Section II - Une prérogative parentale
appartenant aux deux parents
53. Les parents disposent donc, en principe, du droit et de
la liberté de circoncire leur enfant, cette décision faisant
partie des attributs de leur autorité parentale.
Reste encore à rechercher comment ce droit doit-il
s'exercer. Le contentieux, depuis 1973, fait état de nombreux
balbutiements jurisprudentiels sur la question. Mais progressivement la
règle a finit par se clarifier et l'on peut aujourd'hui affirmer que la
circoncision de l'enfant est un choix éducatif qui doit être pris
par les deux parents. Ce principe de la nécessité du double
accord (II) découle du classement de la circoncision rituelle dans la
catégorie des actes non usuels de l'autorité parentale (I).
I - Origine du principe : la circoncision rituelle
qualifiée d'acte non usuel de l'autorité parentale
54. La classification de la circoncision rituelle dans la
catégorie des actes non usuels de l'autorité parentale, ne
transparaît pas toujours dans le raisonnement des juges. Ils se
contentent parfois de dire que l'accord des deux parents est nécessaire,
sans en expliquer la raison. Parfois les juges ne laissent transparaître
qu'une partie de leur raisonnement, n'en marquant pas les différentes
étapes. Par exemple, ils vont s'attardent sur la preuve du
caractère rituel de la circoncision mais ne prendront pas le
47 Philippe Malaurie et de Hugues Fulchiron, La Famille,
Défrénois, 4ème édition, page 648.
48 Dans un arrêt Cass Civ 1ere 11 juin 1991, la Cour de
cassation a reconnu au juge du fond un pouvoir souverain d'appréciation
de « l'opportunité » de la conversion d'une adolescente
catholique à la secte des Témoins de Jéhovah. (TGI
Versailles du 24 septembre 1962, note Carbonnier, Recueil Dalloz 1963, page
52).
49 Voir en ce sens, §136 et suivants.
21
soin d'en conclure que c'est un acte non usuel de
l'autorité parentale.
55. Ce n'est qu'en 2012 pour que la
règle a été clairement posée50 . Il
s'agit d'un arrêt rendu par la Cour d'appel de Grenoble le 23 octobre
2012* : « Attendu qu'il n'est nullement soutenu que la circoncision
serait médicalement nécessaire ; que dès lors, elle ne
constitue pas un acte usuel au sens de l'article 372-2 du Code civil et
requiert l'accord des deux parents ; Or, attendu que Mme s'oppose à ce
qu'elle soit pratiquée sur son fils ; qu'il convient par
conséquent de débouter M. de sa demande de ce chef
».
56. Le raisonnement des juges se fait donc en deux temps. Ils
recherchent d'abord si la circoncision litigieuse était ou non
médicalement nécessaire. En l'absence de nécessité
médicale, l'acte sera qualifié de « circoncision rituelle
» (A). Ensuite, cette circoncision rituelle sera classée dans la
catégorie des actes non usuels de l'autorité parentale,
nécessitant par conséquent l'accord des deux parents
(B).
57. Notons en marge qu'une tentative a été
faite par la Cour d'appel de Versailles de faire abstraction du motif de la
circoncision (apparemment rituel en l'espèce) et de se concentrer
uniquement sur le critère d'intervention chirurgicale : «la
circoncision constitue un acte chirurgical qui relève des deux parents
» 51. En effet, qu'importe le motif ayant conduit les
parents à faire circoncire leur enfant (thérapeutique ou rituel),
cette intervention constitue objectivement une intervention chirurgicale
d'ablation du prépuce (à plus forte raison lorsque l'intervention
est pratiquée par un médecin chirurgien). Une telle
définition, fondée exclusivement sur la technique
opératoire, est séduisante. Les faits sont purgés de toute
coloration religieuse ou coutumière. Le juge français retrouve
ainsi ses repères dans l'application d'un droit cartésien loin de
la complexité de notre réalité sociale52. Mais
cette solution reste un cas isolé. La règle en ressort
renforcée : il faut chercher le motif rituel (ou l'absence de
nécessité médicale) pour conclure à l'acte non
usuel de l'autorité parentale.
50Avant 2012, deux décisions
particulièrement bien motivées ont été rendues.
Mais celles-ci ne marquent pas chaque étape du raisonnement des juges :
CA Rennes 4 avril 2005* : « L'exercice en commun de autorité
parentale permettra à la mère de refuser qu'une telle
intervention soit pratiquée, dès lors que la circoncision n'est
pas un acte usuel au sens de l'article 372-2 du Code Civil, mais un acte
important et unique dans la vie de l'enfant nécessitant l'accord des
deux parents. » ; et CA Nancy 5 octobre 2009* : « La protection et
l'éducation de l'enfant, qui doit aussi s'entendre comme
l'éducation religieuse, sont les raisons d'être de
l'autorité parentale. Compte tenu de l'importance que revêt toute
décision en matière de pratique religieuse, il n'est pas
envisageable que cette décision soit prise sans l'accord des deux
parents qui exercent en commun l'autorité parentale. Il convient par
conséquent d'interdire que la circoncision de l'enfant, envisagée
par la mère, soit pratiquée, sans l'accord du père
».
Dans les deux arrêts il manque la recherche du
caractère religieux ou médical de la circoncision. Dans le
deuxième, il manque aussi l'emploi exprès du terme « acte
usuel », celui-ci est implicite lorsque la Cour qualifie l'acte d'
important.
51CA Versailles 15 mars 2007*.
52 La technique n'est pas nouvelle. Il existe en effet une
tendance judiciaire marquée à fermer les yeux sur la coloration
religieuse du litige. Et cette négation est parfois même expresse
(CA Paris, 4 février 1959, JCP 1960, II, n°11632, note L. de
Narois, considérant que la délivrance du guet ou « lettre de
répudiation » par l'époux juif à son épouse
divorcée afin que celle-ci puisse se remarier religieusement est un acte
« entièrement dépourvu de signification et de portée
religieuse »).
22
A - L'absence de nécessité médicale
ou la présence d'une circoncision rituelle
58. La jurisprudence ne connaît que deux
catégories de circoncisions : « thérapeutique » et
« rituelle ». On observe qu'en cas de désaccord entre les
parties sur les motifs de la circoncision, la seule déclaration du
parent ayant ordonné l'opération ne suffit pas53.
59. Dans la recherche de la preuve du caractère
médical ou rituel de la circoncision, une première distinction,
fonction de la qualité du circonciseur, s'impose :
(1)Lorsque le circonciseur est religieux ou coutumier (par
exemple un Rabbin Mohel non médecin) la classification sera
aisée et ne fera pas
l'objet d'un débat : il s'agira d'une circoncision
rituelle54. (2)Lorsque la circoncision a été faite
par un médecin ou un chirurgien en cabinet ou en milieu hospitalier, la
qualification sera alors plus difficile. Le seul fait qu'une circoncision ait
été effectuée en milieu hospitalier, ne permet pas de
retenir le motif thérapeutique55. Le juge pourra se
référer à un ou plusieurs certificats
médicaux56, fournis par les parties ou ordonnés par
lui.
60. Les juges sont-ils plus méfiants en
présence d'un certificat médical étranger ? La question ne
s'est pas encore posée dans le contentieux. Selon une réponse
Ministérielle, il existerait certaines fraudes à la
Sécurité sociale. Des parents feraient passer, avec la
complicité du chirurgien, une circoncision rituelle pour une
opération thérapeutique et de telles fraudes seraient
fréquentes par l'usage de certificats médicaux étrangers.
On peut donc imaginer que le juge civil se montre lui aussi prudent à
l'égard de tels modes de preuve.
61. En l'absence de certificat ou de rapport
d'expert/médecin, les juges auront recours à un faisceau
d'indices permettant de rechercher le motif ayant poussé le (ou les)
parent(s) à faire circoncire l'enfant. Il se référeront
par exemple à la date et le lieu de la circoncision. Ainsi, une Cour
d'appel a pu juger que « si (le père) soutient que cette
circoncision a été pratiquée avec l'accord de la
mère et pour des raisons médicales, on comprend mal qu'elle eut
été pratiquée en Tunisie pendant les vacances des enfants
et en l'absence de la maman »57.
62. Citons aussi une décision d'une autre Cour d'appel
: «S'agissant de la circoncision, c'est en vain que le père
soutient que des raisons médicales l'ont contraint à
faire
53Par exemple : CA Aix 9 janvier 2007* ; CA Nancy 5
octobre 2009* ; CA Poitiers 11 mai 2011*; CA Grenoble 23 octobre 2012*.
54Par exemple Cass. Crim. 8 novembre 1976* ; Cass
1ère Civ. 18 mai 1989*. 55 CE 3 novembre1997*.
56CA Paris 29 septembre 2000* (la Cour qualifie
l'acte de circoncision « à des fins rituelles », en expliquant
que « cet acte chirurgical ne s'imposait pas d'après les
certificats médicaux versés au débat »).
57CA Aix-en-Provence 9 janvier 2007*.
23
effectuer cette opération durant les vacances en
Algérie, les motifs indiqués (eczéma, mycoses)
n'étant pas urgents et étant plus utilement pris en charge dans
la durée en France par un traitement et des soins réguliers
»58.
63. La plupart du temps, les juges se contenteront d'une
définition négative de la circoncision rituelle. Le silence des
parties, ou l'absence de preuve de la nécessité médicale
de l'opération, suffiront à qualifier l'acte de rituel.
B - La circoncision rituelle qualifiée d'acte non
usuel
64. La jurisprudence, après une difficile construction
jurisprudentielle, a finit par dégager le principe selon lequel la
circoncision rituelle est un acte non usuel de l'autorité
parentale59 (2). Ces hésitations jurisprudentielles
s'expliquent (et sont excusées) par la difficulté de la question
(1).
1. La difficulté de la question
65. La notion même d'acte usuel est équivoque et
fait débat. Il est impossible d'établir une nomenclature des
actes de l'autorité parentale en y discernant les « actes usuels
». En l'absence de définition légale , il revient aux juges
la mission de dessiner les frontières entre les actes usuels et les
actes non usuels de l'autorité parentale.
66. La circoncision est à la fois un acte religieux et
un acte médical (même si les juges concentrent leur raisonnement
sur l'aspect religieux de la circoncision, celle-ci n'en reste pas moins
doublée d'un caractère chirurgical). Or, en ces deux
matières, les frontières entre actes usuels et non usuels
laissent subsister quelques zones d'ombre. En l'absence d'une jurisprudence
fournie sur ces questions, les théories doctrinales méritent
elles aussi d'être soulevées.
67. En matière d'actes médicaux sur la
personne de l'enfant, la plupart des auteurs considèrent qu'un grand
nombre entrent dans la catégorie des actes usuels60. Pour
certaines catégories d'actes médicaux, la thèse est moins
certaine. La présomption de l'article 372-2 s'applique certainement s'il
s'agit d'interventions obligatoires (comme les vaccinations) ou de routine. On
peut l'admettre ainsi pour les demandes d'interventions plus exceptionnelles
dans le domaine chirurgical notamment, dès lors que les risques
paraissent très limités (réduction d'une fracture,
appendice sans complication). Mais le praticien semble devoir exiger l'accord
des deux parents pour une opération de quelque
gravité61.
68. La question qui se pose est donc celle de savoir si la
circoncision, d'un point de vue strictement médical, est une
intervention chirurgicale comportant des risques limités ?
58 CA Poitiers 11 mais 2011*
59 Un doute subsiste par ailleurs s'agissant de la
circoncision thérapeutique. Le contentieux n'est pas encore assez fourni
pour savoir si celle-ci entre ou non dans la catégrorie des actes non
usuels de l'autorité parentale.
60 G. Cornu ; L. Leveneur, La famille, Montchretien, 1995,
n° 1150. 61Raymond Legeais, L'autorité parentale, 1973,
Defrenois, page 87.
69.
24
L'auteur Malek Chebel consacre toute un chapitre de son
ouvrage aux « risques liés à la circoncision
»62. Il explique que cette opération est «
bénigne au plan technique et sans conséquences notables au plan
traumatologique ». Mais des risques, notamment d'hémorragie,
existent. Tout dépendra de « la technique même du
circonciseur qui est en cause, du nombre d'enfants à circoncire et des
précautions médicales et hygiéniques ». Par exemple,
les risques d'hémorragie peuvent être évitées par le
contrôle des facteurs coagulants de l'enfant et, si nécessaire,
par l'injection d'antihémophiliques63.
70. La position des juges sur le sujet est difficile à
cerner. Le TGI de Paris le 6 novembre 1973* parle d' « intervention
relativement bénigne ». Dans le même sens, le Tribunal
administratif de Marseille le 25 avril 1991* parle d' « opération
bénigne que constitue une circoncision rituelle sous anesthésie
générale ». Mais ces positions concernent des circoncisions
pratiquée par un médecin. La solution jurisprudentielle aurait
peut-être été différente face à un
circonciseur coutumier (non médecin).
71. En matière d'éducation religieuse,
la qualification d'acte usuel ou d'acte non usuel est débattue en
doctrine64. Un auteur a pu écrire qu 'en ce qui concerne les
démarches religieuse, le double consentement paraît indispensable
quand il s'agit de prendre parti sur un principe (demande de baptême ou
de circoncision). Mais par la suite la présomption de l'article 372-2
recouvrera les actes et demandes qui ne sont que la mise en oeuvre d'une
orientation déjà arrêtée65.
2. La solution jurisprudentielle
72. Rares sont les décisions dans lesquelles les juges
emploient expressément les termes d'« acte non usuel » de
l'autorité parentale. La notion est implicite lorsque les juges
énoncent que la circoncision est un acte relevant des deux
parents66.
62 Malek Chebel, préc., page 26.
63 En effet, une ablation maladroite peut déchirer les
petites veines du prépuce de manière à les rendre
difficiles à soigner. Ce risque est sensiblement augmenté dans le
cas des enfants hémophiles, lesquels sont souvent circoncis dans des
services spécialisés. Après avoir contrôler les
facteurs de coagulation de l'enfant et si ce dernier s'avère être
hémophile, le médecin sera contraint de lui administrer
préalablement des injections antihémophilliques, seule
façon d'éliminer les dangers encourus par l'absence
d'agglutinines.
64 Par exemple , Philippe Malaurie, qui se base sur une
typologie du contentieux, affirme que la pratique religieuse est
généralement considérée par la jurisprudence comme
un acte usuel, bénéficiant de la présomption d'accord
prévue par l'article 373-2 ». (Recueil Dalloz Sirey 1991,
jurisprudence, page 521, note sous Cass 1ère civ, 11 juin 1991).
Dans un sens contraire, Jacqueline Flauss-Diem affirme que
l'éducation religieuse de l'enfant n'est pas un acte usuel (Dictionnaire
du Droit des Religions, sous la direction de Francis Messner, CNRS Editions
(sous Droit de la famille, pages 207 et s.).
65Raymond Legeais, L'autorité parentale, 1973,
defrenois, page 87.
66Civ 26 janvier 1994* ; CA Toulouse 30 mars 1994*
; CA Paris 29 septembre 2000* ; CA Versailles 15 mars 2007* ; CA Rennes 18 mars
2008* ; CA Nancy 5 octobre 2009* ; CA Versailles 10 juin 2010* ; CA Lyon 10
janvier 2011* ; CA Bordeaux 27 mars 2012* ; CA Grenoble 23 octobre 2012*.
25
73. C'est en 2005 que les juges ont
qualifié expressément la circoncision rituelle d'acte non
usuel67. Cette solution a été confirmée en 2012
: « Attendu qu'il n'est nullement soutenu que la circoncision serait
médicalement nécessaire ; que dès lors, elle ne constitue
pas un acte usuel au sens de l'article 372-2 du Code civil
»68.
3. Justifications de la solution
74. La solution, protectrice du consensualisme, est à
saluer. Mais une réserve doit être émise quant aux
justifications ayant mené à une telle solution. En effet, pour
justifier la qualification d'acte non usuel, les juges ont employé
plusieurs qualificatifs décrivant la circoncision, notamment celui
d'acte « important »69. Mais certains juges ont
préféré employer le qualificatif d'acte « grave
»70, ou encore d '« atteinte directe au corps de l'enfant
petit »71. En l'absence de justification objective (par exemple
une expertise médicale qui s'emploierait à démontrer
scientifiquement la « gravité » de l'intervention), l'emploi
de ces derniers qualificatifs est critiquable. Il est contraire au principe de
neutralité qui exige du juge une auto-interdiction de porter un jugement
de valeur sur la religion ou sur la croyance en cause.
75. Nous rejoignons (sur ce point) le commentaire de Cyrille
Duvert, selon lequel « Le choix d'un engagement religieux ou sa
confirmation, et plus encore sa traduction par un signe corporel, constituent
sans nul doute des actes importants mais ils ne sont pas pour autant
nécessairement des actes graves. On rejoindrait ainsi le critère
proposé par un auteur (H. Fulchiron) engageant l'avenir de l'enfant et
nécessitant, à ce titre, l'accord des deux parents, tout en
évitant les discussions sur les habitudes culturelles en vigueur dans
tel ou tel milieu confessionnel : pour les juifs comme pour les musulmans
pratiquants, la circoncision n'est pas un acte grave ; elle est en revanche
certainement un acte important » 72.
76. Le contentieux de la circoncision fait ainsi
transparaitre un débat encore plus large qui sont est celui de la
recherche de critères objectifs d'identification des actes usuels et non
usuels de l'autorité parentale73.
|