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Le rôle que joue l'apprentissage du français dans le processus d'intégration des migrants en structures associatives

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par Shazia Nazir
Université d'Avignon - Master didactique du FLE/FLS et éducation interculturelle 2017
  

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III-2 L'association langue et intégration : une évidence ?

1.1- Le sentiment d'intégration de mes enquêtés : des déclarations mitigées et axées sur l'autre

Cette partie, engagera une réflexion autour du sentiment d'intégration ressenti par mes enquêtés. C'est grâce à la question n° 9 : Avez-vous le sentiment d'être bien intégré(e) par les français/la France ? Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ou pas ? Qu'avez-vous fait pour y arriver ou qu'est-ce qu'il vous faudrait ? que j'ai pu recenser ces énoncés :

R46 : Oui, oui [...] parce que j'aime la France, j'aime la langue française, parce qu'ici, quand

je sors dans la rue [...] les femmes me disent « bonjour madame, bonsoir madame, ça va

madame, salut madame » [... ]je sens bien ici

 

F42 : Pas encore [...] je sais pas [...] les autres m'ont acceptée je sens mais ça dépend [...]

y'a des moments, je me sens bien, des moments non [...] pas tous [...] il y a différents des gens

[...] il y a quelques-uns qui m'acceptent, les autres pas

 

G40 : ça dépend des personnes [...] par la France, je n'ai pas de problèmes [...] ça dépend si

la personne est positive ou négative

H50 : pour moi c'est un peu difficile [...]je mets dans mon esprit de continuer toute ma vie ici

en France [...] il faut intégrer dans la société française oui, mais y'a des limites [...] l'intégration n'est pas difficile pour moi jusqu'à maintenant

 

H37 : je fais ma possibilité comme une femme de foyer [...] si on est quelqu'un de bien

pourquoi pas

 

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Les réponses ont été mitigées. En effet, la majorité des enquêtés n'a pas répondu par l'affirmative de manière catégorique sauf les enquêtées M30, R46 et R47 qui se sentent plus ou moins intégrés pour des raisons très personnelles et localisées par des références à leur environnement proche :

M30 ne voulait pas vraiment s'étaler sur le sujet et n'a cessé de me répondre de manière brève et neutre : "oui, oui, oui," "y'a beaucoup de choses oui", "non non jamais", "non non ça va". Encore une fois, je suppose que son niveau en français ne lui permet pas non plus de s'étendre sur cette problématique qui nécessite un niveau d'accès à la pensée abstraite. Les seuls éléments qui lui permettent de se sentir intégrée sont encore une fois (A34 également avait soulevé cet aspect) : pour la loi [...] les gens.

R46 est en France depuis moins d'un an, elle m'explique se sentir très seule (elle n'a pas d'enfants, ne travaille pas et son mari travaille toute la journée) et que sa seule occupation est le cours de français à l'association. Les motifs qui lui permettent de se sentir intégrée sont les suivants : parce que j'aime la France, j'aime la langue française, parce qu'ici, quand je sors[...] les femmes me disent "bonjour madame, bonsoir madame, ça va madame, salut madame mais elle déclare aussi se sentir intégrée par comparaison à sa situation en Espagne où son environnement était moins accueillant « elles ne dit pas salut [...] quand ils regardent une femme avec le foulard, il fait comme ça (baisse les yeux » et quand je lui dis « hola », elles ne répond pas [...]ici en France, je ne connais pas les gens et ils me parlent dans la rue (R46). Une grande partie des raisons évoquées implique une reconnaissance des autres et un besoin de sociabilité (R46 déclarera à trois reprises, ne pas vouloir rester seule chez elle et avoir besoin de sortir pour se sentir intégrée), mais elle évoque aussi son goût pour le français et la France.

R47, en France depuis 26 ans semble avoir pris ses marques en France et se sentir intégré bien que des références à son pays d'origine resurgisse dans sa réponse : « oui, moi je peux pas si on me dit "vas-y au Maroc" moi je peux pas (rires »), mais aussi des références à des problèmes apparaissent dans sa réponse, ce qui me laisse supposer que l'intégration n'a pas été un processus aisé pour elle et qu'elle a dû gagner sa place en se justifiant : « j'habite là, c'est vrai, y'a que moi que je suis là et les autres ils sont tous français, ça m'est arrivé (d'avoir des problèmes) mais après j'ai dit voilà je suis pas, ça fait longtemps que je vis là moi je suis français, j'ai la carte d'identité français et ça va mieux maintenant [...] avant on était

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pas d'accord de beaucoup de choses » (R47). Le paradoxe de sa réponse réside dans le fait que R47 se sente intégré et français mais que son discours indique des actualisations identitaires contraires : une claire distinction entre elle et les autres (they/wecode, Gumperz, 1989) apparait par les marqueurs discursifs « moi » et « les autres », « ils sont tous français », « je parle avec eux » et quelques lignes plus loin, elle déclarera « je leur explique, je dis voilà, je suis là, c'est vrai je suis étranger » et finira par préciser qu'aujourd'hui si elle se sent intégrée, c'est parce qu'elle n'est plus « intru », qu'elle peut « parler » et qu'elle est « comme une française en France ».Ces oscillations reflètent encore une fois, l'aspect dynamique de l'identité en elle-même, et encore plus chez les migrants : « Au fil de la vie, par son caractère extrêmement dynamique et éminemment pluriel, l'identité peut osciller entre identité actuelle et ancienne pour les migrants » (Biichlé, 2017) mais aussi son aspect complexe : « L'identité complexe, plurielle, ne serait-elle pas la règle plutôt que l'exception dans des situations de migration ? » (Lüdi, 1995 : 247).

Pour les autres enquêtés, certaines réponses ont été semées d'hésitations, en grande partie parce qu'ils ne sentent pas forcément reconnus par les français ou parce qu'ils doutent de leur reconnaissance. La part d'implication de la société dans le processus d'intégration de mes enquêtés semble être difficile à évaluer et à appréhender :

F42 : pas encore f...] je sais pas f...] les autres m'ont acceptée je sens mais ça dépend f...] y'a

des moments, je me sens bien, des moments non f...] pas tous f...] il y a différents des gens f...]

il y a quelques-uns qui m'acceptent, les autres pas

 

K43 : je sais pas f...] on sait pas f...] pour ma famille oui mais pour la France, je sais pas, je

sais pas si moi est-ce que je suis intégrée ou non

 

G40 : ça dépend des personnes f...] ça dépend qui est devant toi, c'est dur parce que tu ne sais

pas comment cette personne va réagir, tu ne sais pas ce qu'elle va te dire, tu ne sais pas si elle

va être sympathique avec toi, est-ce qu'elle va être agressive avec toi, si elle va te dire des

choses de travers, est-ce qu'elle va regarder ton visage, est-ce qu'elle va t'écouter, tu vois ?

 

H37 : pourquoi pas f...] si je me sens moi, je suis quelqu'un de bien et je fais ma possibilité et

les choses comme il faut beh si quelqu'un il pense quelque chose de moi pas bien beh c'est à lui

de réfléchir c'est pas à moi

 

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Certains enquêtés, déclarent ne pas se sentir intégrés du fait qu'ils ne travaillent pas ou pas de manière sereine :

K43 : je sais pas si moi est-ce que je suis intégrée ou non parce que [...]je travaille pas, je travaille pas

H50 : pour moi c'est un peu difficile [...] il n'y a pas de choses fortes parce que je ne travaille pas pour le moment

A34 : pour moi ? [...] je pense, beaucoup de manque [...] je travaille pas tranquille,

Ces discours me laissent supposer, que l'intégration perçue par mes enquêtés rejoint bien ma représentation de l'intégration évoquée plus tôt comme étant dépendante de deux acteurs : la société et le migrant. Cette représentation me parait plus saine car elle n'implique pas de hiérarchie entre les acteurs, la personne immigrant est à égalité en termes de participation avec les autres membres de la société (Hambye & Romainville, 2015) et « l'élément intégré n'est pas perçu comme devant être neutralisé, comme devant perdre ses caractéristiques initiales » (Tap cité par Manço, 1999 : 16).

Dans l'ensemble, mes enquêtés se sentent plus ou moins intégrés du fait qu'ils pensent bien faire de leur côté pour y arriver : « je suis quelqu'un de bien et je fais ma possibilité et les choses comme il faut » (H37) « je fais très attention [...] je parle avec eux gentiment » (R47) mais aussi parce qu'ils ont l'impression d'être redevables à leur pays d'immigration « la France [...] elle fait tout mais il faut les gens aussi », « ce n'est pas le pays de t'adapter à toi, c'est toi qui t'adapter à le pays, il faut que tu montres de quoi tu es capable » (G40) mais la non reconnaissance des membres de leur société d'immigration les laisse perplexe quant à affirmer qu'ils soient effectivement intégrés.

Un dernier élément m'a interpellé dans ces représentations sur l'intégration : ils se réfèrent pour la majorité à leurs interactions avec leur environnement proche pour parler d'intégration : « ce qui frappe dans le point de vue immigré, c'est qu'il met fortement l'accent sur la dimension locale de l'intégration (Lamchichi, 1999 : 150) et certains « associe volontairement intégration et réussite personnelle » (Ibid. : 150) :

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G40 : du moment que je fais mon monde, ma vie, tout va bien, c'est eux qui

 

payent mes factures ?

 

K43 : il fait des études, il a son travail, il a sa maison, tout est bien et il fait pas

mal à les gens f...] pour moi, c'est être bien intégré

 

H50 : maintenant il n'y a pas de choses fortes pour moi parce que je ne travaille

pas pour le moment

 

A34 : je travaille pas tranquille, les papiers, tu sors pas beaucoup, tu fais pas le

voyage parce que t'as peur, rien de papiers, t'es pas acheté l'habit de bon

qualité parce que tu travailles bien, rien de voiture, tu marches, tu prends le bus

ou le vélo

 

Enfin, seulement deux enquêtés ont soulevé des interrogations sur l'aspect langagier comme étant une barrière ou un moteur à leur intégration :

K43 : je sais pas si moi est-ce que je suis intégrée ou non parce que je parle pas bien,

H37 : si je peux quand même continuer les cours de français et parler bien f...] eh beh je crois

Ces derniers éléments me permettent d'introduire la dernière partie de cette analyse : le rôle, pas encore conscientisé jusqu'à ce moment de l'entretien, que joue le français dans leur représentation de l'intégration.

1.2- Une fois l'intégration pointée du doigt, le français semble effectivement être un facteur important de leur intégration

Cette dernière partie a fait l'objet d'une approche méthodologique d'enquête différente du reste de l'entretien. En effet, je n'avais jusque là, à aucun moment, effectué de lien entre intégration et langue. C'est au cours de la dernière partie de l'entretien, après m'être assurée d'avoir obtenu leurs représentations sur la question et attendu de voir si le lien se faisait automatiquement ou pas, que j'ai décidé, de manière imprévue au départ, de pointer du doigt ma problématique de manière claire pour les enquêtés. Je leur ai demandé s'ils pensaient que la langue/le français permettait l'intégration ou parfois, de manière moins explicite, ce qu'ils

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pensaient de la langue dans ce processus. L'ensemble des enquêtés interrogés a répondu par l'affirmative, confirmant ainsi l'importance de ce facteur dans le processus d'intégration :

R46 : Oui, oui c'est important [... ]quand je parle avec quelqu'un dans la maison des

associations ou dans l'école,

 

R47 : Oh oui c'est important, y'a que ça en France, la langue, il faut s'améliorer, le

courage pour parler, il faut faire, c'est pas grave moi je dis le travail et ça mais pour parler il faut qu'on parle français [...] Ah oui c'est important [...]comme ça on peut

expliquer ce qu'on veut déjà si par exemple je veux aller à la CAF ou quelque part

comment je vais l'expliquer, tous les jours il faut attendre quelqu'un qui va avec toi ? [...] j'ai dit il faut que je parle français même y'a des fautes il faut, pour les autres je sais pas

H37 : c'est important, c'est très très important eh oui si moi j'habite en France et que je

ne peux pas communiquer, je peux pas parler français, c'est difficile, comme quelqu'un

qui vient chez vous mon pays par exemple le Maroc, il parle pas ma langue, il parle une

autre langue, comment il va s'exprimer s'il parle pas la langue, c'est important

 

G40 : Oui, oui, apprendre à parler le français c'est comme refaire sa porte[...]porte

pour le monde entier tu es libre, tu as ta liberté en main, c'est comme si tu venais de

naitre mais tu voles, tu es né et tu voles, avant tu ne volais pas parce que tu ne parlais

pas le français [...]tu peux pas trouver quelqu'un qui va être auprès de toi pour te faire

la traduction tout le temps, ça c'est impossible, moi-même pour cette expérience ça m'est arrivé

K43 : Oui, pour moi oui parce que quand tu vas faire quelque chose tu demandes les

choses ou tu cherches les choses et c'est facile [...] pour moi c'est le plus important

d'apprendre le français

A34 : Euh tu parles tranquille, tu connais l'autre [...] tu entres [...] dans une banque

tranquille, tu connais, tu parles, tu demandes un papier ou quoi tu connais voilà tu

parles tranquille, t'as pas besoin de l'autre, à la traduction

 

F42 : faut, y'a bien la langue, parle avec les gens, avec les Français (inaudible) pour

moi c'est ça l'intégration [...] bien comprendre les autres [...] pouvoir convaincre

 

Avant cette intervention consciente de ma part qui consistait à pointer du doigt ma problématique, aucune connexion intégration = maitrise de la langue n'a été souligné par mes

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enquêtés. C'est seulement à ce moment que mes enquêtés ont déclaré que la langue permettait l'intégration en développant ce rapport comme une évidence :

R46 : Oui, oui c'est important

 

R47 : Oh oui c'est important, y'a que ça en France, la langue

 

H37 : c'est important, c'est très très important eh oui

 

G40 : Oui, oui, apprendre à parler le français c'est comme refaire sa porte[...]porte

pour le monde entier

 

K43 : Oui, pour moi oui [...] pour moi c'est le plus important d'apprendre le français

 

Si je reviens en arrière23, les réponses obtenues à la question de la définition de leur représentation de l'intégration n'indiquaient pas la langue comme facteur d'intégration. Ce retournement de situation était prévisible, je me doutais qu'en guidant les enquêtés vers ce que je souhaitais faire ressortir, ils iraient dans ce sens et c'est pour cette raison que je ne l'ai pas fait au début, en effet en aucun cas, mes questions visaient de manière explicite à induire ces réponses. J'aimerais faire ressortir ici les effets de raison impulsée par une représentation prégnante telle que la maitrise de la langue du pays d'immigration = une intégration réussie. En effet, j'ai pu voir que l'existence de cette représentation dans mon discours a conditionné leur représentation sur l'intégration. Ainsi, je pense qu'a l'échelle du pays d'immigration, l'existence de cette représentation conditionne l'existence de la réalité sur l'intégration.

Mon but ici n'est pas de dire que la langue ne facilite pas l'intégration, bien au contraire, cependant, il me parait important de rééquilibrer la question de l'intégration des personnes immigrant en France. Trop souvent la langue constitue un facteur décisif au sein des débats publics contemporains, et des enjeux liés à sa maitrise et à son emploi y sont associés (Hambye & Romainville, 2015). Par ailleurs, il devient normal aujourd'hui d'admettre que des facteurs liés aux pratiques linguistiques des migrants jouent un rôle dans les difficultés que rencontrent ces populations pour s'intégrer (Ibid.) parfois même chez les populations concernées elles-mêmes :

K43 : je sais pas si moi est-ce que je suis intégrée ou non parce que je parle pas bien [...] pour moi c'est le plus important d'apprendre le français

23Cf. III-1 Définir l'intégration

1.1- Représentations des enquêtés : l'intégration perçue comme une démarche sociale

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Le paradoxe dans tout ce revirement de situation réside dans le fait que certains de mes enquêtés ont déclaré plus tôt dans l'entretien ne pas parler le français ou ne pas parler bien le français24 et se sentir tout de même intégrés plus tard pour des raisons diverses n'incluant pas la langue 25. A ce stade de l'entretien, la langue devient le principal facteur d'intégration et même les enquêtés qui avaient déclaré de manière plus affirmée se sentir intégrés (R46 et R47) mais ne pas bien parler le français : « non, je suis pas top [...] j'aimerais bien parler le français » (R47), « je ne sais pas parler en français » (R46), y trouvent désormais une logique au rapport intégration = langue et ne jurent que par le facteur langue :

R47 : oh oui, c'est important, y'a que ça en France la langue [...] c'est pas grave moi je dis le travail [...] mais pour parler, il faut qu'on parle français

R46 : Oui oui, c'est important [...] je pense que la langue, à mon avis que la langue

Ces positions révèlent également des attitudes impliquant une certaine culpabilité qui me renvoie à un schéma où les acteurs qui décident de leur intégration par la langue (la France et les français) seraient en position de supériorité en tant que « dominants » et les immigrés seraient les « dominés » (Pallida, et al., 2011 : 66). Des attitudes que j'ai pu relever en leur demandant ce qu'ils avaient fait pour bien s'intégrer en France, s'il était facile de s'y intégrer, si le français était une priorité et si R47 après 20 ans en France, se sentait française :

R47 : je fais très attention [...] je parle avec eux gentiment [...] mais y'en a qui parlent quelque chose avec moi, je leur explique, je dis voilà je suis là c'est vrai je suis étranger mais je veux vivre là et j'ai le droit de vivre là » [...] je peux parler, je suis comme une française en France

R46 : ici, oui c'est facile [...] parce que les gens ici ne sont pas méchants, il est très gentil [...] qu'est-ce que tu vas faire dans un pays et que tu ne sais pas parler avec la langue

24 Cf. I-2 Les langues en usage et leurs contextes d'utilisation 1.3 Le français : une langue d'usage inconsciente

25 Cf. III-2 L'association langue et intégration : une évidence ?

1.1- Le sentiment d'intégration de mes enquêtés : des déclarations mitigées et axées sur l'autre

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En effet, comment un tel discours : « je suis étranger mais je veux vivre là et j'ai le droit de vivre là » (R47) peut ne pas révéler une hiérarchie considérant que « L'immigré, c'est avant tout l'étranger qui vient s'installer « chez nous » (Laacher, 2005 : 22).

Si ces discours prêtent à confusion et amène les enquêtés à ne pas reconnaitre leur pratique du français comme légitime et à légitimer l'apprentissage du français comme facteur premier à une intégration réussie, il m'apparait alors qu'ils adhèrent à la représentation de « la langue comme entité circonscrite, figée, préservée de la mouvance, de la pluralité, de la rencontre » (Bretegnier & Ledegen, 2002 : 13). Je pourrais même faire un parallèle entre ce procédé méthodologique d'induction de la réponse et le procédé de transmission des représentations, en effet il m'est difficile de sous-estimer la force d'attaque des représentations sociales en général sur un individu car : « Elles ont en elles une sorte de force, d'ascendant moral en vertu duquel elles s'imposent aux esprits particuliers » (Durkheim, 1968 : 625), on en est tous imprégnés et elles régissent notre relation au monde et aux autres (Jodelet, 1994) tout comme la force de la représentation suivante : intégration = langue, que j'ai pu transmettre à mes enquêtés en les guidant.

En termes de didactique du FLE/FLS, il est pertinent de se confronter à cette problématique de l'intégration par la langue et d'en observer les effets sur des locuteurs en apprentissage. En proie à la confusion et aux doutes, l'apprenant d'une langue étrangère se construit de par et avec la langue, il parait alors important en tant qu'enseignants de veiller à accompagner et orienter cette construction vers le désir de la langue apprise et non vers l'obligation. Un désir qui n'exige pas de l'apprenant d'abandonner son passé, ses langues et son identité, qui constituent des richesses à qui veut bien le voir. Aussi, j'aimerais préciser que le bagage linguistique et identitaire d'origine des apprenants ne l'empêchera pas d'avancer dans son processus d'apprentissage et d'intégration, en effet, les langues et identités d'origine et actuelle peuvent cohabiter.

J'aimerais avant de conclure mon travail de mémoire effectuer une critique soulignant une des failles de mon approche méthodologique. En ce qui concerne les représentations de mes enquêtés sur la question de l'intégration, il m'a été difficile de traiter les réponses obtenues de la même manière. J'ai pu aborder de manière isolée, les difficultés de compréhension de M30 et de A34 26 sur la question de l'intégration et évoquer les raisons

26 Cf. III-1 Définir l'intégration

1.2- Difficultés de compréhension pour les niveaux débutants : les cas de M30 et A341.1

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éventuelles de ces difficultés. En termes de méthodologie, il a fallut que je m'adapte. Je ne voulais absolument pas diriger les réponses de mes enquêtés mais je devais rebondir vite dans cette situation car comme je l'ai expliqué, l'entretien se serait achevé à ce moment sans que je ne puisse obtenir plus d'éléments de réponse sur ma problématique. La seule solution que j'ai estimé être appropriée à ce moment et qui me soit venue était de leur expliquer avec mes mots, ma représentation, ce que j'entendais par intégration en m'adaptant à leur niveau : prononciation lente et articulation distincte des vocables, répétition du lexique important « en France », « intégrer » et utilisation d'un lexique simple et familier : « demander », « faire des choses », « bien », « les autres ». Les réponses obtenues n'ont certes pas respecté ma démarche méthodologique de départ mais je les ai quand même prises en compte en les distinguant des autres. L'avantage d'avoir rencontré ces difficultés au départ a été de pouvoir mener une réflexion à ce sujet et d'améliorer les entretiens qui suivirent en les orientant dans une démarche plus flexible. J'aurais dû en effet prévoir lors de la réalisation de mon guide d'entretien ce genre de barrière et prévoir des approches différentes pour les enquêtés d'un niveau plus faible en français (traduction de la notion dans leur langue primaire de socialisation, synonymes moins abstraits, etc.). Ces entretiens m'ont aussi permis d'approcher ce que peut représenter une classe de langue avec des apprenants aux niveaux hétérogènes et de pouvoir réfléchir à des solutions de différenciation pédagogique. Enfin, ces situations me rappellent, qu'être enseignant de FLE/FLS c'est aussi influencer l'apprenant dans son parcours d'apprentissage du français et lui transmettre des représentations (sur la langue, la culture, etc.) qui le guideront au quotidien. Répondre de manière spontanée à un apprenant peut être délicat sur des questions telles l'intégration car elles impliquent l'individu dans un positionnement qui ne peut pas rester neutre. Cet évènement m'a confronté à la difficulté de pouvoir transmettre la « bonne réponse » à mes apprenants et à la responsabilité que celle-ci implique. J'ai fini par réaliser que toutes ces interrogations qui régissent mon rapport à l'autre, que ce soit en didactique du FLE/FLS ou vis-à-vis de la question de l'intégration, relèvent de mon entente face à la norme mais est-il seulement possible de s'en détacher ? si oui, quels sont les conséquences derrière ?

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe