement admettre qu'un enfant connaisse le pays
d'origine de son père, il n'en est pas en revanche acceptable de le
livrer à une pratique aussi dangereuse pour sa santé que la
circoncision effectuée hors de toute précaution médicale,
selon des méthodes non autorisées en France » . Il
paraît difficilement justifiable qu'un juge puisse qualifier ainsi une
circoncision qui n'a encore jamais eu lieu, en se basant sur le simple fait que
celle-ci aurait été effectuée en Algérie. Comment
le juge peut-il présumer que la technique opératoire d'une
circoncision effectuée en Algérie serait faite selon « des
méthodes non autorisées en France »? Le juge fait-il
référence aux interventions pratiquées par des
circonciseurs coutumiers, qui (parait-il), n'administreraient pas toujours
d'anesthésiants efficaces pour prévenir la douleur de l'enfant
?
170. Dans la deuxième affaire, il s'agissait d'un
père absent du quotidien de son fils. La mère avait une «
peur obsessionnelle » que son fils ne soit circoncis par le père et
enlevé au Soudan. L'enquête a par ailleurs démontré
que « l'enfant a intégré les craintes de la mère
». La Cour d'appel de Rennes, dans un arrêt du 3 juillet 2008*,
accueille la demande de la mère tendant à prononcer
l'interdiction de sortie du territoire. La motiva-
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tion de cette deuxième décision est plus
nuancée que la précédente : « Monsieur a la
double nationalité (soudanaise et française) (...) mais Madame
n'ignorait pas les origines et la religion de son ex-époux, elle
n'ignorait pas davantage qu'il avait encore de la famille au Soudan et que les
racines de son fils sont pour partie dans ce pays. Et même le conflit qui
l'oppose au père ne peut faire interdire à celui-ci des
rencontres entre ses parents et l'enfant ; enfin et de plus le fait que
Monsieur K. vive en France depuis maintenant 18 ans établit qu'il y a
ses centres d'intérêt majeurs. Par ailleurs et pour d'une part
rassurer la mère, bien que l'objectif premier ne soit pas là, et
pour d'autre part permettre à l'enfant de renouer avec lui des relations
exemptes d'inquiétude, il y a lieu d'organiser précisément
et progressivement les droits de visite de Monsieur (...). Fait interdiction
à Monsieur de sortir du territoire français avec l'enfant sans
l'autorisation préalable et expresse de la mère et en ordonne
l'inscription sur son passeport. »
171. La Troisième décision est un arrêt
rendu par la Cour d'appel de Versailles le 6 décembre 2012*. En
première instance, il avait été fait interdiction à
chacun des parents de sortir les enfants du territoire français et de
faire procéder à la circoncision des enfants sans l'accord de
l'autre. Le père, appelant incidemment, demande la levée de
l'interdiction de sortie des enfants du territoire français sans
l'accord de l'autre. Sa demande est rejetée : «
Considérant qu'en l'état d'un droit de visite à la
journée, il n'y a pas lieu de lever l'interdiction de sortie du
territoire national ; que celle-ci apparaît de plus de nature à
rasséréner les enfants, et à tranquilliser la mère,
qui indique craindre qu'à l'occasion d'un séjour dans son pays,
M. El Y., très religieux, fasse circoncire les enfants sans son accord ;
qu'elle mentionne par ailleurs, sans en apporter la preuve, mais sans
être démentie par le père, que ce dernier a engagé
à son insu des démarches pour l'acquisition de la
nationalité marocaine par ses fils, ce qui rendrait impossible tout
retour forcé sur le territoire national ; »
172. Enfin, même si de telles mesures sont
justifiées, d'une part, par la mauvaise attitude du parent
concerné (tant envers l'enfant qu'envers l'autorité parentale de
l'autre parent) et, d'autre part, par l'appréciation souveraine des
juges du fond, la lourdeur de leurs conséquences ne doit tout de
même pas être perdue de vue. L'inscription sur le passeport de
l'enfant de l'interdiction de sortie du territoire sans l'accord des deux
parents ainsi que l'intensité du conflit parental, auront pour
conséquence l'impossibilité pour l'enfant (jusqu'à ses 18
ans) de connaître son pays d'origine. De même, le juge doit garder
à l'esprit la portée d'une telle rupture: elle arrache l'enfant
à son pays d'origine, à sa famille vivant à
l'étranger, à une part de sa culture, de son éducation...
à une part de lui-même.
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