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L'administration coloniale allemande et les pouvoirs politiques traditionnels Duala et Bamun (1884-1916): une analyse de l'histoire politique du Cameroun


par Winnie Patricia Etonde Njayou
Université de Douala - Doctorat 2023
  

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B. LES DIFFÉRENTES CONQUÊTES AYANT CONTRIBUÉ À L'ÉTABLISSEMENT DU ROYAUME BAMOUNBAMUN

La première conquête concerne celle du village de Njimom(1-) où le peuple « Pa Mbem » s'était établi et sera vaincu par NCHARE YEN qui en adoptera la langue (2-).

1. La conquête du village de Njimom (Victoire sur les Pa Mbem)

Le tableau polémologique BamounBamun indique une histoire dominée par les grandes conquêtes499(*) qui culminent sous le règne de MBOUOMBOUO ; conquêtes ayant permis la captation du monopole militaire doublé d'un monopole fiscal socle de la constitution d'un seul centre d'impulsion politique. Il va de soi que la mise en évidence de ces deux monopoles constitue une entrée de choix, une fenêtre d'opportunité explicative de la « sociogenèse de l'État traditionnel BamounBamun »500(*).

Autrement dit, s'il y a eu une analogie entre la guerre et la construction de l'État501(*), celle-ci s'est consolidée et s'est adaptée aux circonstances critiques moyennant de la part du jeune souverain, ruse, tact, pondération et parfois des compromissions avec une mobilité tactique que lui imposaient les circonstances. La politique dure correspond à la mobilisation de ce que Joseph NYE appelle le « hard power » avec une mobilisation conséquente des ressources militaires, alors que la politique souple s'accommode du « soft power » et même du « smart power »502(*).

L'État traditionnel BamounBamun ne s'est mis en place qu'au terme d'un processus historique particulier permettant la constitution d'un espace politique autonome doté d'une fonction, d'une légitimité et des moyens propres de son ancrage. La définition qu'en donneMax WEBER est devenue proverbiale : il s'agit d'une entreprise à caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l'application des règlements, le monopole de la contrainte physique légitime503(*). Ce n'est pas le lieu de quereller une définition que les anthropologiques politistes tiendraient pour occidentalo-centrique504(*).Seule la question de la monopolisation de la contrainte légitime nous retiendra.

Dans le contexte BamounBamun, il y a eu une corrélation entre la guerre et la captation du double monopole de la contrainte ; les relations politiques dans sa dynamique historique sont définies à partir du phénomène guerrier dans la mesure où celui-ci met à jour ce qui selon Carl SCHMITT constitue le critère distinctif du politique505(*).

Cette conception belliciste du politique se matérialise dans l'idée que « c'est dans la guerre que se trouve le coeur des choses. C'est la nature de la guerre totale qui détermine la nature et laforme de l'État total »506(*).

L'ouvrage Histoire et coutumes des Bamun conforte cette périodisation, car entre NCHARE YEN et MBUEMBUE aucun fait d'armes n'a été enregistré de la part des neuf rois intermédiaires qui selon l'expression des rédacteurs de l'histoire suscitée « ne firent rien, vivant sur ce que les mains de Nchare avaient fait »507(*) ; comme les derniers rois mérovingiens, ils ont préféré luxure, batailles fratricides et révolutions du palais.508(*)

L'histoire lui attribue 18 rois soumis implantés de façon quasi rectiligne de Rifum à Njimom puis de Njimom à Foumban509(*). C'est la problématique de la guerre et de la construction de l'État qui constitue un horizon d'interprétation de l'appropriation du monopole de la contrainte légitime.

La guerre est une situation d'exception et « est souverain, écrit CarlSCHMITT, celui qui décide de la situation exceptionnelle ....Celui qui décide en cas de conflit en quoi consiste l'intérêt public et celui de l'État, la sureté et l'ordre public, le salut public »510(*). Or, NCHARE YEN demeure encore un empereur sans spectre, son pouvoir accuse une légitimité indigente, il faut être roi pour désamorcer la polyarchie que lui opposent ses compagnons511(*).

L'ouvrage du RoiNJOYA traduit par le pasteurHenriMARTIN rapporte fortà propos les velléités d'insoumission de l'un des conseillers du royaume en ces termes : « Nchare est un enfant, ce n'est pas lui qui doit être Roi »512(*). La « politique dure » s'étant instantanément muée en « politique souple ». Ce passage de la « politique comme concurrence guerrière » à la « politique comme concurrence pacifique » nous introduit commodément dans une « para-constitutionnalité » fondatrice du royaume. Il est alors convenu pour départager les deux rivaux qu'une compétition olympique aurait lieu au petit matin.

Cet accord tient lieu de « Serment du jeu de paume » : « ne jamais se séparer sans qu'un roi eut été choisi ». NCHARE gagna la partie non en raison de ses capacités physiques par ailleurs très limitées, mais en raison de sa générosité somptueuse513(*). L'anthropologie nous enseigne que la munificence et l'évergétisme sont des invariants de la légitimation de tout pouvoir politique514(*). La position de NCHARE comme roi constitue les fonds baptismaux de l'émergence d'un centre politique et de la captation du monopole de la contrainte légitime.

D'un point de vue de sa fondation, l'État traditionnel BamounBamun est le fruit d'un compromis historiquement établi par les forces en présence qui ont consolidé « les manières de faire » jusque-là diffuses515(*); l'usage de la contrainte et du pouvoir répressif prend désormais la forme de la raison objective. Cette nouvelle stature lui permettra de parvenir à Foumban en balayant les dernières alluvions516(*). Sa profession de foi telle que nous la rapportent les rédacteurs de l'Histoire est résolument impérialiste, voire belliqueuse :« Je poserai les limites de mon royaume avec du sang et du fer noir ».

Vu sur cet angle, CharlesTILLY considère que la guerre et la construction de l'État opèrent dans « une ambiance de crime organisé »517(*). Les guerres de conquête et les ralliements lui ont certainement permis de grossir les effectifs d'une infanterie encore embryonnaire. Il est difficile de recenser les stratégies et les tactiques mobilisées par MBUEMBUE dans ces exploits militaires.

L'effort louable fourni par ClaudeTARDITS est demeuré parcellaire518(*). Il a utilisé la tactique napoléonienne du « carré marchant » dans la mesure où les conquêtes se sont faites exclusivement de la capitale519(*) vers les terminaisons territoriales actuelles. Et, fin psychologue, il n'hésitait pas à se résoudre au corps au corps. Il est le théoricien de la tactique de la défense bicéphale inscrite dans les armoiries du royaume520(*). 521(*)

L'« Histoire et coutumes des Bamun » lui attribue quarante-huit exploits militaires ; record inégalé dans l'histoire. Il parachève la conquête du monopole militaire par l'organisation de l'armée en trois corps correspondant aux trois régions militaires de Njimom, Mayap et Foumban.Il est plausible d'y voir la possibilité d'une professionnalisation plus accrue si le temps colonial n'avait pas introduit une césure brusque dans ce processus. Foumban devient le seul centre d'impulsion politique et la circonvallation qui l'entoure constitue un marqueur spatial et symbolique de sa centralité politique522(*).

Ces différentes conquêtes conduiront à la naissance du royaume BamounBamun.

* 499 Sultan I. NJOYA, « Histoire et coutumes des Bamun », Mémoires de l'IFAN, série : Population N°5, 1952, pp. 24-26.

* 500 N. ELIAS, La dynamique de l'Occident, Paris, AGORA, 2007.

* 501 C. TILLY, « La guerre et la construction de l'État en tant que crime organisé », in Politix, vol. 13, N°49, pp. 97-111.

* 502 J. NYE, « Soft Power: The means to success in world politics. New-York » in Public Affairs, 2004; Voir aussi, J. NYE, «Bound to lead: the changing nature of American Power », New York, Basic books, 1991.

* 503 M. WEBER, Économie et société, Paris, Plon, 1995, p. 57.

* 504 E. PRITCHARD & M. FORTES, Systèmes politiques africains, Paris, PUF, 1964.

* 505 C. SCHMITT, Théorie du partisan, Paris, Calmann-Lévy, 1972.

* 506 C. SCHMITT, Notion du politique, trad. Steinhausen, Paris, Champs Flammarion, 1994, p. 270.

* 507 Sultan I. NJOYA, « Histoire et coutumes des Bamun, Mémoires de l'IFAN, série : Population N° 5, 1952, pp. 24-26.

* 508 M.-N. BOUILLET & A. CHASSANG (Dir), « Rois faînéants ». Expression tirée de l'ouvrage Dictionnaire universel d'histoire et degéographie, 1878.InColloque International Roi Njoya, LE ROI NJOYA. Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine, L'Harmattan Cameroun, 2014, pp. 89-91.

* 509 Sultan I. NJOYA, « Histoire et coutumes des Bamun », Mémoire de l'institut français d'Afrique Noire (centre du Cameroun) », série : Population N° 5, 1952, pp. 24-26.

* 510 C. SCHMITT, Théologie politique, trad. J. L. Schlegel, Paris, Gallimard, 1988, p. 16.

* 511NJIKOUMJOUO par exemple fut l'un de ses plus intrépides challengers.

* 512 Sultan I. NJOYA, op.cit., p.23.

* 513 Voici quelques fragments tirés de l'Histoire et coutumes des Bamun : « Toi et ton frère vous courrez demain, celui qui de vous deux courra le plus vite et arrivera à poser le premier son pied sur la pierre sera Roi ». Ayant couru ensemble chacun avec ses partisans, les gens de Nchare obstruèrent la voie à NJI Koumjouo et permirent à Nchare d'arriver le premier. « Nchare était charitable tandis que son frère était égoïste » nous révèle l'Histoire.

* 514 Voir surtout M. MAUSS, « Essai sur le don : forme et raison de l'échange dans les sociétés primitives », Année sociologique, 2nde série, 1923-1924.

* 515 E. DURKHEIM, Fonctions sociales et institutions, Paris, Minuit, 1975.

* 516 Les derniers rois soumis résidaient respectivement à Folap, NJImom, Foyet, Mambouo, Ka'ben, Mayap, Machu, Makoutam, etc. 

* 517 C. TILLY, « La guerre et la construction de l'État en tant que crime organisé », in Politix, vol. 13, N° 49, 2000, pp. 97 - 117.

* 518 C. TARDITS, Le Royaume BamounBamun, Paris, Armand Colin, 1980, pp. 151-152.

* 519 Foumban.

* 520 Interview de Mme NGOUNGOURE BILKISSOU, guide touristique dans la ville de Foumban le 30 mars 2021.

* 521 C. NGON AULECTH, « Pourquoi on appelle les BamounBamun serpent à deux têtes ? » Le serpent à deux têtes, emblème bamounBamun est créé pour célébrer le triomphe du roi Mbuembue pour sa victoire sur les guerriers Pou et Mgbètnka, article publié 16 mai 2018 sur le site https://www.auletch.com et consulté le 1er avril 2021. Des rumeurs malveillantes ont accrédité l'idée que les BamounBamun sont représentés par le symbole du serpent à deux têtes parce qu'ils sont particulièrement faux et tiennent le double langage. On ignore la source exacte de cette explication qui, sérieusement, ternit l'image de marque du peuple bamounBamun. Il faut dire que certains BamounBamun peuvent avoir contribué à répandre cette explication fallacieuse du symbole du serpent bicéphale.

* 522 Voir Sultan I. NJOYA, « Histoire et coutumes des Bamun, Mémoires de l'IFAN, série : Population N°5, 1952, p. 26.

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