II - Portée du principe
67 CA Rennes 4 avril 2005* : « la circoncision n'est pas
un acte usuel au sens de l'article 372-2 du Code
civil ».
68 Cour d'appel de Grenoble le 23 octobre 2012*.
69« Acte important et unique dans la vie de l'enfant
» (CA Rennes 4 avril 2005*) ; « une pratique aussi dangereuse pour sa
santé que la circoncision effectuée hors de toute
précaution médicale, selon des méthodes non
autorisées en France » (CA Grenoble 23 avril 2008*, pour une
circoncision en Algérie) ; « importance que revêt toute
décision en matière de pratique religieuse » (CA Nancy 5
octobre 2009*) ; et « décision importante relative à la
santé et à l'éducation de l'enfant » (CA Poitiers 11
mai 2011*).
70Par exemple CA Paris 29 septembre 2000*.
71CA Poitiers 11 mai 2011*.
72 Cyrille Duvert, note sous CA Paris 29 septembre 2000*.
77.
26
La circoncision rituelle est un acte non usuel de
l'autorité parentale. Cela signifie qu'elle ne jouit pas de la
présomption d'accord posée à l'article 372-2 du Code
civil. Le consentement exprès des deux parents doit être recueilli
pour procéder à la circoncision de l'enfant. Ce principe du
double accord est évident lorsque les parents exercent conjointement
l'autorité parentale. Ce cas de figure est d'ailleurs majoritaire. La
Loi du 4 mars 2002 fait de la coparentalité la règle, le
père et la mère exerçant en commun l'autorité
parentale, et transforme l'exercice unilatérale de la fonction parentale
en situation exceptionnelle. Cela explique pourquoi le contentieux de la
circoncision ne connaît que les cas d'exercice conjoint de
l'autorité parentale.
78. Des hésitations demeurent donc lorsque
l'autorité parentale est exercée unilatéralement par l'un
des deux parents : L'exigence du double accord est-elle toujours valable ? le
consentement du parent privé de l'exercice de l'autorité
parentale, néanmoins titulaire de cette autorité, est-il
nécessaire à la circoncision de l'enfant ? (A). La question se
pose à plus forte raison dans certains cas plus spécifiques
où l'enfant fait l'objet d'une mesure d'assistance éducative ou
d'une mesure d'adoption. Quels consentements doivent être recueillis pour
procéder à sa circoncision ? (B).
A - En cas d'exercice unilatéral de
l'autorité parentale
79. On pourrait déduire d'une lecture a contrario des
décisions de justice, qu'en cas d'exercice exclusif de l'autorité
parentale, seul le parent détenteur de cet exercice peut prendre la
décision de faire circoncire l'enfant. Le consentement de l'autre parent
ne serait donc pas nécessaire. Il a par exemple été
jugé qu' « une telle intervention ne (peut) être
pratiquée qu'avec l'accord des deux parents exerçant
conjointement l'autorité parentale » (CA Riom 17 avril 2007*),
ou qu' « il n'est pas envisageable que cette décision soit
prise sans l'accord des deux parents qui exercent en commun l'autorité
parentale » (CA Nancy 5 octobre 2009*). A contrario, le
parent qui exercerait unilatéralement l'autorité parentale
pourrait faire circoncire l'enfant sans l'accord de l'autre parent.
80. Cependant, le parent privé de l'exercice de
l'autorité parentale en reste attributaire. Il conserve notamment le
droit et le devoir de surveiller l'entretient et l'éducation de
l'enfant. Afin d'en renforcer l'efficacité, l'article 373-2-1
alinéa 3 du Code civil exige que ce parent soit suffisamment
informé des choix relatifs à la vie de l'enfant. Il paraît
alors difficilement concevable que la circoncision rituelle de l'enfant puisse
échapper au droit de regard du parent privé de l'exercice de
l'autorité parentale. Il s'agit en effet d'un choix « important
» dans la vie de l'enfant, pour reprendre le terme employé par
certains juges.
73 Plusieurs propositions existent en doctrine. Des auteurs
proposent de considérer comme « acte usuel » celui « qui
n'est pas grave » (P. Malaurie, La famille 5e ed, Cujas 1995/1996, n°
768) ou « la kyrielle d'actes qui sont dans le tissu de la vie quotidienne
des familles » (G. Cornu, La famille 5e éd, Mont-chrestien, 1996,
n°83.). Un autre propose un approche négative en faisant du
changement le critère de l'acte non usuel écartant la
présomption d'accord : l'acte ne pourrait plus être
considéré comme usuel « s'il romp avec le passé ou,
surtout, s'il engage l'avenir de l'enfant » (H. Fulchiron, Rép civ
Dalloz, v° Autorité parentale, n° 146). ». Raymond
Legeais souligne quant à lui la nécessité de prendre en
compte les moeurs, pour qualifier l'acte d'usuel ou non ; «
conformément à l'esprit éminemment sociologique de cette
législation » Raymond Legeais, L'autorité parentale, 1973,
Defrenois, page 87.
81.
27
La doctrine souligne par ailleurs que le titulaire du droit de
surveillance conserve un pouvoir en matière de choix de la religion de
l'enfant par le biais de la notion d'abus, et plus généralement
celle de l'intérêt de l'enfant74.
B - Cas de l'enfant placé, confié ou
adopté 1. L'enfant placé
82. L'article 375-7 alinéa 1 du Code civil dispose que
« les père et mère de l'enfant bénéficiant
d'une mesure d'assistance éducative continuent à exercer
tous les attributs de l'autorité parentale qui ne sont pas
inconciliables avec cette mesure ». Les parents semblent être
en mesure de pouvoir demander au juge des enfants l'autorisation de faire
circoncire leur enfant. Ce cas de figure est apparu dans deux décisions
du contentieux (CA Lyon 31 mai 2011* et CA Douai 6 mars 2012*). Dans la
première affaire, la Cour d'appel de Lyon a accueilli les demandes des
parents, ordonnant au service gardien de mettre en place un enseignement
musulman pour l'enfant, mais soumettant sa circoncision à un bilan
médical.
La seconde affaire de 2012 ne permet pas de savoir si la
position de 2011 a été confirmée, puisque l'appel a
été déclaré irrecevable pour vice de
procédure.
83. Quid en cas de désaccord des parents? Leur double
consentement est-il toujours requis à la circoncision de l'enfant ? Ce
cas de figure est absent du contentieux. Tout porte à penser que le juge
des enfants rejettera la demande, ne voulant pas complexifier la situation
familiale et surtout, celle de l'enfant.
2. L'enfant confié à un tiers
84. La question de la circoncision de l'enfant confié
à un tiers ne s'est jamais présentée en jurisprudence.
Mais « lorsque l'enfant a été confié à un
tiers, l'autorité parentale continue d'être exercée par les
père et mère ; toutefois, la personne à qui l'enfant a
été confié accomplit tous les actes usuels relatifs
à la surveillance et à son éducation » (article
373-4 du Code civil alinéa 1). Ainsi les parents restent a priori libres
de faire circoncire leur enfant. En cas de conflit entre les parents ou entre
les parents et le tiers, le juge aux affaires familiales devra être
saisi.
3. L'enfant adopté
85. La question de la circoncision de l'enfant adopté
ne s'est, elle non plus, jamais présentée en jurisprudence. En
cas d'adoption plénière, les textes ne disent rien de
l'autorité parentale. Mais la solution s'impose d'elle même :
l'enfant adopté n'a plus d'autres parents que ses parents adoptifs
(articles 356 alinéa 1 et 358 du Code civil). Les parents par le sang
n'auront plus aucun droit sur l'enfant. Une demande de circoncision sera
évidemment inenvisageable pour eux.
86. En cas d'adoption simple, l'enfant conserve des liens
avec sa famille par le sang, mais l'autorité parentale appartient
désormais aux parents adoptifs. L'article 365 du Code civil, dans son
premier alinéa, dispose que « l'adoptant est seul investi
à l'égard de l'adopté de tous les droits
d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage
74 « Justice et religions », champs libres
études interdisciplinaires, L.BOURDIER, page 318.
28
de l'adopté ». Par conséquent, les
parents par le sang ne pourront aucunement exiger que l'enfant soit
circoncis.
87. En cas d'adoption de l'enfant du
conjoint, l'article 365 pose une règle toute différente :
l'adoptant devient titulaire de l'autorité parentale (parent par le
sang) concurremment avec son conjoint, mais seul ce dernier en aura l'exercice.
Par conséquent, pour savoir si le consentement de l'adoptant à la
circoncision de l'enfant doit être recueilli, il faudra se
référer aux solutions dégagées pour les cas
d'exercice unilatéral de l'autorité parentale.
29
Chapitre II - Le désaccord à propos de la
circoncision de l'enfant observé chez certains couples
mixtes
88. L'obligation légale faite aux parents de
s'accorder sur la circoncision de leur enfant, et de manière
générale sur toute décision importante concernant son
éducation, est à saluer. En encourageant le consensualisme, cette
règle garantie une certaine cohérence dans l'éducation de
l'enfant.
89. Cependant, cette obligation est souvent difficile
à respecter. L'idéal de la coparen-talité se heurte en
effet à une réalité sociale complexe : le choc de cultures
constaté chez certains couples mixtes.
90. En fonction de l'auteur qui l'emploi, l'expression «
couple mixte » peut désigner des réalités
différentes. Ici la « mixité » n'est pas prise dans son
sens juridique (nationalités différentes). La «
mixité » doit être comprise dans son sens sociologique. Elle
renvoi avant tout à une mixité culturelle et, à certains
égards, religieuse.
91. Une typologie des couples mixtes en conflit sur la
circoncision de l'enfant a pu être dégagée du contentieux.
Cette typologie se base sur les critères de la confession et des
origines des sujets. Ces informations figurent parfois explicitement dans le
contentieux. En l'absence d'indications, il sera recouru à plusieurs
indices, tels que le pays où l'enfant est emmené
régulièrement en vacances et les prénoms des parents.
92. Il est alors apparu que le conflit oppose un ou une
(souvent une) français(e) de parents français, à une
personne que l'on qualifiera d' « étrangère » (au sens
sociologique, et non juridique). Cet « étranger » a une
origine (par exemple origine Africaine), une culture ou une confession
(confession Juive ou Musulmane) favorables à la circoncision.
93. Plus spécifiquement, (mis à part quelques
cas isolés75) cette étude fait apparaître un
couple-type en conflit. Il s'agit du couple
Franco-Maghrébin76.
75Ces cas isolés seront de deux ordres :
1/Le conflit des couple Franco-étrangers :
Franco-Togolais (CA Poitiers 17 décembre 2008*) ; Franco-Nigérien
(CA Paris 24 février 2000*) ; Franco-Camerounais (CA Amiens 20 mai
2009*) ; Franco-Libanais (CA Bourges 12 mars 2009* , le père
étant de nationalité Franco-Libanaise, de confession chiite et
ayant vécu son enfance en Arabie Saoudite) ; Franco-Albanais ( CA Nancy
5 octobre 2009*) ; Franco-Américain (CA Paris 3 décembre 2008*)
;
2/Le conflit du couple Maghrébin-Maghrébin (CA
Rennes 18 mars 2008* ; CA Grenoble 16 décembre 2008* ; CA Grenoble 13
janvier 2009* ; CA Nancy 29 juin 2009* ; CA Versailles 17 septembre 2009*). Les
pays du Maghreb connaissent en effet divers niveaux de pratique de la religion
musulmane, ce qui est susceptible de donner lieu à des divergences
d'opinions au sujet de la circoncision.
Décisions où les origines et les confessions des
parents n'ont pas pu être dégagées : CA Besançon 14
novembre 2008* (conflit entre Virginie et Oladé) ; CA Montpellier 24
avril 2007* (Jacques et Béatrice) ; CA Lyon 28 septembre 2009* (Ipek et
Richard).
94.
30
Rappel doit être fait que ces solutions ne tiennent
aucunement compte du critère de la nationalité. Le Couple
Franco-Maghrébin désigne l'union d'une personne d'origine et de
culture Française avec une personne d'origine et de culture
Maghrébine. Peu importe donc que ces personnes soient toutes deux de
nationalité française.
95. Malgré l'impossibilité de s'appuyer sur des
statistiques officielles77, on peut affirmer, sans trop de risques,
que les couples Franco-Maghrébins (comme la plupart des couples mixtes)
sont un fait social en évolution quantitative. Cela est dû,
d'abord, à l'ampleur progressive que prennent les échanges
interculturels. Mais surtout, cela est dû à l'augmentation de
l'immigration. Beaucoup d'auteurs se sont appliqués à
démonter le rapport entre immigration et mariages mixtes. Le nombre de
ces mariages a suivi pour l'essentiel celui des grandes vagues
migratoires78. Même si ces études ne
s'intéressent qu'à la mixité juridique, il est possible de
s'aider de leurs résultats dans notre étude sur les couples
Franco-Maghrébins. Par ailleurs, le constat d'augmentation des unions
mixtes a peut être un lien avec celui de l'augmentation (certes
légère) du contentieux de la circoncision ces dernières
années.
96. Le couple mixte, et surtout le couple
Franco-Maghrébin, aura beaucoup de difficultés à
s'accorder sur la circoncision de l'enfant. Ce désaccord sera source de
conflits, s'inscrivant au milieu d'autres désaccords existant entre les
partenaires, d'ordres culturels, religieux ou encore identitaires (section I).
La circoncision de l'enfant, riche en symboles et lourde de
conséquences, viendra aggraver la situation de crise conjugale (section
II).
76La solution (le couple Franco-Maghrébin)
est dégagée sur le fondement de plusieurs critères.
Illustrations :
- Critère des prénoms des parents :
Lucie et Rachid (CA Orléans 11/12/2012*) ; Véronique et H'ssain
(CA Versailles 06/12/2012*) ; Sylvie et Djafar (CA Grenoble 23/10/2012*) ;
Laurence et Mourad (CA Nancy 30/03/2012*); Françoise et Saîd (CA
Bordeaux 27/03/2012*) ; Paulette et Mohamed (CA Douai 06/03/2012*); Isabelle et
Nabil (CA Agen 06/10/2011*) ; Nathalie et Abdallah (CA Poitiers 11/05/2011*);
Dominique et Hicham (CA Versailles 10/02/2011*) ; Alain et Fatiha (CA Nancy
03/09/2010*) ; Béatrice et Nassim (CA Versailles 15/03/2007*)
- Critère du lieu de naissance de l'un des parents
: Algérie (CA Montpellier 23/05/2007*), Maroc (CA Toulouse 5 mars
2009*)
- Critère du lieu où l'enfant est
amené pendant les vacances scolaires (pays d'origine de l'un des
parents) : Algérie (CA Grenoble 23/10/2012*, CA Poitiers
11/05/2011*, CA Besançon 17/10/2008*), Tunisie (CA Aix-en-Provence
09/01/2007*).
77 En effet, il n'existe pas de statistiques officielles sur
les couples mixtes, au sens (sociologique) où nous l'entendons. Les
chiffres publiés par l'INSEE serviront d'indices, avec tout de
même deux réserves. Première réserve : ces chiffres
ne concernent que les couples mariés (ou pacsés). Les «
unions libres » ne peuvent en effet faire l'objet d'études (respect
de la vie privée). Seconde réserve : ces mêmes chiffres
officiels traitent uniquement de la mixité juridique, fonction de la
nationalité.
L'INSEE a ainsi estimé à 19,9% les mariages
célébrés entre français et étrangers en
2003, les plus fréquents étant les mariages
Franco-Maghrébins.
78 Citons par exemple G. Neyrand et M. M'Sili dans leur
ouvrage « mariages mixtes et nationalité française »
(L'Harmatthan Logiques sociales, 1995), qui expliquent l'augmentation des
mariages mixtes par l'augmentation du flux migratoire.
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